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L’Europe : une union qui doit s’appuyer sur les nations

10/01/2013 | par Yves-Charles Zarka | dans Monde, Politique | 8 commentaires

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Les difficultés que connaît l’Europe aujourd’hui, en particulier l’incapacité de relancer le projet d’une union qui mobiliserait les peuples, et même la résistance que ces peuples y opposent, tient bien sûr aux difficultés financières, économiques et sociales et aux politiques d’austérité qui l’affaiblissent au lieu de lui donner un nouvel élan. Mais ce n’est pas tout, il y a une autre raison : le fait que la question du sens même d’Union politique européenne a été sans cesse retardée. Comme si la dimension politique de l’Europe risquerait de compromettre le projet de construction péniblement mis en œuvre. Ce retard de la question politique est une composante majeure des impasses dans lesquelles nous nous trouvons. Il tient au fait que les gouvernements successifs des Etats européens, et en particulier les dirigeants politiques français (de gauche ou de droite), ne comprennent tout simplement pas la radicale nouveauté historico-politique de l’Union qu’ils sont pourtant chargés de construire. Tout se passe comme si l’architecte n’avait pas de plan, même général, de l’édifice qu’il entendait construire. Cette carence des politiques dans l’intelligence du sens de l’Union se reflète également dans les débats dit « publics » qui ont recouvert, voire effacé, les apports théoriques des penseurs de différentes disciplines (philosophes, politistes, juristes, et autres) qui ont interrogé la signification de l’Union et ont tenté d’y apporter des réponses.

Ainsi le débat sur l’Europe politique tourne-t-il aujourd’hui autour de l’alternative entre souveraineté des Etats-nations et fédéralisme, c’est-à-dire à terme disparition des nations. Ce qui veut dire que l’on continue de penser l’Union européenne, réalité politique nouvelle, dans des catégories anciennes. Tant que l’on posera la question politique dans ces termes on approfondira le désenchantement des peuples à l’égard du projet européen. Il convient donc de penser l’Europe autrement, en premier lieu sur trois points.

1/ Comme réalité politique nouvelle, l’Europe ne peut être pensée dans les termes d’une fédération d’Etats qui aurait pour conséquence de dissoudre progressivement les nations. Les peuples européens n’entendent pas perdre leurs spécificités forgées par une longue histoire et qui touche les coutumes, les mœurs, les institutions, les langues, etc. Tant que le projet d’Union apparaîtra comme impliquant une perte de spécificité des nations, les peuples n’en voudront pas. C’est un fait. Si l’on faisait un référendum sur l’Europe fédérale aujourd’hui, il n’y a pas de doute que la réponse serait négative, et largement. Mais au lieu d’essayer de contourner la volonté populaire par des ententes intergouvernementales qui ne font que masquer la crainte des peuples, il faudrait repenser l’Europe en d’autres termes que ceux du fédéralisme. L’Europe ne doit pas être pensée comme post-nationale (fédérale), bien qu’il soit indispensable qu’elle soit supranationale sans quoi elle n’aurait aucune consistance. Elle ne doit pas être une négation des nations, mais au contraire s’appuyer sur elles. Autrement dit, il ne faut pas penser l’Union comme un Etat, mais comme une structure juridique susceptible de mobiliser les Etats-nations. Comment cela se peut-il faire ? Pour cela il faut revenir à la question démocratique.

2/ On peut espérer qu’un peuple européen existe un jour. Mais ce n’est pas encore le cas, loin s’en faut. En revanche, ce qui existe aujourd’hui ce sont des citoyens européens qui sont aussi des citoyens des Etats-nations. C’est donc en revenant au fondement de la démocratie, aux citoyens, qu’il faut repenser l’Europe. Celle-ci ne se fera pas contre les peuples ou sans eux, mais avec eux et par le retour aux citoyens doublement constituants, comme membre d’un Etat-nation particulier et comme membre de l’Union. C’est cette notion du citoyen doublement constituant qui doit permettre de redéfinir le cadre juridique de l’Union, en même temps qu’il permettra d’élargir les démocraties nationales.

3/ Cette Union politique démocratique de l’Europe, ne peut pas s’élaborer sans être accompagnée d’une harmonisation non seulement économique, mais également sociale et même cognitive qui est la condition de la naissance d’un sentiment européen et d’une adhésion à l’Union, sans être aucunement une homogénéisation culturelle. Les inégalités considérables des salaires et des conditions de vie des peuples européens (sans oublier les inégalités encore plus considérables à l’intérieur de chaque Etat), ainsi que les niveaux très différents de protection sociale empêchent qu’il y ait une synergie intra-européenne indispensable pour que l’Europe puisse économiquement rivaliser avec les autres grands pôles économiques dans un monde désormais multi-centré. Mais il faut aller au-delà de l’harmonisation économique, il convient de mettre en place des dispositifs institutionnels, pédagogiques, communicationnels déterminants dans la formation d’une représentation et d’une adhésion vécue donnant chair et sang à la citoyenneté européenne.

 

Yves-Charles Zarka

Yves-Charles Zarka est un philosophe français. Professeur à la Sorbonne, Université Paris Descartes, il est également directeur de la revue Cités aux Presses Universitaires de France. Il est l'auteur notamment de Démocratie, état critique (Armand Colin, 2012) et Refaire l’Europe (PUF, 2012).

 

 

Commentaires

L’Europe politique achoppe encore. La preuve en est du référendum proposé par Cameron aujourd’hui !!

par A. Terletzski - le 23 janvier, 2013


L’historien britannique Alan Milward l’avait bien montré en son temps : l’Europe a été construite pour deux raisons …
1) assurer la paix
2) sauver les États-nations, ce que l’on a tendance à oublier

par A. Terletzski - le 23 janvier, 2013


Sujet difficile! et pourtant la question posée est fondamentale.
Qu’est l’Europe – et que veut-elle être? Lui a-t-on jamais posé la question? Non, et pour cause!
En revanche on lui propose (IMPOSE) une extension sans fin. Quel est le but caché? (car je ne crois pas qu’il n’y en ait pas quelque part).

par Albert - le 11 avril, 2013


Par peur que l’Islam le vive comme une agression, nous renonçons de plus en plus à revendiquer les racines judéo-chrétiennes de l’Europe. Est-ce pertinent ? Nous n’avons pas encore réussi, malgré notre monnaie commune, la convergence de nos économies et nous sommes donc incapables de parler d’une seule voix au reste du monde . Nous n’avons pas encore de politique étrangère commune, pas plus que de défense commune. En revanche, nos vingt-sept nations partagent une culture commune, porteuse de valeurs universelles. Pourquoi, diable, se priver de cet atout ?

par Philippe Le Corroller - le 23 avril, 2013


Pourquoi les racines judéo-chrétiennes de l’Europe ? quel est votre référence temporelle ? vous choisissez celle qui vous arrange pour justifier des racines judéo-chrétiennes ? il y’a eu des musulmans ou des hâtés à tout moment de l’histoire et les Européens n’ont pas toujours été juif ou chrétiens. Sinon, en quoi revendiquer ces racines fait avancer les choses ? en RIEN, sauf peut être à étancher la soif de la haine raciale ou ethnique d’un grand nombre d’Européens. PATHETIQUE

par ForMoreJustice - le 23 avril, 2013


[…] remettait en cause en janvier dernier une Europe qui ne s’interroge pas depuis sa création sur le modèle politique qu’elle entend se donner : « Le débat sur l’Europe politique tourne aujourd’hui autour de l’alternative entre […]

par Rétrospective « iPhilo » : l’année 2013 signe-t-elle une sortie de crise ? | iPhilo - le 24 décembre, 2013


 » On peut espérer qu’un peuple européen existe un jour  » , écrivez-vous . Tout-à-fait d’accord ! Mais pourquoi ne pas commencer par des mesures très concrètes ? Pour l’instant , le programme Erasmus profite surtout aux élèves des écoles de commerce ou de nos meilleures universités . N’est-il pas temps de le démocratiser, en le rendant accessible à tous ces jeunes qui sont en filière d’apprentissage ? Un futur artisan boulanger peut avoir intérêt à passer six mois à Berlin et , lorsqu’il revient , proposer au patron qui lui a mis la main à la pâte ( ! ) , d’élargir son assortiment avec des pains spéciaux allemands . Impossible sans parler allemand, direz-vous ? Quelle blague : tout le monde se débrouille en anglais , désormais, au sein de l’Europe ! Mais nous , Français , sommes souvent très moyens en Anglais ? Justement , n’est-il pas de briser un tabou , en projetant à la télévision les films ou les séries en provenance d’Amérique en version originale sous-titrée plutôt que  » doublés » en Français ? N’est-ce pas tout simplement parce qu’ils font cette économie que les Grecs ou les Portugais parlent mieux l’anglais que nous ? Si nous  » qu’un peuple européen existe un jour « , n’est-il pas temps de laisser un peu de côté les débats théoriques pour passer à des réalisations pratiques ?

par Philippe Le Corroller - le 24 mai, 2014


si nous voulons  » qu’un peuple…

par Philippe Le Corroller - le 24 mai, 2014



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