iPhilo » L’Europe et ses Etats

L’Europe et ses Etats

6/02/2012 | par Jean Picq | dans Monde, Politique | 2 commentaires

Download PDF

Alors que l’Europe vacille, nous serions tenté de dire plutôt que la crise actuelle de l’endettement dettes fait vaciller les parties constitutives de l’Europe, les Etats, et non l’Europe en elle-même. L’Europe comme tout apparaît même comme la seule solution rationnelle au delà des querelles nationales. Mais ce n’est pas si simple que cela, car l’Etat en Europe est une histoire ancienne. Retour sur la crise de l’Europe et la place des Etats avec Jean Picq, professeur à Sciences Po Paris.

« L’Etat est né en Europe, l’Europe est une construction des Etats. C’est par eux qu’elle s’est faite tout au long des cinquante dernières années. Depuis l’origine, un débat pertinent oppose ceux qui, s’appuyant sur l’histoire des nations qui la composent, en tiennent pour une construction intergouvernementale et ceux qui, forts de l’expérience des premiers traités, croient que seule une logique fédérale peut permettre d’avancer. La réalité observée est celle d’une délicate alchimie des deux logiques que traduit parfaitement l’oxymore de Jacques Delors, qualifiant l’Union de « fédération d’Etats-nations ». Mais vient un jour – et nous y sommes – où l’alchimie, révélant ses faiblesses, doive être redynamisée par un effort politique d’invention. On peut soutenir en effet que le traité de Maastricht attestait d’une logique fédérale avec la décision de créer l’euro et une banque centrale indépendante mais tolérait une logique intergouvernementale en se contentant d’un pacte de stabilité mal ficelé et sans code de bonne conduite. Nous en payons aujourd’hui les conséquences qui peuvent être mortelles pour l’Europe. Il faut donc que les Etats, responsables de ce défaut volontaire de conception, s’emploient à le corriger sans tarder avant que les marchés ne les sanctionnent de manière définitive. La crise des dettes souveraines qui affecte la zone euro n’est une crise de l’Europe que parce que les 17 Etats qui ont fait le choix d’une monnaie « souveraine » l’ont fait sans accepter d’en payer le prix, c’est à dire une discipline budgétaire exigeant surveillance européenne et comportant les sanctions en cas d’infraction. Si dans un immeuble, des copropriétaires ou des locataires ne se comportent pas bien ou ne paient pas leurs charges, c’est toute la communauté qui en pâtit. Il en est de même de l’Europe et de ses Etats qui sont seuls responsables de l’emballement de leurs dettes. Ce qui est en cause, c’est ce qu’on appelle le « système euro ». C’est ce système qu’il faut réformer. La défiance des marchés ne vise pas tant l’euro – une monnaie appréciée partout dans le monde et par les citoyens européens qui en mesurent les inestimables avantages dès qu’ils circulent dans l’espace unique -, que les responsables politiques, accusés d’être toujours en retard dans leurs réactions. Faudrait-il que leur manque de sagesse d’hier nous prive de ce bien commun? Le temps presse et ils semblent l’avoir compris. Il faut s’en réjouir. L’implosion de la zone euro serait un dramatique retour en arrière. Car la question, fondamentale qui nous est posée est de savoir si, dans notre monde tel qu’il est, chacun des Etats européens peut s’en sortir « seul ». La réponse est évidemment non. Il est nécessaire de le croire. Tout le reste est affaire de modalités, c’est à dire de capacité à trouver les compromis politiques nécessaires pour ne pas périr. Il n’est pas interdit d’espérer ».

 

Jean Picq

Magistrat honoraire et ancien Président de Chambre à la Cour des Comptes, ancien Secrétaire général de la Défense nationale, Jean Picq est Professeur à Sciences Po Paris, où il enseigne l'histoire de l'État et des rapports entre religion et politique. Il est notamment l’auteur des ouvrages Il faut aimer l'Etat (Flammarion, 1995) ; Histoire de l’Etat en Europe (Presses de Sciences Po, 2009) et La liberté de religion dans la République (Odile Jacob, 2014).

 

 

Commentaires

Ben voyons!

Il faut « faire l’Europe », à tout prix. Quelle Europe? on s’en fout, pourvu qu’elle advienne, à tout prix!
et puisqu’on cite Delors, je rappellerai un propos connu de ce monsieur, assimilant le mode de construction de l’Europe à une sorte de « despotisme éclairé ». L’homme est décidément un fan des oxymores.!
Ca me rappelle des formules (et des expériences) du genre « centralisme démocratique ». Ca ne vous rappelle rien?
Dans un oxymore, il y a toujours un mot de trop!

Ya-t-il plus belle arnaque que la belle formule delorienne « Fédération d’Etats-Nations »(je ne serais pas contre) alors que seuls les débiles profonds n’ont pas encore compris que cette construction veut fondamentalement détruire les Nations. Peut-être serait-ce une bonne chose de liquider les nations (même si on peut en débattre), mais ne nous prenez pas pour des c…!!!

par Albert - le 14 avril, 2013


Totalement d’accord avec votre constat :  » le traité de Maastricht attestait d’une logique fédérale , avec la décision de créer l’euro et une banque centrale indépendante , mais tolérait une logique intergouvernementale , en se contentant d’un pacte de stabilité mal ficelé et sans code de bonne conduite  » . Il faut donc accélérer l’harmonisation de nos systèmes économiques, en commençant , bien sûr , par le couple franco-allemand , qui reste, fort heureusement , le moteur de l’Europe . Pendant deux ans , François Hollande a tourné le dos à Berlin , s’imaginant qu’avec l’aide des pays du sud il pourrait tordre le bras d’Angela Merkel . Manuel Valls semble plus réaliste : croisons les doigts ! Paradoxalement , la nouvelle claque que le PS pourrait subir ce dimanche soir pourrait , en la matière , constituer une bonne nouvelle . Comme disait ma grand-mère :  » A quelque chose , malheur est bon  » .

par Philippe Le Corroller - le 25 mai, 2014



Laissez un commentaire