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Désir de démocratie

25/02/2015 | par D. Guillon-Legeay | dans Politique | 1 commentaire

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Difficile de se remettre à écrire en prétendant passer à autre chose. Depuis les attentats des 7, 8 et 9 janvier et la marche républicaine du 11 janvier, nous sommes nombreux, je crois, à vivre dans l’attente d’un après, tellement il semble incroyable que tout puisse redevenir comme avant. Certes, la vie doit reprendre son cours : les sports d’hiver, la cérémonie des Césars, puis celle des Oscars, la mode de printemps, puis celle d’été… Bien sûr, la vie doit continuer. Et le commerce aussi, car l’argent n’attend pas. Par ailleurs, il peut arriver qu’un événement historique ne soit pas immédiatement suivi d’effets visibles, et qu’il faille pour cela miser sur la durée, moyenne ou bien longue. Les temporalités de l’histoire, par définition, excèdent le cadre étroit  et éphémère de l’actualité. Il n’empêche…

D’une certaine façon, cela pourrait sembler la meilleure réponse à apporter aux terroristes : faire la preuve que nous ne sombrons pas dans la psychose des attentats et, en outre, que nous restons fidèles à notre mode de vie autant qu’à nos institutions et à nos idéaux. D’un autre côté, bien des questions soulevées par ces attentats exigent des réponses. Que faisons-nous pour éradiquer la misère sociale, l’injustice, et le désarroi d’une partie de notre jeunesse qui contribue à grossir les rangs du djihadistes ? Que faisons-nous pour donner corps et chair et vie à nos idéaux de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, généreux certes mais perçus par certains comme trop généraux? Les proclamations de principes n’ont jamais suffi pour fédérer l’ensemble des citoyens dans des actions concrètes et collectives. En ce sens, il semble que les incursions du djihadisme dans le monde nous renvoient à la vacuité de notre projet de société : la croissance économique et la relance de la  consommation, le déficit de la dette et la redéfinition des services publics, le réaménagement des territoires… De fait, tels qu’ils nous sont présentés, ces objectifs peinent en effet à convaincre de l’importance des enjeux et à mobiliser les citoyens.

Et pourtant, quoi de plus important pour une nation que de conserver la maîtrise de ses dépenses et de ses recettes, ne serait-ce que pour se donner les moyens d’une politique ambitieuse et efficace ? Quoi de plus important pour une nation que de préserver son héritage ainsi que son environnement, afin de préparer l’avenir des nouvelles générations ? De ce point de vue, la crise morale, sociale et politique que traverse notre pays pourrait constituer une opportunité formidable de faire revivre autrement la démocratie. Pourquoi les politiciens et les technocrates seraient-ils les seuls à décider des grandes orientations de l’avenir de notre pays (le découpage du territoire, la politique énergétique, le redressement de notre économie par la création d’entreprises innovantes, les modalités de la formation, de l’orientation et de l’insertion des jeunes sur le marché du travail…) ?

Toutes ces questions sont éminemment politiques et, à ce titre, elles ne peuvent – ni ne doivent – être prises en charge et traitées que par les seuls dirigeants politiques. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la légitimité des gouvernants qui ont reçu un mandat du peuple par la voie du suffrage universel. Il s’agit de redynamiser la vie démocratique en laissant une place aux initiatives citoyennes. Démocratie participative ? Pourquoi pas ? L’expression ne me gêne guère… Assurément, déposer un bulletin dans l’urne et s’abonner à Charlie Hebdo constituent l’un et l’autre des actes politiques. Mais ils ne suffisent pas. Il faudrait que partout dans le pays se créent, par exemple, des comités de réflexion, que s’élaborent des projets dans tous les domaines de la vie sociale (dans les entreprises, à l’école, dans la vie associative), afin d’irriguer le pays d’un sang neuf, d’essaimer des idées neuves,  de s’appuyer sur la richesse des expériences concrètes, de favoriser le partage entre les différents acteurs du corps social et politique. Pour cela, les nouvelles technologies d’information et de communication constituent un outil formidable mis à la disposition de tous, et propre à faciliter et à accélérer le débat démocratique.

Si nous voulons redonner du sens à nos idéaux, à nos principes, à nos valeurs, si nous voulons prendre en main collectivement le destin de notre pays, alors il faut réinterroger notre pratique de la démocratie. La chose est possible. Ainsi, le peuple hellène vient, une fois de plus, de rappeler par l’exemple combien la démocratie est l’affaire de tous et de toutes, mais aussi  une affaire de risques et de courage. Nul ne sait encore sur quoi débouchera le bras de fer qui oppose actuellement le nouveau gouvernement grec aux institutions financières européennes. Et je dirais même que peu importe le résultat. La première victoire est déjà acquise : contre tous les technocrates européens qui affirmaient que le vote du peuple grec ne pourrait rien changer, les faits montrent qu’un peuple uni et déterminé peut faire changer l’ordre des choses. Sans vouloir ni anticiper ni exagérer la portée de ce changement,  il est clair que l’Europe va devoir compter avec cette donne du vote grec.

Nos idéaux de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité sont des idéaux justes, car ils s’adressent à toutes et à tous sans exclure personne. Ils sont justes, mais au fil du temps, il faut croire que leur charge de générosité, d’humanité et d’universalité a fini par s’émousser dans la conscience des citoyens, sous l’action térébrante du consumérisme et du capitalisme triomphants.

Sommes-nous encore capables de désirer la réalisation de ces valeurs et de ces principes que nous ont transmis les révolutionnaires de 1789 ? Là est toute la question.

Dans la dernière séquence de son film Gladiator, Ridley Scott aborde cette question. Le général Maximus, commandant en chef des légions du Nord, fidèle serviteur de Rome et de l’empereur Marc-Aurèle, vient de mourir dans l’arène, au terme d’un sanglant combat contre le nouvel empereur, Commode, homme perfide, cruel et usurpateur. Au moment de relever et d’honorer la dépouille de Maximus, Lucilla, sœur de l’empereur, s’avance au cœur de l’arène et s’adresse à la foule en ces termes : « Rome vaut-elle un homme de bien ? Nous l’avons cru autrefois. Il faut le croire à nouveau ». Alors, esclaves, plébéiens, patriciens, indignes étrangers ou insignes citoyens, tous ensemble, ils se dressent, puis s’approchent et portent sur leurs épaules le corps de celui qui est mort pour leur rendre la liberté.

 

D. Guillon-Legeay

Professeur agrégé de philosophie, Daniel Guillon-Legeay a enseigné la philosophie en lycée durant vingt-cinq années en lycée. Il tient le blog Chemins de Philosophie. Suivre sur Twitter: @dguillonlegeay

 

 

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