L’équipe de France et la fortune (morale)
Les Français sont à peu près aussi désabusés de l’équipe de France de football que cette dernière l’est lorsqu’elle joue au ballon. Il y a une réciprocité qui laisse peu d’avenir au football français dans l’immédiat tant les deux parties semblent s’éloigner l’une de l’autre. Les critiques ne cessent de fuser de toutes parts, des sportifs eux-mêmes, des hommes politiques, des auditeurs sur les chaînes de radio ou des internautes sur la toile. Mais une chose marque particulièrement (à défaut des joueurs) : leur conduite de balle semble bien moins gêner que leur conduite morale. La défaite en tant que telle n’est point un problème. La preuve en est du but marqué par Samir Nasri, aussitôt oublié devant l’insulte proférée contre un journaliste. D’un point de vue éthique, quelle nouvelle agréable que les supporters soient si attachés au fair play de leurs joueurs. La moralité publique ne peut que s’en réjouir ! Ainsi, après le match perdu contre la Suède, un journal gratuit titrait à la une : « Les Bleus qualifiés, mais inqualifiables ». Les critiques vont encore plus loin dans leurs analyses : cela ne fait aucun doute que la médiocrité de l’équipe procède directement d’un défaut moral de ses membres. L’hyper-individualisme des joueurs vedettes, leur indécence vis-à-vis du public nuisent mécaniquement à la qualité du jeu. Ils s’essoufflent dans de petites actions personnelles, au demeurant inefficaces, mais ne savent certainement plus faire des passes à 10 auxquelles les enfants jouent en cours de récréation. Pour les supporters et les téléspectateurs, l’équipe de France est un miroir cathartique du narcissisme, de l’individualisme et de la médiocrité dorée dans ce qu’ils ont de pire.
Certes. Mais la situation n’est peut-être pas aussi claire et limpide dans le jugement moral que nous portons unanimement sur l’équipe de France. Sans avoir besoin d’outils normatifs très complexes, nous pensons pouvoir juger facilement cette équipe de France. Le jugement que nous lui portons aujourd’hui nous paraît évident. Mais pouvions-nous déjà porter ce jugement il y a quelques jours de cela lorsque les Bleus n’étaient pas encore sortis de la course ? Rien n’est moins sûr. En effet, les événements qui se sont succédé les uns après les autres illustrent de manière quasiment paradigmatique le concept de Fortune morale – traduction du concept de Moral luck que nous devons au philosophe britannique Bernard Williams. En transposant ce concept à notre Equipe de France, nous pourrions dire en suivant le raisonnement de Bernard Williams que le jugement que nous portons sur les Bleus n’a été réellement clair et limpide qu’après leur(s) défaite(s) ; plus précisément, qu’il n’a pu être que rétroactif et a dépendu in fine des conséquences de l’acte même que nous jugions. Pour illustrer cela, l’argument contrefactuel est précieux : l’insulte de Samir Nasri n’aurait pas choqué les foules si les Bleus avaient gagné contre la Suède. Elle aurait encore moins choqué l’opinion publique si l’équipe de France avait gagné contre l’Espagne. Il s’en serait même fallu de peu dans un tel cas pour qu’elle soit justifiée et acceptée par tous. Le jugement moral négatif que nous avons des Bleus s’est peu à peu forgé au rythme des résultats. A peine perceptible après le match France-Angleterre (qui n’était pas si mal après tout), très présent au début de France-Ukraine lorsque la France n’arrivait pas à marquer, il a subitement disparu lorsque les Bleus ont finalement marqué par deux fois contre le pays organisateur. Cette évolution de notre propre jugement en fonction des résultats était par exemple remarquable sur Twitter où le temps réel démultiplie ces phénomènes collectifs. Le jugement n’a été réellement fondé dans l’opinion qu’après le match France-Suède, puis confirmé par l’échec final contre l’Espagne. La leçon à tirer de tout ceci est simple : les jugements moraux collectifs que nous portons en permanence, au-delà de l’univers du Football, peuvent être grevés en réalité par le degré d’incertitude des conséquences des actes que nous jugeons. A noter que cet a posteriori moral de nos jugements, lorsqu’il ne s’agit plus de ballon rond, peut se révéler gênant.
Le coup de tête de Zinedine Zidane en finale de la Coupe du Monde contre l’Italie en 2006 est le pendant de l’insulte de Samir Nasri cette année. D’après un sondage publié à l’époque, 61% des Français considéraient le célèbre coup de boule comme excusable. A la lecture des témoignages, il était même évident pour un grand nombre d’entre eux que Zinedine Zidane avait agi avec raison contre une provocation inadmissible. Samir Nasri ne bénéficiera pas de la même clémence que l’icône du ballon rond en 2006. Vous pourriez objecter que la France a perdu quelques minutes après le coup de tête fatal. Pourquoi alors la fortune morale a-t-elle sauvé Zidane ? C’est oublier comme le notait Vladimir Jankélévitch que « l’homme a un bel avenir derrière lui ; mais c’est parce qu’il a devant lui un vaste passé ». L’événement postérieur au coup de boule de 2006 qui a sauvé Zidane du jugement moral que nous avons porté, c’est paradoxalement la victoire de … 1998. La coupe du monde en Afrique du Sud en 2010 n’a pas garanti pour Samir Nasri un tel viatique assurantiel. Malheur aux vaincus disaient déjà Brennus aux Romains.
Journaliste, Alexis Feertchak est chef de service au Figaro, chroniqueur pour le magazine Conflits et rédacteur en chef du journal iPhilo, qu'il a fondé en 2012. Diplômé de Sciences Po Paris et licencié en philosophie de l'Université Paris-Sorbonne après un double cursus, il a été pigiste pour Philosophie Magazine et a collaboré pour l'Institut Diderot, think tank de prospective. Suivre sur Twitter : @Feertchak
Commentaires
pas de milieu de terrain convenable pour pouvoir en ballon
de but re gardé les espagnoles joués
par drouin - le 10 septembre, 2013
pas de milieu de terrain voir les espagnols jouer
par drouin - le 10 septembre, 2013
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