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Liberté, égalité, sexualité !

8/03/2012 | par Laurence Vanin | dans Art & Société | 2 commentaires

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À l’occasion de la journée de la femme, il semble pertinent de s’attarder sur ces femmes qui pensent… Et notamment rendre hommage à l’une d’entre elles pour son dévouement à la philosophie et à la cause des femmes : Simone de Beauvoir.

Il importe donc de souligner l’aspect si particulier de sa destinée – totalement déterminée – par sa relation à Sartre [Edito I]. Nous évoquerons ensuite son engagement philosophique [Edito II] sans concession : elle porte en effet l’idée de l’existentialisme ; mieux encore elle en incarne l’essence même.

Sa réflexion sur les femmes, la vieillesse, l’existence a, certes, contribué à l’émancipation des femmes mais surtout elle a ouvert la voie des possibles pour toutes ses femmes qui vivaient sous le joug d’une société traditionaliste et qui ont ainsi pensé qu’elles pouvaient s’en libérer. Ses pensées ont ouvert l’esprit de nombreuses femmes qui, résignées, semblaient considérées que leur statut était définitivement figé. Par une sorte de retour réflexif, les hommes ont également compris qu’une femme libre, épanouie, citoyenne serait leur meilleure alliée pour réaliser cette vie affective et complémentaire à laquelle chacun aspire. C’est donc avec force et parfois provocation qu’elle a affirmé ses idées, au détriment parfois de sa vie personnelle. C’est sans doute la solitude de la femme de convictions et d’écriture qui la rend si touchante encore aujourd’hui et qui justifie ces quelques lignes qui lui sont consacrées…

Mais qu’en est-il vraiment ?

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Une destinée singulière

Militante pour la cause des femmes, Simone de Beauvoir a voulu incarner fidèlement ses idées. Refusant le conservatisme réducteur de la condition féminine aliénante, elle a lutté pour la libération des femmes.

En observant ses parents et le couple bourgeois qu’ils formaient, elle se désespère de voir sa mère, si dévouée à son mari. Maîtresse de maison, bourgeoise disciplinée, au service du statut social de son époux, elle organise des repas et se consacre pleinement à son épanouissement intellectuel, moral et social. Simone ne supporte pas de voir sa mère si soumise et dépendante de son père ; une mère dont les besoins passent après les exigences de son conjoint.

Alors, elle rencontre Sartre, cet homme libre qui incarne des valeurs nouvelles… Nécessairement, elle succombe à l’esprit, puis à l’homme…

Intellectuellement l’alchimie se produit et ensuite le couple se forme. Simone est séduite par Sartre, d’autant qu’il lui propose une union pour la vie, mais sans carcans, sans mariage, sans obligation ni soumission : une association d’égal à égal. Une union libre pour le plaisir ; un espace où chacun peut s’épanouir, contre le conservatisme ambiant. Simone accepte pensant à une dévorante passion mais sans se douter que cette union ne sera pas exclusive et que la liberté dont il est question laissera place à d’autres femmes, aux amis, aux militants, à l’écriture. En bref, que bien des choses vont se mettre entre ces deux êtres. Mais n’est-elle pas déjà aveuglément séduite ? N’est-elle pas rivée à un idéal, l’utopie d’un amour parfait, intense, exclusif… qui ne demande rien, mais prend, donne, se réalise ? Quelle regrettable utopie !

Hélas, Sartre l’entend autrement. Il souhaite une union libre, une sorte d’association. Alors il entretient des liaisons, glisse dans d’autres lits. Il s’égare.

Simone souffre. Elle réalise progressivement qu’elle s’est engagée mais que ce pacte n’est qu’un leurre. Elle s’est fourvoyée, elle qui croyait tant à un amour exclusif mais non possessif, elle qui rêvait de complicité, de passion, d’étreintes charnelles… Elle est finalement devenue prisonnière de son engagement. Mariée, elle aurait obtenu quelques garanties… là elle est liée par une promesse qui en réalité n’apportent que des insatisfactions, des désillusions.

Car Sartre a besoin de se rassurer, de séduire et il est certain d’avoir trouvé en Simone, un point d’ancrage, un port d’attache où il pourra toujours revenir pour se ressourcer, se consoler de ses errances éphémères. Et surtout trouver un esprit, un conseil, une intellectuelle qui peut servir sa cause !

À mesure que le temps passe le duo intellectuel fusionne, milite, etc. entre dans l’histoire ! Mais d’un point de vue affectif, Simone attend Sartre, elle espère toujours de lui davantage… Mais rien ne vient.

Pour ne pas rompre son serment et vivre conformément à sa pensée, elle applique ses préceptes et se console dans d’autres bras : des femmes d’abord, ainsi elle n’a pas vraiment l’impression de tromper Sartre… Certaines de ses amantes deviendront ensuite les maîtresses de Sartre, comme si à travers elles, leur union charnelle pouvait se poursuivre ; puis des hommes, par dépit, dans l’attente qu’il lui revienne.

Sartre gagne en popularité, Simone en immoralité. Le couple intrigue parce l’un et l’autre sont inséparables et leur amour est devenu nécessaire à leurs propres réalisations personnelles, intellectuelles. Cette « fidélité » durera cinquante ans, bien qu’elle fût de temps à autres écornée par des liaisons contingentes. Le couple fonde alors sa relation sur l’existentialisme. Sartre gagne en notoriété et affiche ses relations. Mais lorsque le vent tourne, qu’il subit des échecs il trouve le réconfort auprès de Simone. Peut-être que s’il avait rompu ses engagements pour se consacrer totalement à une autre femme, aurait-elle été plus libre pour un autre homme ?

Non, impossible… il lui revient toujours, la consulte pour ses écrits et le célèbre couple se montre, s’engage, proteste, milite. Simone devient l’ombre de Sartre.

Mais elle milite pour les femmes, leur émancipation. Elle se veut libre et elle souhaite incarner ses idées. Elle apporte aux femmes, non sans provocation, des idées novatrices. Elle enfonce des portes, dénonce. Elle souhaite démystifier ce modèle de femme, soumise, maternelle, effacée et le remplacer par la féminité, le féminisme. La femme objet peut devenir la femme sujet, libre de ses choix. Elle peut décider, vivre ses désirs, se réaliser dans une carrière. Elle peut s’affranchir de ce rôle aliénant et réducteur dans lequel les hommes l’ont confinée. Elle parvient à refuser ce statut qui la dépossède de toute envie au point de ne devenir qu’un objet, une matrice au service de son époux.

« Liberté, égalité, sexualité ! » aurait-elle pu crier la main levée !

Alors puisque « l’on ne naît pas femme on le devient », Simone se libère, s’affranchit de sa condition et s’adonne à ses plaisirs… Mais c’est sans compter sa perpétuelle et constante disponibilité à l’égard de Sartre.

Sa vie se partage entre l’écriture, son engagement politique, ses liaisons et Sartre. Jalouse de ses maîtresses, et tiraillée par son souhait de respecter ses engagements envers lui, elle s’affirme avec d’autant plus de force et de talent. Mais progressivement chacun s’interroge. Est-elle naïve ? Est-elle trop orgueilleuse pour rompre ce serment qui l’aliène autrement, affectivement, et avouer qu’elle s’est trompée ?

Le couple se déchire, se réconcilie.

Simone s’endurcit, ses apparitions publiques montrent une femme de plus en plus seule, à l’air acariâtre, mais dont les pensées révolutionnaires nourrissent l’esprit des femmes. Peut-être était-ce chèrement payé ?

Brillamment mais presque tragiquement, elle expérimente l’existentialisme et l’intègre à une problématique féministe. L’idée est géniale, exceptionnelle mais si difficile à assumer… surtout si l’on éprouve des sentiments profonds et sincères.

La liberté des mœurs semble si facile à vivre lorsqu’elle n’est qu’un concept abstrait… mais l’appliquer à soi-même, à sa vie de chaque jour sans y déroger alors qu’on est vraiment amoureux… C’est une autre histoire !

Alors Simone de Beauvoir, la femme libre et entièrement dévouée à Sartre sent que le temps passe, que le piège s’est refermé sur elle… il est temps de renoncer à la passion pour laisser place à une complicité intellectuelle, renoncer à l’exclusivité pour le garder, à la maternité, lui qui la considère parfois comme une mère bien plus qu’une compagne…

La nostalgie et l’amertume s’installent…

Elle reste toutefois fidèle à son serment, et s’aliène à sa promesse : Liberté, égalité, sexualité !

La réalité est toute autre. « Liberté, égalité, fraternité ! » la formule se traduit pour Simone par « Dépendance, dissimilitude, solitude ! »

La grande pionnière des droits des femmes sent bien que toute révolution nécessite quelques renoncements. Mais courageusement elle abandonne la quête de son propre bonheur au profit de Sartre et des nombreuses femmes qui ont trouvé en Simone le symbole de la résistance féminine !

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Précisions philosophiques

Aux armes citoyennes ! Laissez tomber l’aspirateur, la cocote minute et le bain des enfants ! Rebellez-vous ! Soyez femmes, soyez libres, soyez épouses, maîtresses… Sortez de vos foyers et existez ! Voilà ce que propose Simone de Beauvoir.

À défaut de faire le ménage, la femme invite au remue ménage ! Et là, c’est l’électrochoc.

Des femmes prennent conscience… Il est grand temps qu’elles s’émancipent des hommes, de leur père puis de leur mari. Demander une autorisation à son époux pour travailler, ouvrir un compte en banque, voter… Il suffit !

Devenir femme, c’est prendre conscience du pouvoir de la féminité. C’est prendre possession de sa subjectivité et devenir auteur de ses actes et non pas seulement exécuter les tâches ingrates, servir aveuglément son mari, jusqu’à s’oublier, n’être qu’une maîtresse, une mère, une femme au foyer. Il importe de renoncer au second rôle dans lequel vous étiez confinées depuis trop longtemps. Le grand mouvement pour la libération des femmes est en marche.

Après Louise Michel, Simone de Beauvoir suivront Simone Weil et tant d’autres. Le droit à l’avortement, la liberté de choisir son époux, poursuivre des études, gagner en dignité et en respect, refuser d’être bafouées telles sont les premières exigences. Simone de Beauvoir insiste sur la nécessité de cet affranchissement qu’elle souhaite voir réaliser en vertu d’un principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

D’autant que les désirs des femmes évoluent. Elles souhaitent réaliser leur carrière, obtenir des postes à responsabilités, investir de nouveaux domaines professionnels, qui jusque-là ne leur étaient pas réservés, tout en conservant leur féminité. Elles se veulent citoyennes, libres et malgré ce, de bonnes mœurs.

Car trop souvent la liberté sexuelle des femmes est contestée, dénoncée alors que celle des hommes est plutôt flatteusement interprétée. Elles doivent alors se dépasser et abattre les obstacles.

Cela nécessite de trouver la force de lutter contre les préjugés sociaux, masculins et même contre ceux de certaines femmes trop conservatrices.

Simone de Beauvoir affirme dans Le deuxième sexe :

« En devenant pratique, le costume de la femme ne l’a pas fait apparaître comme asexuée : au contraire, les jupes courtes ont mis en valeur beaucoup plus que naguère jambes et cuisses. On ne voit pas pourquoi le travail la priverait de son attrait érotique. Saisir à la fois la femme comme un personnage social et comme une proie charnelle peut être troublant : dans une série de dessins de Peynet parus récemment, on voyait un jeune fiancé délaisser sa promise parce qu’il était séduit par la jolie mairesse qui se disposait à célébrer le mariage ; qu’une femme exerce un « office viril » et soit en même temps désirable, ç’a été longtemps un thème de plaisanteries plus ou moins graveleuses ; peu à peu le scandale et l’ironie se sont émoussés et il semble qu’une nouvelle forme d’érotisme soit en train de naître : peut-être engendrera-t-elle de nouveaux mythes. »

Les femmes d’aujourd’hui revendiquent l’égalité des chances et des salaires etc. Mais il ne s’agit pas de devenir une femme castratrice, ou dévergondée. Celles-là font peur à la gent masculine, et à juste titre !

Il importe pour la femme qu’elle puisse décider pour elle-même, qu’elle se choisisse sage, ou libertine, réservée ou émancipée, elle se doit d’exister pleinement et de définir ses projets. La cité doit changer et le mouvement des femmes peut favoriser l’instauration d’un principe égalitaire entre le statut des hommes et le leur.

Toutefois, cela n’empêche pas la femme d’être affectueuse, protectrice, gardienne du foyer ou des valeurs familiales. Elle reste sensible à la courtoisie d’un homme, à la prévenance. La féministe défend des valeurs, mais subtile, elle a bien compris que l’homme et la femme sont complémentaires et qu’ils ont tout à apprendre l’un de l’autre.

Il s’agit juste de redéfinir les tâches, y compris ménagères, et de vivre ensemble, sans être en lutte perpétuelle ! Il est également nécessaire que les hommes acceptent ces changements : « Ce qu’il faut espérer, c’est que de leur côté les hommes assument sans réserve la situation qui est en train de se créer ; alors seulement la femme pourra la vivre sans déchirement. Alors pourra être exaucé le vœu de Laforgue : « Ô jeunes filles, quand serez-vous nos frères, nos frères intimes sans arrière-pensée d’exploitation ? Quand nous donnerons-nous la vraie poignée de main ? » Alors « Mélusine non plus sous le poids de la fatalité déchaînée sur elle par l’homme seul, Mélusine délivrée… » retrouvera « son assiette humaine ». Alors elle sera pleinement un être humain : « quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme — jusqu’ici abominable — lui ayant donné son renvoi ».

Pour conclure, nous pouvons constater combien il est difficile de parvenir à une égalité de statut entre les êtres, toutefois les femmes souhaitent le changement et l’initient par la voix des intellectuelles telles que Simone de Beauvoir… Cela ébranle la société et transforme les clichés traditionnels et figés, perturbe les habitudes masculines. D’ailleurs, certains hommes s’en réjouissent. A défaut de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière pour faire voler en éclat les stéréotypes, les femmes changent progressivement le cours des choses.

Néanmoins ne dit-on pas que « la femme est l’avenir de l’homme » ?

 

Laurence Vanin

Docteur en philosophie et en épistémologie, essayiste, Laurence Vanin enseigne à l'Université de Toulon, où elle est directrice pédagogique de l'Université du Temps libre, et est membre du groupe de recherche supérieur en Droit constitutionnel européen à l’Université autonome de Barcelone. Elle dirige la collection De Lege Feranda chez E.M.E Intercommunication (avec D. Rémy) et la collection Label-Idées aux éditions Ovadia. Elle vient de publier Leibniz et Hobbes : Réflexions sur la justice et la souveraineté aux éditions Ovadia.

 

 

Commentaires

bonjour,
l’égalité homme femme aura progressé lorsqu’on écrira ou dira Simone & Jean Paul. A moins que l’on veuille parler de Sartre et Beauvoir.
Merci de votre attention.

par guémené - le 25 mars, 2013


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