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Pour une communauté humaine et animale

20/04/2016 | par Audrey Jougla | dans Art & Société | 4 commentaires

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RECENSION : Audrey Jougla nous présente le dernier ouvrage de la philosophe Laurence Harang intitulé Pour une communauté humaine et animale et qui vient de paraître aux éditions de l’Harmattan. 

Après le troisième scandale des actes de cruauté perpétrés dans un abattoir français et révélé par l’association L214, la société civile semble découvrir, avec stupeur, que la consommation de viande est étroitement liée à d’effroyables souffrances pour les animaux que nous mangeons. L’ouvrage de la philosophe Laurence Harang Pour une communauté humaine et animale qui vient de paraître, offre une belle synthèse sur la considération et les droits que nous accordons ou refusons aux animaux.

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Quels droits et pourquoi ?

La conception de l’homme comme arraché à son animalité, qui traverse la philosophie, permet de nous conférer une suprématie par rapport aux bêtes. Mais cette spécificité implique pour Kant, par exemple, que nous avons des devoirs indirects envers eux à ce titre : « l’homme qui est capable de cruauté avec eux, sera aussi capable de dureté avec ses semblables[1]. » Autrement dit, c’est bien pour préserver notre humanité que nous devons respecter les animaux, et non directement parce que ceux-ci ont une valeur intrinsèque.

Laurence Harang dresse une synthèse des théories visant à justifier ou non l’obtention de droits et d’intérêts pour les animaux. Le point de vue utilitariste, de Bentham à Singer, justifie le respect des animaux non pas en fonction de caractéristiques de rationalité ou de développement, mais simplement au vu de leur sensibilité : « si un être souffre, il ne peut y avoir de justification morale pour refuser de tenir compte de cette souffrance [2] », résume Singer. Alors que les welfaristes prônent une amélioration du bien-être des animaux au sein de leur exploitation (des cages plus grandes pour les animaux d’élevage, de meilleures conditions d’abattage, par exemple), les abolitionnistes défendent la fin de celle-ci.

L’argument des cas marginaux de Peter Singer, qui considère que les déficients mentaux, ou les nourrissons ont des droits peu importe leurs capacités, permet en outre de nuancer la thèse selon laquelle avoir des droits implique des devoirs. « On peut accepter l’idée de droit sans devoir chez les enfants, les personnes séniles, les animaux [3] », résume Laurence Harang. On pourrait d’ailleurs mentionner que le droit concède une personnalité morale à des sociétés et qu’il est surprenant que des êtres vivants comme les animaux n’en aient pas.

Les animaux considérés en tant que « sujet d’une vie », comme l’énonce Tom Regan, ont un droit inhérent au respect de leur vie. Quelques soient leurs différences avec l’homme, le problème des droits des animaux est qu’il revient en réalité à dénoncer le système de notre société, basé sur ce postulat : les animaux sont à notre disposition.

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Vers une communauté morale ?

Penser les animaux comme partie d’une communauté morale permet alors de changer de paradigme. La reconnaissance par le Code civil des animaux comme « êtres vivants et sensibles » implique-t-elle qu’ils font partie de notre communauté morale ? Le problème est que l’on continue de penser l’animal en fonction de sa catégorie utilitaire pour l’homme : l’animal domestique est un être sensible, pas celui « utilisé à des fins scientifiques » pour l’expérimentation animale. Quant à l’animal nuisible ou à l’animal d’élevage, il bénéficie encore d’un autre statut. La valeur accordée à la vie animale est donc toujours priée de ne pas modifier les intérêts économiques que la société tire de leur exploitation. Et c’est ce que pointe aussi Laurence Harang : « les droits de l’homme possèdent en effet une valeur absolue. Ils ne reposent sur aucun marchandage [4]. »

Le vivre ensemble est d’autant plus questionné que le problème écologique s’impose au politique, avec l’idée d’une communauté d’intérêts dans la préservation des ressources. Penser la communauté humaine et animale devient essentiel parce que l’homme s’y trouve obligé. De même que la souffrance des animaux dans les abattoirs n’a de cesse d’être ramenée aux conséquences sanitaires pour le consommateur, défendre les droits des animaux consiste bien souvent à faire face à des intérêts économiques humains opposés. La sensibilité animale et la condamnation des actes de cruauté envers les animaux ne fait pas débat : c’est bien son application qui soulève l’ire des lobbies, qu’ils soient alimentaires, pharmaceutiques, vestimentaires.

Dans son dernier chapitre, Laurence Harang examine le choix éthique dans le refus de manger de la viande. Et c’est justement le principe de responsabilité de Hans Jonas qui nous invite à réfléchir à la porter de nos actes : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre [5]. » L’éthique nous réconcilie avant tout avec la préservation des intérêts de tous, en luttant contre les intérêts d’un petit nombre. La catastrophe écologique de la viande n’en est-elle pas la meilleure preuve ?

Faute de penser que les animaux auront des droits pour leur valeur intrinsèque, espérons alors que la finitude de nos ressources nous y forcera.
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[1] Fondements de la Métaphysique des mœurs, Kant.
[2] cité dans Éthique animale, Vilmer, PUF, 2008, note 16.
[3] P 121.
[4] p 117.
[5] Le Principe de Responsabilité, Hans Jonas, Les éditions du Cerf, Trad. J. Greich, note 140.

 

Audrey Jougla

Diplômée de Sciences Po Paris et de l’Université Paris-Nanterre, Audrey Jougla enseigne la philosophie au lycée. Spécialiste d’éthique animale, elle a publié Nourrir les hommes : un dictionnaire (éd. Atlande, 2009), Profession : animal de laboratoire (éd. Autrement, 2015, Prix Roger Bordet 2016) et Animalité : 12 clés pour comprendre la cause animale (éd. Atlande, 2018).

 

 

Commentaires

Trés clair. Au delà de toute sensiblerie c’est notre responsabilité individuelle et son implication dans nos actes qui doit s’engager. Devenir végétarien ou pas telle est la question. Quant à l’animal sujet passif d’expérimentations qui ne le concernent en rien c’est ,malheureusement, du ressort des institutions d’interdire celles-ci. Encore faut-il peser individuellement sur elles par tous les moyens qu’autorise notre citoyenneté.

par Abate - le 20 avril, 2016


Lisant ce sujet, je me rappelle qu’au moment de la Guerre Civile aux U.S. (on l’appelle la Guerre de Sécession ici, mais ce fut une guerre civile), bon nombre de personnes très progressives au Nord avaient des étoiles plein les yeux, et combattaient pour abolir l’esclavage au Sud sans avoir d’idées précises sur la réalité de l’esclavage sur les terres du Sud. La fin de la guerre, et le triomphe du Nord industriel a eu pour résultat de précipiter beaucoup de Noirs dans une pauvreté encore plus effroyable que ce qu’ils connaissaient sous l’esclavage…
Mais les gens avec les étoiles dans les yeux, et une irrépressible envie de défendre une « bonne » cause, n’importe laquelle, pensent rarement aux conséquences de leurs bonnes intentions…
Dans certaines tribus indiennes aux U.S., avant de tuer un animal pour le manger, on lui demandait pardon, et après l’avoir tué, et mangé, on le remerciait d’avoir nourri. On était économe dans l’ensemble dans la tuerie qui n’était pas industrielle.
Du temps de mes parents, encore, on prononçait la bénédicité à table pour… remercier d’avoir de quoi manger dans l’assiette.
Certes, le système industriel est fait de telle manière POUR diluer, sinon abolir le sens des responsabilités, mais ce n’est pas du tout sûr qu’en cessant de manger de la viande, nous allons nous sentir plus… responsables. Je ne vois aucune indication nulle part que nous nous sentons reconnaissants envers quiconque, dans ce monde, ou ailleurs.
Et finalement, une civilisation qui criminalise la souffrance où qu’elle se trouve est une civilisation qui se voue à la peluchitude, une forme encore plus aggravée de servitude.
Je continue à penser qu’on peut respecter l’animal qu’on tue pour manger, et avoir du plaisir à manger de la viande.
Qu’il y a un art de respecter, et qu’à l’heure actuelle, nous avons perdu.. le respect des animaux, ET de nous-mêmes.
Ce n’est PAS en transformant les animaux et nous-mêmes en peluches que nous allons regagner notre dignité ET notre respect.

par Debra - le 21 avril, 2016


le problème éthique posé dans les relations homme/animal exige, comme pour toute réflexion philosophique, de s’interroger sur le rapport homme/monde, pour tenter de comprendre « l’apparition » de l’homme dans le monde, et parallèlement, la construction des individus dans cette histoire. Ce sont deux historicités différentes, la deuxième devant être resituée dans la première. C’est à cette condition que nos valeurs, nos règles, pourront être à la fois critiquées et servir de base pour proposer, pour imaginer, pour construire un nouveau rapport homme/monde, une nouvelle éthique concernant en particulier le rapport homme/animal, mais, beaucoup plus fondamentalement, un nouveau rapport de l’homme avec lui-même

par Georges Schneider - le 24 avril, 2016


Descartes avait pondu le concept des animaux-machines . Il faut parfois savoir prendre ses distances avec les philosophes !

par Philippe Le Corroller - le 23 mai, 2016



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