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Le sexe indéterminé : un nouveau droit de l’homme ?

1/09/2013 | par Patrick Ghrenassia | dans Art & Société | 6 commentaires

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La nouvelle a fait le buzz des gazettes en cette fin d’été 2013 : on a inventé en Allemagne un troisième sexe. Et ce, sous la haute autorité du Bundestag et de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

La Süddeutsche Zeitung du 16/08/13 lance la nouvelle qui sera reprise par toute la presse européenne, sous le titre: « masculin, féminin, indéterminé », avec en sous-titre « quand M et F font X » pour signifier que la possession des deux sexes produit un sexe neutre ou indéterminé ou troisième sexe, selon les formulations.

La loi a été votée par le Bundestag le 7/5/13. Confirmée par la Cour constitutionnelle en août, elle entrera en vigueur le 1/11/13. Elle prévoit que les enfants nés avec les deux sexes, qu’on appelle officieusement hermaphrodites ou androgynes, pourront être déclarés à l’état civil de « sexe indéterminé », et pourront par la suite soit garder cette identité neutre, soit choisir à n’importe quel moment de changer leur identité en homme ou femme.

Le  Guardian du 18/8 relaie la nouvelle. Mais l’article est modifié le 20 en supprimant le mot « hermaphrodite » comme incorrect et inadapté à la ligne éditoriale du journal.

Preuve que sur cette question, le langage s’affole et cherche ses mots. Sur la confusion et la prolifération  des mots en la matière, voir l’article de Wikipedia sur le « troisième sexe » : http://fr.wikipedia.org/wiki/Troisi%C3%A8me_sexe#.

Cet article, clair et bien informé, montre que la question n’est pas récente, que l’ambiguïté sexuelle remonte à l’Antiquité et concerne toutes les sociétés et régions de la planète. Tantôt elle est reconnue dans la langue et dans l’organisation sociale, tantôt elle est déniée et supprimée comme anomalie.

Le « troisième sexe » n’est donc pas une découverte. Et son appellation prête à confusion, puisqu’il ne s’agit pas d’un nouveau sexe, mais du mélange ou de la coexistence des deux sexes mâle et femelle en un même individu.

La nouveauté est dans la reconnaissance officielle par la loi de cette troisième identité sexuelle. Et, implicitement, dans le fait que cela n’est plus considéré comme une « anomalie », maladie ou handicap, qui devrait être opérée dès la naissance, comme cela se fait couramment.

Je me limiterai ici à deux ou trois remarques inspirées par les recommandations de la Cour constitutionnelle.

  • Le droit de choisir son genre ou identité sexuelle (je n’ouvrirai pas ici le débat sur les termes) est présenté comme un « droit de l’homme fondamental ». Voilà qui est nouveau et ne figurait jusqu’ici dans aucune déclaration des Droits de l’Homme. On connaissait le droit de choisir sa religion, non le droit de choisir son sexe. La Cour semble considérer qu’ils sont assimilables. D’autant que le critère n’est pas dans l’observation objective, physiologique ou biologique, mais dans le « vécu » et le « ressenti » de chacun. Chacun serait donc libre de choisir son identité sexuelle selon son « ressenti », comme une nouvelle forme de liberté de pensée ou d’opinion. Sauf que le « ressenti » est encore plus subjectif que la pensée ou l’opinion. Pour l’instant, ce droit ne concerne que les enfants nés hermaphrodites, mais on ne peut exclure qu’il soit un jour généralisé à tout individu ayant un mauvais « ressenti » sur son identité sexuelle. La carte d’identité deviendrait alors une identité à la carte, où l’on pourrait choisir son corps comme son prénom ou sa nationalité.
  • L’autre remarque porte sur l’expression étonnante de « sexe indéterminé ». Car elle est riche d’interprétations et d’implicites. A première vue, elle désigne le fait de ne pas être « déterminé » comme homme ou femme. En ce sens, elle suggère un manque ou un défaut, qui sous-entend un « pas encore » puisqu’il est prévu qu’on puisse ensuite se déterminer pour l’un ou l’autre sexe. Il est étrange de nommer cela comme  incomplétude ou inachèvement, sachant que Platon, dans son mythe du Banquet, considère les androgynes comme dotés d’une force surhumaine du fait-même de leur bisexualité. A l’inverse, dire qu’avoir les deux sexes est « indéterminé » ou « neutre » me semble péjoratif en tant que désignant une déficience au lieu d’une surdotation. Elle semble confirmer qu’on ne reconnait que deux sexes « déterminés », le mâle et le femelle. Notons d’ailleurs que, même lorsqu’on reconnait, dans le règne animal ou dans l’espèce humaine, plusieurs façons d’être mâle ou femelle, cette diversité des « genres » est toujours référée à une bipolarité mâle/femelle.
  • Enfin, et surtout, « sexe indéterminé » me semble signifier quelque chose de plus profond, à savoir, non seulement l’absence, mais plus encore le refus de toute détermination. Détermination, en effet, s’entend comme définition, identité, appartenance, mais aussi comme causalité nécessitante, qu’on retrouve dans « déterminisme ». A travers le sexe indéterminé, me semble pointer la revendication d’une indétermination de soi ouvrant à une autodétermination par soi. Si j’ai le droit de naître indéterminé, je suis libéré de toute détermination naturelle, familiale ou sociale. Je ne suis plus le « produit » d’une culture, d’une famille, d’une tradition, mais je suis liberté originelle de me déterminer moi-même quand je le veux. De l’autodétermination des peuples à celle des individus, le progrès de la liberté semble vouloir que je naisse indéterminé et ouvert à tous mes choix ultérieurs. Ainsi je serai enfin « ek-sistence » radicale, jeté au monde totalement libre d’être ce que je veux, sans aucune prédétermination. Si la liberté est la fin de l’histoire, comme le voulait Hegel, l’ironie serait la victoire de l’existentialisme, anti-hégélianisme s’il en est, qui signerait cette « fin de l’histoire »: naitre indéterminé et choisir librement ce que l’on est.

Je ne discuterai pas ici la part d’illusion ou d’utopie que cette revendication peut comporter, ni si elle représente un progrès ou un danger dans l’évolution de l’humanité.  Cela mènerait à un autre débat sur les valeurs. J’ai voulu simplement, au-delà de la reconnaissance légale des hermaphrodites, essayer d’expliciter les retombées des considérations de la Cour constitutionnelle qui m’ont semblé, dans l’état actuel de nos informations, aller beaucoup plus loin qu’une simple réforme de l’état-civil.

 

Patrick Ghrenassia

Professeur agrégé en philosophie, Patrick Ghrenassia enseigne à l'IUFM de l'Université Paris-Sorbonne. Il a également enseigné au lycée ainsi qu'à l'Université Paris-Panthéon-Sorbonne. Intervenant notamment en histoire de la philosophie et en philosophie de l'éducation, il tient le blog "Bac 2013 : La philo zen" sur letudiant.fr. Suivre sur Twitter : @ghrenassia2

 

 

Commentaires

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par Le sexe indéterminé : un nouveau droit de l’homme ? | actualités - le 3 septembre, 2013


Je crois que vous décrivez froidement et objectivement ce qui est, mais l’essentiel n’est-il pas ensuite d’en passer au devoir être et de juger de ces nouveaux droits de l’homme en tant que bons ou mauvais, c’est à dire d’un point de vue morale ? Cela me fait penser à la citation suivante de Raymond Aron : « Dans toute philosophie politique, donc de l’action, (il existe) une équivoque essentielle : s’agit-il d’une logique du souhaitable ou d’une logique du réel ? Comment s’opère le passage du réel au souhaitable ? Quand l’analyse de ce qui s’est passé sert à suggérer ce qui aurait dû, par référence à l’efficacité ou à la moralité, se passer ? » (Raymond Aron, Penser la guerre, Clausewitz, 1 – L’âge européen, chap. « De l’interprétation historique »)

par A. Terletzski - le 3 septembre, 2013


Merci pour votre contribution, et vous notez que j’ai pris soin de distinguer les faits et les jugements de valeurs qui engagent à un autre débat.
Votre question sur le souhaitable en politique, en citant Aron, pose la question essentielle des choix axiologiques en démocratie. Si l’Etat doit se contenter de garantir les libertés individuelles dans la recherche du bonheur, cela renvoie à chaque individu le choix des valeurs. A nom de quoi l’Etat serait-il en droit d’interdire ou de limiter tel ou tel style de vie ? En logique libérale, la seule limite serait le respect de la liberté d’autrui (cf. John Stuart Mill)
Seul un Etat rotalitaire aujourd’hui pourrait imposer un modèle de bonheur collectif et commun. A chacun, en démocratie, de lutter par des voies non violentes pour ce qu’il juge être des valeurs supérieures, et pour des choix de civilisation. Qu’objecter à quelqu’un qui veut une société d’androïdes ou d’androgynes ? C’est son choix, et seule une argumentation en faveur d’une certaine vision de l’humain, d’un certain humanisme, peut le faire changer d’avis. Ce qu’un philosophe, comme tout citoyen, peut et doit faire.
En attendant, l’Etat, et la loi, se contente d’enregistrer l’opinion dominante, le jeu des lobbys, de refléter la société telle qu’elle est dans ses rapports de forces. On peut le regretter, mais c’est aussi le prix à payer pour nos libertés.
Bref, pour savoir si l’indétermination sexuelle est souhaitable, comme pour d’autres mutations, il faut débattre du type de société et d’humanité souhaitables, et cela concerne chacun d’entre nous.

par Ghrenassia Patrick - le 4 septembre, 2013


http://next.liberation.fr/sexe/2013/09/15/le-pere-accouche-d-un-enfant-sans-sexe_932120
Berlin. Un père donne naissance à un enfant de sexe indéterminé

par Ghrenassia Patrick - le 25 septembre, 2013


par Ghrenassia Patrick - le 3 avril, 2014



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