Spinoza, Paul Ricœur et les éthiques du care
ANALYSE : Eric Delassus propose de lier l’éthique de Spinoza, l’éthique narrative de Paul Ricœur et les éthiques du care. Construire le récit de sa vie en y introduisant tous les événements qui ont pu ébranler cette existence et trouver l’oreille attentive d’un autre être faisant preuve de sollicitude est certainement l’une des voies pouvant permettre de restaurer une puissance d’agir perdue.
Il peut sembler incongru et anachronique de rapprocher ainsi ces trois courants éthiques que sont l’éthique spinoziste, l’éthique narrative de Paul Ricœur et les éthiques du care. Mais porter un tel jugement, n’est-ce pas oublier que ce qui fait la puissance d’une philosophie consiste précisément dans sa capacité à s’ouvrir à d’autres pensées et à établir des liens avec elles. Tisser des liens, c’est bien là le sens du verbe latin intelligere, qui a donné en français le mot intelligence. Aussi, ce qui fait l’intelligence de ces différentes approches de la question éthique n’est autre que leur aptitude à entrer en résonnance les unes avec les autres. Ainsi, par exemple, on reproche souvent à la philosophie de Spinoza sa systématicité. Or, s’il est vrai que dans cette philosophie tout se tient et que chaque élément qui la compose n’y prend sens que dans ses relations à toutes les autres parties qui le composent, il n’empêche que le système spinoziste n’est en rien un système refermé sur lui-même. Bien au contraire sa richesse, peut-être d’ailleurs parce qu’il est une pensée de l’infini et de la singularité, vient de ce qu’il peut s’enrichir d’apports provenant d’autres formes de pensée. La réflexion, que j’ai développée dans l’article que je présente ici, s’efforce donc de souligner la puissance propre de ces trois manières de concevoir l’éthique à pouvoir s’enrichir les unes des autres.
J’avais déjà dans un précédent article souligné les parentés qui peuvent rapprocher les éthiques du care, de l’éthique spinoziste, en insistant principalement sur la possibilité d’intégrer la notion de vulnérabilité à l’intérieur de la notion spinoziste de servitude et en montrant qu’une vulnérabilité assumée ne peut qu’être une source d’augmentation de notre puissance d’être et d’agir. Ce qui rejoint d’ailleurs ce jugement de Fabienne Brugère qui voit dans les éthiques du care une réactualisation du conatus spinoziste[2].
Pour exposer comment, pratiquement, il est possible en faisant preuve de care d’augmenter la puissance d’agir des êtres humains, il m’a donc semblé qu’un recours à l’éthique narrative de Paul Ricœur pouvait s’avérer tout particulièrement opérant. J’avais déjà établi un lien entre éthique narrative et éthique spinoziste dans mon livre De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale, mais la découverte, depuis, des éthiques du care m’a permis de préciser ma pensée sur ce sujet.
La thèse que je défends dans cet article publié dans la revue en ligne éditée par Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal, Les ateliers de l’éthique, peut donc se résumer en ces termes. Si comme le pense Spinoza l’esprit est l’idée du corps[4], l’être humain vulnérable a besoin pour assumer sa vulnérabilité et accroître sa puissance d’élaborer une perception relativement cohérente de son corps. Pour ce faire, construire le récit de sa vie en y introduisant tous les événements qui ont pu ébranler cette existence et trouver l’oreille attentive d’un autre être faisant preuve de sollicitude est certainement l’une des voies pouvant permettre de restaurer une puissance d’agir perdue.
Je vous invite donc à lire cet article en cliquant sur le lien suivant :
http://www.erudit.org/revue/ateliers/2015/v10/n3/1037655ar.html
[1] Éric Delassus, Puissance et vulnérabilité – pour un care spinoziste : http://www.caute.lautre.net/hyperspinoza/Puissance-et-vulnerabilite-pour-un-care-spinoziste.
[2] Brugère, Fabienne, L’éthique du « care », Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2011, p. 40.
[4] « L’objet de l’idée constituant l’Esprit humain est le Corps, autrement dit une manière de l’Étendue précise et existant en acte, et rien d’autre. » Spinoza, Baruch, Éthique, partie 2, Proposition XIII, Paris, Seuil, 1988, p. 117.
Docteur en philosophie, Eric Delassus est professeur agrégé de philosophie au lycée Marguerite de Navarre à Bourges. Il est entre autres l'auteur de De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale (Presses Universitaires de Rennes, 2009) et anime le site internet de philosophie http://cogitations.free.fr. Suivre sur Twitter : @EDelass
Commentaires
Yves Schwartz a développé le concept de soi, il y a quelques décennies déjà.
Il me semble contenir la dimension évoquée en fin d’article « tous les événements qui ont pu ébranler cette existence » mais également la question des débats de normes posés par chacun de ces évènements, en référence notamment à la dialectique de l’idem et de l’ipse issus des travaux de Paul Ricoeur. Voir lien ci-dessous.
http://sites.univ-provence.fr/ergolog/Bibliotheque/Schwartz/Article_YS_Travail_et_apprentissage.pdf
par Vincent - le 18 janvier, 2017
Merci pour ce lien. Cet article me semble, en effet, très intéressant et rejoindre certaines des problématiques que j’aborde ici. Je vais le lire très attentivement dès que possible.
par Éric Delassus - le 22 janvier, 2017
Bonjour,
Paul Ricœur pourrait revenir, s’il était nécessaire, au devant de la scène médiatique, par le discours relayé d’un jeune et fringant porte-parole;un brillant élève devenu disciple du care.
Permettez-moi d’exprimer en toute liberté : »le corps-précurseur se pensa avant que l’esprit ne se pense et le découvre.
Les corps seraient à la source, à l’origine de tout raisonnement ou forme d’instinct en devenir. Les échanges,du vivant aux seins d’environnements, matérialisent un cheminement adaptable à un laboratoire traitant d’une chimie complexe, opèrent en symbiose en orientant le développement de l’esprit.
D’où à l’exemple de la nécessaire d’une bonne nourriture!
par philo'ofser - le 22 janvier, 2017
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