Je suis la crise de l’école républicaine
Au lendemain des événements tragiques de Charlie, l’école a une nouvelle fois été pointée du doigt, diversement mise en cause ou appelée à la rescousse par les responsables politiques. L’exécutif a ainsi annoncé, en grandes pompes, une refonte de l’école destinée à lui permettre de retrouver « sa capacité à intégrer et former les citoyens de demain ». Encore une fois, l’on peut déplorer une occasion manquée de mentionner et de traiter les vrais problèmes au profit d’annonces politiques manifestant une grande distance face à la réalité et l’ampleur de la crise que traverse notre école et qui est inséparable de celle qui affecte la société dans son ensemble. De nombreuses mesures ont ainsi été annoncées, dont beaucoup apparaissent comme des emplâtres sur une jambe de bois ou sont même de nature à alimenter les problèmes qu’elles sont censées résoudre: parmi elles, l’accent mis par exemple sur les rites républicains (drapeau, Marseillaise, journée de la laïcité etc.) qui auront probablement comme effet, en l’absence de réformes de fond changeant réellement la logique du système, d’attiser la haine d’élèves se sentant déjà exclus de la communauté républicaine et qui verront là une nouvelle occasion de clamer leurs différences et de défier un modèle qui les rejette. Il reviendra, comme à l’accoutumée, aux membres de la communauté éducative, de « contenir », dans le silence médiatique revenu, les débordements occasionnés par des symboles perçus comme provocateurs.
n
L’esprit du système éducatif en crise
Une autre mesure concernerait la formation des professeurs et du personnel éducatif «à la laïcité et à l’enseignement moral et civique ». Cette mesure laisse (maladroitement ?) sous-entendre que la responsabilité de la crise sociale et morale que nous traversons serait à chercher du côté du manque de connaissances républicaines (ou de la volonté de les transmettre ?) des professeurs. Ceux-ci sont pourtant déjà sélectionnés par des épreuves mettant à l’essai leurs valeurs républicaines et sont déjà formés, grâce aux ESPE[1], à ces sujets. On ne voit guère ici ce qu’une telle mesure pourrait réellement apporter de nouveau. Peut-être faudrait-il plutôt s’interroger sur la remise en question des concours de l’enseignement au profit de l’emploi massif de vacataires[2] bon marché, recrutés parmi les étudiants, les retraités ou d’autres non-professionnels, qui ne sont pas formés, mais immédiatement disponibles, corvéables et « remerciables » à merci. Mais ce problème de fond, qui touche à la qualification et au statut des enseignants n’est malheureusement pas abordé. Une autre mesure mentionnée est l’envoi de mille « ambassadeurs des valeurs républicaines » dans les établissements. Les membres de ce petit contingent de représentants de la laïcité, comme on l’imagine, rendront de temps à autre visite aux établissements en difficulté et, une fois leur messe dite, repartiront prêcher dans d’autres déserts culturels et républicains laissant les enseignants seuls face à leurs classes. Ce genre d’événements ponctuels existe déjà dans les établissements scolaires et ne représente en aucun cas une solution de sortie de crise. On pourrait plutôt se demander si la présence d’adultes (enseignants, pions, CPE, éducateurs, psychologues, infirmières) dont le nombre s’est réduit comme peau de chagrin au cours des dernières décennies et qui ont parfois été remplacés par de simples caméras de surveillance, ne serait pas plus à même de redonner crédit à l’institution scolaire et foi en sa mission civilisatrice. Les valeurs touchant à la laïcité sont déjà en réalité largement enseignées par l’ensemble du corps éducatif et plus particulièrement par les professeurs d’histoire, de français ou de philosophie. De nouveaux enseignements ou « de nouveaux contenus liés à l’enseignement moral ou civique » comme l’évoque la ministre ne changeront rien à la situation actuelle et aux drames futurs à venir. C’est l’esprit tout entier du système éducatif qu’il faut réformer et sans doute davantage, l’esprit tout entier de la société. Le gouvernement s’honorerait d’une véritable lutte contre le terrorisme en travaillant à offrir une société plus juste, plus équitable et plus solidaire – en d’autres termes plus humaine (ou plus socialiste ?)- afin de redonner espoir aux jeunes qui, en quête de sens pour leur vie, se jettent aujourd’hui dans les bras des djihadistes. Cela vaudrait sans doute mieux que de s’époumoner à scander des slogans dépourvus de contenu effectif et dont personne n’est plus dupe. Ce n’est pas en inventant de nouveaux mots ou en donnant de nouveaux titres à d’anciennes formules (l’éducation civique n’est pas une nouveauté) que l’on changera la réalité.
Concernant le système éducatif à strictement parler « qui n’est pas responsable de tout mais qui peut être une solution majeure » comme le fait remarquer justement la ministre de l’éducation nationale, l’un des projecteurs aurait pu être braqué sur la solitude de l’enseignant dans son effort quotidien de transmission de savoir et de socialisation des élèves ou encore sur le manque patent de support apporté par l’administration elle-même qui a vite fait d’évoquer « le manque de charisme du professeur » en cas de problème. L’ampleur de la tragédie Charlie a obligé nos gouvernements, une fois n’est pas coutume, à réagir au lot d’incivilités survenues pendant la minute de silence. Ce sont là des faits habituellement passés sous silence.
n
L’enfant-roi au centre du système et le savoir relégué en périphérie
Aussi, le véritable acte de courage de notre ministre, en réaction à l’événement terroriste, a-t-il consisté à mettre sur la table la question de l’autorité à l’école. Cette notion a pourtant bel et bien été battue en brèche par les différents gouvernements, socialistes et de droite, qui se sont succédé depuis plus de trente ans. Et parmi toutes les mesures destructrices de l’école, il faut retenir un moment phare, celui de la loi d’orientation de 1989 également appelée « loi Jospin », qui, en plaçant l’élève « au centre du système », en lieu et place de la transmission du savoir, a contribué à la chute du système éducatif français (dont témoignent par exemple les études PISA successives») et par là même à la relégation des intérêts de l’élève, du centre proclamé aux espaces périphériques.
Concrètement, mettre l’enfant « au centre » a signifié par exemple donner à la parole de l’ « apprenant » (terme fumeux censé consacrer la propension « naturelle » de l’individu pour le savoir) autant de valeur que celle du professeur ou à faire de l’école, non plus un lieu de transmission de savoir, mais « un lieu de vie » démocratique ou, en d’autres termes, une grande garderie sociale. Bien entendu, par sa formulation positive, la phrase « mettre l’élève au centre », rend difficile l’exercice de contradiction. On oublie cependant que c’est la centralité du savoir qui rend l’acte d’instruction et d’éducation possible ou encore la sortie hors de l’état de naturalité que constitue l’enfance. En effet, on ne donne pas naissance à des citoyens responsables en flattant démagogiquement les instincts primaires de l’individu. C’est là une réalité bien connue de tout psychanalyste rompu aux dérives de l’enfant roi[3] comme aux philosophes pour qui l’apprentissage de la liberté passe avant tout par l’obéissance à la loi (auto-nomos). En résumé, ce qui a été mis au centre au nom de principes égalitaires et libertaires tronqués, cela n’a pas été l’intérêt de l’élève mais bien plutôt ses dérives pulsionnelles que le corps éducatif, faute de soutien institutionnel, peine à dompter et encore plus à sublimer. Ces réformes ont contribué non seulement à nourrir des « illusions perdues » (un baccalauréat dévalorisé donné en lot de compensation aux classes sociales défavorisées) mais ont surtout abouti au relativisme et à la dévaluation du savoir (la science étant mise au même plan qu’une simple opinion, religieuse, par exemple) ainsi qu’à la dévalorisation générale des enseignements prodigués. La série de réformes votées dans les années 80 dont la loi Jospin est l’apothéose et qui ont été confirmées par tous les gouvernements suivants, ont finalement contribué à nous conduire à cette situation ubuesque où il apparaît difficile, voire impossible, de contester une croyance au nom de la raison.
n
La faillite de l’élitisme républicain
Mais plus encore, en dévaluant le savoir enseigné aux masses, en acceptant un enseignement de « seconde zone » pour des citoyens de « seconde zone » (incluant au passage de nombreuses classes moyennes qui se révoltent par le vote frontiste), ces mesures ont contribué à rétrécir encore davantage le socle social de notre élitisme républicain et à mettre en œuvre ce que les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet décrivent comme étant « la faillite de l’élitisme républicain »[4]. En effet, le niveau du savoir étant dévalué pour la masse au nom d’impératifs démagogiques et économiques non dénués de mépris, seuls les établissements privilégiés ayant échappé au nivellement par le bas et donnant accès aux filière d’élite (bonnes prépas, grandes écoles), produisent encore des élites sous un mode devenu quasi « congénital » (les fameux « fils et filles de »). La France prive ainsi non seulement sa jeunesse de perspectives d’avenir mais se prive elle-même d’un vivier dynamique et imaginatif de jeunes dirigeants innovants. La France se sclérose sous le poids de son élitisme héréditaire anti-républicain et il faudrait vraiment venir d’une planète lointaine pour oser déclarer aux jeunes français venus des cités que « devenir millionnaire est un « simple » acte de volonté »….Comme le disent les deux sociologues, « non seulement [notre école] compte un taux très élevé de jeunes en échec, mais elle ne parvient pas à fournir des élites assez étoffées pour répondre aux besoins de la nouvelle donne économique. En somme, elle n’est ni juste ni efficace (…) Quelle ironie de l’histoire : notre modèle ne parvient même plus à former ces puissantes élites pour lesquelles il semble pourtant organisé.»[5]
n
La perte d’autorité des enseignants illustre la perte d’autorité du savoir tout entier
Car, que l’on ne s’y trompe pas : parler de la perte d’autorité des enseignants, c’est en réalité parler de la perte de l’autorité du savoir lui-même qui, dans un système républicain, constitue (ou devrait constituer) le fondement de l’ascenseur social. Dès lors que l’école est devenue un « lieu de vie » (un parc d’attractions scolaires et périscolaires) perdant son privilège de « lieu de transmission de savoir » qui lui était traditionnellement dévolu, on voit mal comment elle pourrait encore résister aux attaques du dehors, aux comportements profanes qui peuvent légitimement y pénétrer sans filtre et sans retenue et qui sont largement véhiculés par la société du spectacle dans son œuvre anti-civilisatrice bien connue. Bien sûr, à cela on répondra par l’idée, consensuellement véhiculée sans être pour autant questionnée, que l’école ne doit pas ou ne peut pas être un sanctuaire. Eh bien, contre cette objection généralement avancée sous couvert de lutte contre l’antimodernisme, le passéisme ou le conservatisme, il faut répondre que ceux qui prônent la perméabilité de l’école au monde extérieur sont ceux qui avouent généralement leur impuissance éducative et qui ont abdiqué l’idée fondamentale selon laquelle l’école doit être avant tout un lieu de dépaysement social et culturel, une « oasis de décélération » face au zapping permanent, un lieu d’accès aux savoirs fondateurs que la société capitaliste, par sa volonté de profit, dévalorise au profit des plaisirs immédiats et faciles.
n
Ecole et capitalisme, de faux amis
En résumé, l’école républicaine devrait avoir comme souci de transmettre des savoirs, des vertus et des attitudes indépendantes de l’ordre capitaliste plutôt que de produire des consommateurs incivils, parfois violents, abreuvés au biberon d’une pseudo « culture jeune» rivée au culte fondamentalement anti-émancipateur de la marchandise (blockbusters américains et Cie). Laisser la société capitaliste pénétrer l’école, c’est accepter finalement que nos élèves se transforment en « caillera », comme le dit Michéa, c’est-à-dire en individus parfaitement adaptés (et intégrés) au système dans lequel ils évoluent : « [e]n assignant à toute activité humaine un objectif unique (la thune), un modèle unique (la transaction violente ou bizness) et un modèle anthropologique unique (être un vrai chacal), la Caillera se contente en effet de recycler, à l’usage des périphéries du système, la pratique et l’imaginaire qui en définissent le Centre et le Sommet ». Comment après tout en vouloir aux « golden boys des bas-fonds » qui ne font qu’appliquer les recettes du modèle économique dominant ? La caillera qui peuple nos écoles est à ce titre « parfaitement intégrée au modèle [dominant] qui détruit notre société »[6].
Ceux qui veulent ouvrir l’école « au monde » (sous-entendu à la société marchande) sont aussi ceux qui y voient l’opportunité d’un grand marché économique et un moyen précoce d’habituer les jeunes aux modes de consommation en vogue, comme ce fut le cas pour l’introduction des TICE (technologies de l’information et de la communication) présentées à tort comme une panacée éducative. Il s’agit là d’une perméabilité forcée à laquelle les directives économiques européennes ne sont pas étrangères, de nombreux ajustements structurels étant exigés par la réforme capitaliste de l’école. Or, s’il y a bien un lieu où le conservatisme doit être défendu, où la place du passé doit être consacrée face aux œuvres éphémères et aux simples effets de mode, c’est sans conteste l’école dont la mission première est de transmettre notre héritage culturel aux jeunes générations et, comme le disait Arendt, d’assurer ainsi la continuité d’une civilisation constituée où «les nouveaux venus (…) sont introduits dans un monde préétabli (…) »[7]. Assurer la continuité entre le passé et le présent, transmettre les éléments de la tradition qui résistent encore à l’esprit de « consumation » présent, mettre en dialogue tradition et modernité en gardant le meilleur de chacune, telles sont les missions fondamentales de l’école. Comme le dit Patrick Viveret, « La modernité, c’est l’émancipation, la liberté de conscience, les droits humains et en particulier les droits des femmes. Mais sans le pire de la modernité qui est la chosification du vivant, de la nature, des humains et donc la marchandisation intégrale. » En ce sens le lien à la nature, à la vie, le réseau de liens sociaux, de civilités et de valeurs (qu’il s’agisse du sens de l’honneur, du devoir, de la compassion, du courage, du dévouement …), tout ce qu’Orwell appelle la « common decency » et qui constitue l’infrastructure morale indispensable de toute société juste, hérités de notre tradition et de notre histoire commune, peuvent servir de garde-fou contre les dérives d’une modernité devenue prédatrice et nihiliste. On ne fera pas l’économie, en effet, si l’on veut lutter contre les dérives extrémistes en tous genres (religieux et politiques) de la question de la quête de sens, fondamentale dans toute communauté humaine, et à laquelle le système économique chrématistique est incapable de donner une réponse satisfaisante.
n
L’école et le sacré
Aujourd’hui, ce sont dans des lieux sacrés tels que les églises, les mosquées, les synagogues ou dans diverses institutions sectaires (scientologie, centre de la Kabbale, etc.) dont certains acteurs et chanteurs se posent en adeptes, que se transmet le savoir (encore) respecté par beaucoup de nos élèves. Ce phénomène constitue sans aucun doute une réaction de défense face au désenchantement provoqué par notre « ère [postmoderne] du vide » admirablement décrite par Lipovetski[8] (et marquée par le néo-nihilisme, l’individualisme, la fin des grandes idéologies et l’accélération permanente) mais il constitue aussi fort probablement une conséquence de la perte d’intelligence critique impliquée par la disparition des savoirs fondamentaux, qui rend la jeunesse de plus en plus perméable aux manipulations en tous genres.
D’un côté, il faut en effet dénoncer ce que Michéa appelle à juste titre « l’enseignement de l’ignorance » qui se traduit par « un déclin continu de l’intelligence critique et du sens de la langue auquel ont conduit les réformes imposées depuis trente ans, par la classe dominante et ses experts « en sciences de l’éducation » »[9]. D’un autre côté, il faut produire une réflexion (urgente) sur le fondamentalisme « marchand » qui réduit toute chose à un bien marchand profane (vie comprise) et toute valeur à une valeur monétaire. Pourquoi en effet les religions au XXIème siècle ont-elles encore (ou à nouveau), autant d’importance dans nos démocraties avancées si ce n’est pour contrebalancer le matérialisme immoral et absurde (au sens de « dépourvu de sens ») de nos civilisations marchandes qui n’ont pour seules divinités que les courbes de croissance et les taux de profit? Comme le dit fort bien Patrick Viveret, il faut remettre à l’honneur une véritable logique d’égalité « parce que si l’on regarde les causes profondes des replis identitaires qui donnent naissance à des fondamentalismes identitaires, il y a ce que Joseph Stiglitz, mais aussi Bernard Maris qui a été tué, appellent le fondamentalisme marchand [c’est-à-dire la volonté de transformer tous les liens sociaux en rapports marchands – NDLR]. C’est-à-dire cette logique de l’oligarchie et du capitalisme financier, qui en détruisant les bases même du lien social, des identités et des cultures, ouvrent la voie à des fondamentalismes identitaires. »[10]
A défaut de nous poser, ici, la question du besoin anthropologique de sacré et de spiritualité mis à mal par un matérialisme réducteur, contentons nous de rappeler, encore une fois, avec Hannah Arendt, que la crise majeure de notre temps est celle de l’autorité et notamment de l’autorité des humanités face à l’autoritarisme des marchés. Encore convient-il de produire une clarification sémantique : l’autorité n’est pas le pouvoir, L’auctoritas n’est pas la potestas, comme l’ont malheureusement mal compris les pédagogistes partisans d’une éducation sans contrainte. Se soumettre au savoir de l’enseignant, ce n’est pas s’en remettre à une autorité arbitraire mais bien plutôt à l’autorité de la raison, des valeurs laïques et de la culture humaniste qui constituent le fondement de notre République. Il n’y a pas de pédagogie sans autorité et il n’y a pas d’autorité sans respect, sans acceptation d’une forme de transcendance qu’est supposé incarner l’idéal républicain en l’absence de religion officielle. Finalement, comme le dit fort bien Robert Redeker, « ouvrir l’école sur la vie revenait à faire entrer le vide dans l’école »[11]. Or, s’il y a bien une connaissance que les élèvent continuent de posséder, c’est celle du système dans lequel ils évoluent : un système dans lequel les actes de défiance, de désobéissance ou d’incivilités ne sont pas sanctionnés et sont même valorisés par la société du spectacle, un système dans lequel leurs professeurs ont perdu le soutien des parents et de l’institution (pourquoi résisteraient-ils à la tentation de suivre le mouvement démagogique qui les flattent comme « enfants rois »), un système dans lequel leur simple opinion vaut autant que celle de leurs professeurs, un système dans lequel le vrai savoir qui permet d’accéder aux bonnes positions ne leur est finalement pas octroyé. La démocratisation de l’école a en effet été un mensonge absolu, comme en témoigne la baisse continue du pourcentage d’élèves d’origine populaire à l’ENA, l’ENS, Polytechnique et autres grandes écoles. A ce titre, c’est l’autorité du modèle républicain tout entier qui est en cause et plus particulièrement l’incarnation de ses idéaux de justice, d’équité et d’égalité des chances.
Le gouvernement et les médias ont dès lors raison de tourner leurs projecteurs vers l’école car c’est par cette sphère prépolitique que passe (en partie) la préservation de notre civilisation humaniste dont l’attaque par l’Islam radical ne constitue qu’un symptôme : symptôme d’une maladie autrement plus grave car plus enracinée qui touche la question des (non) valeurs présentes au cœur d’une société qui a détourné ses idéaux libéraux-libertaires au profit d’un système économique anthropologiquement destructeur qui fait fi de toute limite (morale, sociale, écologique) et ébranle ce faisant le socle civilisateur du monde commun. Comme le disait Lacordaire, un des théoriciens du christianisme social, « entre le riche et le pauvre, c’est la loi qui libère et la liberté qui opprime ». Tel est le sens d’une liberté républicaine bien comprise. Concernant le mépris des masses, des idéaux professés par notre triple devise républicaine, les jeunes ne s’y trompent pas. Ils perçoivent les raisons de leur échec sans forcément en comprendre les méandres et l’expriment ainsi à leur manière : « C’est la faute au système ».
[1] Écoles supérieures du professorat et de l’éducation ayant succédé aux IUFM en 2013
[2] Voir http://www.lemonde.fr/education/article/2011/11/25/le-grand-malaise-des-precaires-de-l-education_1609283_1473685.html
[3] Voir par exemple sur ces questions Jean-Pierre Lebrun
[4] Christian Baudelot et Roger Establet, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, coll. La République des idées, éd. du Seuil, 2009
[5] http://www.alternatives-economiques.fr/la-faillite-de-l-elitisme-republicain_fr_art_633_47329.html
[6] Jean-Claude Michéa, L’ enseignement de l’ignorance, Climats, 1999, p.100
[7] Hannah Arendt, La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972, p122.
[8] A lire impérativement, le toujours très actuel essai de G. Lipovestki, L’ère du vide. Essais sur l’individualisme contemporain, Paris: Folio, 1989
[9] Jean-Claude Michéa, L’ enseignement de l’ignorance, Climats, 1999, page de garde.
[10] Patrick Viveret, »Pour empêcher le risque de la logique guerrière : la citoyenneté terrienne » in Reporterre http://www.reporterre.net/Pour-empecher-le-risque-de-la
[11] http://pedagogisme.centerblog.net/2887582-L-ecole–lieu-de-vie-ou-l-ere-du-vide
Professeur agrégée de philosophie, Anne Frémaux prépare une thèse de doctorat en écologie politique sur la décroissance. Elle est l'auteur du livre La nécessité d'une écologie radicale (éd. Sang de la terre).