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L’art d’éduquer : une impossible «science» de la pédagogie?

27/01/2018 | par Jean-Sébastien Philippart | dans Art & Société | 9 commentaires

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ANALYSE : Le gouvernement a précisé cette semaine son projet de réforme du baccalauréat et des traditionnelles filières L, ES et S. L’Éducation nationale, miroir de la société, a connu des transformations radicales en l’espace de quelques décennies et fait aujourd’hui l’objet de critiques récurrentes quant à son efficacité et son évolution. Jean-Sébastien Philippart analyse ici comment l’art d’enseigner s’est mué en une «science» d’éduquer, au fil des tendances de la psychologie et de la sociologie, le «pédagogisme» ayant radicalement redéfini tant l’objet du savoir que les figures du maître et de l’élève. Réflexion en deux temps, la présente publication sera suivie d’un second article sur ce thème.


Agrégé de philosophie, Jean-Sébastien Philippart est conférencier à l’Ecole Supérieure des Arts Saint-Luc de Bruxelles et responsable de la rubrique «Philosophie» de la revue semestrielle Appren-tissages consacrée à l’éducation. 


La catégorie polémique de pédagogisme n’est pas neuve et se trouve désormais bien installée dans le paysage des discussions et des bavardages autour de l’École. Puisqu’elle est bien connue, il faut y revenir.

Par son suffixe, le terme renvoie à une forme idéologique, c’est-à-dire à un discours qui ne sait pas vraiment de quoi il parle et dont l’assemblage relève du bricolage.

Nous distinguerons toutefois le pédagogisme intégral, qui représente l’assemblage le plus complexe, de pédagogismes plus élémentaires, provenant de ce que des fractions du projet initial ont eu tendance à s’autonomiser et former des courants parallèles. Une orientation objectiviste d’un côté (neuropédagogie), une orientation subjectiviste de l’autre (constructivisme radical). À ce titre, parler des sciences de l’éducation (à la place d’une science de l’éducation) ne change rien au problème.

Au terme de notre réflexion sur l’éclatement de l’illusion qui polarise la «science» de l’éducation, nous pourrions obtenir le schéma suivant:

Nous pensons a contrario que la pédagogie demeure foncièrement un art. C’est une réflexion ou une inquiétude pratique qui anime l’expérience et qui ne peut, à ce titre et en connaissance de cause, que dispenser quelques trucs. L’humilité est ici de rigueur.

Lire aussi : L’avenir de l’éducation (François-Xavier Bellamy)

De cette manière, nous voudrions montrer que la pédagogie ne peut pas être un préalable, comme une sorte d’a priori, à la situation d’enseignement. Il s’agirait plutôt de l’inverse : la pédagogie se base sur la situation d’enseignement. En ce sens, la distinction entre pédagogie (attachée à la situation) et didactique (attachée au savoir) apparaît nécessairement instable.

Si on ne peut pas théoriquement enseigner comment bien enseigner —puisqu’il s’agit de se régler à peu près chaque fois sur une situation qui n’offre de perspective qu’à condition de s’y engager—, cela n’exclurait toutefois pas une forme d’enseignement spécifique au service de l’art pédagogique.

Les contradictions initiales d’une fondation scientifique

Or, au début du 20e siècle, la prétention d’instituer la pédagogie en science de l’éducation éclate. Le Dictionnaire de Pédagogie de Ferdinand Buisson —destiné à l’instruction primaire— condense à cet égard les besoins d’une époque marquée par un tournant du rationalisme que représente le développement triomphant de nouvelles technologies: électricité, pétrole, automobile, cinéma…

Mais l’entreprise était a priori vouée au bricolage en raison d’une série de tensions ou contradictions structurelles — qui persistent donc aujourd’hui.

La pédagogie devait à la fois se fonder sur une science et, simultanément, former elle-même une science. Cette science qui devait servir de fondement reste la psychologie expérimentale — que figure désormais, de façon dominante, le neuro-cognitivisme.

Mais alors qu’est-ce qui empêchait la pédagogie de ne constituer qu’une étrange spécialisation de la psychologie expérimentale, sinon en y résistant   étrangement?

La tension (entre pédagogie et psychologie expérimentale) se traduit ainsi aujourd’hui tantôt par une caricature de la pédagogie par le cognitivisme (une neuropédagogie se déduirait du fonctionnement cérébral), tantôt par une caricature des neurosciences par la pédagogie (le Mind Mapping, par exemple, serait fondé «scientifiquement»).

Cette première contradiction qui met en cause l’autonomie de la pédagogie se double d’une seconde.

Les connaissances que vise à établir la spéculation pédagogique sont censées guider, orienter une action. À cet égard, la pédagogie ne peut être que résolument partagée entre le besoin de définir ce qui est (pôle descriptif) et le besoin de définir ce qui doit être (pôle prescriptif). La perspective descriptive et la perspective prescriptive ne connaissant en toute rigueur que des destins parallèles.

Les ambivalences d’une critique sociale

De nouvelles tensions allaient apparaître en raison, encore et toujours, de la nature rationaliste du projet. Le privilège accordé à la psychologie expérimentale devait se confronter à un autre paradigme lié à l’humain: celui des sciences sociales.

Buisson insistera en effet sur la nécessité de subordonner les tâches de l’enseignement à une fonction d’utilité sociale. Par un travail adressé à la raison, les êtres humains se reconnaissent égaux dans le partage d’une même condition (comme êtres raisonnables). Inversement, la reconnaissance entre nous travaille à l’éveil de la raison. C’est dire que la «nature» humaine n’est pas envisagée ici sous l’angle d’un positivisme absorbé par les données. L’éducation est une affaire d’idées explicables. Mais ces idées qui font la société sont tout autant produites par la société. La pédagogie marquée par Durkheim (qui collabore au Dictionnaire) constitue donc une promotion du jugement critique en tant qu’il interroge la part idéologique de la conception éducative, afin de légitimer cette dernière, mais aussi les discours présentés comme des savoirs.

La pédagogie devient ici une réflexion «méthodique» sur les choses irréfléchies de l’éducation, eu égard au changement sociétal qui exige que l’on s’attache à la personnalité de chacun en guise d’élément essentiel et en vue d’une socialisation réglée.

Cependant, rien n’empêchait la raison pédagogique qui assiste à son propre procès de soupçonner alors, de manière hypercritique, l’entreprise scolaire elle-même — comme transmission d’un capital culturel au service de la reproduction sociale et non de l’émancipation. La transmission des valeurs se renverse en une légitimation des inégalités.

Lire aussi : « Il faut libérer l’école de l’ambition prométhéenne d’un homme nouveau » (Robert Redeker)

Mais la posture du constructivisme radical, pour qui l’acquisition d’un savoir passe par la reconstruction-expérimentation de celui-ci, a toujours été ébranlée de l’intérieur par son relativisme. Comment pourrait-elle répondre de sa propre situation («D’où parlez-vous ?») tout en affirmant (comme s’il pouvait survoler les choses) qu’il n’y a pas de conception privilégiée (puisque chacune possède une cohérence inhérente à une situation impartie)?

Si le pédagogisme, comme échec pour la pédagogie à s’instituer de façon cohérente en une science de l’éducation, contenait, à ce stade, les germes de son éclatement, au moins en deux directions opposées —un rationalisme croyant au cognitivisme (de nous jours, la neuropédagogie teintée de constructivisme) face à un constructivisme radical (teinté de psychologie expérimentale) déconstruisant les savoirs académiques—, de son côté, l’effort d’une volonté de synthèse pouvait se répéter.

La psycho-sociologie éducative

Au niveau de l’école primaire, l’administration va demeurer relativement indifférente dans ses prescriptions à l’institutionnalisation de la modernité pédagogique et son effervescence, laquelle promeut curiosité, intelligence, expérimentation et coopération. En cause, la montée d’une massification de l’enseignement et l’embarras qu’il y aurait, pour répondre à l’esprit de la modernité, à réunir les finalités de l’enseignement classique et celles de l’enseignement technique.

Les années 1960-70 marquent un nouveau tournant dans l’essor de nouvelles technologies, particulièrement en matière d’audiovisuel. La contestation de la figure autoritaire du maître, en germe dans les années 1940-50, trouve l’occasion de s’appuyer sur l’infrastructure. Pour la pédagogie dominante, le maître ne doit plus être appréhendé comme le «canal» privilégié du savoir. Le rôle du maître se résorbe dans la fonction de «catalyseur», de «facilitateur» : il s’agit de permettre aux élèves d’apprendre dans les meilleures conditions possibles.

D’un autre côté, l’infrastructure, pour se développer, réclame des individus qualifiés. S’amorce alors la mise en place d’un collège unique, lequel fait apparaître ce que les ordres séparés du primaire et du secondaire —absorbé par un «gavage intellectuel» de type scolastique— dissimulaient: tout le poids des inégalités socio-culturelles que la scolarité reproduit sous le beau discours de l’égalité des chances. Il fallait donc imaginer une réforme. Mais au nom de la massification l’ordre s’inverse: le primaire travaillé par l’idée de modernité doit se recentrer sur les contenus ou les savoirs fondamentaux.

Il est remarquable qu’à l’égard du besoin de rénovation se mette en place toute une rhétorique de l’«outil» : la parole du maître, les livres, l’audiovisuel seraient autant d’«instruments» à la disposition de l’élève, en vue de la construction qu’élabore sa recherche.

Deux remarques:

  • Un livre, une parole… n’est pas un instrument. L’envisager comme tel —en faisant du savoir l’instrument (en tant que «ressource» à exploiter) de la recherche et non la recherche comme moyen en vue du savoir (constructivisme radical)— est un trait du pédagogisme intégral.
  • Considérer, à l’heure actuelle, que des objets connectés, formant une infrastructure technologique, ne constituent que des «outils», ressortit à l’aveuglement. On ne manipule pas un marteau comme on dispose d’un smartphone. La simplicité du marteau offre à l’utilisateur un usage peu déterminant. Nous pouvons nous en servir comme d’un levier, par exemple. L’outil est de cette manière, eu égard au milieu, relativement indépendant. Quant à lui, l’objet technique numérique dépend foncièrement de l’environnement sur lequel il agit. Autrement dit, il détermine par lui-même des comportements. Ce n’est pas un outil mais un Aussi, considérer a priori un TBI (Tableau Blanc Interactif) —qui capte l’attention d’une classe— comme un prolongement du tableau noir qu’il remplacerait en multipliant les possibilités, revient à s’interdire toute réflexion sur les déplacements opérés par le dispositif et à fonctionner à l’aveugle.

Éblouie par l’efficience des moyens de communications, la pédagogie des années 1960-70 s’imagine que les problèmes de communication peuvent être posés et de la sorte résolus. S’institue en réalité un bricolage sous la forme composite d’une psycho-sociologie éducative.

Lire aussi : Éducation : faire attention à l’attention (Nathalie Depraz)

Invoquant le constructivisme, intellectuellement mature dans les années 1950, le pédagogisme entend corriger l’«enseignement» en «apprentissage».  L’«élève» devient le centre de la situation d’apprentissage: il devient un apprenant. Être «élève», c’est être acteur de son propre apprentissage.

Pour la psychologie constructiviste, toute connaissance est une information apprise de manière nécessairement active. Ce qui veut dire que tout apprentissage n’a lieu que face à des situations de changement susceptibles d’entraîner, à travers l’activité du sujet, une réélaboration de l’édifice cognitif s’augmentant des informations ainsi assimilées.

Axé sur l’apprenant, l’«enseignement» ne l’est plus tant sur le «quoi enseigner» que sur le «à qui enseigner».

Le rôle du «maître», ou plutôt de l’éducateur, devient donc au premier chef de générer des situations intéressantes pour l’apprenant. D’aider ensuite à la construction et à l’organisation des «connaissances» en proposant des méthodes d’apprentissages que l’apprenant puisse faire siennes, afin de répondre au mieux aux problèmes posés par la situation d’apprentissage.

En principe, dans la version intégrale d’une pédagogie dite «active», c’est à l’ensemble du groupe-classe que revient le droit et le devoir de déterminer les types de travaux et de recherches à réaliser. Mais pas seulement. Étant donné qu’il n’y a pas de méthode toute faite, l’activité d’apprentissage portera elle-même sur l’autogestion pédagogique: être acteur consiste prioritairement à mieux comprendre les mécanismes sociétaux ou institutionnels, à reformuler en l’occurrence ce qui se passe dans le groupe et à l’école, afin de mettre en place les institutions qui devraient assurer la gestion des orientations en meilleure connaissance de cause possible.

Cependant, une telle psycho-sociologie éducative souffre de deux ambivalences.

Se voulant «vivante», la pédagogie en question se refuse à employer quelque méthode prédéterminée. Ainsi, les livres, les moyens audio-visuels, la parole du «maître» ou bien encore les mécanismes sociaux, constitueraient autant d’occasions d’en inventer de nouveaux usages. Dès lors, qu’est-ce qui doit être assimilé exactement? La situation à résoudre ou les moyens pour la résoudre, — le choix de ceux-ci dépendant de la situation? On ne sait plus.

D’autre part, le pédagogisme ne cessera d’insister: l’éducateur doit être convaincu que la communication avec l’apprenant ne peut se réaliser sans une acceptation inconditionnelle de celui-ci, à l’écart justement des conditionnements du monde adulte. Mais si le «maître» a encore le rôle de celui qui active la situation et son acteur, comment pourrait-il le faire de la manière la moins explicite possible sinon par l’influence? Or l’influence signe la mort de l’inconditionnel.

Lire aussi : L’autorité à l’école : relire Hannah Arendt (Claude Obadia)

Sous sa forme psycho-sociologique, c’est-à-dire en qualité de coopérative, le pédagogisme intégral n’a jamais vraiment réussi à s’imposer sur le terrain. Seules quelques bribes comme la pédagogie documentaire qui accompagne un cours dialogué se sont instituées.

En cause d’abord, un mépris certain de l’ordre du secondaire pour le primaire. Ensuite, la résistance du corps enseignant estimant qu’un tel dispositif pédagogique tendrait à le museler, les professeurs craignant toujours de perdre la parole. Or discourir est impératif. Ne serait-ce là que l’expression du caractère réactionnaire d’un enseignement traditionnel?

La pédagogie explicite

Notons qu’en marge et contre ce pédagogisme (fonctionnant aux États Unis), se développera à partir des années 60-70, la pédagogie dite explicite.

Basée sur des données probantes, la pédagogie explicite modélise les pratiques efficaces. Le savoir est replacé au centre de la situation d’enseignement et, de tonalité directiviste, ladite pédagogie requiert de l’enseignant qu’il guide et questionne l’élève. Visant la compréhension, elle va du plus simple au plus complexe: il s’agit d’éviter toute surcharge cognitive.

Bien que séduisante à plus d’un égard, un tel modèle demeure pour nous problématique – sujet qui sera abordé dans notre second article.

La pédagogie par compétences

Mais le pédagogisme devait connaitre pour le reste une nouvelle transposition due au contexte des années 1980-90.

S’opère, dans un climat de privatisation, le découplage entre politique et pédagogie. Celle-ci n’a plus à se chercher dans le fantasme d’une auto-institution (psycho-sociologie éducative). Les temps sont à la rigueur. Elle se contente de s’adapter.

De cette façon, le pédagogisme va se polariser sur ce à quoi ouvrait le concept d’apprentissage malgré lui: une détermination objectiviste du processus. La pédagogie par compétences et le fantasme d’une «ingénierie pédagogique» (sic) faisaient leur entrée.

Comment suivre dans une société où la cadence de l’innovation technologique ne cesse son accélération? «Apprendre à apprendre» s’institue comme la compétence par excellence, dans sa pureté formelle, c’est-à-dire circulaire.

Sur les écrans, le «savoir» paraît définitivement cadré, recadré en guise d’information. Or sous l’empire de l’audio-visuel, toute information en chasse une autre. Il faut donc actualiser. Et dans le retard fatal de cette course pédagogique après les innovations, l’illusion d’une réflexion critique.

Les savoir-faire eux-mêmes constituent autant de données formelles —fiches, schémas, grilles, clés…— prêtes à l’emploi.

Lire aussi : La fin des notes à l’école? (Claude Obadia)

Par rapport à la psycho-sociologie éducative, s’est réalisée une «clarification» au profit en réalité de l’accroissement idéologique. Au flou méthodologique tel qu’on ne savait plus très bien si c’était de l’activité qu’était appris quelque chose ou plutôt des moyens nécessaires à l’activité, la pédagogie par compétences substitue un sujet motivé, par une situation, à mobiliser des données.

En appliquant des «savoirs» (informations données) et des savoir-faire (techniques données) à une situation prétendument complexe, l’apprenant est censé reconnaître et acquérir la pertinence d’habiletés (les compétences) qu’il pourra ainsi transférer dans une situation inédite.

Mais qu’est-ce qui permettra une telle mobilisation sinon des compétences a priori ? On suppose ce qui se divulgue a posteriori, dans la résolution de la situation. Il n’y a pas acquisition mais pétition de principe.

Autrement dit, la pédagogie par compétences est peut-être animée par une vison égalitaire: si le savoir quasiment infini ne parlerait qu’aux privilégiés, l’esprit des compétences est celui d’un socle d’habiletés communes et en nombre fini. En réalité, par sa mystification, cette vision compte sur un potentiel de l’apprenant qui ne peut être que son talent et/ou un certain capital socioculturel.

Pour s’assurer que les compétences sont bien «acquises», le facilitateur devrait multiplier les situations complexes en variant leur contexte. Mais comment une habileté qui ne peut pas se cristalliser en autre chose qu’une routine, pourrait-elle faire face à une situation complexe et inédite ? En d’autres termes, une situation complexe et inédite appelle d’elle-même un certain style de résolution générée en quelque sorte par la situation: l’habileté ne peut pas être d’avance acquise. Comment dès lors le vérifier ou l’évaluer?

D’où, en réalité, la multiplication non pas de questions mais de problèmes (déguisés en situations complexes) soumis à l’apprenant et dont les outils, correctement employés, vont aller chercher la réponse que par avance leur usage destinait à trouver.

En raison de la nature brumeuse des compétences, pour pallier cette nature et donner le change, vont pulluler les procédures, directives méthodologiques, grilles, indicateurs, canevas, fiches, etc. Puisqu’il faut impressionner avec une impression de rigueur qui se trahit par une inflation des codes, l’«enseignant» se retrouve astreint à concevoir et/ou mettre en place des mesures formelles afin d’adhérer au dispositif. Celui-ci se répand en un travail bureaucratique (chronophage pour l’«enseignant») qui donnera de soi-même prise au contrôle exercé par une batterie d’inspecteurs, en charge de la conservation et reproduction institutionnelles. Ici, le mouvement pédagogiste rencontre les prescriptions administratives ; ce qui explique probablement son succès.

En se transposant en pédagogie par compétences, la psycho-sociologie éducative organise donc ce qu’elle voulait combattre: la ségrégation bureaucratique de l’ordre bourgeois.

En se coupant du vivant qui anime le savoir, la bureaucratisation soutenue par le directicvisme méthodologique se frotte alors en permanence à l’imminence d’une atomisation des apprentissages. Aussi la bureaucratisation s’augmente d’une rhétorique de l’interdisciplinarité, de la transdisciplinarité, de la coopération et de l’empathie, lesquelles font l’objet d’une didactisation.

Cette obsession à recoller les «morceaux» d’une situation que la mécanique elle-même défait, se traduit généralement en une pédagogie par projet — par quoi un facilitateur anime des apprenants autour de ce qui s’est résorbé en une proposition de quasi pure communication, où se confondent compétences disciplinaires et compétences transversales.

Lire aussi : Pourquoi mettre la philosophie à la portée des enfants? (Anda Fournel)

Il est compréhensible que l’enseignement à l’école primaire, en raison de ses finalités, suppose certaines acquisitions en matière de didactique des différents savoirs fondamentaux. Idem pour certains savoir-faire réservés à l’enseignement technique. Mais en deçà ou au-delà de ces mécanismes, qu’est-ce qu’une situation d’enseignement? Comment la pédagogie se règle-t-elle sur celle-ci? Quelles techniques éveilleraient, avec art, à l’art pédagogique? Comment penser l’altérité du savoir, l’altérité du professeur et l’altérité de l’élève — sans verser dans l’oscillation entre autonomie et influence? Pourquoi l’altérité du savoir ne se réduit pas à un capital culturel? Pourquoi la parole du professeur ne se réduit pas à une prise de pouvoir ? Qu’est-ce que comprendre? Comment la situation d’enseignement éveille-t-elle au sens de la collectivité?

Voilà donc ce qui attend notre seconde partie.

 

Couverture : Jean Geoffroy, peintre de l’éducation nationale sous la IIIe République – En classe, le travail des petits, 1889

 

 

 

Jean-Sébastien Philippart

Agrégé de philosophie, Jean-Sébastien Philippart est conférencier à l'Ecole Supérieure des Arts Saint-Luc de Bruxelles.

 

 

Commentaires

Très intéressant, merci.
Les instances institutionnelles bureaucratiques chargées de surveiller l’EXECUTION du « travail » (à l’école aussi…) par des EXECUTANTS sont présentes partout où il est question de service public, et d’intérêt général pour la société au sens large.
Je crois qu’il est réducteur de focaliser l’attention ici sur une dimension de lutte des classes, car il s’agit d’une dialectique entre l' »individu » et la société que le mot « individu » implique. Un socialisme (au sens large…) d’une telle ampleur finit par réduire les individus à des exécutants sans initiative personnelle, soumis à l’utilité de la grande société fourmilière.

Sur la nature du savoir, et la lente émergence de la pensée scientifique « numérique » (oui, oui) de la pensée analogique médiévale (je schématise beaucoup là…), Daniel Arasse dit des choses intéressantes dans son livre sur Léonardo da Vinci.
L’édifice de la pensée scientifique s’érige sur le rejet d’une pensée analogique, et ainsi, d’une certaine manière, attaque la possibilité de généraliser, de TRANSFERER les savoirs en dehors du cadre d’une petite boite spécialisée pour aller… plus librement ? 😉 ailleurs.

Si vous regardez autour de vous, vous verrez à quel point notre société… croit dans la valeur de la spécialisation (du savoir, et des pratiques) qui doit permettre aux individus experts de trouver leurs petites… niches, et monnayer leur « savoir » afin de pouvoir « gagner » leurs vies, en étant Uniques (dans leur spécialisation).

par Debra - le 27 janvier, 2018


Merci pour cet article qui inspire et invite à la réflexion !
En effet il existe bien des méthodes pour acquérir du savoir, et c’est assez simple en soi `a comprendre et à transmettre, ainsi que les enjeux qui se cachent derrière la « possession » du savoir.
Le plus grand défi est selon moi surtout d’ordre relationnel et émotionnel, celui du vivre ensemble. Quelles sont les interactions, les relations et les émotions qui se jouent entre des personnes (adultes/ados/enfants) qui « co-habitent » un lieu déterminé sur une durée déterminée ? Où est la volonté de ces personnes-ci de se trouver là en présence des autres, que viennent-elles faire là ? Quelles compétences humaines et relationnelles peuvent-elles développer à leur contact ?
Les écoles alternatives telles que la Sudbury School, ou l’école dynamique répondent d’une manière innovante à ces problématiques et c’est passionnant.
Étant « prof » de théâtre et hors de tout système éducatif pour le moment, il m’apparaît toujours plus absurde que l’école ne se fasse pas sur la base du volontariat. Je suis tellement heureuse de rencontrer des « élèves » qui viennent volontairement apprendre à jouer au théâtre, à construire une pièce ensemble. Pourquoi ne pourrait-on pas volontairement aller apprendre les maths lorsqu’on en a besoin ?
Ce que je constate, c’est que cette dernière permet avant tout d’offrir un lieu d’accueil pour les enfants de parents qui travaillent entre 8 et 18h. Une réforme du système d’éducation va de pair avec une réforme du système d’emploi, etc.

par Cécilia - le 28 janvier, 2018


Bonjour,

Demain,il faudra désapprendre l’école et l’acquisition des savoirs.
L’éducation Nationale,système institutionnel,se réformera par un renversement des valeurs.

Il s’agira d’apprendre par soi-même.Une auto-éducation(auto-école) libérée des contraintes et de la verticalité,au contact et en prise avec,les phénomènes de la nature,les innovation disposant de données du numérique.

L’école et les parents à la maison,ou à Knokke-le-Zoute.

Les contenus du Big data seront de la responsabilité des états. Les contrôles ponctuels des connaissances,répondrons aux normes des nouveaux métiers et de la formation continue à vie.

L’autodidaxie,autoformation tutorée,formation à distance,apprendre à apprendre par soi-même,autonomie,et,en même temps,se former à l’épanouissement personnel.

Savoirs,connaissances et techniques,nomadisme;efficiences en tout lieu!

Libération les énergies et le talent de chacun.
Innover la liberté d’entreprendre!

par philo'ofser - le 29 janvier, 2018


Bonjour,

Demain,il faudra désapprendre l’école et l’acquisition des savoirs.
L’éducation Nationale,système institutionnel,se réformera par un renversement des valeurs.

Il s’agira d’apprendre par soi-même.Une auto-éducation(auto-école) libérée des contraintes et de la verticalité,au contact et en prise avec,les phénomènes de la nature,les innovation disposant de données du numérique.

L’école et les parents à la maison,ou à Knokke-le-Zoute.

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Libération les énergies et le talent de chacun.
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par philo'ofser - le 29 janvier, 2018


L’ignorance des hommes dans ce qui se transmet d’une génération aux suivantes s’accroit au fur et à mesure que les cultures disparaissent et que chacun se retrouve seul face aux autres qui naissent et grandissent.
Le « pédagogique » est un symptôme de cette perte. Il s’agit de solliciter la « raison » et des modèles « x et y » pour réaliser l’acte essentiel aux hommes : le passage, l’apprentissage, l’assomption de soi dans la relation aux autres et au monde, celui que la culture, la mémoire, l’expérience passée ouvrent.

par Gérard Champion - le 1 février, 2018


cet article est très clair et bien construit. D’une grande pertinence . Merci.
Et le professeur Hibou est une trè s belle création., d’une justesse fraiche que j’apprécie
Nicole Fabre

par nicole fabre - le 16 février, 2018


Merci à vous Madame.

par Jean-Sébastien Philippart - le 17 février, 2018


[…] aussi : L’art d’éduquer : une impossible «science» de la pédagogie ? (Jean-Sébastien […]

par iPhilo » Hannah Arendt : « Le conservatisme est l’essence même de l’éducation » - le 2 mars, 2018


Jetez éventuellement un coup d’œil sur Le site de Schola Nova (Belgium). Cela pourrait peut-être trouver une résonance chez vous. (Sans aucune obligation, bien sûr !)

par Pr Stéphane Feye - le 23 avril, 2018



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