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Le paradoxe du prochain et le paradoxe du citoyen

13/06/2015 | par Catherine Kintzler | dans Politique | 3 commentaires

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Pour penser la cité, il importe de distinguer entre lien social et lien politique. Le citoyen ne se pense pas en termes de proximité, et c’est précisément parce qu’il est pensé en termes d’éloignement qu’il s’agit d’un concept concret et efficace. Cette idée entraîne deux paradoxes symétriques : le paradoxe du prochain (sensible et abstrait), le paradoxe du citoyen (idéal et concret). Elle peut en outre éclairer deux questions aujourd’hui débattues : celle de l’éducation morale et civique à l’école publique, et celle des « statistiques ethniques » pudiquement rebaptisée « mesure de la diversité » – comme s’il n’y avait pas plus divers qu’un citoyen comparé à un autre citoyen, et comme si la diversité devait nécessairement désigner des groupes (patchwork) et non des individus (melting pot).
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Lien social, lien politique

Rappelons d’abord que le lien social et le lien politique, pour être corrélatifs, n’en sont pas moins distincts. L’un se forme par imprégnation et proximité, l’autre par éloignement et intellectualité ; l’un suppose des origines et l’autre a besoin d’un commencement. Dans le bain coutumier, l’enfant trouve à la fois racines et repères ; il acquiert des mœurs. Cette indispensable socialisation peut disposer à l’association politique, mais elle ne la construit pas parce que le lien politique ne relève pas de la spontanéité sociale : il ne se constitue pas, mais s’institue, il ne relève pas des mœurs mais d’une moralité, il ne dérive pas de sentiments, mais de principes.

Prenons un exemple. Sans doute l’égalité n’aurait jamais vu le jour sans la rivalité et la jalousie originaires qui règnent entre les frères et qui les conduit à la raison calculatrice du bon partage de l’amour maternel : « puisque je ne puis l’avoir exclusivement, alors que l’autre n’en ait pas plus que moi ! ». Mais l’égalité des droits qui règne dans la cité suppose une rupture avec ce ressentiment dont elle s’est pourtant d’abord nourrie : « que chacun exerce pleinement ses forces et ses talents, pourvu qu’il ne nuise à personne ! ». Par cet exemple se mesurent à la fois la distance et la relation qui articulent la pitié et la solidarité, la charité et la justice, la fraternité de sentiment et la fraternité de principe. La relation est de l’ordre de la genèse, de l’origine ; la distance relève du commencement, de ce qui est requis de façon nécessaire et suffisante pour penser un concept. Pour retracer l’origine de l’égalité des droits, il faut remonter au tissu social. Pour en expliquer l’intelligibilité, il faut commencer par penser la personnalité juridique.

La limite constitutive du lien social se révèle à travers son mode de formation : c’est d’une identification (qui suppose aussi et nécessairement la différence) que le processus s’autorise, formant ce qu’on appellera des communautés (moi et les miens). L’identification est ici un processus de collection, elle invite à s’identifier aux caractères d’une collectivité.

Pour qu’un lien politique fondateur de la cité apparaisse, il ne suffit pas d’élargir ce mouvement initial sans en modifier la nature ; il faut aussi s’en écarter et l’élargissement qui résulte de cet écart n’est pas réductible à une simple extension. Une république au sens moderne du terme n’est pas une communauté, ni même une communauté élargie – car un tel élargissement suppose toujours l’identification de collection à son principe – ni même une communauté de communautés qui se contenterait de juxtaposer les groupes, ce qui revient à maintenir une forme de séparation. Une république ne réunit pas des proches en vertu d’une commune appartenance, elle ne réunit pas non plus des collections identitaires. Son principe n’est autre que la distinction du citoyen qui, pour être indépendant de tout autre, produit la chose publique en même temps qu’il y consent. Une république réunit des singularités et n’a d’autre fin que la liberté de chacune d’entre elles : c’est à cela que se mesure son élargissement universel et c’est cette fin qui rend ses citoyens solidaires sans exiger d’eux une forme de similitude.

L’identité comme citoyen est donc à l’opposé d’une identification à une collection : elle invite chacun à inscrire sa singularité au régime du droit républicain qui lui garantit notamment l’indépendance à l’égard de tout autre. La diversité y est de principe : celle-ci ne s’y décline pas grosso modo de façon statistique par la distinction de groupes sur des critères descriptifs (couleur de la peau, religion ?) ou sur des sentiments subjectifs d’appartenance, mais au contraire elle érige chacun en sujet singulier. Il n’y a donc rien de plus « divers » qu’un citoyen comparé à un autre citoyen : c’est précisément cette reconnaissance de leur singularité – qui se déploie grâce à des droits identiques pour tous – qui les rassemble.
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Prochain et citoyen : deux paradoxes symétriques

Ainsi on parvient à un paradoxe. La suspension possible du lien social n’est pas étrangère à la pensée du lien politique. Si chacun peut appartenir à une communauté, il faut aussi que chacun puisse s’y soustraire ou s’en abstraire pour se penser comme citoyen, c’est-à-dire comme singularité de droit.

Ce noyau paradoxal engendre deux paradoxes symétriques que l’on peut introduire en opposant deux formes de séparation. Se fonder sur une appartenance préalable (le lien social), c’est certes former rassemblement, mais c’est aussi accréditer les séparations identitaires, toujours données de l’extérieur : un tel rassemblement est exclusif. Se fonder sur la séparation du citoyen, c’est certes admettre comme principe une forme de dissolution, mais c’est aussi former une cité qui ne ferme la porte à personne.

Les deux paradoxes apparaissent alors dans leur symétrie. Il n’y a rien de plus immédiatement perceptible et en même temps rien de plus abstrait que « mon prochain » – puisque celui-ci se définit par ses qualités sensibles et que le rassemblement qui en résulte est nécessairement oublieux de celui qui pourrait ne pas avoir ces qualités, c’est un rassemblement qui s’effectue autant par agglomération de ceux qui se ressemblent que par exclusion des autres qui n’ont pas les propriétés requises pour former l’agglomérat. L’abstraction consiste ici à considérer l’humanité en la fractionnant, en s’y rendant aveugle comme humanité. Symétriquement, il n’y a rien de plus intellectuel, de plus idéal et en même temps rien de plus concret que « mon concitoyen » – puisque celui-ci se définit non par des qualités sensiblement présentes, mais par des propriétés juridiques et politiques qui ont pour effet, en s’aveuglant aux particularités, d’inclure quiconque, quelles que soient par ailleurs ses propriétés descriptives. Le concret réside ici dans l’efficacité des droits pour chacun.

C’est ainsi, par exemple, que l’on peut distinguer la tolérance (qui se contente d’articuler des courants de pensée existants actuellement en les reconnaissant positivement, et qui n’est pas incompatible avec une religion d’État) et la laïcité  – qui se fonde sur une thèse minimaliste : l’absence de reconnaissance positive et la suffisance du droit commun fondent la coexistence non pas des courants de pensée existants mais de tous les courants possibles, passés, présents et futurs, ce qui est incompatible avec une religion d’État, même civile. n

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Éducation civique et « diversité » : la barbarie des cœurs tendres

Voilà qui permet de réfléchir, entre autres, sur la question de l’éducation morale et civique à l’école publique et sur la notion de « diversité ».

En effet, même si l’idée du prochain prépare le concept du citoyen et y dispose, elle ne le fonde pas.

« Ils avaient l’idée d’un père, d’un fils, d’un frère et non pas d’un homme […]. De là les contradictions apparentes qu’on voit entre les pères des nations : tant de naturel et tant d’inhumanité, des mœurs si féroces et des cœurs si tendres […] » (Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’origine des langues, chapitre 9, p. 84-85 de l’édition GF, Paris, 1993).

Rousseau résume ici le paradoxe de la barbarie. La tendresse du cœur, si elle forme le terrain de toute sociabilité, ne saurait faire la matière exclusive d’une éducation morale et civique sous peine d’engendrer la férocité des mœurs. Tel est le problème qui se pose à toute éducation, mais que l’école publique ne peut éviter d’affronter sous peine de perdre son lien avec la cité.

La question est d’autant plus aiguë que l’effondrement des liens sociaux est aujourd’hui réel et dangereux. Parce que trop d’enfants, du fait de la précarisation et de la pauvreté, sont privés du plus élémentaire tissu familial et communautaire, jetés sans mœurs et sans repères dans un monde qui ne leur laisse que l’alternative de l’anéantissement ou de l’héroïsme, la tentation est grande de demander à l’école de reconstituer le tissu déchiré en se substituant aux familles et aux communautés défaillantes. L’école en se faisant « lieu de vie », passerait ainsi du statut d’institution à celui de milieu. C’est ce qu’indique entre autres le vocabulaire de proximité et même d’intimité qui envahit l’école et remplit le Bulletin officiel de l’Éducation Nationale depuis une bonne vingtaine d’années à grands renforts de « communautés éducatives », « équipes », « partenaires », etc.

Une telle orientation relève d’une triple confusion.

Confusion sur la nature du lien social, qui ne dérive nullement d’une institution programmatique, volontaire, distincte, renouvelable et récusable, mais d’une fermentation spontanée, permanente, englobante et diffuse.

Confusion sur la nature du lien politique ensuite, qui se verrait alors sacrifié sur l’autel de la société.
Ce n’est pas la réalité sociale – laquelle n’a aucune autorité légitime – qui doit produire le lien politique, c’est au contraire la volonté politique qui doit se saisir des réalités sociales pour les infléchir et les corriger. Bien plus avisée sur ce point sera une politique de l’emploi, de la protection sociale, de la sécurité, de la présence visible et efficace des services publics (bureaux de poste, pompiers, crèches) et d’urbanisation cohérente (encouragement à l’établissement de commerces et d’associations).

Confusion sur l’institution scolaire enfin, qui n’a pas pour fonction de produire du social ni d’adapter à lui, mais d’élever et d’instruire à l’universel humain par le détour encyclopédique. Sous prétexte que trop d’enfants ne maîtrisent pas bien l’oralité d’une langue maternelle, faut-il que l’école se borne au parler nourricier et renonce à toute langue écrite et littéraire ? Sous prétexte de rendre habile au calcul, faut-il renoncer à enseigner la démonstration ? Sous prétexte d’éduquer à l’image, faut-il renoncer à l’alphabet et à la cartographie ? Sous prétexte de faire entendre la prose, faut-il rendre sourd au vers ?

À trop s’intéresser à l’enfant tel qu’il est, on perd de vue l’élève. À trop s’intéresser au prochain, on s’expose à perdre de vue le citoyen.

Il en va de même pour la question de la « diversité », entendue en un sens collectif et statistique. À trop s’intéresser aux ethnies, on s’expose à perdre de vue les droits des peuples politiques formés d’individus souverains (lesquels peuvent librement s’affilier par ailleurs aux appartenances de leur choix). C’est d’un tel court-circuit que procède l’opinion bien-pensante largement diffusée aujourd’hui et qui, on peut le craindre, prétend au rang d’éducation morale et civique. C’est ce même court-circuit qui, voulant cerner les discriminations « au plus près », les érige en collectant les « sentiments d’appartenance » dans des statistiques qui risquent d’avoir les effets séparateurs qu’elles prétendent conjurer. On a vu naguère comment les flots de bons sentiments qui tiennent lieu d’éducation civique ont vite fait de transformer les enfants en dangereux apôtres du lien social, véhicules d’un discours de conformation morale qui les utilise et les aliène. Avec quel zèle ne les a-t-on pas naguère chargés d’un secourable « grain de riz» qui s’est aussitôt transformé en grenade offensive !

Mais un exemple vécu suffira à montrer la nocivité de cette morale à la fois féroce et pleine de bons sentiments, à la fois fusionnelle et séparatrice : alors, que faisant la queue devant un guichet, je faisais observer sans aménité à un resquilleur qu’il devait prendre son tour, avec quelle assurance un adolescent m’a gratifiée d’une leçon d’antiracisme – car l’incriminé était noir ! Cet adolescent sentencieux avait déjà tout compris de l’utilité morale des statistiques ethniques et de l’usage féroce de la « diversité».

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Patchwork
 ou melting pot ?

Oui, des cœurs tendres, bien regardants, qui avant l’homme voient le Noir et le Blanc, le chrétien et le musulman, le mâle et la femelle, les miens et les tiens, et qui, invités à confondre l’humanité avec leurs « potes », sont bientôt sourds au principe même de l’humain. L’impératif de « ne pas toucher à mon pote » se retourne en prescription de s’en prendre à celui qui n’est pas mon pote ! Les rendre hypersensibles au particulier abstrait, c’est les perdre pour l’universel concret, et les transformer en militants d’une nouvelle discrimination qui s’en prend volontiers et sans risque aux amateurs de foie gras, de fourrure ou de corrida, mais qui s’agenouille devant toute iniquité pourvu qu’elle se réclame d’une forme de conscience religieuse ou identitaire.

Gardons-nous de répandre à l’école et ailleurs cette barbare religion civile qui érige en dogmes sacrés le chaleureux lien de sentiment et l’évidence du prochain au détriment du concept d’autrui. Gardons-nous même de faire des droits de l’homme une parole d’Évangile qu’il faut adorer et croire : ce serait oublier que la loi est toujours positive et a besoin, pour être et pour être respectée, d’un minimum d’objectivation, d’extériorité et de distance. On ne sait que trop ce que donnerait une loi, non pas écrite en caractères littéraux, extérieurs et révisables, mais gravée dans le cœur des « braves petits cœurs ».

S’il faut enseigner la morale et le civisme à l’école, n’oublions pas qu’il s’agit d’abord d’instruire et de juger pour accéder aux principes, en effectuant un détour réfléchi et critique : pour avoir de l’esprit, rien ne vaut le passage par la lettre. S’il faut être attentif à l’égalité pour tous et même intraitable sur les discriminations, il ne faut jamais oublier que la racine des discriminations est toujours dans une vision fractionnée du peuple qui le désagrège en coalitions d’appartenance et de non-appartenance : pour former un peuple politique, ce ne sont pas des groupes qu’il faut rassembler et mixer en grosses molécules, mais des individus souverains, atomes irréductibles, libres et égaux – car le patchwork est ici la négation du melting pot. L’institution du citoyen n’a de sens que si elle détourne les cœurs tendres de leur penchant pour les mœurs féroces.

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Article publié initialement sur Mezetulle.fr en mai 2009 puis dans une seconde version en 2015.

 

Catherine Kintzler

Catherine Kintzler est une philosophe française, spécialiste d'esthétique et de la laïcité, née en 1947. Docteur et agrégée en philosophie, elle est professeur émérite de l'Université Lille III et vice-présidente de la Société française de philosophie. Elle est notamment l'auteur de Qu'est-ce que la laïcité ? (Vrin, 2007). Nous vous conseillons son excellente revue numérique Mezetulle, partenaire éditorial d'iPhilo.

 

 

Commentaires

Totalement d’accord avec la lucidité de votre analyse , que je rapprocherais volontiers du texte fameux dans lequel Ernest Renan explique que la Nation est un projet commun . Et certes pas , comme vous le rappelez excellemment , une communauté de communautés . Le monde du travail le sait bien , d’ailleurs : pas de  » discrimination positive  » dans l’entreprise , on embauche quelqu’un car il semble avoir les compétences requises pour le poste . Et peu importe sa couleur de peau , sa religion , ses opinions politiques , etc…C’est comme ça, et c’est très bien comme ça. D’où l’importance , notamment , d’avoir une institution scolaire qui , comme vous l’écrivez ,  » n’a pas pour fonction du produire du social ni d’adapter à lui , mais d’élever et d’instruire à l’universel humain par le détour encyclopédique « .

par Philippe Le Corroller - le 14 juin, 2015


Et encore une fois, on se trouve devant l’insoluble…
Je me suis moi-même engagée dans une démarche, lors d’une soirée, pour défendre l’application des droits de l’homme pour les personnes homosexuelles, à différencier de la défense des droits des homosexuels.
Cette distinction va dans le sens de l’exposé ci dessus.
Mais… il y a une forme de dialectique, je crois, dans la tension entre l’homme prochain, et l’homme citoyen.
Et comme l’équilibre n’existe pas dans notre bas monde, il y a friction, et même… lutte entre ces deux visions, ces deux possibilités pour l’homme du vivre ensemble. Ce conflit, et ces tensions, adviennent du fait que nous vivons dans un monde où, pour se lever le matin, et croquer les Weetabix (ne parlons pas du bacon pour les âmes sensibles…), il faut bien pouvoir se servir de ses dents, et mâcher. Et pour mâcher… il faut avoir EN SOI un minimum d’agressivité…
L’inconvénient du… citoyen, c’est d’être un être… de la cité…et surtout… un principe, pas un être de chair et de sang. Un signifiant, à l’état pur, en quelque sorte. Pas très vivifiant, tout de même. Le Signifiant a d’énormes affinités avec ce mot en 4 lettres, commençant par un « D » que « nous » conspuons, à l’heure actuelle. « Il » est très joli sur le papier, mais il ne fait pas l’affaire quand on invite à dîner.
« Le citoyen » colporte l’organisation sociale de la cité.
La cité… n’est pas la campagne.
Manière de dire que l’homme de la cité, et l’homme de la campagne ne sont pas… égaux, pour employer ce mot dans le sens très restreint qu’il a tendance à prendre dans nos esprits à l’heure actuelle, « égal » étant un substitut signe (et non pas signifiant…) pour « pareil », ou « le même ». (Et oui, évacuer la différence au nom de l’égalité, c’est bien la perversion de l’égalité, dans un monde où la corruption du meilleur devient d’une laideur hideuse.)
On pourrait argumenter qu’une organisation sociale ET politique (pourquoi séparer et opposer les deux ?) privilégiant de manière… totalisante le citoyen (de la ville…) a largement contribué à vider nos campagnes, et détricoter notre sens d’appartenance à nos terres (notre terre…).
C’est possible.
Comme on pourrait argumenter que cette vision totalisante (universelle) est en grande crise à l’heure actuelle.
De toute façon, l’Homme ne vit pas que du Droit, avec un majuscule, bien entendu.
Mettre sa foi (exclusive…) dans le Droit entraîne de sérieux inconvénients que nous récoltons bien en ce moment. Que d’autres ont récolté bien avant nous, d’ailleurs…

par Debra - le 16 juin, 2015


Partageant vos conclusions, j’aurais aimé en partager les prémisses. Elles m’ont paru un tantinet hobbesiennes et la citation de Rousseau, qui ignorait tout ce que nous a enseigné l’anthropologie, ne pouvait atténuer cette impression. D’abord, la concrétude et la proximité du citoyen n’est pas une donnée, mais affaire de circonstances, ou, si l’on préfère, de conjonctures politiques. Par les temps qui courent, je ne me sens nullement lié politiquement à tous mes concitoyens, et la République me semble plus éloignée que jamais. En revanche, la concrétude et la proximité d’autrui est une donnée de la socialité primaire (la dichotomie autrui/prochain me paraît contournée). Le paradoxe le plus paradoxal ne serait-il pas que le prochain soit moins proche que le citoyen, qui peut aussi bien passer pour une abstraction ou un idéal ? L’usage de l’idée d’égalité m’a aussi paru peu dialectique. Cette idée n’est pas une invention des demi-Lumières, comme disait Dom Deschamps. L’héritage était égalitaire dans les familles paysannes d’Ile de France bien avant le siècle XVIII. Ceci ne conforte l’origine de l’égalité que vous donnez qu’en partie. En effet, la rivalité peut aussi bien naître de l’égalité, qui exige sa vérification pour être réalisée. C’est ainsi que le mouvement ouvrier fit de cette vérification sa raison de lutter pendant presque tout le siècle XIX. Enfin, une assertion telle que « son principe (de la république) n’est autre que la distinction (l’isolement?) du citoyen qui, pour être indépendant de tout autre, produit la chose publique en même temps qu’il y consent » me paraît plus lyrique qu’autre chose. Ne prouve-t-elle pas que ce citoyen n’est qu’une abstraction ? A-t-on jamais vu un citoyen produire seul la chose publique et son consentement seul suffire à la maintenir ? Quel avenir du politique si cela est vraiment ? Mais comme je l’ai annoncé, je partage votre conclusion : l’école n’est pas au service de la société, et encore moins des entreprises.

par jean-denis gauthier - le 24 juin, 2015



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