Souriez, vous êtes smiley !
Du 5 au 13 mai, c’est la Fête du sourire (http://www.lafetedusourire.fr/): l’occasion de s’interroger sur l’incompréhensible succès du « smiley » ! Comment ce pac-man jaune inélégant au possible a-t-il pu s’imposer ainsi ? Quel effet produit-il pour que son usage, loin de s’épuiser, se diffuse ? Pourquoi tout lui sourit-il ? Il se pourrait bien que la réponse à toutes ces interrogations se trouve dans cette dernière question… Tout lui sourit parce que lui-même sourit ! Car le sourire a la qualité du cercle vertueux : il ne tourne pas en rond, il entraîne dans une ronde sans fin…
Quand le sourire vient aux lèvres, il n’en reste jamais là : il illumine les yeux, arrondit les sourcils, élève les pommettes, lisse le front, rend jusqu’aux oreilles charmantes. C’est le visage tout entier qui s’éclaire. S’y exprime une double chose : le contentement, c’est-à-dire la plénitude de celui qu’on dit comblé ; mais aussi l’ouverture au monde et aux autres, celle qui signifie que tout est possible. Autrement dit, d’abord la suffisance à soi heureuse : « s’oublier dans la légèreté essentielle du sourire, où l’existence se fait innocemment, où dans sa plénitude même elle flotte comme privée de poids et où, gratuit et gracieux, son épanouissement est comme un évanouissement (…) » (Lévinas, De l’existence à l’existant). Et, en même temps, l’horizon ouvert à l’altérité, celle d’un autre monde possible et celle des rencontres avec les autres. Pour la première figure de l’altérité, se rappeler qu’un sourire a le pouvoir de tout effacer : c’est en ce sens que le philosophe Alain dit que « dans tout sourire il y a de l’enfance » (Les Passions et la sagesse). S’y origine la magie des (re)commencements. En ce sens, il n’est pas anodin que la Fête du sourire soit organisée à l’initiative de l’Association des paralysés de France : le symbole du sourire est en effet la promesse d’un regard neuf sur le handicap. Pour le deuxième visage de l’altérité, celui précisément du visage des autres, songer au pouvoir de contagion du sourire et à son caractère performatif. Venez demander quelque chose à quelqu’un avec le sourire, vous l’obtiendrez ou récolterez à tout le moins un sourire en échange. La même chose le visage renfrogné : vous n’aurez rien par-delà le « non » qui clôt l’affaire.
Il y a de cela dans l’utilisation à tout va du smiley : par son pouvoir de contamination, il désamorce les conflits possibles, dégonfle de toute charge agressive les messages, fonctionne en somme comme une sorte de captatio benevolentiae contemporaine. Mais, en même temps, il tue dans l’œuf son effet rhétorique en remplaçant le langage articulé par une image : que répondre à un visage rond et jaune qui nous sourit ? Empêchant la confrontation langagière et plus largement le logos (langage et raison), il infantilise d’avance l’interlocuteur, le prive des aspérités et de la marge d’interprétation qui lui permettraient de s’exprimer et de faire avancer le débat…
Et puis, smiley pour smiley, ne préfèreriez-vous pas lire des mails et textos ponctués par le sourire narquois de l’ange de la cathédrale de Reims, celui énigmatique de La Joconde ou celui tout béat de Bouddha ? 🙂
Sophie Chassat est ancienne élève de l'Ecole Normale Supérieure et agrégée de philosophie. Elle a collaboré à plusieurs reprises avec France Culture et, après avoir enseigné, intervient désormais en entreprise, sous la forme de conférences philosophiques et de conseil en communication.
Commentaires
Laissez un commentaire