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Thalys : la « bonne santé » de notre Etat en question

22/08/2015 | par Alexis Feertchak | dans Politique | 8 commentaires

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C’est la chance de tous et l’héroïsme de quelques uns, parmi lesquels deux soldats américains en permission sur le continent européen, qui ont permis à cet attentat de ne pas devenir un effroyable carnage. Au-delà de cette chance miraculeuse, la figure de l’Etat frappe en creux par son absence, d’autant que le (présumé) djihadiste semblait déjà être fiché par les services secrets. Sans parler de la facilité déconcertante avec laquelle il semble possible de transporter une Kalachnikov AK47 entre la France et la Belgique.  

C’est l’occasion de lire ou de relire ce petit texte de Hegel, relevé par notre chroniqueur Robert Redeker sur la « santé d’un Etat » :

La santé d’un Etat se manifeste, en général, moins dans la tranquillité de la paix que dans les mouvements de la guerre ; dans le premier cas, c’est la jouissance et l’activité isolées, le gouvernement n’est qu’une sage administration, qui ne requiert que la connaissance et l’habitude des gouvernés. Dans la guerre, au contraire, apparaît la force du lien qui unit chacun à la communauté; on voit alors les exigences que ce lien a pu prévoir d’imposer à tous, et la valeur des efforts que, de leur propre chef, ils acceptent de fournir en sa faveur » (G.W.F. Hegel, La Constitution de l’Allemagne, 1800, Paris, Champ Libre, 1977, p.32).

A travers cette guerre menée par une frange fanatique de l’Islam radical contre tout l’Occident, notre Etat semble dépassé tant pour assurer la sécurité intérieure du territoire que pour prévenir, par une éducation républicaine, le départ de jeunes gens en Syrie.

Les Etats occidentaux semblent encore dépassés pour réduire à néant l’Etat islamique, qui a germé dans les décombres des guerres américaines en Irak. Voici une jeune organisation terroriste qui, en quelques années, a réussi à (quasiment) acquérir les trois caractéristiques cumulatives (population, territoire, gouvernement) qui définissent un Etat (consacrées en droit international par la Convention de Montevideo en 1933). La condition de reconnaissance par les autres Etats, fait subjectif, n’est plus en vogue pour constituer l’existence d’un Etat, comme le rappelle Guillaume Lagane, de Sciences Po, dans un article récent du Figaro. Voici donc un jeune Etat qui, mettant à mal les plus grandes puissances au monde, révèle en creux les faiblesses de nos propres structures étatiques.

Depuis les attentats de Charlie Hebdo, les pays occidentaux sont entrés dans  le temps du sursis, ne se demandant pas s’il y aura ou non un autre attentat, mais plutôt quand et où ce dernier se produira. Les appels à la prudence du ministre de l’Intérieur (quant à l’identification du criminel et à la motivation de son acte), les formules sibyllines pour emmitoufler le réel dans de la naphtaline ne sauraient à eux seuls venir à bout de ce terrible constat : l’ère du sursis terroriste nourrit la peur, qui risque de se muer en terreur si l’Etat demeure démuni pour protéger les cocontractants du pacte social.

Hegel, dans La Constitution de l’Allemagne, d’où la citation précédente est tirée, observait en introduction : « L’Allemagne n’est plus un Etat ». La vague d’attentats qui touchent la France amène avec inquiétude à se poser la question de la santé de notre propre Etat.

 

Alexis Feertchak

Journaliste, Alexis Feertchak est chef de service au Figaro, chroniqueur pour le magazine Conflits et rédacteur en chef du journal iPhilo, qu'il a fondé en 2012. Diplômé de Sciences Po Paris et licencié en philosophie de l'Université Paris-Sorbonne après un double cursus, il a été pigiste pour Philosophie Magazine et a collaboré pour l'Institut Diderot, think tank de prospective. Suivre sur Twitter : @Feertchak