Petite mathématique des individus
Ils disent que les gens sont des individus. Ce n’est pas tout à fait vrai, tout mathématicien vous dira que tout nombre entier est toujours divisible, par 1 déjà, par lui-même et, dans le cas des nombres qui ne sont pas premiers, par ces mêmes nombres premiers.
Certaines personnes sont des 4. Ils se comportent en 4, mais un 4 n’est jamais que 2 fois 2, et derrière tout 4 se cache donc un 2. Le 2 peut être le modèle qu’ils suivent, une influence qui les guide… bref, le 4 se mesure contre le 2 (et il vaut 2 fois 2). Pourtant le 4 a bien de la chance d’être un 4. Pensez au 60, l’énergumène est divisible par 1, 2, 3, 4, 5, 6, 10, 12, 15, 20, 30 et lui-même ! Le pauvre n’est jamais qu’une combinaison de ces nombres, et même pas une combinaison unique. Parfois il est 15 fois 4, d’autres jours il se déguisera en 2 fois 30. Une personne changeante, jamais la même mais toujours indistincte.
D’autres sont des 7, des nombres premiers. Ils ne se mesurent que contre eux-mêmes, seul un 7 peut diviser un 7 (et un 1 peut diviser un 7 bien sûr, mais celui-ci représente la norme silencieuse). Les 7 influencent, se retrouvent dans les 14, les 21, les 364 … Les nombres premiers sont provocants, imprévisibles, et c’est donc tout naturellement que jamais aucun scientifique n’a pu déterminer de loi les régissant, ni même approximer une quelconque distribution de leurs éléments.
Cette fille que je connaissais était un 0. Elle pouvait absorber n’importe quelle influence, se mesurer contre un 2, un 3, un 5, elle restait toujours elle-même, un 0. Elle était le vrai individu, non pas celui qui est indivisible comme son étymologie le voudrait, mais celui qui malgré ses divisions ne change pas, reste lui-même : un zéro. Le vrai individu est un zéro, immesurable, au confluent de tous les autres nombres et pourtant aucun de ces nombres. Une véritable singularité. Il ne divise personne car personne ne peut se mesurer au zéro. Pourtant le zéro est présent dans chacun de nous, comme un id silencieux. Il y est même présent une infinité de fois. Le zéro ne se divise pas lui-même (ce genre d’opération ferait même frémir le meilleur mathématicien) : les zéros ne peuvent même pas se comparer entre eux donc. Ils sont mêmes et pourtant ils sont isolés, comme autant d’îles identiques que toujours l’océan séparera. Ils sont les vrais individus : ils ne sont rien, seulement des zéros.
Barnabé Monnot est l'un des créateurs d'iPhilo. Etudiant à Dauphine en Master de Mathématiques, lauréat du concours de nouvelles de la Conférence Olivaint (2011), il est secrétaire-général du journal La Plume, le journal des étudiants de Dauphine. Suivre sur Twitter : @blablarnab
Commentaires
Une manière très intrigante d’observer des nombres entiers naturels comme des individus. Bravo Barnabé.
par Kahouadji Lyes - le 24 avril, 2013
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