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Faut-il méditer ou philosopher ?

4/06/2017 | par Xavier Pavie | dans Art & Société | 7 commentaires

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TRIBUNE : Méditer n’est pas un gadget de bien être mais permet bien, par le souci de soi, de se redonner de la liberté, estime le philosophe Xavier Pavie. Mais pour ce professeur de l’ESSEC, cette activité n’est en rien incompatible avec la philosophie, qui est d’abord la recherche de la « vie bonne ».


Docteur en Philosophie, Xavier Pavie est Professeur à l’ESSEC Business School et chercheur à l’Institut de Recherche Philosophique de l’Université Paris Ouest. Il a notamment publié La méditation philosophique (éd. Eyrolles) et dernièrement Le choix d’exister (éd. Les Belles Lettres). Suivre sur Twitter : @XavierPavie


L’opposition, la différenciation qui parfois émerge entre philosophie et méditation – surtout chez les partisans de l’une ou l’autre pratique – n’a pas de sens. Plus qu’une résonnance, qu’une articulation qui pourrait lier ces deux activités, c’est une véritable intrication qui les anime au sens où si l’une peut fonctionner sans l’autre, elle est cependant moins révélée, moins pertinente, car seul le mélange des deux permet de vous conduire à une nouvelle manière de vivre : faire une expérience plutôt que de théoriser, questionner, recouvrer sa liberté. Oubliez vos jugements sur votre niveau scolaire en philosophie, accordez vous un peu de temps pour pratiquer !

Qu’est-ce que philosopher ?

Si la méditation fait la couverture de tous les magazines, êtes vous bien sur de savoir ce qu’est la philo d’abord ? ou surtout de comprendre ce qu’est « philosopher » ? « L’amour de la sagesse » que définit le mot philosophia, n’a d’autre signification que vous aider à mieux vivre, à mieux être dans votre existence. Cela étant dit comment s’y prendre ? Comment commencer à philosopher ? Faut-il se jeter sur les trois Critiques kantienne ? Lire les œuvres du stagirite ? Apprendre les pensées du célèbre empereur-stoïcien ou encore digérer la dernière production onfrayienne ? Si certaines de ces lectures philosophiques peuvent s’avérer déterminantes, elles ne peuvent en rien garantir un réel engagement vers la sagesse et le mieux vivre. Car depuis ces origines c’est la pratique, plus que la théorie que la philosophie a salué comme la véritable voie pour se convertir. Et seule une parfaite articulation entre theoria/praxis, un bon équilibre entre la pensée et les actes permet d’évaluer les véritables qualités d’un philosophe.

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Il vous faut donc pratiquer, mettre en œuvre et cela passe par ce qu’il est désormais convenu d’appeler avec Pierre Hadot des « exercices spirituels ». Car aussi déterminant soit-il, l’aspect théorique que l’on peut également nommer réflexif ou discursif, à travers les enseignements, discours et conférences est insuffisant. Le passage à l’acte de philosopher est possible à travers un grand nombre de pratiques, d’exercices et si la lecture, l’écriture, l’attention au corps, le dialogue font partis des « classiques » exercices spirituels, ils en passent tous par la méditation, on peut même avancer qu’il n’y a pas d’exercices spirituels sans méditation.

Qu’est-ce que la méditation ?

Idem pour la méditation. Combien d’articles sur sa pratique dans les entreprises, dans les hôpitaux, dans les écoles… Mais qu’est ce que cela signifie ? Le terme « méditation » prend sa source dans le terme grec melête, qui signifie « s’exercer » et son objectif est de travailler à ce que l’on veut voir s’accomplir chez soi : une amélioration, une transformation, une modification de soi, et ce dans le but de mieux vivre. C’est aussi l’objectif de prendre soin de soi, l’epimeleia heautou, qui engage votre pensée, votre réflexion avant tout vers soi ; c’est une volonté de s’apprécier soi-même en se connaissant, se critiquant, s’améliorant pour finalement se transformer.

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La méditation est en fait l’outil de la mise en œuvre des exercices spirituels. Le philosophe se doit de se concentrer, de se préparer, de méditer sur ce qu’il souhaite travailler comme exercice. On comprend ainsi que ce que l’on peut appeler ici « la méditation philosophique », c’est non seulement le point de passage, mais aussi le point d’ancrage entre la théorie et la pratique, entre le discours et l’expérience. Sans ce passage, la philosophie reste superficielle, théorique, discursive. L’enjeu de la méditation, c’est de faire entrer ce que l’on souhaite être dans la phase du faire-être. C’est le passage de la volonté à l’action, c’est le moment où la philosophie n’est plus simplement une pensée, elle devient une réalité, elle devient une pensée en acte.

La philosophie et la méditation, deux mondes très proches

Peut être étiez vous nul en philo en terminal, mais méditer est très simple. De plus la philosophie et la méditation sont deux mondes finalement très proches quand on dépasse leurs caricatures.

Méditer revient à interroger l’expérience telle qu’elle est, comme la philosophie (contrairement aux préjugés traditionnels). Les 2 ont ce souci de faire une expérience plutôt que d’être dans une pure conceptualisation un peu abstraite. Or c’est en faisant une expérience (s’asseoir en silence pendant 10 minutes, ou poser des questions en classe de philo…) qu’on s’ouvre au monde.

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Comme certains courants dans l’histoire de la philosophie l’ont proposé, Méditer permet aussi de se libérer :

  • en lâchant prise afin de ne pas figer dans des catégories ses pensées, ses émotions, les autres… ;
  • en questionnant les mécanismes d’aliénation autour de vous et en vous ;
  • en questionnant un savoir qui s’impose trop parfois sans pour autant être complètementvalidé (la pseudo rationalité omniprésente, la culture de l’efficacité…) ;
  • en remettant en cause la figure du maître pour ce qui est de la connaissance du monde et de soi car le seul point de référence d’un méditant est l’expérience qu’il vit.

Méditer n’est pas un gadget de bien être mais permet bien, par le souci de soi, de se redonner de la liberté. Comme la pratique de la pleine conscience permet d’observer des pensées qui naissent et disparaissent dans son esprit, vous pouvez réaliser qui, en soi, pense parfois à votre place: son ego, son éducation, ses réflexes, ses émotions, son pilote automatique…. Vous pouvez ainsi regagner une libertéque vous abandonnez peut être parfois. La philosophie, depuis son commencement, est un questionnement. La méditation aussi : l’expérience de se centrer sur sa respiration est finalement un questionnement : qu’est la vie pour soi ? La méditation vous garde dans une curiosité de tous les instants et vous ouvre à la question décisive du sens. En questionnant et en portant son attention sur son anxiété, sa souffrance ou l’injustice, le méditant peut appréhender un peu mieux la dignité de l’être humain

Et pour conclure…

Méditer, en tant qu’exercice philosophique, psychologique, spirituel ou juste une gym du cerveau, implique donc une posture particulière face au monde : être attentif, en action, lucide, sans rechercher quoi que ce soit. Hannah Arendt écrit « La méditation devient une sorte de situation bénie de l’âme où l’esprit ne se met plus en quatre pour connaitre la vérité, mais la reçoit momentanément grâce à l’intuition ».

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Mais comment, concrètement méditer et donc « philosopher » au quotidien ?

  • Nul besoin de livre ou de théorie: la méditation formelle revient s’asseoir pendant quelques minutes chaque jour en portant son attention sur le moment présent. C’est tout ce qu’il y a à faire : simple, profond, et pourtant si difficile.
  • Vous serez alors en position d’observateur devant votre fonctionnement mental, sans jugement, sans analyser. Vous pouvez aussi pendant votre journée vous reconnecter à votre souffle ou à vos sensations physiques durant quelques secondes ou quelques minutes. Evidemment pratiquer avant votre cours de philo, des discussions, une lecture philosophique est idéal !

 

Xavier Pavie

Docteur en philosophie et diplômé en science de gestion, Xavier Pavie est Professeur à l'ESSEC Business School, où il dirige le centre i-Magination, et chercheur associé au sein de l'IREPH (Institut de Recherches Philosophiques) de l'Université Paris Ouest. Auteur de nombreux articles et d'une douzaine d’ouvrages, à la fois en philosophie et en management, il a récemment publié : Innovation-responsable (Eyrolles) ; Exercices spirituels, leçons de la philosophie antique (Les Belles Lettres 2012) et Exercices spirituels, leçons de la philosophie contemporaine (Les Belles Lettres 2013). Site internet :http://www.xavierpavie.com/. Suivre sur Twitter : @xavierpavie.