Descartes : le doute hyperbolique à l’épreuve de Pokémon Go
Si Pokemon Go est en train de battre tous les records imaginables (nombre de téléchargements, temps passé sur le jeu, gain potentiel…), c’est parce que le jeu de Niantic a été capable de développer l’ultime expérience utilisateur, et tout développement futur ne pourra n’être qu’un descendant de ce jeu. C’est la réalité augmentée qui génère cette expérience si singulière : nous nous amusions à être dans des mondes virtuels grâce aux jeux vidéo, nous nous amusions à capturer la réalité en filmant ou en prenant en photo ce que nous voyons, voire nous-même (selfie), désormais tout est dépassé par l’inclusion de l’un dans l’autre. Ce qu’apporte la capture de ces petits monstres tout le monde s’en moque, et la finalité d’être le meilleur dresseur des Pokémons ne concerne finalement qu’un petit groupe d’afficionados. En soit capturer des Pokémons n’est pas ce qui importe, c’est l’expérience utilisateur qui attire, c’est l’émotion du virtuel associé à la rationalité du réel qui rend le jeu addictif.
La frontière devient complètement poreuse entre ce qui est vrai et ce qui relève de l’artifice et l’on est en droit de se demander si finalement Pokémon Go ne serait pas la matérialisation pleine et entière du doute hyperbolique du philosophe Descartes. Ce dernier s’interroge dans les Méditations métaphysiques sur ce qui est réel de ce qui ne l’est pas, et il se demande si un malin génie n’a pas pris possession de son esprit pour lui faire croire que la réalité n’est pas en fait tout autre : un simple rêve. La voie de sortie en passe par le scepticisme et le doute, ce que je vois est-il réel ? Comment m’assurer que tout ce qui est autour de moi n’est pas qu’un rêve ? C’est ce questionnement qui mènera au célèbre cogito : « je pense donc je suis ». Néanmoins pour y arriver il faut se perdre, et les premières méditations cartésiennes montrent un Descartes perdu dans les méandres de la pensée pour finalement réussir à se retrouver, à se recentrer.
Il suffit de passer quelques minutes dans la rue en bas de chez soi pour constater que des individus de tout âge, de tout sexe, de toute culture, de toute religion essayent d’accroître leur Pokédex. Que recherchent-ils d’autres (consciemment ou inconsciemment) que confronter leur esprit au doute hyperbolique ? Que vivre une expérience ultime où les termes « réel » et « virtuel » n’ont plus de sens ? Plus de discussions avec ses amis, plus de photos de ce que l’on voit, plus de selfie à poster sur son réseau social. Tout est renvoyé aux Calendes car rien ne semble plus captivant que de vivre dans une réalité augmentée. Transporté par ce doute, on perd l’ensemble de nos repères avec comme objectif : capturer des Pokémons ! Mais cela n’est pas pour autant la finalité, l’ultime expérience de l’utilisateur c’est de vivre cette démarcation entre ce qui relève de l’artifice et du réel.
Il fait peu de doute que Descartes eut été passionné par ce jeu qui repousse nos certitudes sur le monde qui nous entoure. Dans le même temps ce jeu nous alerte sur ce que sera le monde de demain qui à l’évidence ne s’appuiera plus seulement sur cette dichotomie entre artifice et réalité. Car si Pokémon Go a réussi ce tour de force que de rendre la réalité virtuelle accessible à tous ici et maintenant ce n’est qu’un début. C’est pourquoi ce jeu qui met en branle notre compréhension du monde qui en train de se faire doit être vu comme l’élément qui nous oblige de manière définitive à douter de ce que nous voyions.
Docteur en philosophie et diplômé en science de gestion, Xavier Pavie est Professeur à l'ESSEC Business School, où il dirige le centre i-Magination, et chercheur associé au sein de l'IREPH (Institut de Recherches Philosophiques) de l'Université Paris Ouest. Auteur de nombreux articles et d'une douzaine d’ouvrages, à la fois en philosophie et en management, il a récemment publié : Innovation-responsable (Eyrolles) ; Exercices spirituels, leçons de la philosophie antique (Les Belles Lettres 2012) et Exercices spirituels, leçons de la philosophie contemporaine (Les Belles Lettres 2013). Site internet :http://www.xavierpavie.com/. Suivre sur Twitter : @xavierpavie.
Commentaires
Nous sommes mûrs pour Big Brother , Georges Orwell était un génie . J’ai peur .
par Philippe Le Corroller - le 1 septembre, 2016
Prenez un marteau et tapez leur sur les doigts… la réalité va les atteindre instantanément !
par Gaston Bachelar - le 1 septembre, 2016
Bonjour,
Ce n’est que le début de l’habituation. Le virtuel confondant l’apparence !
par Péroy - le 2 septembre, 2016
[…] Descartes : le doute hyperbolique à l’épreuve de Pokémon Go […]
par Faut-il tout analyser ? | anna knyszewski - le 22 septembre, 2016
Laissez un commentaire