iPhilo » Le courage de communiquer

Le courage de communiquer

27/03/2012 | par Blandine Rinkel | dans Art & Société

Download PDF

Dans la plupart des débats télévisés, ça bavarde sans parler. Et quand ça parle, c’est souvent sur un mode laborieusement-hermétiquement-autiste. Du Grand Journal avec Nicolas Sarkozy au Paroles de candidats en passant par le C dans l’air spécial présidentielles, ça manque ou de contenu ou de gueule ; bavardage sourde hystérie contre monologue d’universitaires ravis. Un manque certain de communication.

Communiquer, c’est créer un langage commun afin de parvenir à un d’accord. La communication c’est la recherche d’une entente, d’une inter-compréhension, c’est parler avec soi-même en même temps qu’avec l’autre : parler juste (Habermas, Théorie de la communication). Mais comment définir cette justesse ? Comment n’être ni trop superficiel, stérile dans l’exhibition d’un Moi enivré par l’illusion de son pouvoir, ni trop grave, englué dans un savoir universitaire impersonnel et borné ? En fait, comment n’être ni en deçà ni au delà de l’acte de parler ?

Est en deçà de la communication celui qui affirme dogmatiquement, sans oreilles en points d’interrogations, c’est à dire celui qui abdique par avance la possibilité de changer d’opinion en cours de conversation. Par exemple, c’est le politique englué dans un parti (pris) unique et fermé, qui cherche à donner tort ou raison à son adversaire plutôt qu’à comprendre comment concilier leurs positions respectives. Il est déjà tellement compliqué de comprendre ce que l’autre veut vraiment dire que vouloir affirmer s’il a tort ou raison trop rapidement c’est avant tout attester ne pas l’avoir vraiment écouté. Parler en deçà peut aussi être s’exprimer en constant second degré, c’est à dire dans un refus de dire par soi-même, dans une dépendance de la parole altière. Le second degré, c’est la sortie de secours de l’intelligence feignante. C’est la trop fière destitution des prétentions ; le doigt qui n’a pour force que celle de pointer les vanités d’autrui. Ca correspond à la comédie hégélienne, la jouissance de faire tomber les masques. S’exprimer au second degré, c’est démolir les prétentions tragiques et géniales des hommes en leurs rappelant qu’ils ne seront jamais qu’ « humains, trop humains ».  Désacralisation jouissive. Nicolas Sarkozy qu’on rend médiocre, denté de chouquettes au Grand Journal, c’est une forme de désacralisation jouissive.

Or ni le dogmatisme ni la désacralisation ne font avancer de question. Il y a une différence entre questionner et interroger, questionner c’est faire émerger un problème tandis qu’interroger c’est demander une réponse. Or dans les médias, la plupart du temps, y’a pas de question mais des interrogations, le « vous aimez les chouquettes? » comme le « c’est quoi votre programme? », ce sont des interrogations, pas des questions. Il n’y a rien de crucial qui se joue, ça ne communique pas. Toujours affirmer plutôt que douter et toujours interroger plutôt que questionner, ce sont donc deux formes du parler en deça, du refus de la communication.

Parler au delà, c’est encore autre chose. Parler au delà, c’est ne parler qu’à une « certaine » élite d’une « certaine » vérité. Parler au delà, c’est vouloir parler vrai sans se soucier de la réussite ou de l’échec de l’acte de parole. Un acte de parole qui réussit c’est un acte de parole qui change quelque chose pour chacun des interlocuteurs : il a des conséquences. Un acte de parole qui échoue, c’est un acte de parole qui, même s’il parvient à exprimer le « vrai », même sincère et signifiant, n’engendre pas d’actions, pas de changement. Que l’interlocuteur aie raison ou non n’a aucune conséquence pragmatique : je ne nie pas la validité de sa kyrielle d’arguments pascaliens, mais ils ne modifient en rien mon comportement. Au mieux ce sont des arguments qui « peuvent réduire mon adversaire au silence sans le convaincre » (Hume, Traité de la nature humaine), au pire ce sont des arguments qui tombent dans le bruit du débat qui se poursuit.

Finalement, comment être à la fois présent à l’autre et à soi-même, c’est à dire dans une véritable intersubjectivité, de sorte que cette présence soit conséquente, inter-active ? Mes amis, je ne vous cache pas qu’éviter et le consensus pathologiquement extorqué, et la logique illisible qui ne parle qu’aux initiés est compliqué. Mais  il me semble tout de même exister une manière de parler sérieusement qui n’absente la parole ni dans le dogmatisme ni dans le cynisme, et ne l’englue ni dans la gravité ni dans le trop alambiqué. Il y a une manière de réfléchir et de digérer sa pensée sans quitter la rhétorique maîtrisée ; Sacha Guitry et Oscar Wilde l’ont expérimenté, il existe un art de la légèreté.

 

Blandine Rinkel

Blandine Rinkel, étudiante en philosophie et en lettres, est membre de Karl Popper's, une initiative pour lier amusement, humour et philosophie. Karl Popper's est en effet "directeur du centre de variations philosophiques à la framboise, animateur de radiophonies musicales, performeur du dimanche et journaliste pour enfants surdoués" (http://thekarlpoppers.blogspot.com).

 

 

Commentaires


Laissez un commentaire