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La question fiscale, entre technique et politique

6/03/2013 | par Christophe André | dans Politique

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S’il est une question dont tous les citoyens devraient pouvoir s’emparer et débattre rationnellement, c’est bien la question fiscale. Notre consentement à l’impôt constitue en effet un élément essentiel de la théorie du contrat social : l’impôt est l’aliment qui nourrit le Léviathan. Hélas, les termes du débat et son oscillation entre technique et politique ont de quoi laisser dubitatifs les individus les mieux disposés. Qu’on en juge plutôt avec un bref rappel des « séquences » relatives au projet gouvernemental d’instituer une taxe à 75% sur les plus hauts revenus.

En janvier 2011, trois économistes, Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez ont publié un livre clair et concis – Pour une révolution fiscale – qui relevait les inégalités du système fiscal français, devenu dégressif, pesant plus sur les bas et moyens revenus que sur les hauts. Le premier des trois lançait du reste de façon heureuse un site internet pour que chaque citoyen puisse se faire une idée un tant soit peu précise de la question. Lors de la campagne présidentielle, le candidat Hollande annonce de façon inopinée le 27 février 2012 la création d’une nouvelle tranche d’imposition à 75% pour les revenus dépassant un million d’euros par an (et non par mois comme annoncé initialement dans un moment d’égarement). La mesure ne figurait pas dans les engagements initiaux du candidat et est perçue par de nombreux commentateurs comme un coup politique, un symbole fort permettant de rassembler le peuple de gauche. Autant dire un slogan de campagne. Une fois le candidat Hollande devenu président, la promesse est appelée à devenir réalité. Un projet de loi est rédigé, qui prévoit bien une tranche de 75% pour les personnes dont de revenu dépasse un million d’euros. Las ! Le 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel censure une partie  du projet de loi de finances. Un extraordinaire battage médiatique s’organise, avec un refrain bien connu : « ces amateurs qui nous gouvernent ». Les médias dénoncent une erreur grossière qu’ils n’avaient pas eux-mêmes aperçue : le droit fiscal raisonne en termes de foyer et non de personne, si bien que la taxe à 75% serait aberrante si elle n’est pas « conjugalisée ». En d’autres termes, un célibataire gagnant un million d’euros serait assujetti à cette nouvelle tranche, tandis qu’un couple gagnant chacun 999999 euros y échapperait. En réalité, ce procès en amateurisme demande à ce que la question soit examinée plus avant, tant d’un point de vue technique que politique.

D’une part, d’un point de vue technique, dans sa décision du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel n’a jugé aucune des trois orientations de fond de la loi de finances pour 2013 contraire à la Constitution. Il a, notamment, jugé qu’en soumettant certains revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu, alors que ces revenus demeurent soumis à des taux de prélèvements sociaux plus élevés que ceux portant sur les revenus d’activité, le législateur n’a pas créé une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Par ailleurs, il a jugé que cette réforme de l’imposition des revenus du capital a pu s’accompagner de celle de l’impôt sur la fortune en raison de la fixation à 1,5 % du taux marginal maximal de cet impôt qui prend en compte les facultés contributives des personnes qui détiennent les patrimoines concernés.
Ces orientations de la loi de finances pour 2013 étant jugées conformes à la Constitution, le Conseil constitutionnel a examiné la conformité à la Constitution des divers articles. Il a, notamment, examiné si le nouveau niveau de certaines impositions faisait peser sur les contribuables concernés une charge excessive au regard de leurs facultés contributives et était alors contraire au principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé, que l’article 3, instituant une nouvelle tranche marginale de l’impôt sur le revenu, est conforme à la Constitution. Cette augmentation a toutefois pour conséquence de porter l’imposition marginale des retraites complémentaires dites « chapeau » à 75,04 % pour celles perçues en 2012 et à 75,34 % pour celles perçues à compter de 2013. Le Conseil a jugé ce nouveau niveau d’imposition, en ce qu’il fait peser sur les retraités concernés une charge excessive au regard de cette faculté contributive, contraire à l’égalité devant les charges publiques. Il a censuré, à l’article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, la dernière tranche marginale d’imposition portant sur ces retraites, ramenant ainsi la taxation marginale maximale à 68,34 %. On le voit, la question est moins simple qu’il n’y paraît, et l’enjeu ne se réduit pas à la  distinction entre personne seule et foyer fiscal.

D’autre part, d’un point de vue plus politique cette fois, la façon dont le Conseil constitutionnel « décortique » le projet de loi de finances n’est pas à l’abri de la critique. En effet, le contrôle du Conseil constitutionnel se fonde sur l’article 13 de la déclaration du 26 août 1789 qui dispose que « la contribution commune doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Traditionnellement, le Conseil constitutionnel se montrait très prudent dans le contrôle des politiques fiscales, refusant de jauger les choix opérés par le Parlement. Or, on peut considérer qu’en se prononçant sur la question des taux marginaux d’imposition, les sages en font trop et substituent leur propre vision de l’intérêt général à celle promue par le Parlement (Voir, dans le même sens, M. Collet, Les Sages en font-ils trop ? , Le Monde, 4 janvier 2013).

Que retenir de ces épisodes confus ? A court terme, au regard de la seule question fiscale, il est acquis que l’impôt global sera, au maximum de 67%, le Conseil constitutionnel ayant jugé confiscatoire un taux de 68%. On peut imaginer que le seuil de taxation, qui était fixé à un million d’euros par salarié – seuls les revenus d’activité sont concernés- soit abaissé à 500.000 euros pour un célibataire et un million pour un couple marié (la plupart des dirigeants sont dans cette situation matrimoniale). Ce choix ferait certes  grimper le nombre de contribuables concernés (environ 10000), mais l’essentiel n’est pas là. En effet, ce que révèle cet imbroglio, c’est l’extraordinaire fond d’incertitude sur lequel nos choix se dessinent. On en vient à se dire que si certains n’aiment pas la démocratie, c’est en partie en raison de ce brouillard. Or la confusion est d’autant plus frappante que les informations abondent. Cela soulève une interrogation essentielle : à quel niveau de rationalité faut-il poser les questions ? Admettons en effet que le citoyen éclairé ne se contente pas du spectacle, de l’émotion soulevée par des exilés fiscaux plus ou moins tonitruants ou fantasques : comment lui présenter de façon intelligible les options qui s’offrent à la collectivité pour déterminer un destin commun ? Trop simple, la question sera caricaturale et manquera son objectif pédagogique pour sombrer dans la démagogie…Trop compliquée, la question rebutera le citoyen et le détournera de toute participation véritable au débat… On se souvient peut-être que le président Chirac avait émis l’idée d’un référendum sur l’avenir de la Sécurité sociale. Quelle serait la question soumise aux Français ? Voulez-vous sauver  le système français de sécurité sociale ? Une avalanche de « oui » est à prévoir…Si l’on entre dans le détail d’une éventuelle réforme, on peut craindre une forte abstention et les récriminations de tous ceux qui auront vu leurs boîtes aux lettres encombrées par une énorme liasse de documents aussi digeste que le Traité portant Constitution de l’Union…

Entre ésotérisme et démagogie, la voie est étroite, qui permet aux citoyens d’appréhender de façon intelligible les enjeux des débats. A défaut de frayer cette voie, nous en restons trop souvent à ce que Daniel Gaxie nomme fort justement  le « cens caché ».  A quoi bon un suffrage universel si le sens se dérobe ?

 

Christophe André

Christophe André est un juriste français. Spécialisé en droit pénal, maître de conférences à l’Université Paris XIII-Nord, il enseigne également à Sciences Po Paris. C’est dans ce cadre qu’il interroge les rapports entre le droit et l'action gouvernementale.

 

 

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