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L’homme n’est pas un crabe : réflexions sur la vie et la mort

23/04/2018 | par Martin Steffens | dans Philo Contemporaine | 7 commentaires

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ANALYSE : « La vie découvre, par sa finitude, une beauté plus grande qu’elle », déclare dans iPhilo le philosophe Martin Steffens. Pour le philosophe, qui vient de publier L’Éternité reçue, les épreuves de l’existence sont certes comme des « petites morts », mais elles ouvrent la vie à plus qu’elle-même, à une sorte de « grande vie ». 


Spécialiste de Simone Weil, de Léon Bloy et de Léon Chestov, agrégé de philosophie, Martin Steffens est professeur en hypokhâgne et en khâgne au lycée Georges de la Tour à Metz. Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié Petit traité de la joie, consentir à la vie (Salvator, 2011) ; Rien de ce qui est inhumain ne m’est étranger (Points, 2016) et dernièrement L’Éternité reçue (Desclée De Brouwer, 2017).


Notre condition humaine est paradoxale : c’est cela même qui la rend passionnante, au double sens de ce qui est digne d’intérêt et de ce qui apporte la douleur (comme on parle de la «Passion» du Christ). Tout, en l’homme, est paradoxe. Le définit-on par sa conscience ? Mais cette conscience sépare l’homme de ce à quoi il se rapporte : lien au monde et à soi-même, la conscience est en même temps écart, recul, distanciation. Définit-on l’homme par le langage ? Le paradoxe n’est pas moindre : le langage, nommant les choses du monde pour les faire exister, risque aussi de les recouvrir d’une signification qu’elles n’ont pas. L’homme est à la fois, plus que tout être vivant, lié au monde (il est l’animal doué de logos, littéralement «doué de lien»), à la fois, comme nul autre, séparé de lui-même et du monde (car être doué de lien, c’est paradoxalement être pauvre de soi-même).

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Le paradoxe habite donc l’homme dès l’origine : avant le langage, avant la conscience, c’est déjà en tant qu’être vivant que le mystère humain se creuse. La vie est par essence paradoxale. Ce paradoxe, on pourrait tenter de le saisir ainsi : à la fois la vie est affirmation d’elle-même et, par suite, refus obstiné de la mort ; à la fois, une vie qui ne ferait que vivre, une vie qui, par crainte de mourir, aurait soin seulement de se conserver, une telle vie ne serait pas vivante. A la fois, donc, et quoi qu’en disent parfois les sagesses humaines, la vie n’a rien à voir avec la mort ; à la fois, grâce à la mort, la vie est sauvée d’elle-même : elle découvre au-delà d’elle sa vraie mesure.

Je vous propose d’abord, pour arpenter ce paradoxe, d’en établir avec précision les deux pôles : la vie n’est pas faite pour la mort ; mais la vie n’est pas faite pour elle-même. Alors s’esquissera une façon humaine de vivre pleinement le paradoxe de la vie.

A la fois…

La vie ne sait que faire de la mort. Car vivre, c’est être «en vie» : rien en elle ne porte la mort. Vieillir, c’est encore vivre. Dans le mot «vieillissement», on semble entendre la «vie» qui, glissant le long du temps, s’y faufile et se poursuit. Mais la maladie ? Rien en elle n’appartient à la mort : être malade, disait Canguilhem, c’est une façon autre de persévérer dans l’être. La maladie est définie par lui comme une réaction organique visant la guérison (étymologiquement, dans «guérir», il y a «guerre»).

Nous n’avons d’expérience que de la vie. Comme je l’écris dans L’éternité reçue, même l’homme qu’on dit «à moitié mort» l’est tout entier du côté de la vie : son agonie – littéralement sa lutte (agôn) contre la mort – raconte le refus obstiné de la mort, celui qu’on lit sur les lèvres du nourrisson agrippé au sein de sa mère, celui qu’on devine dans les yeux angoissés des combattants de nos mouroirs. Nous sommes vivants (entendez le participe présent), «en» vie, et nulle part ailleurs. Même le cri du désespéré est poussé de l’intérieur de la vie, à partir d’elle : ce n’est pas le cri d’un homme contre la vie, mais le cri de la vie contre ce qui, dans la vie de cet homme, est venu l’entraver. Spinoza disait ainsi que même le suicidé cherche à persévérer dans son être – il meurt, non d’épouser la mort, mais de ne pouvoir surmonter tel obstacle qu’aux dépens de lui-même.

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C’est pourquoi mon essai, L’éternité reçue, est, dans son premier chapitre, un manifeste contre toutes les «sagesses de camomille» qui, pour nous réconcilier avec la mort, tente d’endormir la vie : le bouddhisme nous raconte que la vie est une illusion ; l’épicurisme que «la mort ne nous touche en rien» ; le stoïcisme que la mort fait partie de la vie… Oui, elle en fait partie, mais comme un scandale. La mort est, pour le vivant qui ne craint pas de l’être, «comme une chose impossible». Vous aurez peut-être reconnu, dans cette formule, la chanson des Rita Mitsouko, Marcia Baïla, qui met en balance la puissance de vie d’une danseuse argentine (Marcia Moretto) et l’impossibilité où nous sommes d’accepter que le cancer, un jour, ait fini par l’emporter… «Comme une chose impossible» (je voulais que ce soit le titre de L’éternité reçue…) : car oui, la mort est bien quelque chose, dans la vie, mais quelque chose que la vie ne comprend pas.

Alors, aux larmes, citoyens ! Car si vous avez appris à ne plus pleurer vos morts et votre finitude, peut-être avez-vous, au passage, désappris de vivre… A Sénèque cherchant, sans y parvenir d’ailleurs, à mourir stoïquement, pour se donner lui-même ce qu’il refusait (par orgueil ?) de recevoir, je préfère les figures tragiques d’Orphée ou de Niobé, l’un refusant de se résigner à la mort d’Eurydice, chantant sa détresse et forçant la porte des Enfers, l’autre pleurant ses enfants jusqu’à la fin des temps. Les figures bibliques de Job, de Rachel ou de Jésus, criant à Dieu leur refus de la mort, je les préfère à tous ces consolateurs et boudeurs professionnels de la vie, prêts à dissoudre le scandale de la mort comme le cachet effervescent d’Atarax® se dilue tranquillement dans l’eau.

Mais à la fois…

Nous ne sommes pas faits pour la mort. Ceci étant dit (et non seulement dit mais, s’il le faut : crié, jeté à la face impassible des adeptes de l’ataraxie), une vie qui ne serait prêtée qu’à elle-même ne serait pas pleinement vivante. Une vie soucieuse de se conserver uniquement, est-ce la vie pleinement vivante ? Non, elle ne serait que conservation.

Mais encore : une vie qui, pour conjurer la perte ce qu’elle aime, en ferait l’objet de sa frénétique consommation ou d’une surprotection, ne finirait-elle pas par détruire tout ce qui fait sa joie ? Elle ne serait en effet que dévoration.

Enfin, une vie qui n’aurait souci que de croître, sans jamais mourir à soi, n’est-elle pas, en son fond, non pas désir, mais pulsion, c’est-à-dire, on va le voir, pulsion de mort ? Trois questions qu’on doit adresser à la vie dans son refus de la mort. Trois caricatures de la vie : conservation, dévoration, pulsion. Je voudrais les explorer, pour vous montrer que, si la vie n’est pas faite pour la mort, elle n’est pas non plus faite pour elle-même.

Conservation, dévoration, pulsion

Concernant, d’abord, la conservation de soi : en effet, si la vie craint de se perdre, elle ne se donne plus. Elle se recroqueville sur ses acquis, elle n’est plus le risque pris de vivre. Est-il «plein de vie» celui qui ne sort pas de chez lui, par peur des virus, de l’actualité, des causes secondes ? Paradoxalement, être plein de vie, c’est aimer assez la vie pour n’être pas possédé par elle. La vie qui ne sait que vivre, sans jamais mourir à elle-même, est condamnée à mort. Du moins ressemble-t-elle au condamné à mort qui, dans le Dialogue des Carmélites de Bernanos, reproche à Gontran le détachement aristocratique que lui et les hommes de son rang affichent à quelques heures de la guillotine. «Les hommes de votre génération n’aiment pas la vie», dit le prisonnier. À quoi Gontran répond que tenir à la vie n’est pas être tenue par elle : «Nous l’avons possédée, et c’est elle qui vous possède. Vous y tenez comme à une maîtresse qui ne s’est jamais déshabillée devant vous… (1)» Jésus prévenait en effet, dans une phrase dont le paradoxe s’éclaire peu à peu : «Qui veut posséder sa vie la perd ; qui la donne la reçoit pour l’éternité [2].»

Venons-en à la vie comme dévoration : là encore, la vie est-elle le plus elle-même quand, par crainte qu’une chose lui échappe, elle se jette sur elle ? Une vie craignant de se perdre se ferait «con-sommation» (entendez le vocabulaire militaire de la «sommation»). Une vie soucieuse de conjurer la perte ressemble à ce vieil ami qui avait acheté des bouteilles de vin dont le prix excédait nos capacités : «On ne sait jamais ce qui peut arriver…» justifiait-il. Comme l’on dit chez nous, en Moselle, en finissant une bouteille de Schnaps ou de Mirabelle (ou pour trouver prétexte à la finir plus vite) : «Encore une que les Allemands n’auront pas…». C’est ici l’angoisse qui prime. L’angoisse qui naît d’un monde sans au-delà, sans ouverture ni offrande, où il faut vivre le plus longtemps possible, en ramenant, tant qu’on peut, la couverture à soi. Avec ce terrible constat que, plus on les dévore, par crainte de les perdre, plus on détruit les biens qui nous entourent. Notre incapacité actuelle à faire usage du monde, c’est-à-dire (selon la détermination franciscaine de l’usage) à l’habiter sans le dévorer, n’est pas sans rapport avec notre crainte de mourir.

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Enfin, la vie comme pulsion : si la vie n’a d’égard que pour elle-même, elle finit par être négation de tout ce qui n’est pas elle. Elle finit par vivre ce qui vient contrarier son mouvement, non comme la bonne nouvelle d’une rencontre, d’un déplacement, d’un dérangement, mais comme un élément à éliminer. «Ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre», murmure entre ses dents cette vie ivre d’elle-même. Aussi demandera-t-elle, le plus possible, à être soulagé de cet «autre» où sa liberté finit : son rêve serait de déployer son mouvement dans un monde où rien ne l’entraverait plus. Mais alors, elle ne serait plus vie, mais… mort. Car, comme l’a bien vu Freud, si la vie est pulsion, poussée de soi vers soi sans autre fin qu’elle-même, elle est d’un même mouvement «pulsion de vie» et «pulsion de mort» : il n’y a en effet que dans la mort que mon mouvement n’est plus entravé par quoi que ce soit. Il n’y a que dans le ventre de maman que tout baigne. Il n’y a que dans mes rêves que le réel est soumis à ma petite mesure. Rêve qui est en réalité un cauchemar : si le monde ne m’offre plus de résistance, il n’offre plus prise non plus, il perd tout contour et toute densité. Quelle chance ai-je d’avoir épousé, non mon désir, mais une femme, une vraie, qui existe au sens où elle est plus que mon fantasme ; qui «consiste» au sens où, en me résistant parfois, elle est plus que mon propre reflet.

Pour le dire en un mot : une vie qui n’aime qu’elle n’aime pas la vie. Elle est regret d’un temps avant la naissance. Comme l’écrivait lyriquement Cioran : «N’être pas né, rien que d’y songer, quel bonheur, quelle liberté, quel espace ! [3] Oui, mais personne pour en jouir de ce bonheur, de cette liberté vide et indéfinie, de cet espace qui, faute de limites et de seuils, échappe à toute appréhension et ressemble au vide. «Être né, rien que d’y songer : quelle épreuve merveilleuse, quelle libération de hors de ma petite mesure, par la rencontre de ce qui m’excède, quel espace, enfin, pour ouvrir mes bras et accueillir ce à quoi je n’étais pas préparé !»

Ouvertures et blessures

Par trois fois, comme conservation, dévoration et pulsion, la vie découvre qu’elle se perd dans le mouvement même par lequel elle croyait se posséder. C’est donc que la vie n’est pas à elle-même sa propre mesure : tel est ce que nous apprend son paradoxe. Nous sommes dans la vie, incontestablement, et il n’est aucun point de vue hors d’elle ; mais nous ne sommes pas pour elle. Nous vivons pour ce à quoi nous voulons donner notre vie – et dont nous mourrons.

Sachant cela, la vie peut lire sa finitude comme une bienfait. Comme une blessure, certes, mais une blessure qui est «a blessing», en anglais, une «bénédiction». Par son intrinsèque finitude, la vie est condamnée au don de soi (contre la seule conservation), à l’accueil de ce qui n’est pas soi (contre la dévoration), et à l’aspiration à un réel qui est plus qu’elle-même (contre son propre régime pulsionnel).

Don, accueil, aspiration : visages de la décréation

Don de soi : oui, l’homme est l’animal dont le génie a été, faiblesse oblige, d’aménager le monde autour de lui en vue de «sauver sa peau». Mais le gain de cette protection, ce fut de déployer la richesse de son épiderme, d’en accroître la sensibilité. L’homme n’est pas un crabe, dont la chair est nichée dans une carapace : il est vivant d’aller au monde en y offrant sa chair, laquelle imprime sur elle aussi bien la violence des coups, condition pour en souffrir et pour leur dire «non», que la douceur des caresses, du vent discret comme de l’amour. L’homme doit se protéger, mais doit aussi, ultimement, se protéger de ses propres protections, pour s’ouvrir au monde, s’offrir à lui, quitte à souffrir davantage.

Accueil : la vie n’est pas vivante quand elle ressemble à un syphon qui aspire à lui le monde entier, quand l’unique but est, pour reprendre l’expression de Pascal, «de faire sa place au soleil». La vie est belle d’apprendre, par l’écoute, par la contemplation du beau, par la main ouverte et qui ne se referme pas, à laisser exister hors d’elle l’objet de son amour. L’intériorité humaine est ce miracle d’un espace où l’on accueille sans retenir, où l’on prend en soi sans rien s’assimiler : ainsi le poème su par cœur n’en existe pas moins hors de moi ; il existe, comme l’être aimé, d’autant plus hors de moi que je l’ai en moi. L’homme apparaît alors comme cet animal extraordinaire qui peut intérioriser une chose sans la réduire à soi : on ne touche le tableau «qu’avec les yeux», en maintenant entre lui et moi la distance qui permet, paradoxalement, d’en jouir.

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Aspiration : non la vie n’est pas seulement pulsion, quête de soi vers soi, tournant autour de soi. Elle abrite en elle la place d’un autre, la place pour l’autre. Si nous devons en effet mourir un jour, ce n’est pas ultimement à cause des autres, ce n’est pas parce que, leur présence entravant parfois mon mouvement propre, ma vie s’arrêterait là où commence la leur. C’est plus profond que cela : nous mourrons parce que le vieillissement est, en nous, ce par quoi peu à peu nous cédons la place à d’autres que nous. Le vieillissement est inscrit dans nos cellules, comme une invitation à ne pas protéger sans cesse une place qu’on n’emportera jamais au Paradis.

En ce sens, notre vie est prise entre deux formules, qui sont de politesse : tout nouveau-né est un «bonjour», une victoire du jour sur la nuit, l’espoir, en chair et en os, que l’humanité, grâce à lui, fera autrement et mieux, de même que chacun se souhaite que sa journée apportera une joie inattendue ; tout mourant est un «après-vous», une façon de laisser la place, de confirmer, par son absentement, que l’essentiel de sa vie fut paradoxalement dans ces gestes d’ouverture à un autre que soi, dans ces «décréations» (le concept est de Simone Weil) par lesquelles la beauté du monde a pu, à travers nous, rendre sa saveur et la souffrance des autres trouver une oreille attentive.

Chemin faisant

La vie découvre, par sa finitude, une beauté plus grande qu’elle. Mais elle découvre cette beauté, «chemin faisant», en allant à soi d’abord, et jamais vers ces morts précoces que nous propose la sagesse. Ces épreuves qui ouvrent la vie à plus qu’elle-même, je dirais même qui blesse la vie vers ce qu’elle ne comprend pas, je les nomme, dans L’éternité reçue, des «petites morts». Des petites morts qui nous préparent peut-être à la grande vie, celle qu’on ne se donne pas, celle qu’on reçoit quand, ne pouvant plus rien retenir, à l’heure de notre mort, nous pourrons tout accueillir.

Mourir, non, parce que la vie n’est pas faite pour cela. Mais mourir à soi, oui, parce que la vie ne s’appartient pas. Cette contradiction propulse la réflexion vers le mystère d’une vie dont l’amplitude nous échappe. Vers la question de la résurrection. Mais cela est une autre histoire.

[1]Bernanos, Le Dialogue des Carmélites, Cinquième tableau, scène 2, Paris, Seuil, Points, 1996, p.132.
[2]Voir par exemple : Evangile selon saint Matthieu, chapitre 16, verset 25 ; Marc, chapitre 8, verset 35 ; Luc, chapitre 17, verset 33.
[3]Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, op. cit.,p.31.

 

Martin Steffens

Spécialiste de Simone Weil, de Léon Bloy et de Léon Chestov, agrégé de philosophie, Martin Steffens est professeur en hypokhâgne et en khâgne au lycée Georges de la Tour à Metz. Il a notamment publié Petit traité de la joie, consentir à la vie (Éd. Salvator, 2011), Rien de ce qui est inhumain ne m’est étranger (Éd. Points, 2016) et L’éternité reçue (Éd. Desclée De Brouwer, 2017).

 

 

Commentaires

Texte très intéressant qui se rapproche beaucoup de mes convictions à l’heure actuelle, avec des écarts importants, bien sûr, car je me situe plus sur un versant stoïcien.
Au delà du paradoxe, j’entends ici une réflexion sur le « oui » et le « non », et la manière dont ces deux vocables situent la personne dans sa vie. Une réflexion sur la possibilité de recevoir d’autrui, d’accepter les inévitables dettes du passé CONTRE la position qui ne veut que.. vivre en autarcie en se donnant sa propre origine, indépendante de toute dette contractée envers autrui, surtout cet autrui en chair et en os.
Freud a bien eu cette intuition. Le « non », et le « oui » ne font pas la même personne, et le « non » dans certains lieux résonne comme un Jugement Dernier (Voir « Don Juan »), tout comme le Oui dans ces mêmes lieux ouvre la promesse de la fécondité, (Voir Marie dans les innombrables tableaux de l’Annonciation qui continue à féconder notre imaginaire collectif).
Tout « non » serait-il quelque part un « non » à la vie ?
Si tel devrait être le cas, je crois qu’il faudrait…. accepter qu’il y a bel et bien des moments où on peut être amené à dire non. Sans même savoir ce qu’on fait, et avec des conséquences qui dépassent de loin notre entendement.
Je crois néanmoins que nous avons tapie au fond de nous-mêmes une connaissance, et une conscience intime de la mort qui ne nous est pas étrangère, dans la mesure où des milliers de petits sujets (et non pas individus, car ils se divisent…) qui se sont associés pour faire CORPS de nous vivent, et meurent dans notre collectif, et de manière continue et régulière.
Je ne crois pas que notre conscience ignore ces morts, même si notre conscience DE NOUS est épargnée la connaissance de ces morts qui sont parfois de vrais sacrifices pour le bien collectif.
Si, dans la Bible, Jésus dit qu’il n’y a pas un moineau qui tombe sans que le Seigneur soit au courant, pourquoi est-ce que notre conscience ignorerait le destin de ces êtres indispensables à la poursuite de notre vie collective ? C’est…. logique…
La structure du paradoxe me semble au plus près du travail musculaire de nous, dans la mesure où l’action d’une série de muscles (action, venant de « ago », poussée, en rapport donc, avec la pulsion) s’accompagne de l’action simultanée d’une autre série de muscles, en contrepartie. Il ne s’agit pas d’une réaction, pourtant. Pas d’action sans le travail des deux ENSEMBLE. Le mot « ensemble » est capital. Ce n’est pas consécutif, ou successif, c’est ENSEMBLE.
Petite précision : Job n’a pas peur de la mort, et ne la refuse pas. Job frémit du sentiment d’injustice, et veut être reconnu comme juste, et n’ayant pas péché contre Dieu. Job veut avoir raison CONTRE DIEU, en quelque sorte, mais le livre de Job n’est pas une réflexion sur la mort, fondamentalement. Sur le mal, mais pas sur la mort. Et, bien entendu, pour l’auteur de Job, la mort n’est pas le Mal…il y a des choses bien pires.
Enfin, je me permets de faire remarquer que l’article défini dans l’expression « la vie » introduit une dimension de généralisation qui malheureusement gomme les plans différenciés nécessaires à la pensée. Ce qui est vrai sur un plan n’est pas toujours vrai sur un autre. Il est capital de pouvoir différencier les plans, et les espaces…sinon, on verse rapidement dans la mystique, qui a… sa propre utilité, certes.
Ah, ces fichus mots et leur incroyable pouvoir sur nous.

par Debra - le 23 avril, 2018


Comparez tout cela avec cette révélation énorme qu’est: Louis Cattiaux, « Le Message Retrouvé » (chez Éditions Beya).
Très cordialement !

par Pr S. Feye - le 23 avril, 2018


 » La vie découvre, par sa finitude, une beauté plus grande qu’elle  » ? Curieusement, ce n’est pas la philosophie mais la littérature qui me l’a fait comprendre, il y a longtemps. Pourquoi certains chefs-d’oeuvre s’impriment-ils en nous à jamais ? Bien sûr , s’ils nous bouleversent , c’est que leurs auteurs ont réussi à atteindre à l’universel : leurs personnages incarnent les vérités fondamentales de l’existence et nous sont immédiatement frères . Au point que des liens subtils relient, pour nous , des auteurs et des oeuvres , de façon parfois inattendue mais profonde . En particulier, l’attitude des écrivains face à la mort suscite parfois en nous une extraordinaire empathie. Pourquoi , dans mon Panthéon personnel , ai-je associé à jamais depuis les années 80 , “ Mars “ de Fritz Zorn et “ Le Guépard “ , du prince Giuseppe Tomasi di Lampedusa ? D’un côté un jeune bourgeois de Zurich , qui vous prend aux tripes dès la première phrase : “ Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux , névrosé et seul .” De l’autre un aristocrate sicilien , le prince Salina, confronté à l’écroulement de son monde , la Sicile de I860 , devant la poussée des troupes de Garibaldi . Quel lien entre les deux ? La mort qui vient . Pour leurs personnages…et pour eux-mêmes . Fritz Zorn , le héros et l’auteur de “ Mars “ , meurt à 32 ans, après nous avoir expliqué , d’une plume déchirante, comment sa névrose a fabriqué son cancer. Le prince de Lampedusa, au terme d’une vie de dilettante cultivé, apprend qu’il a un cancer : il se met à sa table , tombe en dix-huit mois un chef-d’oeuvre et meurt après en avoir écrit la dernière phrase : “ Puis la paix retomba sur un petit tas de poussière livide . “ L’avouerais-je ? Pour moi , le bourgeois de Zurich et le prince sicilien sont deux aristocrates , au vrai sens du terme : capables , face à l’échéance , de faire , sans barguigner…leur ultime devoir !

par Philippe Le Corroller - le 23 avril, 2018


Martin Steffens, trois petits tours et puis reviendra
La nouvelle tendance n’est en fait qu’une antienne
Deux fois millénaire
Steffens sait s’y prendre pour nous la resservir
Non pas réchauffée mais repensée
N’est-ce pas le propre d’une parole vivante…
Merci Monsieur

par chiarappa - le 23 avril, 2018


L’homme est divisé entre ce qu’il aperçoit et ce qu’il obtient. Ce qu’il obtient se dérobe dans ce qu’il aperçoit. La conscience ne sépare pas, elle est ce qui apparait, elle est jouissance, apparition. Le langage ne sépare, il est ce qui apparait, du sens, de la jouissance. Mais tout cela se dérobe, ne tient pas, ne dure pas. C’est sans cesse en reprise. C’est épuisant. C’est le temps, l’être de l’homme toujours évanescent, aperçu mais pas maintenu.

par Gérard - le 24 avril, 2018


Un article pas comme les autres, je dois avouer, faisant bien les distinctions, humble philosophie de réflection devant le mystère de la vie…! Merci
Permettez-moi de poser quelques questions qui pourraient ne pouvoir jamais se répondre, mais néanmoins seraient basées sur des observations concretes.
L’ humanité, vit à deux vitesses, ou sur deux plans: l’ une essayant de se réconcilier aux lois et rythmes naturelles de la vie, l’ autre en complète « déchirure »…! Bien sûr, l’existance n’est qu’une, et cela serait bien la base de notre conscience, unique, qui menerait à la conscience de vie ou de mort! D’ où, « l’ agonie » de la mort serait ressentie ou pas, ou différemment…!
La question posée serait donc, est-ce notre appréhension et réponses sur notre existence seraient le produit de notre propre volonté, de nos choix par rapport au rythme de la vie, en relation avec…l’ immuable, soit l’éternel, tel établi en toute sagesse ?!
En cela, notre sensation de posséder une « carapace » ne serait qu’ une illusion du moment; sensation illusoire qui finalement nous déterminerait… Tout comme les sirènes d’ Ulysse, le détournement vers d’autres « lois » prouveraient la mort, au vivant! À nous de vivre, à nous de comprendre!
Comment comprendre la mort tout en restant en vie? Par juste fait, certainement non. Car l’état de conscience subsisterai dans l’ état initial de la mort, comme défini par la science, par des personnes qui l’ ont vécu…! Notre définition de la mort donc ne serait que bien limitée?!
La vie donc, définie par notre conscience, serait tout à la fois déterminée par une connaisance morale, notre motivation, et la réflexion que nous portons; bien sûr si la conscience précéde la morale, ou si la réflexion en action la précederais, déterminerai la suite de notre prise de position (St Bonaventure, Aquinas), mais pour moi, la conscience est une entité universelle donnée…(Kant). La non-dualité que vous posez, d’ après ce que je comprend, ne serais compréhensible qu’ à travers un prisme individuel, déterminée par la synergie inter-relationnelle de notre être avec le rythme propre de la nature qui nous entoure!

par Phœbé-Phebe - le 24 avril, 2018


Merci, M. Le Corroller. Je mets « Le Guépard » très haut sur ma liste de réflexions sur la vie, la mort, l’Homme, la révolution, mais surtout, la mémoire. Je lirai « Mars » de Fritz Zorn…

par Debra - le 24 avril, 2018



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