Vivre et mourir : Ulysse, Socrate et le Samouraï
CHRONIQUE : Si vivre sagement est non seulement accepter la mort mais embrasser celle-ci comme nous y invite Socrate, cette idée de la sophia que nous ont léguée les Grecs trouve sans doute un authentique analogon en Extrême-Orient, en particulier dans le Zen et la tradition du Budô au Japon, raconte le philosophe Claude Obadia.
Agrégé de philosophie, Claude Obadia enseigne à l’Université de Cergy-Pontoise, à l’Institut Supérieur de Commerce de Paris et dans le Second degré. Il a publié Les Lumières en berne ? (éd. L’Harmattan, 2011) et Kant prophète ? Éléments pour une europhilosophie (éd. Paradigme – Ovadia, 2014). Il consacre ses recherches actuelles aux sources religieuses et métaphysiques du socialisme. Découvrez son blog.
Si la mort est ce qui s’oppose à la vie, il n’empêche que seul ce qui vit meurt. De sorte que, loin d’être son contraire, la mort est plutôt ce dans quoi s’achève et s’accomplit définitivement le processus vital. « Ensemble des fonctions qui résistent à la mort » [1], pour reprendre le mot du médecin Bichat, la vie est le propre du vivant. Rien n’est donc plus naturel, nécessaire et ordinaire que de mourir. Pourtant, la mort scandalise et constitue un événement qui ne laisse jamais les hommes indifférents. Elle épouvante les uns qui y voient le néant, mais elle tourmente tout autant ceux qui n’y croient pas et rêvent d’une vie sans fin. « Ordre extraordinaire » [2], disait le philosophe Vladimir Jankélévitch, la mort relève donc d’une nécessité scandaleuse.
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Il n’est ainsi guère étonnant qu’elle ait été le point focal de toutes les morales, antiques ou modernes, tantôt pour être sublimée tantôt pour être niée, souvent pour être amadouée et parfois même bravée. Bien vivre et vivre sagement seraient ainsi vivre dans un rapport réfléchi à la mort, de sorte que savoir vivre ne serait peut-être rien d’autre que savoir mourir. Pour nous en convaincre, nous proposerons ici, dans un premier temps, de revenir aux sources de la pensée occidentale, soit en Grèce, mais dans un second temps d’opérer un décentrement et d’interroger la représentation de la mort dans une théorie (et une ascèse) mal connue des occidentaux, celle du Budô, autrement dit la tradition féodale qui vit la naissance, au Japon, de l’ordre des guerriers Samouraï.
Braver et accepter la mort : Achille et Ulysse
Les mythes homériques montrent que les hommes, avant même la naissance de la philosophie, étaient déjà préoccupés par des questions que la modernité consacrera comme existentielles. Conscients de l’inéluctabilité de la mort, de la précarité de l’ordre des affaires humaines, ils imaginèrent, à travers la figure du héros, une forme d’excellence, de virtu, et en même temps un genre de vie, une véritable askésis, capables de les sauver du désespoir dans lequel la conscience de leur propre finitude les avait d’abord plongés. Ainsi la vocation du héros est-elle aussi d’exprimer le rêve que tout un chacun porte en lui-même et indissociablement de nous rappeler à l’ordre de notre condition mortelle.
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Ne craignant pas de mourir, se distinguant par sa bravoure, le héros pousse à leur limite le courage et la générosité qui le caractérisent, acceptant de se sacrifier quand il le faut. Ainsi Achille, sachant que s’il tue Hector, il perdra lui aussi la vie, l’accepte et, en exposant sa vie sans réserve, accède à l’héroïsme qui se présente comme l’acceptation d’une mort qui n’est pas pour autant souhaitée. Car si le héros est sans cesse menacé, s’il s’expose au danger, il a peur de mourir. L’héroïsme ne réside donc pas dans la témérité de celui qui ne craint pas pour sa vie mais bien plutôt dans la faculté de surmonter noblement cette peur. En cela, il se présente comme une ascèse, comme une transformation de soi, un perfectionnement qui se pratique dans l’expérience du danger et de la mort menaçante. On notera à ce propos que l’épisode au cours duquel Ulysse, au chant XI de l’Odyssée, se révèle capable de descendre dans l’Hadès et d’en remonter n’est pas sans intérêt. Car en descendant là où séjournent les morts et en revenant, Ulysse manifeste l’extraordinaire faculté de côtoyer la mort et pour ainsi dire d’en réchapper, comme si la force du héros était celle d’une fréquentation, d’une expérience de la mort à laquelle chacun rêve de pouvoir échapper. Le personnage du héros reflète ici parfaitement le propre de la vie humaine. Comme tous les êtres vivants, l’homme est mortel. Mais à la différence des autres animaux, il le sait. Conscient de sa finitude, craignant de mourir, comment s’étonner que l’homme ait élaboré la représentation d’un idéal de courage et de bravoure face à la mort ?
La vie socratique : une pratique de la mort ?
Ce rapport si singulier au trépas trouve un écho intriguant dans la figure de Socrate ou, plus précisément, dans le portrait qu’en brosse Platon dans ses dialogues. C’est dans le Phédon, en effet, que celui qui sera condamné à mort par les juges athéniens explique que, s’étant entraîné toute sa vie à mourir, il n’a aucune raison de redouter la mort. En effet, l’exercice de la philosophie, tel qu’il est conçu, selon Platon, par Socrate, consiste, comme chacun sait, à dire les choses comme elles sont, donc à en produire la connaissance vraie. Or, connaître est-il autre chose que produire des définitions exactes de ce que l’on se donne pour objectif de connaître ? Et qu’est-ce que produire la définition de la justice, ou bien encore du courage ? Là encore, il ne fait mystère pour personne que la méthode des définitions générales, à la fois mise en œuvre et préconisée par Socrate, n’est rien d’autre que la méthode qui consiste, par exemple, à rassembler la multiplicité des choses que l’on dit belles sous l’unité de l’essence de la beauté. Or, que sont les essences sinon des êtres intellectuels, que Platon désigne par le terme grec d’ousia lorsqu’il veut mettre en évidence la participation (météxis) des belles choses à l’essence de la beauté mais qu’il désigne par le terme d’idéa lorsqu’il veut plutôt mettre en évidence la transcendance des essences par rapport aux êtres sensibles ?
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Quoi qu’il en soit, si la méthode socratique des définitions générales préfigure ce que l’on appelle, chez Platon, la doctrine des essences, il importe de comprendre que si connaître est précisément accéder aux essences, la méthode de la dialectique constituera bien un exercice intellectuel opéré par l’intellect (noûs) visant l’appréhension d’êtres purement intelligibles (les noèta). Par où l’on voit que l’exercice philosophique, qui est celui-là même de la saisie des essences, consiste à se détourner du monde sensible, à s’en détacher, pour s’élever au monde intelligible. Cet exercice, qui peut tout à fait être considéré comme une ascèse puisqu’en se tournant vers l’intelligible, on vivifie en soi-même l’intellect, est bien celui par l’opération duquel on se détache intellectuellement, psychiquement, de la réalité corporelle.
Comment dès lors s’étonner que Socrate, après avoir bu la ciguë et répondant à Simmias qui lui demandait comment il faisait pour sembler, à l’heure de sa mort imminente, si tranquille, ait souligné qu’il n’avait rien à redouter de la mort ? En effet, pratiquer la philosophie étant s’efforcer de connaître, et connaître étant connaître les essences, alors philosopher n’est rien d’autre que pratiquer l’exercice qui consiste, en tâchant intellectuellement d’accéder aux essences, à se détacher de la réalité sensible ou matérielle. Or, qu’est-ce que la mort sinon la séparation du corps et de l’âme ? Par où l’on voit sans difficulté en quoi la pratique de la philosophie peut être envisagée comme une activité qui consiste, au sens que nous avons explicité, à mourir de son vivant.
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Remarquons en outre, comme le firent Dodds dans Les Grecs et l’irrationnel [3] et Henri Joly dans Le renversement platonicien [4], que la faculté socratique de mourir par le corps pour « naître à la pensée » s’exprime le plus souvent par des attitudes de type chamanique, s’appuyant sur la maîtrise de techniques gymno-sophistiques dont Platon donne un exemple au début du Banquet (175a-b) où l’on trouve Socrate, dans le vestibule, immobile et concentré dans ses pensées. Cette étrange faculté de se rendre insensible au sensible grâce à des techniques psychosomatiques permettrait là encore de concevoir la vie philosophique comme une mélétè thanathou , une « pratique de la mort ». Il y a donc bien affinité du héros et du philosophe, ou à tout le moins d’Ulysse et de Socrate qui se présente dès lors comme une expression démythifiée du héros homérique.
N’est-il pas éloquent, dès lors, que la mort soit au cœur de l’ascèse de celui qui passe pour être le « patron de la philosophie » ? Et comment ne pas voir qu’ici déjà la sagesse se définit par rapport à l’horizon de la mort ? Si la philosophie est sagesse et si la sagesse est savoir-vivre, alors savoir vivre ne serait rien, finalement, que savoir mourir.
La voie du Samouraï, c’est la mort !
Si vivre sagement est non seulement accepter la mort mais embrasser celle-ci comme nous y invite Socrate incarnant la sagesse comme méléthè thanatou, cette idée de la sophia que nous ont léguée les Grecs trouve sans doute, comme nous nous proposons de l’étudier, un authentique analogon en Extrême-Orient, en particulier dans le Zen et la tradition du Budô .
Le samouraï est le nom que l’on donne au guerrier japonais, plus traditionnellement appelé bushi. On peut situer le début de la formation de l’ordre des guerriers au début du XIe siècle, le premier shogunat (gouvernement dominé par les guerriers) ayant été constitué, quant à lui, en 1192. « Ne gagne pas après avoir frappé mais frappe après avoir gagné ! ». Cette devise chère au bushi reflète au moins deux choses. Premièrement, l’importance accordée à la dimension psychique du combat et à l’influence que l’esprit peut exercer sur le corps qui l’enveloppe. Deuxièmement, le perfectionnement technique incessant qu’un tel idéal requiert. Pour gagner et survivre, il faut y croire et pour atteindre ce niveau de confiance en soi, il faut inlassablement travailler. Pourtant, il reste à préciser ce qui constitue le ressort fondamental de l’invincibilité du Samouraï.
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Shusaku Shiba, grand maître de sabre du XIX° siècle, relate dans Hitoyo hiden (L’enseignement en une nuit d’un secret de l’art du sabre ), ouvrage traduit et cité par Kenji Tokitsu [5], le conte Zen suivant.
Un jeune moine qui se rendait en ville pour remettre une missive à son destinataire, dut pour cela traverser un pont sur lequel se tenait un Samouraï qui, pour se prouver sa force, avait décidé de provoquer en duel les cent premiers hommes qui se présenteraient sur le pont. Il en avait déjà tué quatre-vingt dix-neuf, notre jeune moine était le suivant. Le Samouraï le provoquant à son tour, il le supplia de le laisser passer, tant sa missive était urgente, en lui promettant de revenir ensuite pour se battre. Le Bushi accepta et le petit moine, qui n’avait jamais touché un sabre de sa vie, avant de retourner sur le pont, alla trouver son maître pour lui confier son désespoir. Celui-ci lui répondit: « en effet, vas mourir car il n’y a pour toi aucune chance de victoire. Tu n’as donc plus à craindre la mort. Je vais t’enseigner la meilleure façon de mourir. Tu brandiras ton sabre au-dessus de la tête, les yeux fermés et tu attendras. Lorsque tu sentiras un froid sur le sommet de ton crâne, ce sera la mort. À ce moment-là seulement, tu abattras les bras ». Le jeune moine salua son maître et retourna sur le pont où l’attendait le Samouraï. Le combat commença. Le petit moine fit ce que son maître lui avait appris, ce qui surprit fortement le Bushi car cette attitude ne reflétait aucune peur. Le jeune moine, immobile, tenant son sabre à deux mains au-dessus de sa tête, se concentrait sur le sommet de son crâne. Le guerrier se dit alors que si son adversaire était revenu sur le pont, c’est qu’il n’était sans doute pas un amateur. Il prit peur : « je dois avoir en face de moi un très grand guerrier, se dit-il. Seuls les maîtres de sabre adoptent une position d’attaque dès le début d’un combat. Et en plus, il ferme les yeux! ». Alors que le moine, concentré sur le sommet de son crâne, avait oublié le Samouraï, celui-ci, persuadé qu’au moindre mouvement de sa part, il serait coupé en deux, n’osait faire le moindre geste. Il finit par abandonner le combat en disant « vous êtes un adepte de haut niveau », ce qui signifie, comme le suggère Kenji Tokitsu dans l’ouvrage cité note 3, « je ne peux vous vaincre sans risquer ma vie ».
Que nous apprend donc ce conte ? En premier lieu, que si le Bushi a « jeté l’éponge », c’est parce que, guerrier de haut niveau, il a deviné l’état d’esprit de son adversaire, c’est-à-dire sa détermination à mourir, obstacle qu’à son niveau de perfectionnement, il ne pouvait surmonter. En second lieu, que si le petit moine a survécu, c’est parce qu’il avait accepté de mourir et que, pendant le combat, il était déjà en train de vivre sa mort. Force de vivre, faculté de se détacher de la vie et donc de soi, acceptation de la mort, définissent ainsi une sagesse, c’est-à-dire ici un art de vivre.
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Aussi n’est-il pas étonnant que l’éthique Samouraï, comme l’explique l’écrivain japonais Yukio Mishima [6], constitue une authentique philosophie de la mort et définisse, de fait, un genre de vie dans lequel bien vivre n’est au fond que savoir mourir, ce dont témoigne le Hagakuré. Cet ouvrage [7], qui contient les enseignements du Samouraï devenu prêtre Jocho Yamamoto [8], réunis et mis en ordre par son disciple Tsuramoto Tashiro, est à cet égard éloquent. Dès le livre I, on peut y lire: « je découvris que la voie du Samouraï, c’est la mort. Si tu es tenu de choisir entre la mort et la vie, choisis sans hésiter la mort ». Plus loin, au livre III, Yamamoto ajoute: « il faut commencer chaque journée par une méditation recueillie dans laquelle on se représentera sa dernière heure et les diverses façons possibles de mourir ».
À la même époque (aux environs de 1700 donc), on trouvera aussi dans le Budo sho shin shu (Pensée fondamentale de la voie du guerrier) de Daïdoji Yuzan[9], ouvrage dont l’influence a perduré au Japon jusqu’à la fin de la Deuxième guerre mondiale, l’exhortation suivante: « La pensée de la mort est la première chose que le bushi doit avoir en tête, jour et nuit, de la fête du 1° janvier jusqu’au 31 décembre » [10]. On voit donc que l’éthique samouraï, fondant l’invincibilité du guerrier, préconise l’intégration de la notion de mort, de telle sorte que « chez les Bushis, le temps de la mort, comme le souligne judicieusement Kenji Tokitsu, « est en avance sur lui-même » [11]. Parce qu’il vit le temps de sa mort avant de mourir « réellement », le guerrier au combat, détaché de sa vie, ayant accepté de mourir, se rend invincible par cette détermination elle-même. Aussi sa force est-elle éminemment psychique, non qu’il puisse se dispenser d’un entraînement physique intense, mais parce que l’acceptation de la mort ne peut s’expliquer que par l’exercice de la volonté de renoncer à la vie. C’est donc le détachement, comme nous l’avons déjà indiqué, détachement de soi, qui constitue l’exercice et l’objet de la sagesse du Samouraï.
À l’instar d’Achille et d’Ulysse, le Samouraï a donc la faculté de surmonter la crainte de la mort à laquelle succombent la majorité des hommes. Il se distingue du commun des mortels par sa volonté de fer, forgée dans l’effort mental de vivre détaché de la vie. On retrouvera cet état d’esprit des Samouraïs, pendant la Deuxième guerre mondiale, chez les kamikazés qui ont suscité tant d’incrédulité dans les sociétés occidentales qui n’ont cru pouvoir y reconnaître que l’aveu d’un nationalisme fanatique. Pourtant, ces Kamikazés sont bien l’expression contemporaine, ici dramatique, de cette culture des guerriers japonais. Combattants qui partaient attaquer les bâtiments américains dans des « avions-bombes » n’ayant pas suffisamment de carburant pour assurer leur retour, ces hommes qui sacrifièrent leur vie ne le pouvaient que parce qu’ils avaient accepté leur mort. En cela, ils étaient considérés comme tout à fait exceptionnels, ce dont témoigne d’ailleurs leur appellation. Le mot «Kamikazé» signifie littéralement le vent (kazé ) des dieux (kami). Ainsi ces combattants, à l’instar des héros homériques, tireraient-ils leur force des dieux et possèderaient-ils quelque chose de divin leur conférant cette puissance héroïque. Ayant orienté toute leur vie en direction de la mort, s’efforçant le plus intensément de ne plus rien désirer d’autre, refoulant leur soif de vivre, ils travaillaient, comme l’éthique samouraï le préconise, à supprimer mentalement l’intervalle de temps qui les séparait de leur mort.
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Il est donc possible, au terme de cette étude, de souligner que, par-delà le cas singulier du Kamikazé, les deux attitudes du héros et du Samouraï se définissent comme deux ascèses prenant la mort pour objet, centrées autour de l’idée selon laquelle savoir vivre et savoir mourir se confondent pour constituer une sagesse, une vertu exceptionnelle, tout entièrement résorbées dans le détachement, l’oubli de soi que constitue l’exercice même de la volonté renonçant à la vie. Si l’on veut bien prendre acte de la spécificité de l’ascèse socratique, nous pourrons dès lors ajouter à ce qui précède qu’il n’est, de fait, nullement fortuit que la mort figure au cœur des préoccupations des pionniers de la philosophie. Car elle est précisément tout à la fois le point de vérité et le point d’aveuglement de la vie humaine. Pascal dira-t-il, au fond, autre chose dans sa théorie du Divertissement et sa peinture du malheur de la condition humaine ? Et comment, au demeurant, s’en étonner si l’homme est bien le vivant qui pense la vie ?
[1] Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1880), Paris, Flammarion, 1994, p. 56.
[2] La Mort, « Le mystère de la mort et le phénomène de la mort », Flammarion, Paris, 1977, p. 11.
[3] Traduction française aux éditions Flammarion, Paris, 1965.
[4] Éditions Vrin, Paris, 1974.
[5] Méthode des arts martiaux à mains nues , éditions Robert Laffont, Paris, 1987.
[6] Le Japon moderne et l’éthique samouraï, traduction française 1985, éditions Gallimard, Paris.
[7] Publié en 1716.
[8] 1659-1719.
[9] Ouvrage dont l’influence s’est maintenue jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Cité et commenté par K. Tokitsu dans La voie du Karaté, Pour une théorie des arts martiaux japonais, Paris, Le Seuil, 1979.
[10] K. Tokitsu, op. cit., p. 102.
[11] Ibidem , p. 102.
Agrégé de philosophie, Claude Obadia enseigne à l'Université de Cergy-Pontoise, à l'Institut Supérieur de Commerce de Paris et dans le Second degré. Il a publié en 2011 Les Lumières en berne ? (L’Harmattan) et en 2014 Kant prophète ? Éléments pour une europhilosophie (éditions Paradigme – Ovadia). Il consacre ses recherches actuelles aux sources religieuses et métaphysiques du socialisme. Son blog : www.claudeobadia.fr.
Commentaires
Très très intéressant, et très… subversif, à un moment où, en Occident, il devient de plus en plus difficile à l’Homme… capitaliste, absorbé dans le travail qui gagne sa vie, d’imaginer le sacrifice qui va de pair, évidemment avec le… sacré.
Chaque civilisation en temps de crise se trouve aux prises avec la question de ses valeurs, à travers la question de savoir pour quoi, pour qui, un être humain est prêt à s’immoler en sacrifice, en renonçant à son « bien » le plus précieux, sa vie.
Il est à noter que l’éthique guerrière pour l’Antiquité, et pour la culture bouddhiste citée concerne les hommes avec un petit h. Pas les femmes. C’est important, ça.
Le champ de bataille où les femmes s’illustrent par leur prise de risque vitale est ailleurs : dans la maternité, et l’accouchement, où la mort se tapit aussi certainement que sur le champ de bataille. Il faut du courage pour mettre au monde. Même maintenant, d’ailleurs…
Je trouve scandaleux, pour ma part, d’insister sur la séparation du corps et de l’âme, dans la mesure où la mort de Socrate représente… l’incarnation même de l’enseignement de Socrate, (par opposition à une définition) et a donc une valeur exemplaire. (Sur ce point, les Anciens étaient certainement moins inconséquents que nous, et plus respectueux de la dignité de certains de leurs condamnés, en leur laissant la possibilité de se suicider, plutôt que de subir l’exécution capitale aux mains de l’Etat…)
Glorifier la désincarnation ne fait pas du bien à nous, qui sommes promus à être des êtres de chair, fragiles comme des fleurs.
Et encore une fois, je crois que l’animal a la conscience de sa mort. Peut-être même plus que nous, humains, à l’heure actuelle, dans notre folie de la vaincre en la niant. Nous sous-estimons le degré de pensée, et de conscience de l’animal qui n’est pas nous…
par Debra - le 31 mai, 2017
Le détachement de soi comme sagesse ? Ma foi , n’ayant rien d’un samouraï, nulle intention de me faire hara-kiri comme Mishima , j’adopte plutôt l’enseignement du maître de l’école de Manhattan , Woody Allen : » La mort ? Deux minutes après , on n’y pense plus. » Comme lui , » Je n’ai pas peur de la mort , mais quand elle arrivera , je préférerais ne pas être là . » Blague à part , merci pour votre très beau texte nous invitant, à la suite de Pascal , à « penser la vie ». A ce sujet , permettez-moi de conseiller la lecture , non d’un philosophe mais d’une romancière subtile, Margaret Drabble , dont vient de paraître en français un livre magnifique, Quand monte le flot sombre. C’est la relation, à la fois tragique et drôle, de la fin de vie de quelques personnes. Pour vous donner une idée du style, en voici un passage, concernant une femme allongée sur son lit médicalisé : » Térésa médite la découverte récente ( pour elle ) selon laquelle douleur et futilités peuvent être une diversion bienvenue à l’activité sérieuse, au bout du compte, qui consiste à mourir. La douleur modifie la perception du temps et donne envie d’être ailleurs, de faire son trajet à toute vitesse, alors que les futilités bloquent le centre des préoccupations de manière confortable et sympathique, occupent l’espace qui pourrait autrement être consacré à la prière , à la pensée, à la méditation ou au désespoir. Les futilités: une couverture confortable, une tasse de soupe, un texto ou deux, un jeu radiophonique, un livre sur les genoux. » Pourquoi invoquer ce roman , là où vous nous avez présenté les différents points de vue philosophiques concernant la mort ? Parce que je me demande si la philosophie, exercice de la raison s’il en fut , n’atteint pas justement sa limite lorsqu’elle prétend traiter du sensible . D’où ma question ( dont je savoure , bien sûr, la contradiction intrinsèque !) : qu’en pensez-vous ?
par Philippe Le Corroller - le 31 mai, 2017
A Monsieur Obadia,
Votre article est du plus haut intérêt pour moi dans la mesure où il ouvre des perspectives auxquelles je ne pensais pas. Je vous remercie très vivement et je ne manquerai pas de le méditer encore. Je voudrais aborder ici un autre aspect de la question de la mort. J’ai enseigné la philosophie pendant près de 40 ans au Lycée Denis-de-Rougemont, à Neuchâtel en Suisse. Je suis aujourd’hui à la retraite. Lorsque je repense aux moments que nous consacrions à la mort avec les élèves, ces derniers étaient fort troublés par le moment de la mort de Socrate, par la dernière page du Phédon racontant l’ultime instant de vie du philosophe. Pour rappeler votre citation de Bichat: le moment où « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort » s’effondrent définitivement. « Le mourir » si vous permettez. Et l’interrogation finale portait sur les derniers mots: « Criton, nous devons un coq à Asclépios. Payez cette dette, ne soyez pas négligents » (Ph. 118a). Que dit le mourant dans ses ultimes paroles? Que dit Socrate par ces mots? Il existe une multitude d’interprétations de la part des commentateurs. Il y a ceux qui n’en soufflent le moindre mot, ceux qui apportent des réponses farfelues, ceux qui apportent des hypothèses intéressantes. Et il y a celle de Georges Dumézil qui prend très au sérieux ce que dit Socrate avant de mourir. Vous connaissez sa position: n’est-elle pas la phrase qui manifeste l’achèvement de la vie philosophique de l’Athénien? « Nous sommes guéris de la fausse connaissance, de l’opinion, du préjugé, etc. Soyons reconnaissants au dieu d’avoir conquis la sagesse, la sagesse de mourir comme nous l’avons compris tout au long de notre conversation (dans le Phédon) et dans le fait d’avoir échappé à la trahison de notre pensée en nous laissant entraîner dans une éventuelle fuite de la prison (dans le Criton) ». Mourir en état de vérité. Ce « nous », c’est Socrate, c’est Criton, chaque disciple, nous tous à travers les siècles. Qu’en pensez-vous?
Merci à i philo pour les substantielles communications qui alertent nos intérêts!
Avec mes meilleurs messages.
Jean-François Dougoud, Colombier-NE (Suisse).
par Dougoud, Jean-François - le 1 juin, 2017
Et les femmes ? Elles ne meurent pas ? Pas un seul exemple féminin, est-ce parce qu’elles ne savent pas philosopher ou considèrent cela comme superfétatoire ? En Grèce antique, l’Alceste d’Euripide qui se sacrifie pour un mari pleutre ? Antigone et sa splendide tirade avant d’entrer au tombeau ? Les morceaux de bravoure des femmes d’Aristophane sur l’amour contre la guerre ? En réfléchissant et cherchant rapidement des exemples, je m’aperçois que les femmes seraient bien plutôt à s’interroger sur la vie … « Je serai sous la terre un fantôme sans os » écrit le père Ronsard, et « Vous serez au foyer une vieille accroupie regrettant mon amour et votre fier dédain »- en attendant la femme survit à l’homme. Et comme écrit Brassens en réponse à la Lettre à Marquise de Corneille : « Peut-être que je serai vieille/ Répond Marquise cependant/ J’ai vingt-deux ans mon vieux Corneille/ et je t’emm.. en attendant. »
par Elizabeth Antébi - le 1 juin, 2017
Et Georges Steiner et les Antigones. Bon tout cela ne flatte pas les Samouraï. Mais faut-il réduire la philosophie de la mort à une vision orientale très différente de l’héritage occidental ? Ou plus proche du Tao à mon avis.
par Elizabeth Antébi - le 2 juin, 2017
QUELQUES PREMIÈRES PENSÉES: certainement difficiles à exprimer!
C’ est certainement des plus beaux textes partagés, qui nous entrainent non seulement à la connaissance d’ autres modes de pensée, mais aussi à oser poser une question bien fondamentale: pourquoi et comment pense-t’on à la mort?!
D’ une autre manière, est-ce la peur de la mort, qui deviendrait le substrat de notre ascèse, ou le manque d’ ascèse, qui se rapporte au sens de la vie, créerait la peur « de manque de vie », celle de la Mort ?!
{Cet exercice, qui peut tout à fait être considéré comme une ascèse puisqu’en se tournant vers l’intelligible, on vivifie en soi-même l’intellect, est bien celui par l’opération duquel on se détache intellectuellement, psychiquement, de la réalité corporelle.}
Pourquoi une ascèse vivifierait-elle l’ intellect ?! Et en conséquence elle résulterait au détachement corporelle; serait-ce un détachement bien équilibré si elle est de plus détachée intellectuellement, …à quelle fin?! Le but en sera donc d’ arriver à s’ auto-anesthésier à la pensée de la Douleur de la mort! Est-ce-que cela serait le but, afin de pouvoir apprécier la Vie?! En ce sens les substrats de la Vie et de la Mort ne font plus Un…Il n’ y a plus de continuité, ni de sens, car intellectuellement/logiquement prend forme le véritable manque d’ Être!
L’ ascèse, par conséquent, devient dès-lors une nécessité d’ harmonisation, intelligible, à notre Vrai Nature, par laquelle le doute ou la peur ne prévalent plus autant ou du tout: « la veritable mort à la Mort », comme je la définirai!
par Phebe Baltazzi - le 3 juin, 2017
Excellente question Elizabeth
par Clinique du cheveu - le 3 juin, 2017
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