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La France se définit-elle par « une » culture ?

27/01/2016 | par Jean-Michel Muglioni | dans Politique | 8 commentaires

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Ce texte de Jean-Michel Muglioni a été originellement publié dans Mezetulle le 7 décembre 2015.

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La République Française ne se définit pas par « une » culture, par opposition aux sociétés multiculturelles, mais par la citoyenneté, qui est la reconnaissance de principes. Une certaine droite refuse l’idée républicaine et réduit en fin de compte l’identité française au simple rang de folklore, oubliant l’exigence d’universalité qui caractérise nos institutions.
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Bruno Lemaire a fait de brillantes études littéraires, sanctionnées par une réussite aux concours les plus difficiles. Il a écrit notamment Musique absolueune répétition avec Carlos Kleiber (Gallimard, 2012) – Carlos Kleiber chef d’orchestre européen et citoyen du monde. Bruno Lemaire est cultivé. Or dans un débat (1) où Jean-Luc Mélenchon répondait à la représentante du Front National que la laïcité de l’État ne juge pas des cultures et que la France est multiculturelle, Bruno Lemaire l’a interrompu, pour opposer au « modèle multiculturel » la croyance en « une culture française », « culture nationale ». Bref, il opposait au multiculturalisme un monoculturalisme. Or Jean-Luc Mélenchon ne défendait pas un multiculturalisme contraire à l’idée républicaine : il disait que les Français n’ont pas en commun « une » culture, mais des lois et des principes – liberté, égalité, fraternité. Il eut donc beau jeu de dénoncer le « catéchisme d’extrême droite » de son interlocuteur et de provoquer sa colère.

Bruno Lemaire a caractérisé alors la culture française par des grands hommes, de Gaulle, Bonaparte, des écrivains, Montaigne, Hugo, Camus, ce qui n’est pas sans vérité, mais il a répondu à Jean-Luc Mélenchon qui lui demandait si Kant appartient à la culture française : « c’est une culture qui appartient à la culture européenne, ce n’est pas la culture nationale », ou encore : c’est la « culture allemande » et non la « culture française ».

Ce qui m’a remis en mémoire une vieille affaire. Dans un lycée international, les directeurs des sections nationales réunis pour organiser leurs bibliothèques respectives déterminaient quels ouvrages ranger dans la bibliothèque générale. Le directeur de la section allemande demanda Dürer pour la bibliothèque allemande. Le représentant de la section anglaise dit calmement qu’il lui laissait l’art nazi et gardait Dürer dans la bibliothèque générale.

Je ne nie pas l’équivoque du terme « multiculturel » qu’on peut confondre avec « multiculturaliste », d’autant qu’aucune desdites cultures n’est « pure » : toutes sont mélangées, elles sont toutes mêlées les unes aux autres. Je soutiens que toute soumission de la loi républicaine aux exigences d’une culture est inadmissible. En fin de compte, c’est la notion de culture qui est confuse : Bruno Lemaire parlait « d’une » culture et non plus de « la » culture, comme si Montaigne, Hugo ou Camus relevaient « d’une » culture au sens ethnologique du terme. Était-ce ignorance ou démagogie ? Finira-t-il par soutenir qu’Achille appartient à la culture grecque et non à la culture française, et Gavroche seulement au folklore parisien ?

Ainsi ce débat permet au moins de savoir qu’il y a deux camps : d’un côté l’oubli ou même le refus de 1789, de l’autre une certaine façon de lui demeurer fidèle. Au moment où la plupart des partis et des politiques dits de gauche ont renoncé, comme la droite, à la culture – je dis bien « la » et non « une » -, Bruno Lemaire nous force à avouer que la distinction de la gauche et de la droite, même si elle ne correspond pas souvent à la place des députés au parlement, a un sens et permet bien d’opposer deux types de politiques.

Mais il y a peut-être des raisons d’espérer : le refus de la culture n’est pas universel. Je lis ici que le premier ministre italien a annoncé que l’Italie va dépenser à part égale deux milliards d’euros pour sa sécurité et pour sa vie culturelle, jugeant que la réponse au terrorisme n’est pas seulement sécuritaire : « La pensée de l’Italie, qui résonne fortement à travers l’Europe et le monde, est la suivante, dit-il : pour chaque euro supplémentaire investi dans la sécurité, il faut un euro de plus investi dans la culture ».

Lors de l’hommage national du 27 novembre dans la cour des Invalides, on a pu entendre outre la Marseillaise et une chanson française de Barbara, une chanson de Jacques Brel, une suite de Bach et un chœur de Verdi. Faut-il dire qu’il s’agit de culture belge, allemande et italienne, mais non française ?

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(1) Des paroles et des actes, France 2, le 17 novembre 2015.

 

Jean-Michel Muglioni

Né en 1946, vice-président de la Société Française de Philosophie, Jean-Michel Muglioni a enseigné la philosophie pendant plus de trente ans en classes préparatoires, et jusqu'en 2007 en khâgne au lycée Louis-le-Grand. Agrégé de philosophie, il a également soutenu en 1991 une thèse de doctorat d'Etat sur la philosophie de l'histoire de Kant. Il contribue règulièrement à la revue de Mezetulle. Il a signé comme auteur La philosophie de l'histoire de Kant (Hermann, 2e édition revue 2011, 1ère éd. PUF, 1993) et Repères philosophiques (Ellipses, 2010).

 

 

Commentaires

C’est un plaisir sans cesse renouvelé.

par A. Abecassis - le 27 janvier, 2016


 » Toute soumission de la loi républicaine aux exigences d’une culture est inadmissible  » ? On peut l’entendre . En même temps , peut-on nier que notre culture c’est Athènes , Rome et Jérusalem ? Par ailleurs , l’Histoire n’a pas commencé en 1789 , si je ne m’abuse ? Que cela plaise ou non aux bien-pensants , les racines de notre culture sont judéo-gréco-chrétiennes . Et Charles Martel est bien l’une de nos figures tutélaires . Tricher avec ça , c’est se donner bien du mal pour tordre le réel , non ?

par Philippe Le Corroller - le 28 janvier, 2016


P.S. Je ne connais pas Bruno Lemaire . Peut-être parlez-vous de Bruno Le Maire ?

par Philippe Le Corroller - le 28 janvier, 2016


Pourquoi s’arrêter à Athènes Rome ou Jérusalem ?
Il y a également la culture de Égypte antique, des sumeriens si on pousse également.
Il y a eu depuis tout temps des mouvements de population et donc de l’échange multiculturelle.
Il n’y a pas à être nostalgique d’une certaine fausse idée de la France.
Il faut je pense accepter le changement et faire en sorte que le futur soi le meilleur possible.

par Maxime - le 30 janvier, 2016


« les Français n’ont pas en commun « une » culture, mais des lois et des principes – liberté, égalité, fraternité. » Certes on ne peut qu’être d’accord avec cette distinction, qui nous retient de vouloir remplacer un « mono-culturalisme » par un multiculturalisme, et qui nous pousse, suivant en cela les principes du libéralisme politique (voir Rawls par exemple) ou du républicanisme (ils sont d’accord sur ce point me semble t-il), à bien distinguer ce qui relève du politique, l’organisation de nos institutions, les lois, c’est à dire les formes de notre vie en commun, de ce qui relève du culturel, des moeurs, de la vie ordinaire (traditions, folklore, cuisine, habillement, rapports entre les sexes …), c’est à dire du contenu de notre vie en commun.
Mais on peut s’interroger sur le lien entre les deux termes de cette distinction. En effet nos principes politiques, la liberté individuelle (d’aller et de venir, de s’habiller comme on le souhaite, de s’exprimer publiquement …) et l’égalité (entre les sexes, entre individus d’origines différentes …), la discrétion religieuse dans l’espace public , en s’appliquant tous les jours dans nos sociétés, n’ont-ils pas imprimés un certain mode de vie, une certaine ambiance dans l’espace public, dans nos rues, dans nos rapports directs avec les autres, voire même dans nos rapports intimes, dans la façon dont nous nous apparaissons aux autres (notre habillement, notre expression …). En bref, l’application de ces principes politiques (qu’ont les appellent libéraux ou républicains) n’ont-ils pas conduits à une certaine « culture » particulière, dans le sens de moeurs particulières.
A moins que ce ne soit, comme Régis Debray le disait, dans son livre « Le code et le glaive » en 1999: « Nous opposons en vis à vis … les solidarités contractuelles et les communautés substantielles. … Ne vaudrait-il pas mieux … remettre dessus-dessous ce que nous opposons en chien de faïence ? La nation contre la horde, oui, sans oublier la horde sous la nation. La nation politique se surajoute à la nation territoriale. Elle l’intègre en la dominant mais ne la supprime pas pour autant.  » Puis plus loin « Quiconque accepte de prendre l’idée républicaine « dans sa hauteur et dans son plein » ne peut donc se reposer sur une définition seulement contractuelle et législative du lien social. »

par Bernard Cretin - le 31 janvier, 2016


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