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La philosophie, un média antique et contemporain

6/02/2012 | par Alexis Feertchak | dans Philo Contemporaine | 4 commentaires

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Un philosophe allemand qui gagnerait à être connu, Günther Anders, a critiqué une tendance de la philosophie à ne parler qu’aux philosophes : c’est aussi absurde assurait-il qu’un boulanger qui ne vendrait du pain qu’à ses disciples boulangers. Le parallèle a le mérite de souligner une tendance assez triste de la philosophie, son introspection. La spécialisation à outrance des savoirs est en effet loin de ne toucher que les sciences dures et un historien de la philosophie spécialiste des présocratiques ne comprend plus un philosophe analytique américain. Michel Serres a probablement raison quand il explique que la philosophie est une science de la liaison : elle assure un lien d’intelligibilité entre des sciences qui toutes ont des langages de moins en moins perméables les uns aux autres. Que la philosophie tombe dans cet infiniment petit du savoir sans être capable de prendre de la hauteur est sans doute son plus grave péché. Cette courte vue, pour reprendre la formule d’Hannah Arendt, est caractéristique de cette raison théorique qui aime à distinguer chaque élément en d’autres éléments dans une vertigineuse régression à l’infini. A cela, nous répondrons que le philosophe se trouve pris trop souvent dans les errements de cette Raison théorique toute puissante, absolument pure dirait Emmanuel Kant.

N’avons-nous pas oublié la Raison antique, qui avant d’être théorique était avant tout pratique ? Pourquoi la philosophie ne s’attèlerait-elle pas aux problèmes réels et pratiques que les sciences dans leur grande multitude ne semblent pas en mesure de résoudre ? Qu’ont les philosophes à dire sur la crise de sens qui touche l’Europe, sur les aléas de la mondialisation, sur une économie qui nous échappe, sur les risques technologiques ? Il est intéressant de noter que la philosophie est aujourd’hui belle et bien populaire, que fleurissent des manuels de philosophie pour non initiés, que des magazines s’y consacrent avec succès et que nos intellectuels occupent les plateaux télévisés sans lasser l’auditoire. Mais le cœur de la philosophie, le lieu de sa création, l’Université par exemple, semble hésitante parfois à se jeter au milieu de la foule et du réel. Le philosophe qui comme Thalès tombe dans le puits en regardant les étoiles est bien d’actualité. C’est oublier que Socrate n’hésitait pas à se frotter aux Athéniens sur l’Agora ou qu’Aristote consacrait des cours à ceux qui n’entendaient rien à la philosophie. Les nouvelles technologies qui portent l’information en même temps que nous nous déplaçons sont sans doute un nouveau lieu de rencontre de la foule et de la philosophie, une foule virtuelle qui n’en demeure pas moins à l’écoute. Les Smartphones, tablettes numériques et autres jouets électroniques sont un moyen presque antique qui permettrait un retour de la philosophie à sa source, son ouverture et son sens de la liaison.

C’est de cette constatation qu’iPhilo est né : devant le flot d’informations dont nous sommes l’objet, lier et médiatiser l’actualité souvent disparate peut être utile, la placer dans un temps non plus immédiat mais long, capable de lier les événements les uns aux autres. Parce que la philosophie est liaison, iPhilo est un média tout à la fois antique et contemporain!

 

Alexis Feertchak

Journaliste, Alexis Feertchak est chef de service au Figaro, chroniqueur pour le magazine Conflits et rédacteur en chef du journal iPhilo, qu'il a fondé en 2012. Diplômé de Sciences Po Paris et licencié en philosophie de l'Université Paris-Sorbonne après un double cursus, il a été pigiste pour Philosophie Magazine et a collaboré pour l'Institut Diderot, think tank de prospective. Suivre sur Twitter : @Feertchak

 

 

Commentaires

Bonjour,

Du titulaire du CEP (mon niveau d’étude) aux trouveurs du boson de Higgs, il n’y a pas « un monde ». Il y a le monde qui se pose des questions, s’interroge. Comment il vit et où il se trouve (son environnement).

La philosophie n’appartient qu’à elle même. Elle est la liberté d’expression: libre d’accès,ouverte,populaire. Elle est un carrefour d’idées,un condensé riche d’expériences,de vécus, une rencontre médiane de l’humanité.

par philo'ofser - le 24 juillet, 2014


Pour ma part, je suis totalement en accord avec la ligne éditoriale du journal iPhilo. « Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire!  » s’exclamait Diderot . Et il avait bien raison !

Qu’on veuille bien me pardonner ce cliché, mais entre tradition et modernité, iPhilo a fait ce pari de publier en ligne des articles authentiquement philosophiques à destination du grand public. Oui, « iPhilo est un média tout à la fois antique et contemporain ». Et je crois vraiment que ce concept de philosophie 2.0 est à la fois porteur et salutaire.

Si besoin était, les événements de janvier à Charlie hebdo nous rappellent qu’il est plus que jamais nécessaire de partager avec tous les citoyens des éléments de réflexion critique. Parce que nous vivons dans une époque de mutation profonde (liée à la mondialisation des échanges et à la révolution du numérique), largement marquée par la violence sous toutes ses formes (le terrorisme, le déferlement de la pornographie sur internet, le conditionnement commercial qui transforme les citoyens en consommateurs, le communautarisme, le réfus de la laïcité, l’éclatement du service public, le discours « politiquement correct », etc..).

En l’occurrence, écrire, c’est résister. Ecrire, c’est faire appel à ce qu’il y a de plus précieux en chacun de nous: la faculté de penser et de partager ses pensées avec d’autres, de susciter le débat rationnel. Nous (quinquagénaires et sexagénaires) qui vivons encore dans l’illusion d’un monde prospère et pacifié (les jeunes ont perdu cette illusion !), il nous reste à combattre contre tous ces dangers et, parce une le monde est une branloire pérenne (Montaigne), à inventer des voies nouvelles de solidarité et de faire de la politique et de la philosophie.

iPhilo participe assurément à cette émergence d’un nouveau mode de diffusion du débat public.

Voir sur mon blog: http://chemins-de-philosophie.over-blog.com/2015/07/iphilo-ou-la-philosophie-2-0.html

par Guillon-Legeay Daniel - le 11 juillet, 2015


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