Négociations israélo-palestiniennes : l’urgence d’une nouvelle approche
Lorsqu’il a obtenu d’Israël et de l’Autorité palestinienne une reprise des négociations de paix sous l’égide des Etats-Unis en août 2013, le secrétaire d’Etat John Kerry avait fixé la date du 29 avril 2014 pour parvenir à un accord. Mais, une semaine avant ce délai de neuf mois – jugé par certains irréaliste – Israël a suspendu les négociations à la suite de l’annonce de la réconciliation entre l’Autorité palestinienne et le Hamas. De son côté, la direction palestinienne a confirmé son intention de demander l’adhésion aux quelques soixante trois organisations et conventions internationales auxquelles le statut d’Etat observateur, obtenu en novembre 2012 à l’ONU, lui donne accès. Devant une telle situation, le président Barack Obama a jugé nécessaire de faire une « pause » dans les discussions.
Comme à l’accoutumée, chaque camp se rejette la responsabilité de cet échec. Le gouvernement israélien insiste sur l’intransigeance de Mahmoud Abbas, son rapprochement avec le Hamas et son refus de reconnaître Israël comme « Etat juif ». De son côté, l’Autorité palestinienne dénonce la poursuite de la colonisation dans les Territoires occupés et à Jérusalem et le double langage du premier ministre israélien. Le traditionnel blaming game bat son plein et l’emploi, par John Kerry, du mot « apartheid » pour décrire le danger du status quo pour Israël n’a pas facilité les choses.
Les raisons de cet échec sont multiples : absence de volonté politique d’aller vers la paix, position en retrait du président américain, méfiance grandissante entre les parties, situation politique intérieure, et décalage des positions de part et d’autre. Le premier ministre israélien campe en effet sur les positions qu’il avait fixées lors de son discours prononcé à l’Université de Bar Ilan en 2009. Il refuse de négocier sur la base des frontières de 1967, il rejette le gel des colonies, il n’accepte pas le principe même de Jérusalem comme capitale des deux Etats israélien et palestinien, et il exige de conserver le contrôle sur la vallée du Jourdain. À cela s’ajoute sa demande récente que les Palestiniens reconnaissent Israël comme un « Etat juif ». De son côté, Mahmoud Abbas, soucieux de ne pas affaiblir son autorité face aux extrémistes du Hamas, ne veut pas reculer au deçà des positions défendues par Arafat en 2000 pendant les négociations de Camp David : impossible pour lui de renoncer à Jérusalem-Est, au principe des frontières de 1967 comme base de négociations pour échanger des territoires, à une solution équitable pour le problème des réfugiés ou à la souveraineté sur la vallée du Jourdain. Sa position est d’ailleurs connue depuis 1988 – date des premiers pourparlers secrets entre Israéliens et Palestiniens – et il l’a constamment réaffirmée depuis vingt six ans : en juillet 2000 à Camp David, en janvier 2001 à Taba et en 2007 à Annapolis.
Une analyse de l’histoire des négociations israélo-palestiniennes depuis 1978 montre toutefois que la principale raison de cet échec est ailleurs : dans l’approche choisie par le secrétaire d’Etat américain (et son équipe) pour parvenir à un accord. Il a repris le paradigme consistant à fixer une période intérimaire au cours de laquelle les fondements d’un règlement définitif du conflit doivent être négociés, sans définir au préalable les paramètres d’un accord final. Les accords d’Oslo (1993) étaient basés sur ce principe et prévoyaient une période transitoire de cinq ans. La « feuille de route », initiée en 2002 par le président G. W. Bush, donnait trois ans aux Israéliens et aux Palestiniens pour trouver un accord-cadre. Même le président Obama a privilégié cette voie lorsqu’il s’est exprimé devant l’Assemble générale des Nations Unies en septembre 2010, après avoir nommé le sénateur Mitchell pour relancer les négociations. Le problème fondamental, avec cette approche, est qu’elle ne donne aucune indication – même vague – de ce que sera un futur Etat palestinien. Elle ne décrit qu’un processus fondé sur des étapes bien définies. Il n’est pas question ici de contester le principe des accords « intermédiaires » entre Palestiniens et Israéliens, mais l’histoire des négociations israélo-palestiniennes nous enseigne qu’une telle démarche est vouée à l’échec si les paramètres d’un accord global ne sont pas préalablement établis (territoire, Jérusalem, sécurité, et réfugiés). Chaque partie cherche en effet à maximiser ses gains entre les différentes étapes. C’est la logique de la méfiance qui l’emporte. Comment demander aux Palestiniens de s’engager dans un processus sans avoir une quelconque idée du point d’arrivée ? Comment demander aux Israéliens d’accepter des concessions sécuritaires sans aucune indication sur la nature de l’Etat à côté duquel ils seront amenés à vivre ?
N’en déplaise aux thuriféraires du statu quo, il est ainsi nécessaire de changer d’approche. Il devient urgent d’innover et d’opérer un véritable changement de perspective. Car, comme l’écrivait l’ancien ambassadeur d’Israël aux Nations-Unies, Johanan Bein dans le Jerusalem Post (17 octobre 2004) « Israël est probablement le seul pays au monde sans frontières et un Etat sans frontières est un Etat en danger, même quand il est armé et fort comme Israël. » Et tous les experts sont unanimes : le temps presse. L’absence de négociations sur le statut définitif rend peu à peu impossible la création d’un Etat palestinien. Dans peu de temps, il n’y aura plus rien à négocier et la solution dite des « deux Etats » sera définitivement enterrée : le mur sera totalement achevé, les colonies ne pourront plus être déplacées (même si chacun convient que plusieurs d’entre elles seront annexées à Israël), et Jérusalem sera trop solidement enserrée à l’Etat hébreu pour être divisée. Les citoyens israéliens s’y sont d’ailleurs pas trompés car ils plébiscitent, dans leur vaste majorité, la tenue rapide de négociations « définitives ». Quant à l’Autorité palestinienne, elle n’a plus aucune illusion. Son rapprochement avec le Hamas, que d’aucuns voient comme une menace, n’a qu’un objectif domestique. Chez eux, le pragmatisme est de rigueur.
Cette nouvelle approche des négociations requiert toutefois trois conditions : (1) la réaffirmation rapide, au plus haut niveau du pouvoir américain, des paramètres de toute solution négociée, paramètres qui ont été, pour l’essentiel, définis par l’ancien président Clinton le 23 décembre 2000. Les parties en conflit seraient invitées à se positionner sur la proposition américaine, conçue comme un cadre de référence non-négociable ; (2) la mise en place de mesures financières incitatives (ou punitives) visant à renforcer les modérés des deux camps. C’est la voie choisie récemment par les Etats-Unis qui ont offert à l’Etat hébreu des garanties sécuritaires sans précédent en cas d’accord avec les Palestiniens (le général Allen a été chargé par le président Obama de superviser cette offre). De même, la proposition de partenariat économique que l’Union européenne a faite à Israël en décembre 2013 en échange de la création d’un Etat palestinien est un pas dans la bonne direction. Chaque partie doit être confrontée à une offre – notamment économique – qu’elle ne peut pas refuser ; (3) l’inclusion des principaux acteurs arabes de la région (notamment l’Egypte et l’Arabie Saoudite) dans le processus de paix afin de lier le règlement du dossier palestinien à un accord global israélo-arabe. De ce point de vue, l’initiative de la Ligue arabe de 2002, prévoyant une normalisation pleine et entière avec Israel en échange de la création d’un Etat palestinien, peut servir de document de référence.
Selon toute vraisemblance, jugeant inutile – ou politiquement dangereux – de changer de perspective, les partisans du statu quo continueront de privilégier la méthode des « accords intérimaires », appliquée depuis plus de vingt ans. Agissant ainsi, ils rendront de facto impossible la solution dite « des deux Etats » et donneront raison à ceux qui pensent qu’il existe d’autres options pour régler ce conflit (One State Solution) ou qui estiment que le règlement du dossier palestinien n’est pas prioritaire. Les réalistes, eux, intégrant les récents développements avec l’Iran, et refusant la voie que proposent les extrémistes de tout bord, défendront sans hésiter les efforts de paix du secrétaire d’Etat américain, à la condition toutefois qu’il tire les leçons du passé et qu’il établisse, quatorze ans après le président Clinton, les paramètres intangibles de toute paix juste et durable.
Alexis Keller est un politiste et ancien diplomate suisse, professeur à l'Université de Genève, professeur invité à Sciences Po Paris, membre du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et ancien Fellow de la Kennedy School of Government de l'Université Harvard. De 2002 à 2004, il a été l'un des principaux artisans des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens qui ont abouti à l'Initiative de Genève. Théoricien du concept de "paix juste", il a reçu le prix Latsis en 2001 pour son ouvrage Le Libéralisme sans la Démocratie.
Commentaires
Merci pour ce très beau papier, mais je demande quand même : l’une et l’autre des parties en présence veulent-elles vraiment la paix ? Le statut quo présente un intérêt peut-être polémique à dire, mais allons y quand même : il présente l’intérêt pour Israël et la Palestine de concourir au titre de « victime perpétuelle ». La victimisation est au coeur des deux logiques qui s’affrontent et envisager une sortie du conflit signifie que les acteurs sont prêts à sortir de leur rôle de victime sacrée. Le sont-ils ? Je ne le pense pas. Israël arguera toujours de sa position d’isolement par rapport à tous les autres (que ce soit l’Iran ou l’Arabie Saoudite) : de frontières sûres, il ne peut être question. Quant au discours palestinien, il est également une illustration de la sacralisation du statut de victime, qui anime ainsi une nouvelle sorte d’antisémitisme, qui se fond bien souvent avec l’antisionisme.
par A. Terletzski - le 20 mai, 2014
Ne s’agit-il que d’un problème de méthode et d’approche ? Le problème n’est-il pas plus profond ? Comment trouver un accord quand l’état d’israël mène une telle politique ? Si cet État ne vivait pas dans l’ombre protectrice de la schoah, accepterait-on de telles choses et les Occidenteux couvriraient-ils de telles pratiques ? Si la notion d’Apartheid est historiquement maladroite, comment ne pas voir que la réalité d’un tel phénomène est pourtant bien présente ?
par Paul Bernard - le 21 mai, 2014
Comment la paix pourra-t-elle être lorsque les petits palestiniens apprennent à hair le juif dans leurs manuels scolaires ?
Et comment envisager la paix lorsque le Hamas appelle à détruire Israël ?
par Emmanuel Errera - le 25 juin, 2014
Gostava do Rafinha, mas quando apareceste foi demais! És o melhor na bancada e fico triste com tua saída. Boa sorte e um Feliz Natal e espero que no Ano de 2014 continues alegrando o CQC. Um abraço
dillards prom dress http://www.dillarddresses.com/prom-dresses_c86.html
par dillards prom dress - le 27 janvier, 2015
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