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Sites de rencontres et virtualité

13/12/2012 | par Marc Parmentier | dans Art & Société, Science & Techno | 5 commentaires

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La virtualité tend à l’omniprésence dans la culture contemporaine. Au moment même où les philosophes modernes repoussent les vieux concepts scolastiques auxquels elle appartenait, le mécanisme et le dualisme de l’âme et du corps la réinventent et l’instillent dans une nouvelle philosophie de la perception. Ainsi doit-on qualifier de virtuelle la douleur d’un membre fantôme telle que l’analyse Descartes, selon qui, de manière plus générale, une douleur n’est pas ressentie dans le corps mais « comme » dans le corps. On peut aussi qualifier de virtuelle la perception-hallucination d’une chambre parisienne par un homme habitant en Chine, pourvu que le cerveau de ce dernier soit « disposé comme il faut », selon les termes de Malebranche. Leibniz ajoutera qu’une virtualité s’accompagne toujours d’un commencement d’actualisation. Dans tous ces cas, le virtuel n’est pas un réel amoindri, mais un réel augmenté, multiplié, intensifié.

 

C’est bien cette nouvelle virtualité, réinventée au XVIIème siècle, qui donne la clé des échanges sur les sites de rencontres et de l’attrait qu’ils exercent sur un nombre croissant de célibataires (ou non) en quête d’âmes-soeurs. Tout échange commence par être virtuel, et ceci dans un sens très radical. Comme tout le monde le sait, les faux profils, les « fakes », abondent sur les sites,  au point qu’un internaute ne peut jamais être certain de s’adresser à une véritable personne, et encore moins à une personne conforme aux indications sans garantie livrées dans un « profil ». Comment s’expliquent alors les affects puissants, positifs et négatifs, qui s’y donnent libre cours ?

 

Du point de vue affectif, la virtualité aboutit ici, paradoxalement, à une intensification du réel. Aucune bouclier social, aucune convention consensuelle, aucune règle de civilité, aucune obligation de loyauté ne fait obstacle à des échanges très cash téléportant les internautes dans une sorte d’état de nature communicationnel.

La virtualité se traduit également par une démultiplication du possible. Un abonné voit en permanence défiler sur son écran un nombre inépuisable de partenaires potentiels, de sorte qui, si la communication avec lambda ne donne rien, un nombre indéfini d’autres interlocuteurs, au mieux masqués, au pire anonymes, restent disponibles et prêts à s’y substituer. La loi des grands nombres entraîne ici des effets anxiolytiques puissants. Enfin, conformément à la remarque leibnizienne, le virtuel ne reste pas purement imaginaire ou mental. Il s’actualise sous la forme de multiples et minuscules micro-actions (visites de profils, envoi de « flashes »,  de « kiffs », lancement d’un chat, rédaction de messages différés) auxquelles l’abonné est en permanence incité.

 

Les caractéristiques de la virtualité affectent alors la temporalité dans laquelle se déroulent ces passes solitaires et incantatoires. Il s’agit d’une temporalité médiatique dénuée de toute puissance de rétention, un pur kaléidoscope de présents successifs.

L’univers dans lequel l’internaute s’immerge lui fait entrevoir la possibilité d’une communication rapide, aisée, instantanée, d’un présent surchargé de signaux, dont il prendrait immédiatement connaissance, en permanence sollicité par une dense et riche « actualité ». Dès lors, le réflexe commun au téléspectateur et à l’internaute ne peut être que le zapping. C’est d’abord par les caractéristiques temporelles de son vécu que l’internaute est plongé dans un univers virtuel. Il partage ainsi le sort des spectateurs quotidiens du JT ainsi que des adeptes des jeux vidéo. De même qu’un joueur est incité à enchaîner indéfiniment les parties, de même un internaute, face à une communication bloquée ou trop lente, peut y mettre fin, la zapper, et rechercher aussitôt un nouveau canal. Par cette opération la communication précédente sera gommée, elle ne gardera même pas assez de teneur pour constituer un passé, puisque l’internaute, dans son devoir de disponibilité perpétuelle, tient à ne pas en avoir. Celui-ci ne peut renvoyer qu’à des déboires antérieurs, aux échecs, aux ruptures, aux déceptions de la vie ordinaire, toutes choses que l’internaute met entre parenthèses dans l’acte même de se connecter à un site de rencontres. Paradoxalement, la temporalité virtuelle dans laquelle il évolue présente toutes les caractéristiques de ce que les médias s’ingénient à baptiser « temps réel ».

 

Marc Parmentier

Agrégé en philosophie et ancien élève de l’École Normale Supérieure, Marc Parmentier est maître de conférences en philosophie à l'Université Charles de Gaulle Lille 3, membre du laboratoire CNRS "Savoirs, textes et langages". Il a publié en 2012 chez Ellipses Philosophie des sites de rencontres, ainsi qu'en 2008 au Presses Universitaires de Paris-Sorbonne Leibniz-Locke, une intrigue philosophique, les Nouveaux Essais sur l'entendement humain.

 

 

Commentaires

« Paradoxalement, la temporalité virtuelle dans laquelle il évolue présente toutes les caractéristiques de ce que les médias s’ingénient à baptiser « temps réel ». » Belle pirouette !

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