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Le jugement, le discernement et l’amour : de l’entêtement à l’abandon

21/02/2015 | par Alexandre Panetto | dans Art & Société | 5 commentaires

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Le jugement, voile de l’habitude

Il est amusant d’observer au quotidien nos contemporains s’ennuyer de ou être contrariés par tout un tas de choses insignifiantes. Il nous arrive également de ressentir les mêmes tracas. Faut-il y voir une fatalité ? Les hommes sont-ils voués à subir la vie plutôt qu’à la vivre ? Il semble déjà que si ce qui tracasse l’autre m’est égal, indifférent, ce n’est que parce que je n’y participe pas, que c’est son affaire, qu’il est tout en elle. N’est-ce pas qu’il s’attache à son occupation, qu’il se préoccupe tant des conséquences sur le cours de sa vie comme si elle dépendait de celles-ci, des petites choses ? Il est facile d’en juger comme de pointer une certaine suffisance dans ce propos. Mais ce n’est là qu’apparence. En effet, ce qui nous touche nous perturbe et ce qui nous perturbe nous touche, sans autre mesure. Il y a là une vérité à éclaircir. Par exemple, une bousculade à l’abord d’un train: chacun est trop occupé à prendre « sa » place, plutôt qu’une dont on se contenterait aisément, car chacun à ses habitudes, son idée de la « bonne » place selon qu’il est chargé de bagages ou non, qu’il a besoin d’un plateau pour travailler ou non, etc. ; bref, il faut urgemment monter dans le wagon de manière à se placer où l’on souhaite… Et le train est parfois bondé, les wagons trop peu nombreux ! Que remarquer dans cet exemple ? D’abord que chacun ne cesse de juger la réalité qui se présente : personne n’est naïf et ne découvre le train, le monde et les contraintes qui ont tôt fait d’être reconnues. Ensuite que ce jugement n’est que le résultat de l’habitude : une fois suffit souvent pour éviter le désagrément déjà vécu. Enfin que ce jugement est mêlé à l’émotion ou au (re)sentiment : « il fait froid, dépêche-toi de monter au chaud » ; « il est en retard déjà, ne traîne donc pas de peur qu’il s’en ajoute encore » ; etc. Aussi constatons qu’il n’y a pas de réalité sans jugement. Or la réalité n’est pas le jugement, même si elle m’apparaît telle que je la juge : elle n’est que ce que nous nous en représentons, pensons-nous. Il faut y revenir : personne ne vit la réalité telle qu’elle est. Pourtant, il est facile de comprendre que la réalité et le jugement que nous en avons sont deux choses différentes. Sinon pourquoi tant de prudence pour s’en protéger ? Ainsi les habitudes sont nos repères, nos assurances-vie. Et il n’y a rien à redire : « après tout, je suis bien comme ça ». Néanmoins, il ne faut pas se méprendre. Le jugement est réfléchi. Au départ, peut-être ; peu, voire point, ensuite. Le propre de l’habitude est celui du préjugé : à juger une fois pour toutes, nous pensons inutile d’y revenir. Nous constatons tous cela, si nous évitons la mauvaise foi. En effet, nous croyons qu’il suffit d’une expérience pour connaître, d’une sensation ou d’un sentiment pour comprendre, d’un jugement« vite fait, bien fait » pour discerner ce qui est utile et inutile, juste et injuste, etc. Par exemple, il suffit de goûter un aliment pour« se faire une idée » alors que, cuisiné différemment, il pourrait être meilleur. Constatons ce comportement : arrêtons-nous dessus ; il n’est autre que l’assurance de ce que nous livre les sens à travers le prisme du jugement logique. Or le jugement qui s’assure des sens n’est pas le plus vrai, il est le plus confortable : « les apparences sont trompeuses », nous le savons tous et pourtant nous nous confortons en elles ; telle est l’effet de la répétition, autant dire de l’entêtement ! C’est que la raison n’est qu’une expérience désincarnée, un sentiment abstrait, mais qui prend son origine dans la sensation, dans la mémoire de celle-ci disait Hume. Cet empirisme primitif est bien ancré en chacun nous. Car, même un rationaliste du dimanche ne trouve rien à redire : « après tout, la raison sait bien qu’il n’est pas opportun d’aller plus loin, que s’élever de la sensibilité n’empêche point de souffrir et surtout de convenir à l’ordinaire ». L’ordinaire…n’est rien d’autre qu’un préjugé. Juger à partir d’un bon sens primitif, d’une apparence probable, suffit. Ce n’est qu’un contresens du cartésianisme mais chacun s’en accommode : « le bon sens est la chose du monde la mieux partagé », sauf que Descartes ne signifie pas une rationalité sensitive ou une sensation rationalisée ; Descartes doute des sens et de leurs préjugés ;il affirme l’abstraction de la raison comme fondatrice de la sensation, du sens de la sensation, de sa signification. Bref, nous sommes tous humiens en croyant être cartésiens : quelle ironie !

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Le discernement fait tomber les masques

Nous confondons le jugement et le discernement : l’un suit les sens, souvent s’y réduit ; l’autre n’est pas tant rationnel qu’à-propos. Discerner est un acte de l’esprit, de la conscience. Juger est un acte de la raison ; il peut être a priori. Et nous croyons que juger est un acte du sentir. Or lorsque nous sentons nous sommes directement relier à la vie. Juger n’est alors qu’une façon de nous couper de la vie afin d’avoir un recul pour l’observer, l’analyser et, surtout, agir ; un jugement a posteriori n’est pas tant relié à la vie qu’à l’idée qu’on s’en fait pour l’action. Par exemple, je vois une personne me sourire dans le tramway ; si c’est une fille, il ne faut pas une seconde pour que l’idée que je lui plaise me traverse ; si c’est un homme, je me dis qu’il est heureux, peut-être pense-t-il à une fille ! De là les maladresses de nos comportements. De toute façon, « se dire quelque chose » est inévitable. Or c’est là le problème du jugement. Il se fait spontanément préjugé. Certes, il reste possible de se reprendre et de rire de ses propres élucubrations. Le mental aime ruminer ; vous aimerez en rire ! Toutefois, il existe le discernement qui n’est pas d’abord mental mais intuitif ; il est plus complexe à mettre en œuvre, même si certains sont prédisposés. Il y a là une subtilité qui fait bondir les philosophes. Le discernement n’est pas tant une faculté acquise qu’innée. Or elle permet la saisie immédiate de la vérité comme de la réalité. Aussi le discernement est-il sagesse. Epictète ne parle pas de jugement lorsqu’il invite à distinguer ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas : il demande de faire preuve de discernement sur les jugements, c’est-à-dire les représentations que sont les pensées, les désirs et les aversions, les impulsions. Il est remarquable qu’un homme, si sage soit-il, propose de maitriser ses impulsions : ne sont-elles pas innées ?! Et il ne suffit pas de s’entrainer, s’exercer au point de s’accoutumer à ne plus les ressentir. Car, elles proviennent également du corps. Or le corps ne dépend pas de nous. Quel est ce paradoxe ? Serait-ce une erreur de jugement ? Peut-être. L’impulsion est une forme de jugement spontané ; elle sert à la survie. Pourquoi Epictète la considère-t-il comme ce qui est nous est propre ? Simplement parce que la survie s’oppose à la crainte de la mort. Et la mort n’est pas à craindre : elle est inéluctable ; il faut savoir s’en détacher ; Sénèque la maitrisera. Ce n’est pas anodin. Car, survivre n’est rien d’autre que de s’opposer directement à la mort qui risque de frapper ; la vie est un luxe, celui d’une mort possible mais qui ne menace pas immédiatement l’action. Ainsi un reflexe est-il une impulsion maitrisable. Sans quoi le suicide serait impossible. Epictète révèle subtilement que le discernement fonde la maitrise de soi, la sagesse, qu’elle soit ataraxie ou apathie ; elle est d’abord l’action conforme à l’ordre naturel des choses. Le discernement est donc le fondement de toute pensée et de toute tendance, malgré la propension à croire le contraire, pour agir. Ce qu’il faut expliquer. Le jugement remplace et masque le discernement à cause de l’habitude de son non-usage : moins nous discernons plus nous jugeons spontanément (parfois de façon plus réfléchie) et agissons maladroitement ; le philosophe croit ainsi que son jugement réfléchi suffit à distinguer (parfois peut-être) le vrai du faux, le juste de l’injuste et l’utile de l’inutile. Mais en réalité, ces valeurs ne sont que des représentations de la réalité. Or le discernement saisit intuitivement la réalité. C’est pourquoi le sage est un converti. Il ne raisonne plus ; il n’est plus apprenti stoïcien ; il agit en stoïcien, en sage. Il a accepté la réalité au point d’en être l’incarnation. Discerner n’est pas juger mais intuitionner ce qui est au-delà du jugement. Le sage aime la réalité, il ne la juge point, il la vit ; bref, son action est une avec sa pensée.

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L’entêtement ou le combat incessant

Enfin l’entêtement est l’exact opposé du discernement. Ce qui conduit à toutes les maladresses, les propos ou attitudes qui ne conviennent pas à la situation. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer une classe dans l’interaction professeur-élèves. L’enseignement cristallise nombre d’inconséquences existentielles avant d’être des difficultés pédagogiques et des problèmes socio-affectifs. Il offre ainsi un cadre d’étude socio-anthropologique intéressant.  Il est fréquent qu’un élève prenne la parole de façon inopinée, c’est-à-dire sans la demander et sans interroger mais en objectant une opinion. Le professeur peut réagir de plusieurs façons : il peut rappeler qu’il convient de« lever la main » afin de ne pas l’interrompre, il peut répondre à la seule signification de la parole ou en tenant compte de l’intention supposée de l’élève. Or les élèves méjugent souvent, lorsqu’ils n’ignorent pas, l’intention qu’il mette dans leur participation ; le professeur n’y échappe pas aussi, au sens où il peut projeter une intention inexistante. Mais le constat demeure : chacun se méprend sur les intentions de l’autre dans la mesure où chacun se prête un rôle qui n’est pas reconnu ou qui mal perçu ; autrement dit, chacun s’entête à vouloir le dessus, d’une façon ou d’une autre. Aussi un élève objecte-t-il sans cesse par défiance de l’autorité et qui, de fait, n’en veut même pas au professeur auquel il s’adresse, mais reste esclave de son ressentiment quant au corps institutionnel auquel celui-ci appartient et représente ; aussi un professeur s’énerve-t-il des questions idiotes de ses élèves qui ne les poseraient pas s’ils avaient simplement écouté ce qui avait déjà été dit ou s’ils avaient pris le temps de réfléchir un minimum ; etc. Le discernement ferait ainsi comprendre au professeur qu’enseigner se fait toujours avec bienveillance et qu’il faut se refuser à l’impatience comme à l’impulsion, qu’il est préférable de répéter en prenant soin de préciser, si besoin, et d’associer à sa parole un visage serein et un geste pragmatique comme écrire au tableau la consigne, le titre ou le vocabulaire. De même, un élève ferait preuve de discernement s’il était patient et attentif à ce qui est répété ou reformulé pour tous, s’il acceptait que le professeur s’adresse à tous en général plutôt qu’à lui en particulier, s’il comprenait que le propos enseigné n’est pas une opinion personnelle mais un savoir interpersonnel dont l’objectivité est globalement éprouvée. Mais chacun s’entête et campe sur ses positions. Nous devrions nous rappeler (ou déjà prendre conscience) que personne n’a raison, ou plutôt que personne n’a raison seul au détriment d’autrui ; ce que l’élève ignore en croyant que le professeur a raison parce qu’il est professeur et lui, l’élève ; ce que le professeur refuse parfois par mauvaise foi (il refuse de perdre la face, d’en savoir moins qu’un élève, alors qu’il oublie que ce n’est que sur tel ou tel point spécifique et que globalement, il est plus connaissant que lui). Le savoir n’appartient absolument à personne : il est le résultat d’un dialogue ; telle est la leçon de Socrate, que nous oublions dès qu’il est possible de s’imposer à l’autre, de le dominer d’une façon ou d’une autre. Or les élèves comme les enseignants n’y échappent guère : chacun à son entêtement, son arrogance, (in)digne protection des blessures d’humiliation, de rejet, de trahison et d’abandon que tout le monde a subi à sa mesure au cours de son existence, souvent à l’école précisément. Faire preuve de discernement consisterait donc à mettre de côté son ego et ses blessures, afin d’interagir avec l’autre sans jouer un rôle ou un schéma potentiellement ou réellement victimisant. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire. Etre nous-mêmes face à l’autre consiste d’abord à sortir de ce qui nous aliène. Or l’aliénation est avant tout intérieure : s’entêter n’est rien d’autre que croire aveuglément à ses propres opinions considérées comme absolument valables, pour ne pas écrire « vraies ». Ainsi, lorsque nous nous opposons à l’autre au point d’en faire un ennemi et de combattre ce qu’il représente (et non ce qu’il est) à nos yeux, nous entrons en conflit avec nous-mêmes, c’est-à-dire avec cette part que nous détestons en nous-mêmes parce qu’elle se joue et résonne avec l’autre, qu’elle révèle notre vulnérabilité ; aussi l’autre n’est-il que le reflet de notre souffrance, d’une blessure que nous n’avons pas guérie. C’est là un point essentiel de toute relation à autrui en ce qu’il détermine tout rapport socio-affectif, socio-professionnel et intime : chacun joue au tout-puissant parce qu’il refuse propres ses faiblesses. Il s’agit d’un mimétisme inconscient, ce que Girard nomme « mécanisme mimétique du désir » : ce qui se joue au travers du désir de l’autre est ce qui s’affronte en déjà moi. L’envie et la jalousie sont sans doute les désirs les plus egocentriques et les plus clairement en jeu dans la plus part de nos rapports à autrui. L’élève jalouse par exemple les libertés de l’enseignant qui, lui, envie parfois l’absence de responsabilité de son élève. Dépasser cet état de fait n’est possible qu’à partir d’une redéfinition de la relation interpersonnelle, éducative (et autre).

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L’abandon, porte vers l’amour

L’entêtement trouve sa sublimation dans l’abandon. Il est inutile de combattre. S’entêter n’est qu’une bataille perdue d’avance ; et tous y perdent. Ce qu’on refuse d’admettre dans l’éducation est l’inanité de toute confrontation. Combien de débats débouchent-ils sur le sens véritable d’une position et non la simple opposition de thèses, fussent-elles pertinentes ? Le débat n’est pas apte à la réflexion car, il se réduit à la joute plus ou moins sophistique, voire au simple combat d’ego. Or réfléchir suppose de savoir se décentrer, d’éviter de chercher à avoir raison. Il n’y a qu’une seule solution qui soit simple : rendre les armes ; refuser le combat. Il est amusant de constater comment un adversaire est démuni si l’on refuse de combattre ; il sait qu’il n’aura aucune gloire à vaincre sans résistance. Et c’est là l’essentiel. Il s’agit de décontenancer sa superbe afin de pouvoir ouvrir un espace de dialogue. Socrate maniait l’ironie. Elle n’est pas toujours comprise malheureusement. Il n’y a pas de clé universelle pour ouvrir au dialogue. L’humour reste perspicace ; mais comme l’ironie, elle suppose l’autodérision de ceux à qui elle s’adresse. Ce point est remarquable : nous rions d’autant plus qu’il s’agit de nous lorsque nous avons conscience qu’il s’agit d’un problème soluble. Pourtant, nombre d’humoristes se moquent d’autrui sans faire écho à leurs propres travers : ce sont heureusement les moins populaires. L’éducation manque d’humour. Sans doute parce que les enseignants en manquent et qu’ils ne sont pas là pour rire mais instruire. Comme si le savoir était par essence sérieux ou, plutôt, grave. Quel sage ne riait pas, ne s’amusait de lui, de ses amis, de ses rencontres, de la réalité même ? Il faut abandonner cette représentation dramatique du savoir et de l’école. Il faut l’abandonner. Comme il faut abandonner le désir d’avoir raison : sans quoi rien de neuf ne sera possible. Certains voudront échapper à la nouveauté comme ils ont critiqué ledit « pédagogisme ».Mais l’école n’est jamais que l’espoir qu’elle porte : contrairement à Arendt, la tradition n’est pas ce qui définit l’école ; la culture sans doute, mais l’école, non, du moins en partie seulement. L’école est surtout ce qu’en font les acteurs, élèves comme enseignants. Or toute tradition est passéiste. S’ouvrir à l’autre, à la différence, c’est accueillir le renouveau du présent, avoir confiance en la créativité des échanges interpersonnels afin de devenir auteur d’une pensée. La tradition n’est qu’un socle sur lequel construire signifie parfois détruire des dogmes. Or l’école aujourd’hui ne veut pas certains de ses savoirs et ne les rectifie que rarement. Certes, l’école n’est pas la science mais il conviendrait qu’elle en retrouve l’humilité. Combien d’états de recherche sont-ils rendus possibles dans l’enseignement actuel ? Etrangement, l’école n’est que transmission de savoir prêt-à-penser et à-porter : l’érudition reste la figure symbolique ; qu’en est-il du philosophe ? De celui qui cherche la sagesse parce qu’il aime non pas connaitre mais se détromper, afin de vivre la réalité. L’école actuelle a un défaut majeur : elle refuse l’erreur. Car, l’erreur est pénalisée ; la note n’est que le reflet d’un devoir mesuré à l’aune de ses erreurs ; plus il y en a, plus elle est basse. Cette représentation conduit à l’inégalitarisme. C’est pourquoi il est urgent de comprendre ce qu’est le dialogue qui constitue le fondement de l’interaction éducative digne d’enseigner comme d’instruire. Nous avons déjà expliqué que l’arrogance n’est qu’illusion de raison et de savoir. C’est qu’elle n’est désarmée que par l’abandon à l’altérité, qui s’effectue à travers la confiance en l’échange interpersonnel et la bienveillance partagée, afin d’accueillir la différence et construire la vérité ensemble. S’abandonner à l’autre, lui rendre les armes et montrer que nous tenons plus à lui qu’à ce qui est dit, que penser devient possible si chacun d’entre nous accrédite l’autre de la vérité, qu’il n’y a de raison que partagée, que réfléchir signifie s’ouvrir à nous par la conscience de l’autre, enfin que donner à l’autre ce que nous sommes de meilleurs est un cadeau avant d’être un devoir dont l’exemple éducatif ne saurait se passer. Reprenons, l’éducateur est un exemple, certes ; l’élève aussi. Combien d’élèves montrent l’exemple qu’apprendre est épanouissant, sans être moqués ou survalorisés à leurs dépends parce que leurs camarades sont jaloux ? Combien d’élèves et d’enseignants reconnaissent la beauté d’apprendre ensemble plutôt que se battre, s’affronter intellectuellement, verbalement et parfois physiquement ? Il n’y a de beau spectacle éducatif qu’en tant que chacun reconnaît qu’il peut en faire partie et, par là, se refuse à s’exclure par un comportement arrogant, intolérant ou provocateur qui, de fait, l’enlaidirait. Ainsi naitrait l’amour humaniste.

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Dans l’éducation, la responsabilité est toujours partagée, sans quoi chacun risquerait de s’éloigner de la vérité comme de la beauté. Souvenons-nous que, pour les Grecs, dont Socrate et Platon sont les éminents exemples, contempler le bien, le vrai et le beau n’est autre que« se faire temple » pour les accueillir et épanouir leur éclat : le chemin éducatif qui y mène se fait ensemble et jamais seul. N’attendez pas des autres qu’ils vous le montrent : cheminez vous-mêmes pour être digne de votre singularité. Soyez l’exemple de beauté, de vérité et de vertu (respect, tolérance, ouverture d’esprit, etc.) que vous aimeriez rencontrer. Tel pourrait être le sens sacré de l’éducation.

 

Alexandre Panetto

Diplômé de l'Université Lyon-III, professeur certifié de philosophie, Alexandre Panetto enseigne en classes de lycée.

 

 

Commentaires

Un très beau message, porteur d’humanisme (on pense à Gargantua et Ponocrates) et surtout très inspirant!

L’abandon comme sublimation de l’entêtement, cela fait penser au « Non-Vouloir-Saisir » de Barthes à la fin des Fragments d’un discours amoureux.

Aux professeurs de montrer cette magnifique voie à leurs élèves!

Vive la France et vive la République!

par Jérémie Beucler - le 21 février, 2015


En somme , si je vous ai bien compris , rien ne se fait de grand sans ténacité , mais l’entêtement est souvent le signe de la bêtise . Quant à l’intuition , c’est la forme première de l’intelligence . Enfin , l’école peut s’avérer une formidable occasion d’épanouissement . Que voilà des révélations bouleversantes ! Je sens que ma vie va changer , maintenant que vous m’avez ouvert les yeux .

par Philippe Le Corroller - le 22 février, 2015


Philippe Le Coroller: votre message est tellement plus utile 🙂

par Pudding Cloche - le 1 mars, 2015


Cela m’a rappelé quelques passages d’Alain, et surtout fait penser à ces élèves (j’enseigne la philosophie en terminale) qui s’étonnent que je ne prenne pas mal certaines remarques venant de certains d’entre eux: on peut bien accepter de se faire « rentrer dedans  » quand on sait qu’il y a là d’abord de la maladresse, et puis on est bien là semble-t-il pour les aider à voir plus clair dans leurs propres pensées,et nous dans les nôtres au risque de se méprendre parfois .Il est vrai aussi que les élèves eux-mêmes sont parfois désarçonnés quand on essaie de faire preuve d’un peu d’humour (dernier exemple: sur un propos de Kant nous rappelant que décidément les hommes tenaient trop souvent à la vie plus par inclination que par devoir…j’avais tendance à y voir un sommet sans doute involontaire d’humour )
Merci pour le plaisir procuré par ces quelques éclaircissements.

par brizot david - le 10 décembre, 2017


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