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Ukraine, un chemin étroit entre romantisme révolutionnaire et prudence politique

21/02/2014 | par Alexandre Terletzski | dans Monde | 7 commentaires

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Cela devient une habitude de notre philosophe national, Bernard-Henri Lévy, d’associer la grandiloquence de ses mots aux conflits que le monde connaît. Libye, Mali, Syrie et maintenant Ukraine. Il manie une poétique binaire où les gentils sont gentils et les méchants sont méchants, poétique qui ne peut à la fin qu’exacerber les haines. Son dernier discours sur la place Maidan est en ce sens caricatural. BHL est trop extrême dans ses agitations pour que l’on puisse en faire un cas général, mais remarquons une tendance occidentale à un certain romantisme révolutionnaire, que l’on avait déjà perçu lors des Printemps arabes. Or, dans cette exaltation qui met pourtant en scène de belles passions pour de justes combats, certains, au premier rang desquels BHL, semblent oublier la vertu de la prudence vantée par Aristote, d’autant plus essentielle lors des conflits armés qu’il en va de la vie de civils. Tout est là : les Ukrainiens comptent leurs morts.

Michel Eltchaninoff, de Philosophie Magazine, remarquait hier avec justesse sur Arte que le régime de Ianoukovitch avait adopté la stratégie des russes en Syrie : l’exaspération. En provoquant systématiquement les manifestants, le régime compte sur la réaction de ces derniers pour justifier ensuite le recours aux armes et encourager les dissensions au sein de l’opposition. Dans le contexte d’une Ukraine surarmée, pays où le trafic d’armes né de la dislocation du bloc soviétique fait florès depuis les années 90s, une telle exaspération entretenue par le régime pourrait s’avérer tragique. L’exaltation romantique, quelles que soient la pureté et l’honnêteté des sentiments agités, pourrait in fine alimenter plus encore la prophétie de malheur que le Kremlin souhaiterait faire se réaliser. N’oublions pas que cette stratégie a malheureusement fonctionné en Syrie ! Ce qui pourrait advenir se ferait au détriment du peuple ukrainien, qui ne veut certainement pas d’une guerre civile, sur le modèle de l’explosion de l’Ex-Yougoslavie. Cette stratégie de l’ « exaspération » devrait plus encore encourager la recherche de la prudence.

Les opposants EuroMaidan ont largement changé de visage depuis trois mois. Sans entrer dans la polémique sur la présence de l’extrême-droite néonazie sur les barricades, qui semble visiblement être très faible par rapport  à la masse immense des démocrates, les revendications des opposants semblent avoir basculé de la question européenne à celle, plus interne, de la corruption et de l’autoritarisme du régime de Ianoukovitch.

Ce basculement d’un point de vue international à un angle intérieur pourrait faciliter la voie d’une solution politique, car la rivalité Est-Ouest pourrait ainsi plus aisément s’estomper. Et c’est cette fois-ci notre diplomate national, Dominique de Villepin, qui, sur Europe 1, a démontré avec brio les conditions de possibilité d’une telle solution politique. Illustrant parfaitement la vertu politique de la prudence, il a rappelé ce qui distingue l’action du citoyen de celle de l’homme de l’Etat : «  La conscience du citoyen se soulève. L’homme d’Etat ne doit pas se satisfaire d’un mouvement de conscience : il a le devoir d’éviter un nouveau bain de sang et une guerre civile ». La prudence de l’homme d’Etat se situe dans la retenue de gestes démesurés qui rompraient le dialogue. Le geste par excellence qui ne répondrait pas assez à la prudence politique serait le bras de fer, stérile, avec la Russie, comme lorsque Bernard Kouchner a appelé à un boycott des jeux de Sotchi. Au contraire, Dominique de Villepin, rappelant les données économiques en jeu, de préciser qu’« une partie importante de la solution se trouve à Moscou ». C’est dans la ligne diplomatique de la prudence qui se concrétiserait par un dialogue constructif entre l’Europe et la Russie que le clan Ianoukovitch pourra être privé de son pouvoir, sans pour autant que l’Ukraine soit contrainte de passer par un changement brutal de régime, dont le peuple risquerait de subir les retombées. Des élections présidentielles anticipées et l’affaiblissement de Ianoukovitch au Parlement de Kiev sont des premiers signes encourageants, dans l’espoir que les Ukrainiens puissent compter leurs voix et non plus leurs morts.

 

Alexandre Terletzski

Ancien professeur de philosophie, formé à la Sorbonne, descendant d’une famille d’Odessa, Alexandre Terletzski a longtemps enseigné la philosophie en lycée. Suivre sur Twitter : @Terletzski.

 

 

Commentaires

Bravo ! De la tempérance et de la modération devant l’effroi de cette centaine de morts sur la place Maidan … Les dernières nouvelles – élections présidentielles anticipées et retour à la Constitution de 2004 – sont une première grande nouvelle pour l’Ukraine !

par P.A. Vallini - le 21 février, 2014


Totalement d’accord avec votre analyse : en la matière, toute  » posture  » aboutissant à jeter de l’huile sur le feu est irresponsable . Dominique de Villepin a bien assimilé son Machiavel lorsqu’il rappelle :  » L’homme d’Etat ne doit pas se satisfaire d’un mouvement de conscience : il a le devoir d’éviter un nouveau bain de sang et une guerre civile  » . En l’occurrence, le voyage à Kiev des ministres des Affaires Etrangères de la France, de l’Allemagne et de la Pologne semble avoir été bénéfique…et devrait rappeler aux Français, trop sceptiques, l’intérêt de l’Europe ! Un seul regret : que Laurent Fabius n’ait pas poursuivi le job, en partant pour Moscou plutôt qu’en Chine.

par Philippe Le Corroller - le 21 février, 2014


Tout a fait d’accord, a l’heure des commémorations du déclenchement de la guerre 14-18 profitons en pour réfléchir sereinement a l’avenir de l’Europe, et de la Russie , et surtout ne pas faire croire qu’as l’ouest tout est parfait !

par Salengros - le 22 février, 2014


La méconnaissance générale de l’histoire de la révolution française et de celle de 1848 explique ce romantisme révolutionnaire, compréhensible en Ukraine et inexcusable à Paris. Une révolution n’entraîne jamais tout un peuple, charrie son lot de déceptions et fait rapidement place à une remontée de le requête d’ordre. Il faut donc vite trouver une solution praticable actant ce qui doit l’être. Et en l’espèce éviter l’éclatement de l’Ukraine. Un papier salutaire !

par Jérôme Grondeux - le 23 février, 2014


La lecture de cet article dix jours après sa publication plaide en faveur de votre discours villepinesque. Quel grand diplomate décidément ce Dominique ! Et quelle tristesse de voir la montée aux extrêmes qui ne cesse aujourd’hui de pointer son nez … Et l’impuissance de L. Fabius !

par Hani Salaam - le 5 mars, 2014


[…] puissent compter leurs voix et non plus leurs morts ». C’est ainsi que je terminais mon précédent article sur la situation en Ukraine, par des mots d’optimisme, quelques heures seulement avant l’accord du 21 février entre […]

par iPhilo » Ukraine : la nécessité d’un retour à la diplomatie la plus élémentaire - le 20 mars, 2014


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