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L’οχι grec ou le retour du peuple en Europe

6/07/2015 | par Alexis Feertchak | dans Politique | 3 commentaires

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En avril 2012, Georges Moustaki éructait dans le Huffington Post : « J’espère que la Grèce va foutre le bordel. Ma sympathie va à cette attitude de contestation parce que ce n’est pas le peuple qui a créé la crise. Or, on lui fait en porter le poids. Finalement, c’est lui qui a le sens civique le plus développé, pas ceux qui veulent se conformer aux directives bruxelloises. Que le gouvernement grec ouvre grand ses yeux et ses oreilles ».

De façon posthume, le pâtre grec, qui s’est éteint l’année suivante, a été écouté : le Premier ministre Alexis Tsipras, dans un geste tout gaullien, a décidé de laisser le dernier mot au peuple et de remettre ainsi son mandat en jeu. Pari gagné largement, malgré les pressions européennes et médiatiques pour empêcher la victoire du « non », mais à quel prix ?

Le masque des institutions européennes tombe lourdement

L’ « οχι » grec de ce 5 juillet, lointain écho des « non » français et hollandais de 2005, force aujourd’hui l’Union européenne – et spécialement sa composante qu’est l’Union économique et monétaire de la zone euro – à révéler le rapport politique sous lequel elle entend placer les peuples et les nations d’Europe. Et une fois le masque tombé, le visage de l’Union n’est pas beau à voir. C’est le grand mérite d’Alexis Tsipras et de son ministre Yanis Varoufakis d’avoir forcé l’Eurogroupe – l’embryon de gouvernement de la Zone Euro – à dévoiler son fonctionnement au grand jour, loin des réunions informelles et feutrées auxquelles ce club ministériel était habitué. Cette révélation du vrai visage des institutions européennes est sans conteste l’une des premières leçons à retenir du référendum grec.

Le référendum, que le gouvernement Papandréou n’avait pas eu le courage de mener jusqu’à son terme en 2011, rappelle aussi aux zélotes de la Troïka européenne que la souveraineté appartient aux peuples, qu’elle ne saurait devenir «limitée» comme aux temps soviétiques de Léonid Brejnev. A ce titre, il faut bien mesurer que les Grecs ont donné l’estocade à Jean-Claude Juncker, qui avait déclaré sans sourciller qu’ « il ne pouvait y avoir de choix démocratique contre les traités ». L’ancien Premier ministre luxembourgeois, aujourd’hui président de la Commission européenne, découvre ce 5 juillet 2015 que certains pays ne sont pas seulement peuplés de banquiers. Les Grecs, eux, ont consacré le fait que ce sont les peuples qui ont le dernier mot, et non les traités européens, qui valent tant que les peuples leur accordent leur onction.

Le 3 août 1968, à Bratislava, lors d’une réunion du Pacte de Varsovie, le premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique introduisait par les mots qui suivent la « doctrine Brejnev » de la souveraineté limitée : « Chaque parti communiste est libre d’appliquer les principes du marxisme-léninisme et du socialisme dans son pays, mais il n’est pas libre de s’écarter de ces principes s’il entend rester un parti communiste. […] L’affaiblissement d’un maillon quelconque du système socialiste mondial affecte directement tous les pays socialistes, et ils ne sauraient y rester indifférents ». Il fallut attendre 1988 pour que Mikhaïl Gorbatchev déclare que « la liberté de choix est un principe universel ».

Certes, les chars n’ont pas été envoyés à Athènes pour faire respecter la règle d’or budgétaire comme à Varsovie en 1968. Mais ces quelques lignes de Brejnev, si l’on se place, non à l’échelle du contenu idéologique, mais à celle de la structure de l’organisation décrite, sont du Jean-Claude Juncker dans le texte, lequel pourrait très bien déclarer: « Chaque Etat membre est libre d’appliquer les principes du droit de l’Union européenne dans son pays, mais il n’est pas libre de s’écarter de ces principes s’il entend rester un Etat membre. […] L’affaiblissement d’un maillon quelconque du système européen affecte directement tous les pays européens, et ils ne sauraient y rester indifférents ». On voit bien les dérives possibles d’un tel discours dès lors que les principes européens s’appliquent erga omnes sans que les peuples souverains ne puissent rien y redire.
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Lire la suite de la tribune sur le site du Figaro

 

Alexis Feertchak

Journaliste, Alexis Feertchak est chef de service au Figaro, chroniqueur pour le magazine Conflits et rédacteur en chef du journal iPhilo, qu'il a fondé en 2012. Diplômé de Sciences Po Paris et licencié en philosophie de l'Université Paris-Sorbonne après un double cursus, il a été pigiste pour Philosophie Magazine et a collaboré pour l'Institut Diderot, think tank de prospective. Suivre sur Twitter : @Feertchak

 

 

Commentaires

Cher Alexis,

Vous vous trompez dans l’interprétation des propos de M. Juncker (suivant lesquels « il ne pouvait y avoir de choix démocratique contre les traités »).

Il ne fait là que rappeler une évidence : les traités sont adoptés démocratiquements (unanimité des Etats membres, ratification par tous les parlements nationaux) et, suivant toutes les règles du droit international, placés au dessus des lois dans les hiérarchies des normes internes.

Les traités sont donc l’expression d’un choix parfaitement démocratique, et cette phrase reflète seulement le fait que la démocratie ne peut s’opposer à elle même.

En effet, un état qui adopterait une loi contraire aux traités européens contredirait sa propre décision (démocratique) de respecter ces traités et c’est là le sens de cette phrase.

Mais rien n’empêche un Etat membre de l’UE de dénoncer ces traités et de sortir de l’UE (une différence tout de même substantielle avec le Pacte de Varsovie vous en conviendrez). Il n’y a donc nulle contradiction.

Bien à vous,

JG

par Jocelyn G - le 7 juillet, 2015


Bonjour,

Oui Alexis,le pouvoir finit toujours à revenir aux peules;d’autant qu’il fut confisqué par des manœuvres politiciennes,au seul intérêt des instigateurs.

La Grèce est entrée dans la CE et la Zone euro par une porte dérobée.Alors que la Commission de l’époque avait fermé les yeux sur l’état comptable de ses finances. L’impôt n’était pas prélevé aux puissants! Elle avait été l’objet de pressions et avait du acheter des armes… aux pays »leaders » Européens.

Revenir à l’origine de l’erreur, pour en faire un inventaire. Seule, M Merkel,contre toute logique, résiste sur la nécessité d’aménager voire de supprimer ou de restructurer la dette. Celle de l’Allemagne d’alors ne fut jamais rembourser. Hégémonie ?

Un traité ne représente peu de valeur, lorsqu’il ne repose que sur des fondations de papiers frelatés

Clairvoyance, stratégie, raison gardée, leçon de démocratie d’un peuple libre,, ont été donnés à la CE.

Félicitations M Tsipras. Vous avez la volonté de respecter ce peuple que vous représentez. Vous avait élu pour conduire le pays en proie à un bilan catastrophique, laissé par vos prédécesseurs.

Tenez bon M Tsipras, nous sommes avec vous, et avec votre peuple. !

par philo'ofser - le 10 juillet, 2015


Cher Jocelyn G.,

Merci beaucoup pour votre commentaire très pertinent sur la hiérarchie des normes, que j’avais précisément en tête. Bien sûr, au regard de la Constitution de 1958, et même déjà de celle de 1946, les traités sont au-dessus des lois (ils étaient à égalité dans les lois constitutionnelles de 1875) : c’est l’intégration progressive du monisme dans notre cadre juridique, par lequel, progressivement, le droit international et le droit interne perdent leur séparation traditionnelle.

Mais attention, il faut bien distinguer les traités et conventions internationaux traditionnels et le cas du droit de l’Union européenne.

Dans le premier cas, il s’agit bien de droit international : tant qu’un traité international est accepté par un Etat, il est valable de telle sorte qu’il se place en effet au-dessus des lois nationales. Ceci ne pose pas de problème car, en cas de rejet démocratique manifeste, il est assez aisé pour le pays en question de sortir du traité.

Dans le second cas, celui du droit de l’Union européenne, c’est très différent car le DUE n’est pas vraiment du droit international, mais quelque chose d’ad hoc, qui se rapproche de plus en plus d’un véritable droit interne (cf. Bernard Stirn, « Vers un droit public européen »). Autrement dit, les traités européens ne sont pas des traités comme les autres : dans la mesure où ils font (presque) partie du droit interne, il est très difficile pour un Etat de les rejeter. Ceci signifierait en réalité « quitter l’UE » : c’est un peu radical, vous me l’accorderez. D’autant que les traités primitifs (TUE & TFUE) produisent des normes européennes dérivées (directives et règlements) qui prennent l’ascendant là encore sur les lois nationales.

Je voulais donc en venir là : dans le cas du droit international classique (traités et conventions bilatéraux ou multilatéraux), l’ascendance de celui-ci sur les lois ne pose pas de problème démocratique, car il est aisé, si le peuple le souhaite, de sortir du traité posant question. C’est impossible dans le cas du droit de l’Union européenne ou, en tout cas, très difficile et radical, car ceci signifierait « sortir de l’Union ». Autrement dit, contrairement à un traité classique, le droit de l’Union européenne enferme bien les peuples d’Europe dans un cadre qui n’est plus démocratique à proprement parler. C’est ce que Philippe Seguin entendait lors de son discours pour Maastricht quand il a dit « 1992 est littéralement l’anti-1789 » : le DUE, dans son fonctionnement actuel, a tiré un trait sur la souveraineté des peuples et des nations, seule fondation existant aujourd’hui pour organiser un régime démocratique.

Dans un le cadre européen, la prééminence des traités sur les choix démocratiques pose un problème radical du point de vue démocratique et se rapproche bel et bien d’une doctrine de la souveraineté limitée telle qu’imaginée par Brejnev (à la différence que, effectivement je vous l’accorde, contrairement à l’URSS, il est possible de sortir de l’UE sans avoir à subir un défilé de l’Armée rouge).

D’ailleurs la phrase de Juncker le dit très bien. S’il pensait seulement à la hiérarchie des normes par laquelle les traités se placent au-dessus des lois, il ne l’aurait pas dit comme cela car il aurait été conscient que, très facilement, un choix démocratique aurait pu permettre à un Etat de sortir d’un traité et de faire tomber cette prééminence. S’il l’a dit ainsi, c’est qu’il sous-entend bien que, contrairement à un traité classique, il est très difficile pour un pays européen de sortir de l’UE eu égard aux conséquences innombrables qu’une telle sortie engendrerait.

@Philo’Ofser : merci à vous pour votre commentaire.

Alexis FEERTCHAK
alexis.feertchak@sciencespo.fr

par L'équipe d'iPhilo - le 10 juillet, 2015



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