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La fin des notes à l’École ?

19/01/2015 | par Claude Obadia | dans Art & Société | 5 commentaires

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Le tout dernier rapport du Conseil Supérieur des Programmes, remis à la Ministre de l’Éducation Najat Valaud-Belkacem, n’a pas fini de faire parler de lui. Et pour cause, il ne préconise rien de moins que la suppression des notes pour les élèves du premier degré et des collèges et oppose à « l’évaluation sanction » « l’évaluation bienveillante ». Qu’une telle idée puisse séduire ceux qui imaginent qu’il suffit de casser le thermomètre pour faire tomber la fièvre n’a rien de surprenant quand les mêmes considèrent qu’il suffit de ne pas sélectionner les élèves à l’École pour faire oeuvre de justice démocratique. Mais  qu’une Ministre de l’Éducation cède si facilement aux sirènes de l’idéologie et feigne d’ignorer les vertus émancipatrices des évaluations objectives en milieu scolaire est en revanche pour le moins surprenant…

Car enfin, que veut-on dire lorsqu’on oppose à la notation la bienveillance ? Que donner une note est faire preuve de malveillance ? Si c’est le cas, alors le propos est ridicule, qui manifeste l’ignorance la plus totale des ressorts de  la notation. Celle-ci n’a ni à être bienveillante ni à être malveillante. Elle se doit d’être objective  pour aider l’élève à savoir où il en est de sa progression, pour le soutenir dans ses efforts   et pour aider sa famille à l’accompagner dans ce travail. Il n’y a là rien de stigmatisant ! Et il n’y a là rien de malveillant pourvu qu’on envisage l’élève comme un élève, c’est-à-dire un enfant ou un adolescent qui fait l’effort de s’élever et qui, par-là même et indépendamment de ses résultats, est méritant. Sans compter, faut-il le rappeler,  qu’un élève, en difficulté ou non,  est une personne et qu’à ce titre il mérite le respect qu’au nom des valeurs de la République on doit à toute personne. Qu’on puisse perdre cela de vue est bien fâcheux. Qu’on imagine que la valeur d’un élève est étroitement corrélée à ses performances ne l’est pas moins.  Car un mauvais élève n’est pas un élève qui n’a pas de bons résultats mais un élève qui ne fait pas l’effort de s’élever. Et c’est tout à fait différent. Mais en quoi tout ceci disqualifie-t-il le principe de la notation ?

Car enfin, qu’est-ce qui stigmatise l’élève ? Sa note ? Non. Ce qui le stigmatise, c’est le regard qu’on porte sur lui. Or, ce regard est imputable à l’autorité, à la compétence et à la responsabilité du professeur et n’est en rien attaché mécaniquement et aveuglément au niveau de performance de nos élèves. N’ayons donc pas peur   de dire la vérité. Il n’est pas facile du tout d’encourager un élève qui est en difficulté, et il n’est pas moins difficile de lui révéler sa richesse intérieure sans laquelle il restera sans force. Car cela n’est rien d’autre que croire en l’élève. Or, cette foi n’est pas un geste technique, et pas davantage pédagogique. Elle relève d’une disposition à la générosité, qui n’est que la force de faire confiance. Car c’est la confiance du maître qui fait grandir son élève.

Par où l’on voit qu’il convient ici de ne pas se tromper de problème et de renouer, autant que faire se peut, avec le bon sens.  Noter les élèves n’est en rien « stigmatisant ». C’est tout simplement    nécessaire. Comme il est nécessaire, sans du tout avoir besoin, pour cela, de cesser de les noter,  de s’efforcer de leur révéler à tous, à commencer par ceux qui sont en difficulté, leur richesse et leurs capacités. Comme il sera nécessaire, évidemment,  non seulement d’encourager leurs efforts, mais de décourager leur paresse. Et ce n’est pas tout.

Au lieu de fustiger les notes comme un benêt mettrait en cause le thermomètre qui mesure la fièvre du malade, ne ferait-on pas mieux de se demander pour quelles raisons les élèves souffrent de leurs mauvaises notes ? Car ici l’on pourrait bien être mis en demeure de reconnaître que s’il y a bien quelque chose qui est largement impliquée dans le malaise des élèves en difficulté, c’est peut-être bien, et c’est peut-être même d’abord, l’application brutale du principe démocratique à la chose scolaire. Car c’est bien, au nom, prétendument, de la démocratie, que l’on persuade tous les élèves qu’ils doivent poursuivre le plus longtemps possible leurs études, y compris s’ils n’en en ont ni le désir ni les capacités. Et c’est bien aussi au nom du droit à la réussite pour tous qu’on en est venu à affirmer que tous les jeunes doivent posséder les mêmes compétences, y compris dans le  cas où, ne les possédant pas, ils seraient condamnés à l’échec.

 

Claude Obadia

Agrégé de philosophie, Claude Obadia enseigne à l'Université de Cergy-Pontoise, à l'Institut Supérieur de Commerce de Paris et dans le Second degré. Il a publié en 2011 Les Lumières en berne ? (L’Harmattan) et en 2014 Kant prophète ? Éléments pour une europhilosophie (éditions Paradigme – Ovadia). Il consacre ses recherches actuelles aux sources religieuses et métaphysiques du socialisme. Son blog : www.claudeobadia.fr.

 

 

Commentaires

Arrive-t-il au Conseil supérieur des programmes de lire les manuels que l’Education Nationale propose aux élèves ? Il y a quelques années, ouvrant par hasard un livre d’économie de Première ES , je suis tombé de l’armoire . L’entreprise y était présentée , non pas comme le lieu d’origine de la création de richesses , mais comme celui où les malheureux salariés étaient confrontés aux conflits sociaux . Mais , heureusement , expliquait-on , les syndicats et l’Administration veillaient au grain ! Alors je n’ai pas été surpris , ces dernières semaines , lorsque ce  » Conseil supérieur » a pondu son inénarrable poulet sur la suppression des notes . Quand l’idéologie l’emporte sur l’expérience de milliers de profs depuis des siècles, tout est possible . Bon courage !

par Philippe Le Corroller - le 19 janvier, 2015


Analyse qui met clairement en évidence la vacuité pédagogique d’un projet dont les ressorts me paraissent relever tout autant de la démagogie que d’un total déni du Réel.
La scolarisation, dont l’évaluation constitue l’une des modalités importantes, participe de façon essentielle à la socialisation de l’individu et à la « fabrique » du citoyen. Le passage à l’école, au sortir du cocon familial, constitue le moment incontournable de dépassement du stade narcissique primaire. L’enfant y expérimente la relation à l’autre, sous une forme non plus essentiellement affective, mais distanciée et objective. La frustration, tout autant que la gratification, font partie de cet apprentissage dont la sanction repose, in fine, sur la notation. Cette dernière évalue une production particulière à l’aune d’un référentiel de compétence spécifique. Elle n’engage ni ne jauge un individu dans son être et sa complexité. Elle opère comme simple repère, contextuel et relatif. Dans ces conditions, la notation n’est pas en cause ; tout au plus peut l’être, la façon dont elle est utilisée. Parler de « notation bienveillante » n’a aucun sens et pis, entretient la confusion. Si la relation que le pédagogue noue avec son élève n’est pas forcément dénuée de cordialité, tel n’est ni son registre préférentiel ni son objectif spécifique. Ce dernier étant plutôt de transmettre des savoirs indispensables pour devenir autonome et responsable. Il y va également d’une intégration économique réussie.
C’est bien là aussi que le bât blesse. Une école, atone et « évitante », non seulement ne permet pas à l’individu de se forger un moi équilibré mais ne le prépare pas non plus à affronter le monde du travail dont le processus de sélection -inéluctable- est rarement « bienveillant ». Dans ces conditions, plus brutale sera la chute. L’école aura ainsi opéré comme une véritable machine à exclure les éléments les plus fragiles que cette politique se targue de protéger.

par Amanou Michèle - le 20 janvier, 2015


Il est évident que cette mesure n’est pas suffisante si le but est d’empêcher l’ascendant mauvais ressenti par l’élève et lui permettre une émancipation dans la représentation de soi.
Il ne s’agit pas des notes, mais justement de la pression sociale, celle parentale, celle d’une vie active incertaine et d’un avenir incertain.
Laisser respirer les enfants de manière conjoncturelle pour éviter qu’ils s’ettouffent et se révoltent, n’est qu’une politique pour sauver la journée, comme d’habitude…
L’Etat est aujourd’hui plus que jamais, impuissant à produire un avenir par l’éducation.
Comment le pourrait-il, si une ligne, un horizon national clair, ne peut même pas être établi de manière durable ?
Repousser le pire, voilà le but.

par Seyhan - le 20 janvier, 2015


Je me suis encore égaré par excès d’ironie.
Je devrais plutôt dire qu’on ne peut pas être plus efficace quand on veut détruire l’avenir d’un pays, et pour cela y mettre tous les moyens financiers de l’Etat, c’est a dire tous les moyens publics, financiers, intellectuels, et de tout ordre, en utilisant pour cela la moitié des ressources du pays, l’autre moitié s’évadant au bénéfice de firmes ayant rompu le contrat républicain, banques comprises.

par Seyhan - le 20 janvier, 2015


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