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Vertu Civique

20/11/2015 | par Julien De Sanctis | dans Politique | 3 commentaires

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Plutôt que de céder aux bouillies gauchisantes et droitisantes accusant tour à tour le méchant Occident, les vilains musulmans, l’effroyable capitalisme, les migrants malveillants, l’hypocrite drapeau Français, et j’en passe, ne devrions-nous pas tenter un examen de conscience collectif ? N’y a-t-il pas un discours certes moins partisan, mais plus nuancé et certainement plus proche du réel ? N’y a-t-il pas une voie de traverse face à l’angélisme débilitant et à l’arriération mercantiliste ? J’ai récemment découvert la notion de « vertu civique » développée par un certain John Ladd en 1991. Il soutient que la notion de responsabilité peut-être définie de deux façons. La première, sûrement la plus courante, est exclusive et restrictive : c’est la responsabilité individuelle liée à tel ou tel engagement, tel ou tel mandat, telle ou telle fonction ou action. La responsabilité individuelle, permet aussi de définir qui n’est pas responsable. La seconde, quant à elle, est collective. Elle ne cherche pas de responsable particulier mais postule que chacun porte une part de responsabilité dans le bienêtre de l’autre, part constitutive de la vertu civique. Il ne s’agit pas du tout de verser dans l’angélisme benêt (angélisme souvent schizophrène car il s’accompagne toujours d’une hostilité illimitée envers des « profils » idéologiquement choisis et entretenus), mais simplement d’encourager une bienveillance a priori, en amont, par défaut si j’ose dire, qui me paraît être le minimum nécessaire à la cohésion sociale et nationale. Ce que je trouve particulièrement intéressant dans cette notion de vertu civique, c’est le changement de culture morale qu’elle suppose. Nous avons libéralisé et individualisé l’idée et la pratique morale au point d’en faire un aléa (cette idée s’incarne bien dans la phrase enfantine « je fais c’que j’veux ») et il faut, malheureusement, que l’atroce ait lieu pour que le Commun émerge avec vigueur. Ce que je trouve le plus regrettable dans ce processus, c’est qu’on a du même coup rendu très aléatoire notre capacité de remise en question individuelle (pour ne pas dire néantisé).  Nous blâmons nos responsables, et nous avons des milliers de raisons de le faire ; mais comment espérer d’eux courage et dignité, si nous perdons, en tant qu’individus appartenant à une nation, le goût de l’autre au point de concevoir la politique uniquement sous l’angle de l’intérêt personnel ? La laïcité est peut-être le plus bel exemple de vertu civique puisqu’elle a pour but d’assurer la liberté et le respect de chacun eu égard à ses croyances religieuses. Mais pris entre les feux des idéologues, elle est devenu, à gauche, un horrible principe de stigmatisation et, à droite, une arme de croisade sécularisée. Les premiers se vautrent dans le misérabilisme, oubliant rapidement que rappeler à l’ordre des contrevenants au principe laïque n’a rien de stigmatisant en soi, et les seconds se compromettent dans des exercices fumeux d’interprétations visant à doter la laïcité d’une rigidité qu’elle n’a jamais eu. Ces deux postures conduisent en effet à de la stigmatisation ET à l’érosion de notre beau principe laïque. Banco !

Pour bien illustrer l’adéquation entre vertu civique et laïcité, on peut citer l’exemple des cantines scolaires. La laïcité n’est pas un principe à sens unique, mais une forme de don/contredon : j’accepte son exigence de neutralité (je lui « offre » mon consentement à la neutralité de l’État) en échange de la protection qu’elle assure. Mais cette protection n’a pas vocation à rester égocentrée : en tant qu’individu athée ou membre de telle ou telle communauté religieuse, je souhaite également voir ce principe appliqué pour qu’autrui bénéficie de la même protection que moi. Car la laïcité, ce n’est pas l’athéisme mais la liberté de conscience religieuse institutionnellement encadrée et garantie. Pour les cantines scolaires, on peut donc sereinement affirmer que le halal, le casher ou l’eau bénite n’ont pas leur place au sein des menus, mais que cela ne dispense aucunement de les adapter en prévoyant, par exemple du bœuf aux côtés du porc. Cette bienveillance est double, elle va et vient entre le moi et le toi, le moi et l’autre, entre moi et autrui.

La France est un beau pays. Criblé de défauts. Mais beau. Peut-être assistons-nous aujourd’hui aux revers de nos idéaux. Peut-être s‘est-on trop reposé sur l’institutionnalisation de notre intelligence, de notre générosité et de notre tolérance. Peut-être que l’existence de la sécurité sociale, de la laïcité et de l’école républicaine ne suffisent plus, à elles seules, à nous rappeler avec force à quel point nous sommes issus de ces idéaux. Alors tentons de revitaliser la question des valeurs communes pour que ces institutions ne soient plus seulement des mécanismes ! Mais cela ne peut passer que par une pratique, qui plus est quotidienne, de ce que cette revitalisation implique. À nouveau, je pense que l’idée de vertu civique est un bon et beau point de départ.

 

Julien De Sanctis

Diplômé en Gestion (ESSEC Business School) et en Philosophie (Université Paris Panthéon-Sorbonne), Julien De Sanctis est doctorant à l’UTC en Philosophie et Ethique appliquée à la robotique interactive. Il effectue sa thèse en CIFRE avec Spoon, une jeune start-up créée fin 2015. Julien est également chroniqueur pour iPhilo et le blog de vulgarisation philosophique La Pause Philo. Parallèlement à ces activités académiques et d’écriture, Julien travaille avec l’agence Thaé qui promeut la philosophie pratique auprès d’acteurs privés comme les entreprises, notamment via l’organisation d’ateliers philosophiques ou l’accompagnement des comités stratégiques.

 

 

Commentaires

très, très bien. Votre texte nuancé fait penser. cette idée de vertu civique est à creuser. Elle n’empêche pas de nous interroger sur notre responsabilité individuelle ou collective concernant ce phénomène de rejet et de haine dont témoignent les jeunes de nos quartiers partis combattre en Syrie.

par Alain L. - le 20 novembre, 2015


Bonjour,

Les idéaux sont une représentation mentale, qui ne correspondent pas toujours à réalité. Je choisirais de qualifier, nous, les Français, comme des « acteurs de l’Art de vivre ». Cette griffe culturelle, ce luxe du savoir être et exister, que le monde entier nous envie !

Aux jeunes qui s’expatrient pour un état, qui ne peut exister; c’est un autre combat, de « l’intérieur », qui fait devoir et nécessité, pour accompagner ces Français à réaliser leur destin au sein de la patrie.

Notre présence d’esprit à nous dresser sur nos ergots, quand la nation est en danger? Continuer de rire de boire et de chanter, et nous laisser aller à l’humour et à la dérision.

Savoir restreindre le registre de nos libertés; une autre expression réfléchie, de notre vive et libre pensée.

Souvenirs émus de victimes qui bouleversent les cœurs et les esprits, et nous aident à la vigilance, à la cohésion, à communiquer, à fraterniser et à continuer de vivre tous ensemble dans un même élan.

Liberté, Egalité, Fraternité.

par philo'ofser - le 21 novembre, 2015


Merci pour ce très beau texte qui fait penser, et exprime des… idéaux ? que j’essaie d’appliquer dans mon tout petit quotidien.

par Debra - le 21 novembre, 2015



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