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En démocratie, le lieu du pouvoir est vide

20/09/2012 | par L. Hansen-Love | dans Politique | 1 commentaire

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Les élections ne font pas la démocratie. Il existe aujourd’hui dans le monde de nombreux régimes qui se disent démocratiques. Pour une raison toute simple et qui peut sembler probante : leurs dirigeants ont été élus, puis reconduits, parfois même à plusieurs reprises. De plus, les institutions de ces pays comportent, quoique dans des proportions variables, des formes démocratiques. On parlera même, dans certains cas, de « démocratie participative », notamment au niveau local. C’est le cas, par exemple, au Venezuela. Hugo Chavez a été jusqu’à instaurer, en 2004 le « référendum révocatoire à mi-mandat », et il se l’est appliqué à lui-même. Impressionné, J.L. Mélenchon, de retour du Venezuela, a déclaré en août 2012, que ce pays « était plus démocratique que la France ». On pourrait d’ailleurs faire une remarque du même ordre à propos de la Suisse qui pratique les « référendums d’initiative populaire », ce dont la France se garde prudemment.

Que le peuple souverain gouverne par le biais de ses représentants, ou même directement, en se prononçant sur certains sujets ayant trait au bien commun (par référendum), c’est sans doute, c’est peut-être, une condition nécessaire de la démocratie.  Mais ce n’est en aucun cas une condition suffisante. Car pour qu’une «réelle» démocratie fonctionne, il faut un certain nombre de pré-requis. Dans le cas contraire, les formes de la démocratie peuvent n’être qu’une mascarade. A la limite, un régime autocratique plus ou moins bienveillant peut même  subsister sous couvert d’institutions démocratiques, comme Tocqueville l’avait pressenti dans sa fameuse prophétie concernant un despotisme fictif, doux et paternel : « J’ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on ne l’imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il ne leur serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple » (De la démocratie en Amérique, Tome II, chapitre 13).

Mais quels sont ces pré-requis, à la fois historiques et philosophiques, qui seraient le fondement de toute démocratie « réelle » (quoiqu’ imparfaite et toujours perfectible !) ? Claude Lefort les résume en une formule sibylline : « En démocratie le lieu du pouvoir est vide ». La révolution qui s’est accomplie autrefois en Grèce, puis au XVIIIe siècle aux Etats-Unis et en France, explique-t-il, n’a pas substitué une forme de pouvoir à un autre. Elle a évacué définitivement une certaine représentation de l’Autorité politique. Pour désigner ce renversement de perspective, Claude Lefort emploie l’expression de « désincorporation » du pouvoir : «Le processus de la désincorporation et de la désintrication du pouvoir, du savoir, et de la loi, constituent la principale  mutation symbolique des temps modernes » écrit-il (« La dissolution des repères et l’enjeu démocratique » in Le temps présent, Ecrits 1945-2005, Belin, 2007).

En démocratie, poursuit-il, l’Autorité, fondamentalement, n’appartient à personne. Certains individus exercent pendant un laps de temps limité des responsabilités, mais le pouvoir proprement dit reste « inlocalisable, infigurable, indéterminé ». Cette situation, selon le philosophe, est totalement inédite ; car dans tous les autres systèmes, les principes et les normes gouvernant l’ordre social se trouvent « incorporés dans la personne du Prince ». Bien sûr, entre la théorie et la réalité, la distance est considérable : il suffit de penser au fameux problème du « cumul des mandats » aujourd’hui en France pour s’en persuader.  Tout le monde peut constater que les élus et les membres de l’exécutif ont toujours tendance à s’approprier puis à confisquer le pouvoir, quitte à contredire les normes constitutives de l’Etat de droit. Il n’empêche : dans une démocratie, les représentants du peuple ne sont pas le peuple. Ils ne détiennent ni le savoir, ni la vérité, ne disent pas la justice, ils ne bénéficient d’aucune onction sacrée. A tout moment, la parole d’un juge, d’un savant ou d’un sage peut invalider la leur, et le peuple peut toujours les révoquer par la voix des urnes. En d’autres termes, toutes les dérives autoritaires, toutes les formes de confiscation du pouvoir, de la richesse ou de la parole, par une caste, une oligarchie ou même une « élite » vaguement légitime, sont en contradiction avec les principes démocratiques et ne peuvent à ce titre qu’être constamment contestées et combattues. Et c’est d’ailleurs le cas.

A l’opposé, dans tous les régimes de type fasciste, autoritaire ou, a fortiori totalitaire, l’Etat, le pouvoir et le peuple, ne font qu’un. Dans les régimes communistes et fascistes, à la limite, toute distinction s’efface entre l’instance du pouvoir, celle de la loi et celle de la connaissance. Le dirigeant incarne le pouvoir, il est l’autorité, à ce titre seul en mesure de déterminer le cours des choses et le sens de l’histoire ; le juste et l’injuste, le vrai et le faux, ne peuvent plus, dans ces conditions, faire l’objet d’un véritable débat. A l’école, par exemple, la « vérité » historique ou philosophique sera dogmatique et unilatérale.

Il existe aujourd’hui des régimes qui ne sont ni fascistes, à proprement parler, ni totalitaires ; les dirigeants y ont été élus et même plébiscités. Certaine libertés formelles y sont effectives, un semblant de démocratie y règne, notamment au niveau communal, comme c’est le cas au Venezuela. Mais on ne peut pas parler de démocratie quand le dirigeant suprême peut se permettre, comme Hugo Chavez le fait à longueur de temps, de faire le pitre à la télévision tout en prétendant incarner le peuple, assumant seul, à plein temps et pour toujours la légitimité révolutionnaire. Un pays dans lequel le chef de l’Etat peut modifier la constitution par décret, et proposer par voie de référendum (2009) d’être rééligible à vie, n’est pas un Etat de droit. Le cas de Poutine qui tient l’Eglise orthodoxe  et la justice à sa merci (cf le procès des Pussy Riot) est du même tonneau.

L’élection ne fait pas la démocratie. Le charisme d’un dirigeant, sa magnanimité ou sa « virtù » pas davantage. Un pays dans lequel le dirigeant, aussi légitime soit-il, décide seul de tout au nom de tous, même si c’est avec l’aval d’une majorité de ses sujets, est tout ce que l’on voudra, sauf une démocratie.

 

L. Hansen-Love

Professeur agrégée de philosophie, Laurence Hansen-Love a enseigné en terminale et en classes préparatoires littéraires. Aujourd'hui professeur à l'Ipesup, elle est l'auteur de plusieurs manuels de philosophie chez Hatier et Belin. Nous vous conseillons son excellent blog hansen-love.com ainsi que ses contributions au site lewebpedagogique.com. Chroniqueuse à iPhilo, elle a coordonné la réalisation de l'application iPhilo Bac, disponible sur l'Apple Store pour tous les futurs bacheliers.

 

 

Commentaires

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