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Liberté et sécurité : l’onde de choc politique ?

23/11/2015 | par D. Guillon-Legeay | dans Politique | 6 commentaires

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Au lendemain des attentats du 13 novembre qui ont frappé Paris et le Stade de France, le Président de la République, en accord avec le Parlement, a instauré l’état d’urgence pour une durée de trois mois. Chacun comprend que, face à des attaques d’une telle ampleur et d’une telle gravité, il est urgent d’assurer la protection des citoyens et d’organiser la riposte contre les auteurs de ces attentats.

Pour autant, de nombreuses questions se posent. Faut-il considérer, avec le président de la République, que « la France est en guerre » [1]? Est-il juste de larguer des bombes en Syrie, en représailles contre les attentats, au risque d’alimenter les conditions de la guerre effective, de rentrer ainsi dans le jeu des djihadistes qui veulent déclencher partout en France une guerre civile [2] et détruire notre civilisation [3] ? La réforme de la Constitution est-elle nécessaire ? Et si oui, une telle modification doit-elle être ratifiée par le Parlement seul (réuni en congrès), ou par l’ensemble du corps politique (par voie de référendum) ? L’état d’urgence constitue-t-il une réponse réellement appropriée à la question de savoir comment assurer la sécurité et la liberté des citoyens ?

Nos lecteurs et lectrices comprendront qu’il n’est pas possible de traiter tant de questions dans cet article. Car elles sont complexes, difficiles à démêler, lourdes de conséquences pour l’avenir du pays. C’est pourquoi elles requièrent un débat de fond, qui doit être engagé par l’ensemble du corps politique (la Nation), et non pas confisqué par ses gouvernants et représentants. Néanmoins, qui ne voit que toutes les questions précédentes interrogent la politique sécuritaire qui se met en place à la tête de l’Etat ? La sécurité est-elle le tout de la liberté, ou n’est-elle que la condition de toutes les libertés ? La question du rapport entre sécurité et liberté se pose pour plusieurs raisons. N’est-il pas paradoxal, en effet, de restreindre la liberté au nom de la liberté ? [4] De restreindre la liberté de tous les citoyens pour combattre quelques terroristes?

Il se trouve que l’articulation entre la liberté et la sécurité fait problème, tant sur le plan de la réflexion théorique que sur celui de l’action politique. Si la liberté et la sécurité ne peuvent aller l’une sans l’autre, se pose toutefois la difficile question de l’articulation de l’une par rapport à l’autre. Selon quels principes et selon quels buts convient-il d’organiser ce rapport ? Trop de liberté compromet la sécurité, trop de sécurité étouffe la liberté. La liberté ne peut s’exercer lorsqu’il y a contrainte, menace ou violence ; c’est pourquoi la sécurité semble la première des libertés. Inversement, la liberté peut aussi vouloir rejeter les barrières de la sécurité pour s’aventurer au-delà et se poser ailleurs ; c’est par l’assomption du risque que la liberté devient création. Pour tout Etat, l’articulation entre la liberté et la sécurité constitue, de façon permanente – et, plus encore, en temps de crise – une épreuve cruciale. A travers elle, se joue sa puissance et sa légitimité à commander. Plus fondamentalement, elle permet d’établir la différence entre un Etat autoritaire et une république libre.

Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à cette question, je reprends ici l’analyse de ce très beau texte de Spinoza (extrait du Traité Théologico-Politique) que j’avais proposée après les attentats de janvier. Car, en dépit de contextes différents, il existe une parenté manifeste entre les attaques du 07 janvier et celles du 13 novembre. Ces dernières n’ont qu’une seule et même cible : notre mode de vie fondée sur la liberté, la tolérance et la laïcité [5]. Cette remarque est d’importance…

« Ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre, que l’Etat est institué; au contraire, c’est pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité , c’est-à-dire conserve aussi bien qu’il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir. Non, je le répète, la fin de l’Etat n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celles de brutes ou d’automates, mais au contraire, il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l’Etat est donc en réalité la liberté ».
Spinoza, Traité Théologico-politique, 1670, chapitre 20, édition Garnier-Flammarion, tome 2,  p. 329.

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Etat autoritaire ou Etat libéral ?

L’idée centrale du texte de Spinoza est assez simple à saisir ; il la répète à plusieurs reprises: “La fin de l’Etat est donc en réalité la liberté ». Cela signifie que l’Etat a pour fin (c’est-à-dire pour but, pour finalité) d’assurer à chacun de ses citoyens la liberté. Cette thèse ne va pas de soi, car l’Etat est souvent perçu comme un frein – voire une menace – pour la liberté. C’est pourquoi Spinoza y insiste. En cette période de crise majeure, la tentation est grande de privilégier l’ordre sécuritaire au détriment de certaines libertés. L’instauration d’un état d’urgence en est l’illustration parfaite. Hélas, d’autres attentats terroristes sont à craindre, et nul ne sait combien de temps durera cette « guerre de la République contre le terrorisme »…

Dès le départ du texte, Spinoza insiste autant sur les caractéristiques de l’Etat tel qu’il le conçoit (un Etat libéral) que sur celles de l’Etat qu’il refuse (un Etat autoritaire). « Ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre que l’Etat a été institué ». On le voit, Spinoza rejette ici l’idée d’un asservissement du citoyen au pouvoir autoritaire de l’Etat, d’un régime qui serait fondé uniquement sur les ressorts négatifs de la crainte.

En fait, Spinoza s’oppose à son contemporain, Thomas Hobbes, partisan de l’Etat autoritaire. Pour le philosophe anglais, l’état de nature (état hypothétique et anhistorique, supposé avoir existé avant l’institution de lois et de régimes politiques stables) est un état de violence : “les hommes sont naturellement en guerre les uns contre les autres”. C’est pourquoi, nous dit Hobbes, l’Etat a été institué : pour enrayer et contenir cette violence naturelle, la “guerre de tous contre tous[6]. L’Etat, précise Hobbes, est institué sur la base d’un pacte que les hommes ont passé entre eux, un accord visant à mettre un terme à cet état de guerre perpétuel. Ce pacte prévoit que les citoyens se dessaisissent de leur liberté et de leur puissance naturelle (par exemple, se venger d’une offense en recourant à la violence) et s’en remettent à l’Etat pour assurer l’ordre et la sécurité, au moyen de l’armée, de la police, de la justice… Hobbes décrit ainsi la figure de cet Etat qu’il appelle Léviathan (du nom de ce grand monstre marin de la Bible) : “Ce grand Léviathan ou Etat n’est donc rien d’autre qu’un homme artificiel, quoique d’une plus grande stature et d’une plus grande force que l’homme naturel, et qui est destiné à assurer sa protection et sa défense…” [7]. La souveraineté de l’Etat est absolue, puisqu’elle résulte des droits illimités auxquels chaque individu a renoncé en sa faveur. Sa finalité est triple : émanation du corps politique, l’Etat est chargé de représenter celui-ci en personne ; comme détenteur de la puissance collective, il est chargé d’assurer l’ordre (c’est-à-dire la protection et la sécurité des citoyens) ; comme source unique de la loi, l’Etat légifère, dit le juste et l’injuste (ce qui rend ses actes indiscutables). Il convient, pour être exact, de rappeler que Hobbes a été témoin des horreurs de la guerre civile qui a ravagé son pays. Outre cette première considération historique, s’ajoute une conception pessimiste de la nature humaine : « Homo homini lupus est » (L’homme est un loup pour l’homme).

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Vivre selon la raison, et non selon les passions.

S’agissant de savoir et de décider comment il convient de vivre ensemble pour le mieux (question politique par excellence), Spinoza pose que les hommes sont des êtres doués de raison. Par conséquent, il faut leur donner les moyens de vivre ensemble selon “la condition d’êtres raisonnables”, capables de juger, de comprendre, de décider par eux-mêmes, et non selon la condition de “bêtes brutes et d’automates”, vouées à subir les commandements sans jamais pouvoir comprendre ni réfléchir. Il ne s’agit pas non plus que la vie en commun soit dominée par les passions négatives (la ruse, la haine, la colère, la crainte d’autrui) qui ne peuvent provoquer que des discordes, des rivalités et des guerres entre les hommes.

Or, il apparaît assez clairement que les lois de la République que nous connaissons garantissent, par principe, la liberté et l’égalité pour tous les citoyens. Ce faisant, elles incarnent, dans les démocraties contemporaines, la réalisation concrète et effective de cette conception de l’Etat de droit (dont la puissance d’agir est réglée par des lois) que Spinoza défendait, à une époque où les monarchies absolues de droit divin étaient la règle. Sur cette question comme sur tant d’autres, Spinoza est, à n’en pas douter, le fondateur de notre modernité politique.

On voit que Spinoza ne dissocie pas la question politique (une réflexion sur la nature, l’organisation et l’exercice du pouvoir au sein de la Cité) de la question éthique (une réflexion sur les valeurs morales qu’il importe de promouvoir et de défendre dans l’intérêt des hommes). Qu’est-ce qui est important, qui vaut la peine d’être recherché et pratiqué pour une vie bonne en commun? Ici, il s’agit bien sûr de la liberté et de la conduite de l’existence selon les exigences de la raison. Or, déterminer et mettre en œuvre ensemble les conditions du bien commun, n’est-ce pas précisément le fondement de la démocratie ?

Spinoza s’oppose à une conception d’un Etat autoritaire pour deux raisons. La première est que l’on ne doit rien fonder sur la force et sur la crainte, car la crainte est une passion négative et elle s’obtient par la menace. Or, il s’agit de faire en sorte que les hommes puissent vivre et se conduire comme des êtres raisonnables (le contraire de « brutes » ou « d’automates »). La seconde est qu’il est faux de penser que la nature humaine puisse changer radicalement. Dans la vie en société, il subsiste une part de nature en chacun de nous. Certes, le développement de la raison (par l’éducation, le savoir et la philosophie) est possible et même souhaitable, puisque c’est par là que nous devenons vraiment humains; cependant, la société ne saurait complètement annihiler notre nature originelle. Loin de nier ce point, Spinoza au contraire va tenter de le prendre en considération.

Pour Spinoza, il demeure une loi de la nature que la vie en société ne saurait détruire, à savoir le droit  de chacun à conserver “son droit naturel d’exister et d’agir”. Pour Spinoza, tous les  êtres vivants (les hommes pas moins que les animaux) recherchent prioritairement ce qui leur est utile et fuient ce qui leur est nuisible. Cette force de vivre irrépressible (à laquelle Spinoza donne le nom de conatus) ne cesse pas d’exister et d’agir dans la vie en société. Les animaux suivent leur instinct pour savoir ce qu’ils doivent faire; les hommes, quant à eux, suivent la raison pour savoir où est leur intérêt. Par conséquent, un Etat libéral est celui qui permet aux hommes de développer leurs besoins, forces et aptitudes, dans la mesure où cette recherche de leur intérêt n’est pas incompatible avec la liberté d’autrui (“sans dommage pour autrui ”). Cette prise en compte, par Spinoza, de la recherche de l’intérêt qui pousse chacun dans l’existence montre qu’il ne prône pas un idéalisme mais, au contraire, un réalisme politique : il faut composer des lois et des institutions qui s’accordent avec le réel, avec la nature des hommes. Si ces derniers sont spontanément enclins à suivre la force de leurs impulsions et de leurs passions, ils possèdent en eux, la raison, la capacité à penser et à s’exprimer que rien ni personne ne peut leur dénier. Spinoza reconnaît aussi que cette tendance – qu’on pourrait qualifier d’égoïsme – est légitime, conforme à la raison : c’est pourquoi il parle de “droit”. Ce droit naturel, les lois humaines ne doivent ni l’ignorer ni l’empêcher. L’important est que cette tendance s’accomplisse dans la sécurité et dans le respect d’autrui. Or, la raison seule permet à chacun de savoir jusqu’où il peut et doit aller, où est son intérêt véritable, car elle seule peut permettre à chacun de rechercher ce que l’on nomme le bien commun: qu’est-ce qui est utile à moi et en même temps qu’aux autres ? A n’en pas douter : la liberté et la sécurité.

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Liberté et sécurité.

Pour Spinoza, la liberté n’a rien d’une abstraction; il s’agit au contraire de voir à quelles conditions elle est effectivement réalisable au sein de l’Etat. Notamment, Spinoza insiste sur le fait que la liberté sans la sécurité n’est rien : sans la sécurité, il est impossible aux citoyens de “ s’acquitter de toutes les fonctions de leur âme et leur corps » et encore  “d’user par eux-mêmes d’une raison libre ”.  En effet, comment être libres dans un climat de violence ? Inversement, la sécurité sans la liberté n’est rien non plus. A quoi pourrait bien servir la sécurité pour des hommes réduits à la condition « de brutes ou d’automates » ?  Pour Spinoza, les êtres humains ne sont pas seulement des individus vivants limités à des besoins,  mais encore des êtres doués de raison, capables de penser et de décider par eux-mêmes.

Les deux notions de sécurité et de liberté sont donc bel et bien inséparables: mais la question est bien de savoir à laquelle on accorde la priorité, laquelle est le moyen et laquelle est la fin / le but. Or, selon que l’on donne la priorité à la sécurité ou à la liberté, cela peut conduire soit à un Etat autoritaire, soit à un Etat libéral. Dans le premier cas, l’Etat fait de l’ordre et la sécurité une finalité, et de la restriction des liberté civiques un dommage collatéral. Dans le second cas, l’Etat, à l’inverse, fait de la sécurité une condition nécessaire et un moyen, et de la liberté une finalité non négociable). Spinoza prend donc clairement position en faveur d’un Etat libéral.

Mais qui ne voit qu’un Etat démocratique peut aisément sombrer dans l’arbitraire et le délire sécuritaire, au mépris de la Constitution et des libertés fondamentales ? Ainsi, après les attentats du 11 septembre contre les tours du World Trade Center, on a vu se mettre en place aux Etats-Unis le « Patriot act », un arsenal de lois extrêmement répressives, sécuritaires, et restrictives en termes de libertés, autorisant la pratique codifiée de la torture dans des centres de détention (à Guantanamo, dans plusieurs pays d’Europe également), des tribunaux militaires en lieu et place de tribunaux civils… De même, après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, a été instaurée en France une loi sur le renseignement de masse (avec les fameuses « boîtes noires » imposées aux fournisseurs d’accès à Internet, et dont l’usage échappe au contrôle des citoyens). De même, après les attentats du 13 novembre, l’instauration d’un état d’urgence et la réforme de la constitution (la loi suprême dont découle toutes les autres lois de la République) qui, si elles échappent au contrôle des citoyens, constituent des risques de dérive autoritaire.

Qu’il me soit permis de préciser ma pensée. Je suis convaincu que le président de la République est démocrate et républicain, et loin de moi de l’accuser de vouloir instaurer un Etat autoritaire à la faveur des attentats de Paris. Néanmoins, « déclarer la guerre » est un acte grave, lourd de conséquences. Etait-il nécessaire pour assurer la protection des intérêts supérieurs de la Nation ? Rien n’est moins sûr. En outre, il ne suffit pas de déclarer la guerre ; il faut se donner les moyens de la conduire et, plus que tout, de la gagner. L’affrontement militaire est-il la seule option ? Enfin, il faut considérer que des forces obscures président à la destinée des peuples, et qu’elles échappent au contrôle des hommes  politiques : la guerre menée à l’extérieur du territoire est l’un des pires scenarii imaginables. Les Américains ont perdu la guerre du Vietnam, puis celle d’Irak ; les Soviétiques, celle d’Afghanistan…

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La liberté dans la loi.

On voit que pour Spinoza, il apparaît nécessaire et souhaitable que la sécurité soit assurée par l’Etat afin de permettre à chacun (et donc à l’ensemble) des citoyens de vivre librement, sous la conduite de la raison. Lorsque les citoyens sont assassinés dans des attentats terroristes, l’Etat doit pouvoir mobiliser tous les moyens dont il dispose pour organiser la riposte, afin d’assurer la sécurité des citoyens et garantir leurs libertés fondamentales. Au passage, on remarquera ici les limites de l’économie de marché : elle requiert la stabilité politique comme une condition nécessaire favorable à la croissance, mais elle ne peut rien elle-même pour protéger l’ensemble du  corps social. On ne supprime pas aisément la question politique de l’Etat !

Ceci est un point important : l’obéissance à des lois justes, fondées sur la Raison, est la condition de la liberté véritable : qu’est-ce qui vaut pour chacun (au plan du particulier) et en même temps pour tout le monde (au plan de l’universel) ? Ne vaut-il pas mieux se soumettre à une loi qui pose et reconnaît l’égalité de chaque citoyen, qui reconnaît la liberté pour tous, plutôt que de devoir se soumettre à une loi tyrannique, arbitraire voire sanguinaire ? Je désigne évidemment la loi des idéologues fanatiques, ennemis de la liberté qui, à distance, endoctrinent, instrumentent et arment des terroristes faibles d’esprit, qui commandent aux bourreaux de faire usage de bombes et de  kalachnikovs pour assassiner leurs ennemis.

On croit souvent que la loi est faite pour limiter voire pour empêcher notre liberté. Mais c’est le contraire qui est vrai : c’est la loi  qui fait de nous des êtres libres.  La loi est l’ensemble des règles fondamentales qu’une communauté humaine se donne pour permettre la coexistence harmonieuse et pour rendre la justice. Mais il va de soi que Spinoza ne cherche pas à justifier n’importe quelle forme d’Etat: l’Etat ne peut être le garant de la liberté (de chacun et de tous) qu’à cette condition fondamentale : ses lois et institutions doivent conformes à la raison ; en d’autres termes, qu’elles soient justes. Est juste une loi qui fait l’objet d’une discussion réglée, d’un débat contradictoire, et dont le but de défendre l’intérêt général (ce qui vaut de la même façon pour tous les citoyens), et non pas tel intérêt particulier (quand tel groupe veut faire valoir ses intérêts au détriment des autres).

Il appartient donc au peuple souverain, et non exclusivement aux gouvernants, de s’approprier la question des lois et des dispositifs à mettre en vigueur dans ce pays pour organiser une riposte efficace contre la menace terroriste. Il appartient à chaque citoyen de veiller au respect des principes fondateurs de la République « laïque, sociale, une et indivisible», au moyen de la réflexion et de l’action. Et toujours dans le cadre de la loi. Pour ma part, je trouve très intéressant que commence à se dessiner un mouvement de résistance. Interdits de s’attrouper dans les rues pour exprimer leur colère et leur détermination, ainsi que pour rendre hommage aux victimes des attentats du 13 novembre, nombreux sont les citoyens qui ont pris le risque de réinvestir l’espace public en dépit des menaces terroristes.

Il faudra assurément puiser dans notre courage et notre capacité à résister pour affronter l’adversité. Il faudra chercher du côté de l’amour et de la tolérance pour reconstruire notre pays plongé dans la tourmente, faire face à l’ennemi sans rien concéder sur l’essentiel de nos valeurs et de nos principes.

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[1]
Discours du Président de la République devant le Parlement réuni en congrès à Versailles, le 16 novembre 2015.
[2] Gilles Kepel, professeur à l’Instititut d’Etudes Politiques de Paris, paru dans le journal Le Monde du 14 novembre 2015.
[3] Pascal Bruckner, philosophe, essayiste, dans le Figaro : « C’est notre civilisation qu’ils veulent détruire ».
[4] Judith Butler, philosophe, professeure à l’université de Berkeley, Californie : « Une liberté attaquée par l’ennemi et restreinte par l’Etat », dans Libération.
[5] Pascal Bruckner, article cité.
[6] Thomas Hobbes, Du Citoyen, I, chap. 13.
[7] Thomas Hobbes, Le Léviathan, introduction. Voir aussi le chapitre 17.

 

D. Guillon-Legeay

Professeur agrégé de philosophie, Daniel Guillon-Legeay a enseigné la philosophie en lycée durant vingt-cinq années en lycée. Il tient le blog Chemins de Philosophie. Suivre sur Twitter: @dguillonlegeay

 

 

Commentaires

Bonjour,

Très intéressante synthèse; une situation, qui nous pose à peu de distance, réflexions.

Résister, résistance, font échos à l’histoire de la France.Ces attroupements, ces démonstrations de compassion et de courage patriotiques affichés, au mépris de l’imminence de risques, illustrent l’expression de notre esprit révolutionnaire, dont on peut difficilement se défaire, quand la patrie est en danger.

Sécurité et liberté ? Où est le curseur, si ce n’est de le placer (complexe dilemme) à un niveau médian évaluant en temps réel, les menaces d’attentats. N’oublions pas, un essentiel : le principe de précaution : « gouverner, c’est prévoir ».

Que ne dirait-on pas, si pas assez de mesures à opposer à ces faits et menaces de guérillas aveugles qui enlèvent la vie à la jeunesse et à tout un chacun ?

Trop de liberté…et trop de sécurité…? Encore et toujours chercher l’équilibre, comme le pendant des peurs et de l’angoisse de tous les citoyens.

(M Onfray ; se serait enflammé, pour s’être exprimé en des termes, pour le moins ambigus; ajoutant un amalgame aux amalgames!)

Mais, en tout état de cause, ne sommes- nous pas, tous, un peu responsable ?

par philo'ofser - le 23 novembre, 2015


Cher Mr Guillon-Legeay , j’ai bien peur de ne pas partager votre enthousiasme pour le mouvement de  » résistance  » qui se dessinerait dans le pays. Effectivement , depuis la tragédie du 13 novembre , c’est devenu le slogan de ceux qui se prennent pour des “ résistants “ : “ Il faut continuer à faire la fête , comme avant “ . Dans la bouche de gens de 20 ans , sous le coup de l’émotion , c’est parfaitement compréhensible . En revanche , de la part de personnes auxquelles l’âge aurait dû apporter expérience et réflexion , surtout si elles exercent des professions intellectuelles ou artistiques , ce vide spirituel est pathétique. Si nous n’avons que “ la fête “ à opposer à ceux qui s’attaquent à notre civilisation , ils ont déjà gagné ! Régis Debray perçoit bien ce danger mortel lorsqu’il définit ainsi notre société post-chrétienne : “L’accomplissement personnel a remplacé l’épanouissement collectif  » . Et il dénonce l’impasse de ce qu’il appelle  » le tout à l’égo  » :  » On ne peut pas être ensemble si on ne croit pas en quelque chose qui nous dépasse  » . Le patron de l’un des bars mitraillés l’a d’ailleurs bien compris , qui a rassemblé ses clients rescapés pour “ vivre ensemble “ – et cette fois, il ne s’agit pas d’une formule creuse – l’après de cet attentat . Vivre quoi ? Nos valeurs . A commencer par la première d’entre elles : le souci de l’autre . La “ fête “ comme horizon ? Pourquoi faudrait-il ajouter du malheur au malheur ?

par Philippe Le Corroller - le 23 novembre, 2015


Cher Philippe,

« Vide spirituel pathétique » dites-vous? Oui, je suis en partie d’accord avec vous, du moins si cet hédonisme doit tenir lieu de position morale et, à plus forte raison, d’engagement politique.

Mais je vous rassure, je ne songe pas à ce type de réaction lorsque je parle de « résistance ». J’ai foi en la démocratie, nourrie de la philosophie des Lumières: Kant, Voltaire, Rousseau, Diderot, Condorcet, Hugo, Jaurès….. et Spinoza sont des phares qui peuvent utilement nous éclairer pour organiser une riposte conséquente et efficace, sur le plan intellectuel, sur le plan moral et sur le plan politique. Par exemple, ce ne sont tant les valeurs de la République qui seraient soit comme des idéaux hors d’atteinte soit comme des coquilles vides, mais bien plutôt notre difficulté, voire notre incapacité à leur rester fidèles ou à les faire vivre de façon concrète (dans les banlieues en l’occurrence).

Il fut un temps – pas si lointain – où le fait d’être républicain (de droite ou de gauche) pouvait offrir à un homme une boussole pour le guider dans sa vie privée comme dans sa vie publique…. Ce qui nous ramène à Spinoza, le penseur des républiques libérales. Vous ne m’avez pas dit ce que vous en pensez 🙂

DGL

par Daniel Guillon-Legeay - le 23 novembre, 2015


Cher Daniel,
Pour moi , le problème de fond de la société française est bien celui décrit par Régis Debray : nous avons perdu le sens du collectif . Au 20ème siècle , deux catégories de la population française en avaient fait le moteur de leur vie : les chrétiens et les communistes. Or nous sommes sortis de la religion et le stalinisme , le maoïsme, le castrisme et les kmers rouges nous ont fait prendre le communisme en horreur . L’ennui…c’est que nous avons jeté le bébé avec l’eau du bain ! Nous sommes désormais une société  » d’adulescents  » irresponsables , courant les stages de  » développement personnel  » . Celui qui s’engage d’une quelconque manière – syndicale , politique , confessionnelle , humanitaire , peu importe – est souvent considéré comme un marginal . Pas de chance , nous voilà confrontés hors de nos frontières aux militants d’un système totalitaire , prêts à mourir pour l’imposer . Et , à l’intérieur même du pays , à des jeunes de banlieue que nous avons laissés sans avenir et qui ont  » la haine  » . Alors , nous n’avons plus le choix : si nous ne recréons pas du collectif , si nous ne sommes plus capables de rassembler les uns et les autres autour d’un projet commun , notre société se délitera .

par Philippe Le Corroller - le 23 novembre, 2015


Ce texte est très dense, Monsieur, et si je passais tout le temps de réflexion qu’il mérite, je serais ici pendant la soirée.
Quelques pistes pour s’interroger, tout de même :
En tant qu’étrangère, je me suis aperçue qu’à l’heure actuelle le français (la langue…) recourt de manière privilégié au présent de l’indicatif. Ce temps à l’énorme inconvénient de permettre que soient présentés sur un même plan des phrases comme « je mange des céréales le matin », et « Pour Spinoza, la liberté n’a rien d’une abstraction » (je vous cite).
Le présent de l’indicatif tend à figer l’action, et la tirer du côté de ce fâcheux absolu qui obstrue notre possibilité de réaliser à quel point chaque homme et femme est soumis à des contraintes qui ne pourront que rendre « laliberté (une liberté de ma part…) conditionnelle et relative, inscrite dans le temps et l’époque.
Si on combine l’effet du présent de l’indicatif avec celui de l’article défini : « la liberté », on obtient un cocktail qui, de mon point de vue, explose d’absolu. (L’absolu a la fâcheuse propriété de détruire notre capacité de pensée. Il est un anti pensée, si vous voulez.)
Exemple : entre 1986-1990 ? et quelques, il y a eu une époque où des actes terroristes faisaient partie de notre quotidien (du mien, et de celui d’autres, d’ailleurs). Il nous arrivait de prendre des TGV en nous demandant s’il y aurait des bombes, si nous, ou nos proches arriveraient à destination.
Dans mon souvenir, en tout cas, NOTRE sentiment d’insécurité n’avait pas atteint le niveau d’hystérie collective qu’il atteint à l’heure actuelle.
Cela m’interroge. Qu’est-ce qui a changé depuis 1986 pour mériter qu’on déclare un état d’urgence, chez qui cela a t-il changé, et pourquoi ?
Je constate, en tout cas, sans trop recourir à des axiomes, que le mieux est l’ennemi du bien, et ceci, depuis tout temps, d’ailleurs.
Plus de sécurité dans nos vies n’a pas l’effet de diminuer notre sentiment d’insécurité. Au contraire, même. (Il faudrait vérifier pour déterminer à quel époque les aéroports se sont mis à ressembler à des zones militarisées en Occident… Cela n’a pas toujours été ainsi…)
Mais… la raison ne permet pas de rendre compte de cette observation, je crois.

Quand nous aurons pris la mesure de l’effet de cette opposition destructrice et réductrice entre « nature » et « société », « nous » pourrons penser ? autrement, et trouver une nouvelle raison ?
C’est à espérer.

En guise de conclusion, je ne peux pas résister à la tentation de vous faire part du message d’un panneau que j’ai vu au zoo de Washington D.C. (aux U.S., bien sûr), il y a presque 10 ans maintenant. Devant l’enclos des lions, beaucoup plus grand que l’espace accordée à un détenu homme dans le couloir de la mort dans une prison quelconque américaine, j’ai vu ceci : « Si vous vous désolez de voir nos fauves captifs, demandez-vous bien ce que VOUS, vous préféreriez : être dans un grand enclos où on vous donne à manger à votre faim, où le véto vous soigne dès le moindre petit bobo, où vous pouvez vous amuser à longueur de journée avec la baballe ou.. être dans la Nature où si vous aviez un pépin, vous pourriez même.. MOURIR. »
Je jure que j’ai bel et bien vu ceci. Le pire, c’est que, de retour en France, évoquant mon indignation devant ce panneau, bien peu d’amis ont été capables de reconnaître ce qu’il disait.. non pas sur le traitement des fauves, mais sur la société capable de l’afficher devant des citoyens Républicains.
Je n’insulterai pas votre intelligence en m’expliquant…

par Debra - le 24 novembre, 2015


Bonjour,

Le présent de l’indicatif : exprime un état,une action de l’instant,une action qui se renouvelle par habitude,un événement qui s’inscrit dans un avenir proche,une action qui se continue dans le temps; une fait qui veut rappeler une constante rendant le temps; plus présent.

Le présent omnitemporel : Spinoza inscrit la liberté comme un élan vital dans la continuité,comme Sartre qui dit que nous sommes consubstantiellement condamné à être libre.

Cela, n’explique pas pour autant, notre humaine perception du temps.

Chronos et Ananké…

par philo'ofser - le 25 novembre, 2015



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