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La philosophie aux Jeux Olympiques

30/07/2012 | par Hadrien Simon | dans Art & Société, Implications Philosophiques | 4 commentaires

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Interrogeons-nous sur la possibilité que la philosophie devienne discipline olympique en 2050. A première vue, la philosophie n’a rien à voir avec le sport et la proposition relève de l’absurde. Attachons-nous alors au moins à savoir ce qu’il en coûterait pour lever l’absurdité, et pour que la question puisse être posée en légitimité. Qu’est-ce qu’un sport? Répondons : l’exercice de qualités physiques pouvant se dérouler dans un contexte social de compétition, qu’il soit amateur ou professionnel. Les sportifs d’une même discipline répètent des exercices précis, faisant l’objet d’un apprentissage, du débutant à l’expert, puis les réalisent dans des épreuves officielles.

Qu’est-ce que la philosophie ? Répondons : c’est plus compliqué. Dans un premier temps il serait pourtant possible d’observer quelques similitudes avec ce que nous venons de dire du sport. Philosopher, c’est faire l’exercice de qualités cette fois-ci mentales pouvant entrer en contradiction avec d’autres, au niveau amateur ou professionnel. Ces exercices font l’objet d’apprentissages, ils ne constituent donc pas uniquement les premières armes du débutant, et même un philosophe professionnel s’exerce par de longs et précis enchaînements de pensée (une argumentation par exemple reste un exercice mental; on pourrait le comparer à un kata réalisé par un karatéka). Mais qu’en est-il du contexte social, n’est-il pas secondaire vis-à-vis de la vérité que les philosophes cherchent à atteindre ? Là aussi les choses ne sont pas si simples, tant les philosophes aussi s’insèrent dans des hiérarchies communautaires (avec leurs “stars” et leurs cercles rapprochés, leurs pratiquants amateurs admiratifs, et tous les comportements qui en découlent), qui influencent la production d’idées. D’ailleurs la philosophie aussi a ses stades et ses terrains officiels : colloques, revues spécialisées ou grand public, etc.

Bien. La philosophie n’est-elle donc rien d’autre qu’un sport ? C’est ici que les choses sont plus compliquées, précisément là où nous avons pris comme allant de soi, trop rapidement, la différence entre qualités physiques et mentales. C’est en effet un point problématique, qui occupe d’ailleurs beaucoup de philosophes professionnels aujourd’hui. Ce point nous fait retomber sur la distinction classique corps/esprit (physique/mental) initiée par Descartes, qui fait que nos rapprochements entre sport et philosophie, pourrait-on nous objecter, se font uniquement sur un des deux aspects (le terrain du corps, du monde concret). La sphère de l’esprit resterait donc radicalement à l’abri de nos projets. Cela se laisse en fait aisément saisir : prenez l’exercice qui consisterait à penser à une idée comme la justice. Si l’on peut vouloir qu’un tel acte de pensée admette la comparaison avec un geste sportif, l’idée de justice, elle, semble irréductiblement ne pas exister de la même manière qu’une action ou un geste. Là se trouve l’obstacle à une philosophie comme sport.

Le problème posé est adressé à la philosophie elle-même : comment n’avoir qu’un même plan de réalité sur lequel placer les deux aspects, le physique et le mental? Souvent, la réponse des philosophes professionnels est plutôt de réduire un aspect à l’autre (réduire le physique au mental et l’on obtient un idéalisme philosophique, l’inverse élabore un matérialisme). Mais contrairement à ces approches, qui cherchent à accorder plus de réalité à un aspect ou l’autre, ne pourrions-nous pas nous demander comment unifier l’un et l’autre ? On s’entraînerait alors à ne plus poser aucune différence entre le fait de penser et ce qui est pensé, entre penser à la justice et l’idée de justice elle-même ; on ne ferait donc que revenir à notre manière la plus naturelle de penser, puisque spontanément nous ne pensons pas d’abord en général, sans objet, puis ensuite à quelque chose en particulier (comme l’idée de justice par exemple). Dès lors le but de la philosophie ne pourrait plus être de décrire comment sont les choses, après coup, puisqu’il n’y aurait plus à les séparer de notre pensée immédiate. La philosophie serait cette pratique qui dans un même mouvement exercerait (physique) les idées elles-mêmes (mental) ; une telle pratique aurait pour but, non pas d’atteindre une description fidèle des choses, mais de se perfectionner progressivement, comme le sportif, par répétition d’exercices, avec les efforts et les limites qui lui reviennent. Ce serait donc enlever son caractère problématique au clivage entre pratique physique et mentale, sans se contenter de l’invitation à la mode aujourd’hui d’une “gymnastique du cerveau”, qui elle aussi réduit la pensée à son seul aspect physique. Ce serait rendre accessible tout le domaine des idées, aussi abstraites soient-elles, à des exercices similaires à ceux du sportif. En bref rendre possible cette philosophie comme sport.

Alors verra-t-on un jour cette possibilité nous présenter des philosophes tels des athlètes, mettant en compétition sous forme idéale leurs exercices, leurs meilleurs gestes de pensée ? Probablement ne faudrait-il pas succomber ainsi à la tentation de trop mettre la pensée en spectacle. Mais en attendant, rien n’empêche, avec les jeux de Londres cet l’été, de faire du sport une très bonne occasion de philosopher.

 

Hadrien Simon

Diplômé d'études de commerce et d'économie, Hadrien Simon est doctorant en philosophie à l'Université de Rouen. Il écrit pour la revue Implications Philosophiques.

 

 

Commentaires

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Rassurez moi vous aviez fumé avant d’écrire ça?

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