Occupy
Nous publions les « bonnes feuilles » de l’ouvrage Occupy de Noam Chomsky, avec l’aimable autorisation des éditions de l’Herne.
Noam Chomsky, Occupy, éd. de l’Herne, 2013, 114 p., 15€.
Le mouvement Occupy s’est largement inspiré de l’anarchisme. Comment rendre tout son sens à ce courant et venir à bout des stéréotypes négatifs auquel il est associé dans l’esprit des gens ?
Pour venir à bout des stéréotypes, il convient de mener une action concrète et constructive, à laquelle les citoyens puissent adhérer. L’instauration de réseaux d’entraide et d’une démocratie participative, voilà un projet que les gens peuvent comprendre, auquel ils peuvent accorder de la valeur et qu’ils peuvent transposer d’une façon ou d’une autre au sein de leur propre communauté. C’est le seul moyen de se défaire des stéréotypes et de faire valoir notre conception de la liberté et de la solidarité. Ces notions se construisent sur le terrain et elles sont d’autant plus convaincantes qu’elles sont mises en application. (…) Dans l’un de ses traités politiques, David Hume affirmait que le pouvoir était aux mains des gouvernés, non des gouvernants. Que ce soit dans une société féodale, dans une dictature militaire ou dans une démocratie parlementaire, en effet, le pouvoir est toujours aux mains des gouvernés. Pour garder la main, les dirigeants doivent contrôler les esprits et les comportements. Le constat que Hume établissait au XVIIIe siècle vaut encore à l’heure actuelle. Le pouvoir est entre les mains du peuple. Mais, maintenant que les citoyens ont acquis des droits, le contrôle ne s’exerce plus tant par la force que par la propagande, le consumérisme, le racisme … On n’en viendra sans doute jamais à bout, mais il nous faut trouver l’énergie d’y résister.
Je veux bien voter pour tel ou tel candidat, mais à condition qu’il tienne ses promesses. Notre société serait cependant plus démocratique si nous avions la possibilité de révoquer nos élus. Il y a d’autres manières de faire pression sur les candidats, sans se laisser récupérer par un parti politique. Nous avons des décisions à prendre, des choix à faire.
En quoi les idées de Gramsci rejoignent-elles votre propos ?
J’ai beaucoup d’estime pour Gramsci. C’est un penseur important. Sur plusieurs points, il est d’ailleurs d’accord avec Hume : comme lui, il a montré que l’hégémonie culturelle était établie par des systèmes de pouvoir. Son œuvre mérite d’être lue. Ce qu’il dit, nous le savons déjà. Il ne dit rien de nouveau. Mais peut-être est-ce parce que je ne l’ai pas bien lu. Lisez-le et faites-vous votre propre opinion.
Notre système économique est régi par l’idée de croissance exponentielle.
Nous sommes confrontés à un problème grave : il en va de la survie de l’humanité. Aujourd’hui, nous frôlons la catastrophe écologique. Si la croissance passe par la logique de la destruction de l’environnement, par l’émission de gaz à effets de serre, par l’abandon de terres agricoles, nous sommes au bord du gouffre. Cette situation n’est pourtant pas une fatalité. La croissance pourrait passer par une plus grande frugalité, une plus grande solidarité. Mais cela demande des efforts. Il faut des efforts et des initiatives. Les communautés mises en place par le mouvement Occupy proposent un mode de vie différent, qui n’est pas fondé sur la maximisation des biens de consommation, mais sur la maximisation des valeurs humaines. Cela aussi est une forme de croissance, mais dans une autre direction.
Comment expliquez-vous la récente crise du marché immobilier ? Dans quel contexte historique en sommes-nous arrivés là et quels en sont les éléments déclencheurs ?
La crise immobilière est une conséquence des mutations économiques survenues à partir des années 1970. Des mutations qui se sont accélérées sous Reagan et Thatcher. (…) Tout allait basculer dans les années 1970, avec l’essor du secteur financier.
Le chroniqueur financier Martin Wolf a écrit que le secteur financier parasitait les marchés à la manière d’une larve qui se nourrit aux dépens d’un organisme hôte. Cette comparaison est celle d’un économiste respecté, qui n’a rien d’un gauchiste. Voilà à quoi mène le système financier. Sans parler des délocalisations. Pourtant, ce n’est pas une fatalité. Il serait possible de préserver des conditions de production et de travail décentes dans notre pays, mais il est plus lucratif de délocaliser. Les décisions de ce genre ont eu un impact catastrophique sur l’économie. Elles ont contribué à la concentration des richesses dans le secteur de la finance et à la corruption des milieux politiques.
Nous avons été victimes d’une déréglementation effrénée. Dans les années 1950-1960, qui étaient celles d’une croissance spectaculaire, les banques étaient soumises à la réglementation et on ne connaissait pas la crise. Il a fallu attendre les années 1980 pour qu’éclatent les premières bulles financières. Il y en a plusieurs sous Reagan. Et l’administration Clinton s’est terminée sur l’explosion retentissante de la bulle informatique.
Ce n’est pas l’argent qui manque, mais la production réelle. Pour survivre à la période de stagnation, les ménages se sont fiés aux bulles. Dès le début des années 2000, le prix du logement a explosé. En principe, l’évolution du marché immobilier s’aligne sur celle du PIB. Or, il y a une dizaine d’années, l’immobilier a gonflé de façon disproportionnée. Ce phénomène, largement frauduleux, reposait sur des crédits hypothécaires et sur des instruments financiers complexes par lesquels les banques ont morcelé les crédits. Ces manigances ont pris des proportions telles que la bulle ne pouvait qu’exploser. Pourtant, les économistes et la Réserve fédérale américaine n’ont rien vu venir. Les procès-verbaux de réunions de la Réserve fédérale en 2006, qui viennent d’être rendus publics, ne s’inquiètent pas de l’explosion prévisible de la bulle immobilière. Au contraire, ils se félicitent d’avoir si bien géré le pays. Ce qui devait arriver arriva : la bulle a éclaté, faisant partir en fumée quelque 8 000 milliards de dollars.
Nombre d’Américains ont tout perdu. Les Afro-Américains ont vu le patrimoine réduit à néant. Tant que les marchés financiers ne sont pas réglementés et peuvent compter sur l’Etat pour les renflouer, il en sera ainsi. Ces banques sont too big to fail, trop grandes pour faire faillite : sachant qu’à la moindre difficulté, les contribuables seront appelés à leur rescousse, elles sous-estiment les prises de risque. Si ce n’est pas le marché immobilier, ce sera autre chose, le marché des matières premières ou autre. Ce qui font les frais de cette économie casino, ce ne sont pas les riches et les puissants, mais les 99% restants.
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Philosophe et théoricien du langage américain, professeur émérite de linguistique au Massachusetts Institute of Technology, Noam Chomsky est également un militant politique libertaire de réputation mondiale. Il est l’auteur vivant le plus cité au monde. Un cahier de l’Herne (2007) lui est consacré. A l’Herne : L’An 501, la conquête continue (2007), De la nature humaine : justice contre pouvoir (2007) ; Raison contre pouvoir, le pari de Pascal (2009) ; Pour une éducation humaniste (2010) ; Occupy (2013).
Commentaires
Dans la perspective de gouvernés qui prennent leur pouvoir en main, peut-être qu’on pourrait acheter ce livre ailleurs que sur Amazon?
par Matthias - le 30 juin, 2013
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