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Mignon

4/05/2024 | par Sylvain Portier | dans Art & Société | 2 commentaires

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ANALYSE : La beauté est un jugement de goût subjectif, c’est là une évidence. C’est précisément pour dépasser ce poncif que Sylvain Portier propose ici une analyse de ce qui est, non pas beau mais mignon, afin d’en déterminer l’essence et de se demander ce que cette mignonitude peut nous apprendre de nous-mêmes, en l’occurrence de notre propre sensibilité esthétique.


Docteur en philosophie, Sylvain Portier est professeur de lycée en Loire-Atlantique, conférencier et rédacteur en chef d’iPhilo. Il a notamment publié  Fichte, philosophe du Non-Moi (Éd. L’Harmattan, 2011), Philosophie, les bons plans (Éd. Ellipses, 2016) et Philosophie, contrôle continu (Éd. Ellipses, 2014 et 2020). Il a réalisé des conférences pour les Éditions M-Éditer. Un compte philosophique Instagram peut être suivi.


Au XVIIe siècle, le roi Charles II d’Angleterre donna leurs lettres de noblesse à des épagneuls nains au nez écrasé, les King Charles Spaniel, sans lesquels il ne se déplaçait jamais et qui avaient même le droit d’entrer au parlement anglais. Cette race fut très vite considérée comme particulièrement mignonne. Le Cavalier King Charles, à nez plat, faillit alors disparaître, mais se développa de nouveau au début du XXe siècle. Il devint peu à peu l’un des petits chiens les plus achetés d’Europe, et une écrasante majorité des personnes le juge aujourd’hui mignon ou trop mignon. En novembre 2021, en Norvège, le groupe de défense des droits des animaux Animal Protection Norway fit valoir devant les tribunaux d’Oslo le fait que « la loi sur la protection des animaux vise à les protéger contre les actions irrationnelles des humains », et il eut gain de cause. Le juge estima en effet que l’élevage sélectif des Bouledogues anglais et des Cavaliers King Charles constituait une sorte de délit de mignonitude, ces races étant sujettes à de graves problèmes de santé : le Cavalier King Charles peut souffrir de maux de tête parce que sa boîte crânienne est trop petite, et être touché par des défaillances cardiaques ou des problèmes oculaires héréditaires, en raison de la pureté de sa race, et le manque de brassage génétique fait qu’ils ont une courte espérance de vie (environ 9 ans). La beauté peut être un cadeau empoisonné : jalousie, harcèlement, réification, c’est-à-dire tendance à réduire autrui à un objet, ici à un objet désirable, dictat d’une beauté stéréotypée dans notre société de médiatisation et de consommation de masse. L’on peut donc être victime de sa mignonitude, et la question éthique sous-jacente à cette décision de justice est de savoir si la quête de mignonitude pour les animaux de compagnie peut se faire aux dépens de leur propre bien-être.

Commençons par enfoncer quelques portes ouvertes kantiennes en rappelant que ce qui est « agréable » peut être distingué de ce qui est « beau » dans la mesure où il ne renvoie qu’à un attrait personnel. L’on peut ainsi trouver « agréable » (ou trop satisfaisante comme disent aujourd’hui les jeunes) telle saveur, odeur, consistance, et joli tel texte, musique, paysage, visage ou décoration. Ces goûts sont à la fois subjectifs et intersubjectifs puisqu’ils proviennent en partie de la société et de l’époque dans lesquelles nous vivons, des influences de notre entourage et de notre propre culture du goût (en peinture, poésie, cuisine, etc.). La « beauté », par contre, devrait selon Kant pouvoir prétendre plaire « universellement sans concept ». Difficile donc d’en trouver un seul exemple concret, mais cette « analytique de la faculté de juger esthétique » renvoie peut-être plutôt à une expérience particulière. J’ai beau savoir que certaines personnes ne le seront pas, je ne peux pas m’empêcher de me demander sincèrement : comment ne pas être bouleversé par l’élégance, la grâce, la noblesse, la perfection, le caractère quasi-surnaturel, par exemple, de la beauté du Taj Mahal, d’un tigre, du Requiem de Mozart, de Léonardo DiCaprio ou de certains gestes techniques, tel que le coup franc réalisé par Roberto Carlos le 3 juin 1997, que tous les connaisseurs du ballon rond considèrent comme objectivement magnifique ?

Rédigée au XVIIIe siècle, la Critique de la faculté de juger de Kant n’étudie bien sûr pas de concepts connexes à celui de la beauté, tels que le moche, le kitch ou le mignon. Or est-il possible de poser les bases d’une phénoménologie de la mignonitude, et qu’est-ce que celle-ci pourrait nous apprendre de philosophique sur la condition humaine ? Historiquement, ce terme, apparu au début du XVe siècle, passa en Angleterre sous la forme minion, signifiant fidèle, subalterne. Au XVIe siècle, les jésuites sont qualifiés de « mignons de Jésus-Christ », mais ce mot est utilisé ensuite de façon péjorative, comme une raillerie, en référence aux favoris du roi de France Charles VII, à ses « mignons de couchette ». Être le mignon du souverain est alors un honneur qui permet notamment de dormir dans son lit et de s’habiller comme lui, à une époque où le code vestimentaire obéit à des règles strictes pour désigner le rang social. Les premiers à associer le mot mignon à l’homosexualité sont les calvinistes, rigoristes sur les mœurs et très hostiles à ce genre de frivolité. On retrouve ce terme dans la pop-culture : en 2010, René la Taupe vend plus de 107 000 milles singles de sa chanson « Mignon, mignon », dont la sonnerie téléchargeable fut également un succès mondial, tandis que le film Les Minions, du studio Illumination Entertainment, réalisa plus d’un milliard de dollars de recettes en 2015 en narrant les épopées loufoques de rigolos bonshommes jaunes en salopettes bleues. On a essayé de décrire scientifiquement cette qualité et, puisque tout ce qui est petit est mignon (à moins que ce ne soit le contraire ?!), étudié le cas des nourrissons, des chiots et des chatons, véritables stars de la mignonitude sur Internet : taille et forme du crâne, des yeux, etc. Il semble que ce qui est « so cute ! », « trop mims ! » se caractérise ainsi par ce qui est menu et délicat, ou aux formes trapues et enfantines. L’éthologiste autrichien Konrad Lorenz montra que les traits physiques juvéniles provoquent chez les adultes une attention particulière, et aident inconsciemment les parents à aimer et à prendre soin de leurs enfants, ce qui est crucial pour la survie de l’espèce.

Mais il existe autant de variétés de choses potentiellement aussi mignonnes que belles : l’on peut ainsi caractériser un village, un objet, un geste, une expression, un animal ou une personne. Ce dernier cas renvoie au fantasme de ce que l’on nomme la girl next door (et je suppose qu’il existe aussi des boys next door). Cet anglicisme, qui signifie littéralement la fille d’à côté, désigne un archétype culturel et sexuel d’une personne qui pourrait être notre voisine… mais qui ne l’est généralement pas. Elle possède un tempérament affectueux et amical, a le profil parfait pour être présentée à de futurs beaux-parents, est mignonne à défaut d’être incroyablement belle. Elle est présente dans de nombreuses comédies romantiques et Becky Tatcher, dans l’ouvrage de Mark Twain Les Aventures de Tom Sawyer, Penny (alias Kaley Cuocu) dans la série Big Bang Theory, ou encore Natalie Portman dans la plupart de ses interprétations, notamment dans le film Sexfriends, en sont de bons exemples. Ce concept esthétique s’oppose ainsi à celui du garçon manqué (de la garçonne), mais surtout de la femme fatale, aux proportions et aux traits fabuleux, extrêmement attractive mais qui demeure à jamais inaccessible.

C’est par exemple le cas de Chaterine Tramell (alias Sharon Stone) dans le célèbre thriller érotique de Paul Verhoeven Basic instinct. Sa beauté supérieure la rend envoutante et potentiellement dangereuse, et c’est en ce sens que Nietzsche affirme que « le surhomme », « l’homme véritable veut deux choses : le danger et le jeu. C’est pourquoi il veut la femme, le jouet le plus dangereux. » (Ainsi parlait Zarathoustra, La vieille et la jeune femme). L’instinct fondamental dont il est ici question n’est d’ailleurs pas tant Éros que Thanatos (pour reprendre les termes utilisés par Freud dans Au-delà du principe de plaisir), moins l’attirance sexuelle, comme une interprétation superficielle du film pourrait le faire penser, que les pulsions autodestructrices et masochistes qui sommeillent peut-être en chacun de nous (usages de drogues, conduites à risque, attirance pour des femmes fatales, etc.). L’héroïne parle à ce sujet du « travail de l’inconscient » qui peut nous pousser à « nous bruler à la flamme » et « à adorer ». La simple mignonitude ingénue de la girl next door ne nous fait pour sa part rien craindre – ce qui lui confère d’ailleurs aussi peut-être, de façon insidieuse, un grand pouvoir de séduction. Ainsi, le poète déclamera au sujet d’une femme très sensuelle une formule à la hauteur de son éphémère beauté : « Que j’aime voir, chère indolente, de ton corps si beau, comme une étoffe vacillante miroiter la peau. […] À te voir marcher en cadence, belle d’abandon, on dirait un serpent qui danse au bout d’un bâton. » (Baudelaire, « Le serpent qui danse », Les fleurs du mal). Un compliment mignon envers la dame sera pour sa part plus enfantin ou maladroit.

Il est également intéressant d’éclairer ce concept non pas par ce dont il se distingue, mais par ce à quoi il s’oppose nettement : ce que Kant nomme le « sublime », idée que l’on retrouvera chez le poète allemand Schiller et dans le Romantisme. Il en distingue deux formes, qui ont en commun de ne pas avoir un aspect bien délimité, comme dans le cas d’une belle œuvre d’art, mais de nous donner un sentiment d’infini : le « sublime mathématique » est suscité par la Nature dans ce qu’elle a d’incommensurable, et produit en nous un sentiment de calme contemplatif. C’est le cas d’un paysage montagneux, de la mer ou du ciel étoilé, qui nous renvoient à notre finitude, notre petitesse, notre insignifiance cosmique. Le « sublime dynamique », lui, ajoute à cette prise de conscience romantique celle de notre fragilité physique, de la possibilité d’être broyés par la puissance dévastatrice des forces de la Nature dont le déchainement produit un mélange d’effroi et de fascination, auquel Kant attribue l’oxymore de « plaisir négatif ». Les tempêtes, les orages, les tsunamis et les explosions volcaniques en sont de bons exemples.

Il n’étudie pas les cas des beautés animales et humaines, qu’il rejette directement dans la catégorie de « l’agréable », ce qui n’est pas si évident : la puissance d’un ours, la dangerosité d’un félin ou le gigantisme d’une baleine ne nous font-ils pas partager quelque chose de « sublime » ? De même, si l’attrait pour un individu a une dimension sexuelle qui fait que ce plaisir et de ce désir ne sont pas « totalement désintéressés », ce que l’on éprouve n’est-il pas parfois, quand il s’agit d’une personne sublime, proche de ce que le théologien allemand Rudolf Otto, dans Le sacré, puis le psychologue suisse Carl Gustav Jung appellent un sentiment « numineux », mélange hypnotisant et mystique d’étonnement, de peur et de fascination ? On retrouve une telle émotion en religion, notamment face à l’imposante majesté de certains bâtiments, qui nous font prendre conscience de notre petitesse tout en élevant notre cœur et notre esprit vers quelque chose de mystérieux mais d’attirant, un mysterium tremendum. La légendaire misanthropie de Kant ne le rendit peut-être pas personnellement sensible à de tels types de beauté, mais celles et ceux qui ont déjà éprouvé un coup de foudre le savent : à n’en pas douter, il y a bien des personnes numineuses, « sublimes » au sens kantien du terme. Quoi qu’il en soit, le « sublime » s’impose toujours comme une transcendance quasiment « suprasensible » dans l’immanence de la Nature et de la Vie, et nous prenons craintivement plaisir à nous sentir écrasés par sa magnificence. C’est tout le contraire avec le mignon, puisque notre sensibilité est alors touchée par la petitesse et la fragilité d’un être qui nous donne envie, non pas de nous protéger, mais de le protéger.

« L’Analytique de la faculté esthétique » de la troisième Critique de Kant décrit le rôle de la sensibilité, de l’imagination et de la raison dans le jugement de goût. Dans la catégorie du sublime, il dit quelque chose d’éclairant au sujet de la mignonitude, justement parce que c’est exactement le contraire : « le brave paysan savoyard, au demeurant avec beaucoup de bon sens, désignerait sans nulle hésitation (selon ce que raconte de Saussure [géographe suisse qui réalisa l’ascension du Mont Blanc en 1787]) comme des fous tous les amateurs de glaciers. ». On se doute en effet qu’il est délicat de juger de la beauté d’un tableau, d’une danse, d’une musique, surtout si elles sont postmodernes. Dans ses Leçons sur l’esthétique, Wittgenstein souligne d’ailleurs que, dans le domaine des beaux-arts, les spécialistes qualifient très rarement les choses de belles : leur culture du goût leur permet de préciser ce qui est esthétique dans une œuvre, et ils emploient des expressions techniques comme « Dans ce morceau, le tempo est incorrect. », « Cet agencement de couleurs est particulièrement subtil. », « On appréciera la tessiture de cette voie. », etc. C’est la même chose pour un geste technique en sport si l’on n’est pas connaisseur : l’on va juger cela facile à réaliser ou chanceux, alors qu’il s’agit parfois d’éclairs de génie, de moments de grâce que seul un connaisseur peut reconnaître et bien décrire. L’apparente simplicité d’une création artistique, qui nous fait dire que « Ça, moi aussi j’aurais pu le faire ! », cache souvent en vérité beaucoup de travail. Mais, de façon étonnante, Kant dit la même chose du « sublime », qui ne s’adresse pas à la seule sensibilité : il demande lui aussi des explications et un usage de la raison pour être compris, comme dans le cas des icebergs, du « ciel étoilé au-dessus de ma tête » (selon une expression qu’il adorait), ou de la majesté des galaxies, que tout le monde ne peut peut-être pas spontanément apprécier. Peut-être le mignon parle-t-il moins à la raison adulte qu’à la sensibilité infantile, et si un « brave paysan savoyard », comme le dit Kant, pourrait être plus étonné et effrayé que séduit par le caractère sublime des glaciers arctiques, il peut peut-être reconnaître, quel que soit son manque de culture, que quelque chose est simplement mignon. Cela ne s’adresse pas tant à l’intellect qu’à la sensibilité et à un certain imaginaire de la douceur.

Lire aussi : L’esthétisme reconsidéré : Une brève histoire du concept de Beauté (Laurence Vanin)

Kant ne développe que très brièvement une analyse du laid et de son rapport au beau, mais, s’ils s’opposent diamétralement, leur caractère à la fois rare et fascinant fait qu’ils se rejoignent dialectiquement. L’on peut alors dire que le beau et le sublime sont au laid ce que le mignon est au moche, tous deux reposant sur la pitié, aux deux sens que ce terme peut avoir en français : le moche provient d’une faute de goût qui nous gêne, nous met mal à l’aise et nous fait pitié, tandis que le mignon nous apitoie en nous faisant éprouver une douce passion joyeuse, une émotion sympathique – oui, le mignon est toujours sympa. Il arrive d’ailleurs que ce soit quelque chose d’un peu moche qui rende justement un être mignon… comme le léger strabisme divergeant ou le nez écrasé de certains King Charles. Le beau et le mignon peuvent d’ailleurs aller de pair et, puisque nous parlons de nez, le cas le plus célèbre est sans doute celui de Cléopâtre.

Il s’agit bien sûr d’un quiproquo historique : à une époque, le XVIIe siècle, où les nez courts étaient peu appréciés, Blaise Pascal écrivit pour plaisanter que si celui de Cléopâtre « eut été plus court, toute la face de la Terre aurait changé » (Pensées). Il s’oppose ainsi au point de vue eschatologique que défendent ceux qui croient en une nécessaire Providence et, par avance, à ceux qui développeront des philosophies comme celle de Hegel, qui voit dans l’histoire de l’humanité la réalisation secrète d’un plan rationnel et raisonnable utilisant les passions humaines pour que « l’Esprit absolu » (Dieu) se réalise inévitablement lui-même. Dans cet aphorisme, Pascal insiste au contraire sur le fait qu’un détail aléatoire, contingent, peut à lui seul changer le cours de l’histoire – d’où toutes les uchronies possibles et imaginables à partir d’un simple petit hasard historique. Le trait d’esprit pascalien provient bien entendu ici de la mise en parallèle de la face de la reine et de celle de la Terre. L’on pense en effet que Cléopâtre était très belle de corps et de visage, séductrice et charnellement décomplexée. Dans la nouvelle Une Nuit de Cléopâtre (1838), Théophile Gautier alimente ce mythe, la cruelle souveraine faisant commerce d’elle-même en offrant à un jeune Égyptien la possibilité de jouir pleinement de son corps le temps d’une nuit, à condition de le payer du prix de sa vie et de boire ensuite une coupe de poison. Comment expliquer un tel charisme sexuel, « propre à un usage suprasensible possible », comme dirait Kant ? Cléopâtre envouta notamment Jules César et Marc Antoine, et c’est Blaise Pascal qui ajouta à sa pure beauté un petit charme, un je ne sais quoi mais, comme une référence à son regard ou à ses lèvres aurait été trop érotique, il imagina qu’elle avait un nez plutôt long, car c’était mignon. Cette idée fut ensuite reprise, y compris dans la pop culture et les aventures d’Astérix, sans qu’elle n’ait de véritable fondement historique.

Lire aussi : La beauté est-elle féminine ? (Philippe Granarolo)

Que pouvons-nous conclure au sujet de la mignonitude ? Le philosophe présocratique antique Héraclite d’Éphèse disait que « la guerre [polemos] est père de toute chose, de toutes le roi » (Fragments, Frag.129). En effet, les relations naturelles comme humaines sont souvent des relations de force et de pouvoir. Le langage moderne en est le symptôme, qui qualifie par exemple de manière peu élégante une belle femme de canon, de bombe, de missile ou d’avion de chasse. Dans un tel monde, ce qui est mignon peut nous faire réfléchir sur notre propre existence, aux aspects laids et moches de notre tendance querelleuse, car si, comme le dit Kant, « le beau est symbole du bien moral », la mignonitude extérieure se donne comme une promesse de paix et de beauté intérieures. Elle n’a pas qu’un sens esthétique, mais aussi moral, éthique. Les Cavaliers King Charles dont nous parlions précédemment, petits chiens de salon si mignons physiquement, possèdent naturellement docilité, fidélité et douceur, sont dénués de la moindre once d’agressivité et sont donc des compagnons idéaux pour les enfants. Paradoxalement, ses quelques défauts, paresseux, têtu, chapardeur et affectivement très dépendant, contribuent peut-être à sa mignonitude, sont peut-être le je ne sais quoi qui en font aussi le charme.

Le mignon pousse dans l’ombre du beau et du sublime comme la mousse au pied des arbres, y prospère discrètement, simplement, gentiment, amoureusement, prêt à y être découvert, et c’est ce qui nous le rend si attachant. Sa puissance royale ne vient pas d’un arsenal, offensif ou défensif, mais de son caractère désarmant, car la mignonitude est toujours pacifique et fait figure d’arme de séduction massive.

 

Sylvain Portier

Docteur en philosophie, Sylvain Portier est professeur de lycée en Loire-Atlantique, conférencier et rédacteur en chef d'iPhilo. Il a par exemple publié Fichte, philosophe du Non-Moi (Éd. L’Harmattan, 2011), Philosophie, contrôle continu (Éd. Ellipses, 2020), Vingt philosophes incontournables (Éd. Ellipses, 2021) et Philoophie en fiches - Terminale (Éd. Ellipses, 2022), et a réalisé plusieurs conférences, notamment pour les Éditions M-Éditer.

 

 

Commentaires

Intéressant.
Merci à Sylvain Portier de m’avoir permis de sortir mes dictionnaires étymologiques ce matin, ce que je n’avais pas fait depuis un certain temps.
C’est vrai que je trouve que quand on parle… des mots, il est bon de partir d’un dictionnaire étymologique pour avoir un aperçu de la manière dont les signifiants ont pris des tournures différentes avec le passage du temps qui fait l’Histoire. Non pas pour remonter à une origine… mythique qui fonderait une authenticité factice et fantasmée, mais pour voir, entendre le bruissement du temps qui passe.
Je me réfère à Rey dans son Dictionnaire Historique de la Langue Française.
« Mignon/onne est dérivé (v 1160) avec le suffixe -on- d’un radical expressif -mign- exprimant originellement la gentillesse, la grâce (distinct de celui que l’on a dans -minet-). On a aussi fait l’hypothèse d’une origine celtique sur la base de l’ancien irlandais -min-… « petit, tendre, doux » et d’une origine germanique d’après -minnja- amour…
« Mignon » est d’abord attesté comme nom masculin, déjà probablement à propos de celui qui se prête au plaisir d’un autre, notamment avec le sens péjoratif d' »homosexuel passif » d’où on passe à celui d’amant (15ème siècle); il est spécialement employé pour désigner les jeunes gens favoris de l’entourage de Charles VII puis les favoris efféminés de Henri III (1594)… L’adjectif est attesté depuis 1478-1480 avec le sens de « gracieux, joli, agréable ; dès la même époque, il est substantivé avec la même valeur sans connotation érotique, servant d’appellatif affectueux… »
Ce qui me saute aux yeux ce sont les propriétés « douceur/grâce » dans un premier temps, ainsi que le caractère.. féminin qui lui est attaché, même quand il est appliqué à un homme. Il me semble, avec le temps, qu’il n’y a pas d’égalité entre hommes et femmes dans la manière dont ils réagissent à des qualificatifs qui suggèrent le sexe opposé ? différent ? Un homme à qui on attribue des qualificatifs féminisant ? efféminés ? n’en est pas heureux, d’après mon expérience, alors qu’une femme à qui on attribue des qualificatifs masculins, une femme… « forte », un avion de chasse ? ne voit pas l’affaire du même oeil, souvent.
Un homme… « doux » est-ce un homme désirable ? admirable ? La douceur peut-elle être une force ? Une femme avion de chasse est-elle désirable ? admirable ? Que de fantasmes, là…
A voir combien nos compatriotes renient… les douceurs, et font la chasse au sucre, on peut se demander si la douceur n’a pas la force d’un tsunami dans nos pays en ce moment. Dans les têtes.
Des fois je m’interroge sur notre faculté à mettre/voir le sexe partout, en faisant le constat que nous le faisons… en ricanant, dans l’ensemble. Quand « on » met le sexe dans les mots (et là, je ne parle pas de GENRE, mais de SEXE, surtout dans une langue qui a encore des genres, masculin et féminin, et à la dernière nouvelle, quand je dis « une table » je ne pense pas… au sexe), ça en devient vite péjoratif. C’est triste à en mourir, je trouve. Comme si, encore et toujours, le plus grand scandale pour l’Homme (surtout bourgeois, mais ça rime à quoi de parler de « bourgeois » en ce moment ?), c’est… LE PLAISIR, quel qu’il soit.

Un petit mot pour Freud, tout de même, puisque je le connais un peu. Il est malheureux que Freud soit passé à la postérité pour la triste affaire d’Eros/Thanatos, dans un de ses livres les plus théoriques, de surcroît, car je me demande, sans avoir les connaissances pour en parler sérieusement, si « Eros » dans la bouche de Freud ne remonte pas à la pensée grecque, en passant par Socrate, en sachant que si le mot « érotisme » sort encore de nos bouches, il est à des années lumières de ce que les Grecs pouvaient en penser, ou en dire.
La fameuse pulsion de mort serait à distinguer de la destruction, de l’agressivité, de tous ces affects négatifs, mais parfois nécessaires dans la vie de tous les jours. La pulsion de mort pourrait être simplement ? ce qui oeuvre dans le vivant pour lui permettre de se reposer, comme dans le travail des muscles, ou de la respiration. Depuis des millénaires nous faisons un parallèle entre sommeil et mort, en constatant que la personne n’est pas présente… à elle-même et au monde dans le sommeil que nous appelons néanmoins.. réparateur.
Alors maintenant, le « mignon » serait-il en passe de devenir neutre ? Ce qui est neutre n’est ni l’un, ni l’autre, mais ni l’un, ni l’autre… quoi ?… et comment le penser ?
Depuis belle lurette, nous avons constaté sur le corps humain qu’à tous les stades de notre développement/enfance, vieillesse, nous n’avons pas la même apparence, et les bébés ont parfois des bouilles… mignonnes neutres ? qui incitent beaucoup de monde à vouloir les protéger.
Que de force(s) nous déployons pour protéger… et souvent pas dans la douceur, non plus.

par Debra - le 13 mai, 2024


Une fois n’est pas coutume, je récidive, après avoir regardé ma boite mail ce matin…et avoir trouvé une publicité pour des t-shirts, pour la fête des Mères, en anglo-américain.
Il est question de donner à « mommy » « a cute t-shirt ».
La meilleure traduction pour le mot « mignon » en anglo-américain est « cute », et c’est un mot vraiment dégueulasse. Difficile de trouver des qualificatifs pour parler du mot « cute » en anglo-américain. On pourrait dire que l’entendre, c’est déjà très déprimant, être obligé de le traduire par… « mignon » est encore plus déprimant. Des fois il vaut mieux rester… en français, je vois.

par Debra - le 15 mai, 2024



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