Un petit effort M. le (presque) Président : de l’équité à défaut de réforme !
60 000 postes dans l’Éducation Nationale et le Supérieur, est-ce vraiment une réponse suffisante pour dessiner les solutions des défis auxquels se trouvent confrontées nos têtes blondes ? Soyons juste : les propositions du candidat Hollande ne se limitent pas à cela, mais elles visent plus globalement la réfection de ce qu’a détricoté la nuit sarkozyste. Suffit-il toutefois, telle Pénélope, de retravailler sans cesse le même bâti, pour répondre aux nouvelles ardeurs ? Les enquêtes PISA (www.pisa.oecd.org) sont éloquentes : nos élèves restent très moyens quant à la maîtrise des savoirs fondamentaux, et les plus défavorisés sont maltraités. Contraste saisissant pour un système dont l’idéal républicain se veut sinon égalitariste, tout au moins profondément empreint de justice sociale et d’équité. Cela ne date pas du pouvoir de la droite, même si cette dernière n’a pas amélioré la justice du système. Nous devons nous confronter à certaines évidences : un ministère regroupant plus de 850 000 enseignants est devenu ingérable sinon par l’inertie et le conservatisme. La plupart des formations anciennes étaient inadaptées aux exigences pédagogiques (essentiellement théoriques, elles ne sélectionnaient les enseignants que sur une excellence académique qui ne peut être la seule composante du métier), la gestion des carrières encore plus (aucune incitation véritable pour les plus expérimentés à rester dans les zones d’éducation difficiles), et n’évoquons pas l’indigence des perspectives professionnelles des enseignants (est-ce un métier envisageable toute une vie ?). Ces questions essentielles ne sont pas abordées, l’unique voie de démarcation politique étant devenue celle du retour à l’ancien. Ou comme si la stratégie la plus racoleuse pour ce presque million d’électeurs était de le conforter dans son passé. Hélas, l’histoire de notre système d’éducation est lourde de telles timidités, et le passif du volontarisme sarkozyste ne risque pas d’aider à entendre les muses du changement nécessaire. Volonté de consensus, manque de courage politique, conservatisme de la gauche pour masquer son visage de Janus : pourquoi renoncer à une troisième voie ?
Quels que soient le courage et l’intelligence de Vincent Peillon (locataire pressenti de la rue de Grenelle), il lui sera certainement difficile d’agir sur les fondements d’un programme aussi flou et globalement conservateur. Il reste alors la solution des universités, pour corriger ce que n’aura pas pu, réussi ou osé à faire le Secondaire. Curieusement, peut-être dans une urgence électoraliste moins aiguë, François Hollande n’a pas égratigné l’une des seules réformes véritablement réalisée par notre presque ancien président. Il s’agit vraisemblablement d’une véritable opportunité, puisque la maladresse de la réforme (hyper-présidentialisation de la gouvernance des universités) n’en gomme pas l’utilité fondamentale (autonomie des établissements). Se trouve aujourd’hui ouverte la voie d’une réforme profonde du premier cycle, où les taux d’abandon sont spectaculaires, et où la concurrence entre universités, formations plus professionnalisantes, et formations d’élites se joue toujours au détriment des premières. À cet égard, le programme du candidat socialiste laisse augurer du meilleur : la volonté de repenser un premier cycle qui se donne les moyens d’accueillir la diversité des étudiants, en élargissant notamment le socle des formations (revenir sur des fondamentaux généralistes avant d’envisager les spécialisations), en clarifiant les compétences acquises par les formations (les rendre lisibles par le marché de l’emploi), ou encore en tissant des relations étroites entre formations et professions. Ces ambitions sont résolument tournées vers l’avenir, et on ne peut que l’en féliciter. Seule ombre au tableau (talon d’Achille réel ou fantasmé, mais récurrent des programmes socialistes) : son caractère dispendieux. Où trouver les ressources de telles ambitions ? La question est d’autant moins anodine qu’elle recoupe un lourd tabou des universités françaises : leur financement. Là où une conception républicaine étroite se paye d’illusions en jugeant que la réduction des droits d’entrée suffit à l’égalisation des chances, il est plus qu’urgent de dénoncer ce mensonge coûteux pour les plus démunis. L’indigence des bourses, l’insuffisance des aides aux plus défavorisés, conduisent irrémédiablement les plus favorisés à être les véritables bénéficiaires du système de gratuité. Que représenterait pourtant une augmentation des droits proportionnelle aux revenus des parents de l’étudiant ? La perspective d’un surcoût équitable des charges sociales pour les plus riches ne semble pas effrayer François Hollande, y compris lorsque que la mesure n’est que symbolique : pourquoi ne pas le faire pour des mesures qui auraient un impact immédiat sur la santé financière de nos universités, et sur l’incitation aux plus démunis pour poursuivre leurs études ? Un peu de courage, et au diable l’avarice des « héritiers » déjà pingres de leurs votes !
Après un double cursus universitaire (Master II de Philosophie et de Lettres Modernes), Geoffroy Lauvau a obtenu l’Agrégation de Philosophie et un Doctorat d’éthique et de philosophie politique (Université de Paris-Sorbonne, Paris IV) couronné par le Prix Louis Cros de l’Académie des Sciences Morales et Politiques. Il est actuellement enseignant en Lycée, chargé de cours des universités de Paris II, Paris IV, et de l’Institut d'Etudes Politiques de Paris. Il est également chercheur associé au CIPPA (centre de recherches en philosophie politique appliquée) de Paris IV.
Commentaires
Félicitations
Que de temps passé…
par CARTON - le 15 novembre, 2012
description anticipée et précise de la situation actuelle…bravo!
Juste une question, Je site l’article:
« (aucune incitation véritable pour les plus expérimentés à rester dans les zones d’éducation difficiles) » Réel problème effectivement! Etes-vous enseignant dans un lycée de zones d’education difficiles, puisque vous êtes bien parmis les plus expérimentés (Agrégation de Philosophie et un Doctorat d’éthique et de philosophie politique)?
par Anonyme - le 15 février, 2013
« François Hollande n’a pas égratigné l’une des seules réformes véritablement réalisée par notre presque ancien président. Il s’agit vraisemblablement d’une véritable opportunité »
Mais de quelle réforme on parle exactement?
par MH - le 15 février, 2013
» La nuit sarkozyste » : que voilà une mâle affirmation ! Sans doute , émule de Nietzsche, professez-vous une philosophie » à coups de marteau » ? Mais laissons cela, l’essentiel est ailleurs, me semble-t-il : à aucun moment vous ne vous interrogez sur le contenu de l’enseignement dispensé dans nos collèges et lycées. Il y a quelques années, lorsque ma fille était en Première ES, j’avais eu la curiosité d’ouvrir son manuel d’économie . Je fus effaré de découvrir que cet ouvrage, muni de l’imprimatur de l’Education Nationale, présentait l’entreprise non comme le lieu premier de la création de richesses mais comme celui où ne peuvent qu’advenir les conflits sociaux . Par ailleurs, ce manuel planait dans les hautes sphères de l’abstraction : on y présentait bien Adam Smith et Keynes…mais rien sur la nécessité de dégager une bonne marge pour pouvoir investir, innover, embaucher et rémunérer les actionnaires. Par chance, le professeur était vraiment intelligent – je veux dire pas sectaire – et il les invita…à feuilleter , de temps en temps, le quotidien économique » Les Echos « . Plutôt que de compter sur l’Université pour » corriger ce que n’a pas réussi ou pas osé faire le Secondaire « , ne faudrait-il pas, d’abord, s’attaquer sérieusement aux contenus dispensés par ce dernier ? Histoire, tout simplement, d’avoir des bacheliers comprenant, grosso modo, le monde dans lequel ils vivent et vont être amenés à travailler. Faites donc l’expérience auprès de vos élèves : demandez leur, par exemple, ce que c’est que la TVA et pourquoi elle va augmenter en janvier. Bon courage.
par Philippe Le Corroller - le 1 décembre, 2013
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