FN à la Sainte-Baume : une table ronde n’est-elle que le cercle de l’entre-soi ?
L’invitation d’une députée FN — une première — à une table ronde des universités d’été de la Sainte-Baume, organisée par le diocèse de Fréjus-Toulon, n’a cessé de jeter le trouble en cette fin de saison dans les milieux chrétiens. Ainsi, parmi la kyrielle de réactions scandalisées, pouvait-on lire dans l’édito de La-Croix.com daté du 27 août, sous la plume de Guillaume Goubert :
« Faut-il accepter de parler avec ceux dont on combat les idées ? Telle est, au fond, la question que pose aux catholiques l’invitation de Marion Maréchal-Le Pen […]. On peut répondre à cette question par la négative : une telle invitation offre une caution d’Église à un parti dont le discours est, sur des points importants, incompatible avec les convictions chrétiennes. »
Cette réaction de l’éditorialiste est en réalité confuse à plus d’un titre.
Elle suppose d’abord, étrangement, qu’un débat ne pourrait se faire qu’entre personnes partageant à l’identique les mêmes idées. Cela correspond à l’image ordinaire du dialogue qui amalgame la position des interlocuteurs rassemblés autour d’une table (qui dans la tradition judéo-chrétienne n’est jamais ronde) avec leur position intellectuelle. Dans une sorte d’attitude névrotique, on a habituellement tendance à occulter le caractère conflictuel qui constitue l’essence du dialogue, au profit de mondanités où chacun fait mine d’être en accord avec l’autre.
On peut admettre que l’invitation inédite, de la part d’ecclésiastiques, d’une personnalité frontiste puisse venir, aux yeux de l’opinion, ternir l’image de l’Église. Mais lorsque les réflexions desdites universités sont censées être animées par la question « Médias et vérité ? », il semble plutôt pertinent de laisser en suspens le problème de l’image, afin de méditer précisément sur sa fabrication inconsciente et son emprise faussant le témoignage.
Il est bien entendu que le discours du FN pétri par la hantise des immigrés et obsédé par la préférence nationale est incompatible avec la doctrine sociale de l’Église. Mais les belles âmes indignées par l’invitation de Marion Maréchal-Le Pen oublient peut-être une part non moins essentielle de l’Évangile. Au-delà de ce que ressasse une pseudo-morale hantée par le spectre du marxisme, l’étranger ce n’est pas seulement l’exclu pour des raisons socio-économiques. L’amour de l’étranger qu’incarne Jésus est à son comble lorsque l’étranger n’est autre que l’ennemi.
On nous répondra immédiatement que ce n’est pas l’amour de l’ennemi mais une sorte de réalisme politique qui a probablement motivé au premier chef cette fameuse invitation. Toutefois, dans le risque de la rencontre peut se jouer beaucoup plus que de pures stratégies flirtant avec le cynisme. C’est du moins ce que nous croyons être le beau pari du dialogue — où la confrontation a lieu comme sa basse continue que les mondanités tentent précisément de refouler.
Aimer ses ennemis, les inviter à sa table, ce serait en somme, ici, en deçà des calculs « politiciens », avoir foi en la parole comme puissance capable d’ébranler l’obstination des convictions. Il ne s’agit évidemment pas d’être dupes et d’imaginer une conversion soudaine du frontiste (et l’on pense aussi aux électeurs du FN présents à ces universités) à une fraternité beaucoup plus large qu’il ne le croyait. Mais, de la même manière que la Parole de Jésus sèmera profondément le trouble en un Israël engoncé dans la pharisianisme, ne s’agit-il pas, pour un chrétien engagé dans les affaires de la cité, de croire au pouvoir anarchique de la parole démocratique qui atteint, corrompt, déstabilise les préjugés ? Ne s’agit-il pas de parier sur une telle mise en question plutôt que de craindre je ne sais quelle contagion de la « peste brune » ? La défaite des préjugés pouvant alors, éventuellement, chez celui qui le désire, c’est-à-dire l’interlocuteur de bonne foi, faire place à une perspective renouvelée ou élargie sur les choses.
Les organisateurs et les intervenants ont-ils été à la hauteur de l’esprit du débat ? On peut en juger a posteriori — c’est-à-dire comme il se doit — ici. En tout cas, même si le ton demeura résolument courtois, il apparaît que la députée n’ait pas été ménagée. Déjà, en guise d’ouverture au débat, Mgr Dominique Rey, évêque du diocèse Fréjus-Toulon dont l’initiative fut désapprouvée par la Conférence des évêques de France, annonçait : « Notre position comme chrétiens est de dénoncer les positions et les postures politiques qui nous semblent en contradiction avec les valeurs catholiques» ; non sans ajouter que : « La Conférence des évêques de France vient de le faire récemment sur certaines positions du FN ».
Mais, encore une fois, avancer ici que l’Église risque de se compromettre avec ce qui cherche la dédiabolisation, c’est oublier qu’une des subversions essentielles de l’Évangile, renversant par-là l’ordre traditionnel religieux, consiste à nous faire comprendre qu’entrer en contact avec ce que nous qualifions d’« impur » ne nous rend pas pour autant « impurs ». Au contraire, notre dignité se joue là où nous nous faisons le prochain de celui que nous ne voulions pas voir. Le risque est donc, en premier lieu, de ne pas être écouté, d’être mal entendu, incompris ou rejeté. Par ailleurs, on ne souligne pas assez ces passages de l’Évangile où Jésus cherche délibérément à ne pas susciter l’adhésion spontanée à sa Parole. Conformément à l’Alliance — qui ne constitue décidément pas une régression fusionnelle —, la Parole ne peut s’avérer efficace que si on la fait sienne, c’est-à-dire en s’arrachant de la rumeur.
À l’instar de la parabole du semeur où Dieu persiste à semer sa Parole malgré tous les ratés, il nous semble ainsi que tout chrétien engagé doit pouvoir animer de son souffle la parole démocratique en continuant à vouloir rencontrer ses ennemis, là où le débat est permis. Cela déstabiliserait également cette logique de l’indignation médiatique tant à la mode, par laquelle l’adversaire est systématiquement exclu de la discussion sous prétexte qu’il y aurait des choses qui ne se disent pas. Comme si les discours jugés acceptables n’étaient pas suffisamment solides pour souffrir la contradiction…
Agrégé de philosophie, Jean-Sébastien Philippart est conférencier à l'Ecole Supérieure des Arts Saint-Luc de Bruxelles.
Commentaires
Salutaire papier, surtout le rappel de ce que dans la tradition judéo-chrétienne, l’amour de l’étranger est à son comble lorsque l’étranger n’est autre que l’ennemi et que le contact de l’impureté ne rend pas lui-même impur. On se rend compte chaque jour dans la vie politique que ce message nécessiterait que nous soyons des surhommes, des saints en puissance et en acte.
par Bernmich - le 31 août, 2015
J’avais fini par oublier que Jésus a été le plus grand provocateur pour ne pas dire révolutionnaire, de tous les temps !
Quand même, il faut oser : « aimer son ennemie » ; c’est le summum du « aime ton prochain comme toi même », non ?
Entrer en dialogue avec son ennemie (en espérant qu’aucun calcul politicien ne soit en jeu), n’est-ce pas le meilleur moyen de le combattre et de le déstabiliser ?
Jusqu’à présent l’indignation médiatique systématique et caricaturale excluant du débat tous ceux qui pensent différemment, n’a pas porté ses fruits. En conséquence, je trouve pour ma part très courageux, cette invitation faite par le diocèse de Fréjus.
par ANTRAS, Serge - le 2 septembre, 2015
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