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L’homme-Dieu : éternité, égalité, sécurité

23/12/2015 | par Bertrand Vergely | dans Politique | 6 commentaires

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Philosophe, théologien à l’Institut Saint-Serge, auteur de nombreux essais, notamment chez Albin Michel, Bertrand Vergely vient de publier La tentation de l’homme-Dieu aux éditions Le Passeur. Il revient sur cette tentation et ses dangers dans iPhilo.
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Décembre 2014 Paris Match rapporte le projet d’un chirurgien italien. Afin de soigner certaines maladies neurologiques paralysant le corps alors que la tête va bien, celui-ci se propose de couper la tête qui va afin de la greffer sur un corps qui va bien. Commentant ce projet le neurochirurgien n’hésite pas à dire qu’une telle opération ouvre la porte à l’homme éternel.

Avril 2013. L’Assemblée nationale vote la possibilité pour des couples de  même sexe de pouvoir se marier et d’adopter des enfants.

2005. À l’initiative de Jacques Chirac, président de la République, le Parlement réuni en Congrès décide d’inscrire le principe de précaution dans la Constitution

Quand on considère ces projets ou ces lois de l’extérieur, rien ne les lie. Quand on les considère de l’intérieur, si l’on est attentif, une chose apparaît : l’idée que tout est possible et que tout doit pouvoir l’être. Ce qui est la tentation de l’homme-Dieu.

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Du Dieu fait Homme à l’humanisme.

Pendant longtemps, le monde occidental a été gouverné par la notion chrétienne du Dieu fait Homme ou Christ. Notion importante, originale, subversive. Pour Dieu. Pour l’Homme. Appelons Dieu la source ineffable de toute vie. Appelons Homme l’apparition de la conscience dans l’univers ainsi que le dit Épictète. Dieu aurait pu demeurer Dieu sans se préoccuper de l’Homme. Pour le christianisme, avec le Christ, tel n’est pas le cas, Dieu épouse non seulement l’univers mais la conscience de l’univers. Il vient en tant que personne se révéler à travers l’Homme. Ce qui est une révolution tant concernant Dieu que l’Homme en reliant Dieu à l’Homme mais aussi l’Homme à Dieu. Signe de grande humilité pour ce qui concerne Dieu et de grandeur cachée pour ce qui concerne l’Homme. Comme le souligne Annick de Souzenelle on n’imagine pas le potentiel qui se trouve dans l’Homme. Fait à l’image de Dieu celui-ci possède des possibilités divines. Encore faut-il qu’il rentre dans le divin qui se trouve en lui afin de les découvrir et de les manifester. Ce qui n’est pas toujours le cas, l’Homme ayant comme principale tentation de vouloir se faire Dieu sans Dieu en passant par lui-même et non par le divin qui est en lui afin d’accéder à son être divin. D’où l’ambiguïté de l‘humanisme.

Au XVIème siècle, avec l’apparition de l’Homme,  une révolution a lieu dans la culture occidentale  et ce sous deux formes. La première, positive, réside dans une volonté d’intériorisation. Sentant en lui la présence de son être divin l’Homme occidental aspire à rentrer en lui-même en faisant vivre l’exigence socratique de connaissance de soi, exigence bien illustrée par la formule inscrite sur le haut du temple d’Apollon à Delphes : Connais-toi toi-même. Cet appel en provenance de l’intériorité donne trois découvertes à la fois majeures et passionnantes. D’abord celle du fait de penser par soi-même en contrôlant de l’intérieur ce que l’on pense, comme le montre Descartes dans Le discours de la méthode. Ensuite, celle de vouloir ce que l’on veut en vivant la volonté de l’intérieur ainsi que le montre Kant dans Les fondements de la métaphysique des mœurs. Ensuite, l’ouverture à la dimension symbolique de l’existence et, avec elle, au monde des significations et de la culture. Découverte passionnante, révolutionnaire, convient-il d’insister, l’expérience de la pensée, de la volonté et du symbole révélant le génie humain. À condition toutefois que l’on accepte que la pensée, la volonté et le symbole soient reliés à l’esprit et à son souffle, la pensée pensant sur fond d’une pensée qui se pense en nous et la volonté voulant sur le fond d’une volonté qui se veut en nous. Constatons le, si Descartes ainsi que Kant ont pensé l’humanisme sur le mode du Je et du Tu pour reprendre le titre d’un ouvrage majeur de Martin Buber, tel n’est pas le cas de l’humanisme qui les a suivis, cet humanisme se bornant à un  Je sans Tu. D’où la promotion non pas de l’Homme pensant, voulant et donnant du sens mais du pouvoir de l’Homme à travers quatre figures de l’humanisme, celles de l‘individu,   de la société, de la morale et de la révolution, toutes tournées vers l’extérieur et nullement vers l’intérieur. Figures prométhéennes ayant comme but de réaliser sur terre le salut que la religion a prétendu réaliser sans parvenir à le faire. Projet pour le moins problématique.

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Vive l’homme éternel ?

Ainsi, prenons la question de la mort. Il est un fait que les hommes aspirant à vivre, ceux-ci n’aspirent pas à mourir,  une telle aspiration allant contre l’aspiration à la vie. Toutefois une chose est d’aspirer à la vie, une autre de vouloir supprimer la mort, cette suppression n’étant pas une aspiration à la vie mais à la toute-puissance en matière de vie. Nuance importante, un tel déplacement de sens posant quantité de questions.

Ainsi, prenons le projet de  création d’un homme éternel comme le souhaite le neurochirurgien italien avec sa greffe de tête. Va-t-on vraiment créer un homme éternel ? Ne va-t-on pas plutôt créer un corps perpétuel ? Et ce corps va-t-il être un corps humain et, qui plus est, un corps heureux ? Un être humain n’est tout de même pas  le résultat de bouts d’êtres humains que l’on assemble  et une vie que l’on passe à aller se faire rafistoler à l’hôpital pour vivre n’est guère engageante.  Les Grecs anciens pensaient que l’on accède à l’immortalité par la vie morale et non pas simplement par un corps invulnérable. En voulant bâtir une éternité sans morale n’est-on pas dans la caricature de l’éternité ? Et derrière une telle caricature qui parle ? L’homme véritable  ou le consommateur ?

Le neurochirurgien italien n’est pas le seul à vouloir en finir avec la mort.  Google se propose également  de mettre fin à celle-ci grâce à des montres connectées qui vont surveiller notre santé. En vivant ainsi constamment sous haute surveillance la vie va-t-elle encore mériter le nom de vie ? Dans son roman d’anticipation 1984, George Orwell imagine ce que sera demain la société parfaite. Le malheur sera banni de la Terre mais parce que tout sera surveillé par un système de caméras appelé Big Brother. Michel Foucault évoque dans Surveiller et punir le projet d’une prison parfaite grâce à un système de surveillance  baptisé panoptique. Le monde de l’homme échappant à la mort grâce à des objets connectés, ne va-t-il pas furieusement ressembler à celui de Big Brother et du panoptique ?

Une autre question se pose à savoir celle de la faisabilité matérielle d’un tel projet. Si demain sept milliards d’individus sont en mesure de vivre éternellement, qui va payer les retraites et comment va-t-on faire pour les payer ? Ne va-t-il pas falloir travailler éternellement pour subvenir à ses propres besoins ? Et si l’on veut pouvoir jouir de sa retraite celle-ci ne sera-t-elle pas uniquement accessible à une minorité d’ultra-privilégiés ? Comment sera-t-il possible dès lors de dire que l’homme est éternel quand seule une minorité de  super-riches pourront avoir accès à l’éternité ? Outre ce problème économique se pose celui de la reproduction de l’humanité. Si l’humanité éternelle continue de se reproduire, la Terre va-t-elle pouvoir supporter des dizaines de milliards d’individus ? Ne va-t-elle pas mourir ? Et si pour éviter qu’elle ne meure l’humanité cesse de se reproduire, la biodiversité du genre humain ne va-t-elle pas s’appauvrir avant de s’éteindre ? Autrement dit, le projet d’une humanité éternelle a-t-il été pensé ? Et l’est-il ? Qui parle derrière ce projet ? La pensée ou une opération de communication ?

Dans le même ordre d’idées, il faut saluer le fait qu’aujourd’hui les  homosexuels ne soient pas persécutés et que la société protège leur vie privée. Mais la protection que l’on doit aux personnes doit-elle passer par une équivalence entre les couples homosexuels et hétérosexuels ? Si demain on veut que l’égalité entre tous les couples devienne une égalité réelle ne va-t-il pas falloir supprimer le couple homme-femme, qui est non pas une sexualité mais la base même de la sexuation ? Et pour que les couples de même sexe puissent avoir des enfants ne va-t-il pas falloir créer une nouvelle humanité où les femmes puissent se reproduire entre femmes sans passer par une femme et les hommes entre hommes sans passer par une femme ? Déjà des projets sont à l’étude en ce sens. En attendant, pour que ce projet se réalise, il est question de légaliser la gestation pour autrui (GPA) ou bien encore la procréation médicalement assistée (PMA). Quand tel est le cas, ne prive-t-on pas d’office un enfant de sa mère ou de son père ? De quel droit ? Il faut un homme et une femme pour faire un enfant et un père et une mère pour l’élever. Pour réaliser l’égalité entre tous les couples est-il souhaitable que cette base soit anéantie ? En le faisant, ne va-t-on pas totalement déstabiliser l’humanité ?

Enfin, il est souhaitable de vivre dans un monde sûr. Peut-on toutefois éliminer tout risque ? Et est-ce  souhaitable ? Quand pour éliminer tout risque on se met à tout surveiller et quand cette surveillance atteint le langage et, derrière lui, les mentalités, a-t-on encore affaire à la sécurité ? N’est-on pas en présence d’une dictature sécuritaire qui n’ose pas dire son nom ? De ce point de vue, n’est-ce pas Tocqueville qui a raison quand celui-ci constate que la démocratie porte dans ses flancs la possibilité d’une dictature douce ? Un régime politique dans lequel la sécurité et l’opinion surveillent tout ce que font les citoyens est-il encore un régime de liberté ?

Au 19ème siècle, dans son analyse du christianisme, Feuerbach a soutenu que tout le problème de l’Homme résidait dans le fait qu’il allait chercher en dieu ce qui se trouve en lui. Tout ce à quoi nous assistons aujourd’hui ne démontre-t-il pas le contraire ? Le problème auquel nous avons affaire ne vient-il pas de ce que l’Homme pense pouvoir trouver en lui ce qui ne se trouve qu’en Dieu ?

 

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est un philosophe et théologien né en 1953. Agrégé de philosophie, ancien élève de l'Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, il est professeur de Philosophie en classes de Khâgne et enseigne à l'Institut de théologie Saint-Serge. Essayiste, il a notamment publié La Foi, ou la nostalgie de l'admirable (Albin Michel, 2004), Le Silence de Dieu (La Renaissance, 2006), Retour à l'émerveillement (Albin Michel, 2010), Deviens qui tu es (Albin Michel, 2014) et dernièrement La tentation de l'homme-Dieu (Le Passeur, 2015).

 

 

Commentaires

Bonjour,

Questions d’un profane :

« Pourquoi dieu aurait-il créé l’homme et la femme »?
« La puissance créatrice de dieu lui aurai-elle échappée »?
« Une dictature douce, n’est-elle pas le concept le moins destructeur »?
« Dieu saurait-il limiter dans son « projet »,l’essor et les pouvoirs de l’homme »?
« Pourquoi dénier à l’homme,cette potentialité,ce pouvoir de création »?
« L’homme n’est-il pas en puissance de dépasser l’idée du déisme »?
« L’esprit,dans son essence,ne serait-il pas, le miroir du rêve de l’éternité »?
« Le corps ne se sentirait-il pas…comme la matière de l’éphémère;un ersatz,un sujet dénaturé »?

par philo'ofser - le 23 décembre, 2015


Notre Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terrre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l’Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son Océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuilleries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles-même d’être de telles merveilles
Et qui n’osent se l’avouer
Comme une jolie fille nue qui n’ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Avec leurs tortionnaires
Avec les maîtres de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l’acier des canons.
Jacques Prévert

par Philippe Le Corroller - le 23 décembre, 2015


Merci Philippe!

par philo'ofser - le 23 décembre, 2015


Immigrée de première génération, je suis venue ici pour m’intégrer, et appartenir à ce pays. Et aujourd’hui, je m’aperçois que je n’y arriverai jamais, pour la simple raison que j’ai été heureuse d’être la fille d’un homme et d’une femme croyants et pratiquants, heureuse de me nourrir des histoires de l’Ancien Testament (à côté de la mythologie grecque, nordique, persane…), heureuse d’aller à l’église pour écouter le sermon et apprendre, réfléchir avec ces paroles intelligentes qui m’étaient données, et heureuse d’avoir aimé Jésus comme Marie Magdalène…
C’est triste et un tantinet déchirant.
En France on confond trop facilement le fait de ne pas « croire en Dieu », (comme si la question/problème de Dieu pouvait se réduire à l’abord… grec qui a nourri la philosophie grecque…) avec la haine de Dieu.
Les hommes et les femmes de l’antiquité : juifs/chrétiens/polythéistes/philosophes ? ou autres ne s’autorisaient pas la.. folie de renvoyer la crainte de Dieu aux dupes. Ils subodoraient bien qu’ils avaient besoin d’une limite.. extérieure pour donner sens à la liberté de l’Homme. Pas de liberté sans contrainte éprouvée, et la créature a besoin d’une contrainte extérieure pour garder la tête hors de l’eau et ne pas se noyer.
Avec le temps, la religion chrétienne a commis le péché de rendre Dieu trop familier pour nous, et nous savons tout le respect que nous vouons à la famille, par trop longue expérience accumulée.
« Dieu » ne s’en ira pas, pas plus qu’il ne mourra. Il vaut mieux que sa place soit reconnue, et.. honorée pour que l’Homme puisse échapper à la… tentation ? horreur ? de s’y mettre.
Encore une fois, nous comprenons trop mal le terrible esclavage du pouvoir.

Ce n’est pas très drôle, mais « Oedipe Roi » raconte trop bien l’impasse où conduit la pulsion de savoir (l’origine). (« Les Bacchantes » aussi, d’une manière différente.)
La pièce est terrifiante pour celui ou celle qui a.. les yeux pour le voir. On pourrait croire que ces vieux radoteurs n’ont plus rien à nous apprendre, que leur monde n’est pas le nôtre, mais… si, mais si, ils ont bien vu certaines choses que nous ne voulons pas savoir à l’heure actuelle.
Nous, qui avons horreur de la répétition, qu’est-ce que nous nous sommes empêtrés dans la répétition maintenant…

Un membre de la famille (française) me demande de manière insistante si je crois aux prédictions des voyants. Les voyants, voient-ils/elles l’avenir ? Peuvent-ils.. prédire l’avenir ?
Et je lui dis, « oui, j’y crois ». Mais elle ne comprend pas que je crois que les personnes peuvent se débrouiller à leur manière pour faire réaliser une prédiction, afin de garder intact leur… foi ? dans cette prédiction. (Le peu de Nietzsche que j’ai lu sur la valeur de la superstition ne m’a pas convaincue.)
Qu’est-ce que la vérité ?
Décidément, l’Homme est un animal bien mystérieux…
Il ne sait même pas faire la différence entre ne pas croire en Dieu et le haïr.

par Debra - le 27 décembre, 2015


Il y a trente ans , dans un livre lumineux , Le désenchantement du monde , Marcel Gauchet nous a expliqué ce que nous devons à la chrétienté : elle fut la religion…de la sortie de la religion ! En expliquant à l’homme qu’il était responsable , de lui-même et des autres , elle en a fait un être autonome , capable d’assumer son destin . Nous serons éternellement reconnaissants à la tradition judéo-chrétienne d’avoir forgé les valeurs que la République a ensuite sécularisées . Ainsi pouvons-nous être incroyants tranquillement , sans aucune agressivité à l’égard de ceux qui ont besoin de Dieu comme  » idée régulatrice  » . Si cela leur fait du bien , tant mieux ; cela ne nous fait pas de mal , cette religion ne fait plus la guerre aux  » infidèles « ! Le  » blasphème » de Jacques Prévert, dans les années soixante, avec ses vers de mirliton, était plutôt bon-enfant . Et les « libres penseurs » d’aujourd’hui, persuadés que l’Histoire de France commence en 1789 , et acharnés contre les crèches , nous font doucement rigoler .
Cela étant dit , permettez-moi , cher Bertrand Vergely , d’être en revanche en total désaccord avec vous lorsque vous faites l’amalgame entre la GPA et la PMA . La GPA ( gestation pour autrui , c’est-à-dire les mères porteuses ), qu’elle concerne des couples hétérosexuels ou gays , constitue un double scandale : on arrache l’enfant à la mère qui l’a porté pendant neuf mois , comment peut-on s’imaginer qu’il s’agit là d’un acte sans conséquences , tant pour l’enfant que pour la mère ? on procède ainsi à une marchandisation du corps de la femme , ramenée au statut d’esclave . On ne peut donc que se réjouir que la GPA soit interdite par le droit français . Et souhaiter qu’on reste ferme sur cette interdiction . En revanche , la PMA ( procréation médicalement assistée) , à laquelle recourent des couples hétérosexuels ou de lesbiennes , échappe à ce double scandale : l’enfant n’est pas séparé de la mère qui l’a porté ; il n’y a pas marchandisation du corps de la femme . Certes , une question de fond demeure : peut-on délibérément décider qu’un enfant ne bénéficiera pas du couple père-mère ? Mais , soyons honnête , ça se discute , un parent ou un ami pouvant tenir ce rôle  » paternel  » auprès de l’enfant d’un couple de deux femmes . Cher Bertrand Vergely , la fermeté sur les valeurs n’implique pas forcément d’être psycho-rigide , non ?

par Philippe Le Corroller - le 28 décembre, 2015


Je ne comprends pas comment la « marchandisation » du corps d’une femme constitue un esclavage…
Que cela introduit une.. relation de plus dans le système des échanges marchands, certes, mais pourquoi un esclavage ?
Il y a des gens qui travaillent contre argent, et s’estiment de plus en plus… esclaves (des patrons), même en recevant de l’argent en contrepartie. (Ecouter Shylock dans « Le Marchand de Venise » de Shakespeare, écrit autour de 1590 et quelques, dire : « vous me privez de ma vie quand vous me privez de mes moyens de vivre ». Cela me semble établir une équivalence assez radicale, tout de même.)
Il y a des personnes qui ne travaillent pas contre argent, et ne s’estiment pas pour autant esclaves. Et d’autres ne les estiment pas plus esclaves, d’ailleurs.
En effet, le.. problème de l’esclavage est un élément fondateur de notre civilisation. Et là encore, il trouve (une partie ?) de ses racines dans la constitution de l’identité du peuple juif, sorti (par Dieu…) de l’esclavage en Egypt, et fondé sur cette libération (de l’esclavage). On pourrait dire que la question de l’esclavage pour l’Occident est… une question qui est religieuse…et qui le restera…parce que l’Homme n’a pas le pouvoir d’effacer son passé qui continue à faire retour en lui, et dans sa civilisation.
Pour le rapport charnel de la maternité : je crois que l’adoption est fondamentalement humain. Et pas seulement réservé à des êtres humains, non plus. Des animaux sont capables d’adopter (et d’élever) d’autres. Le lien qui émane de l’adoption est-il.. moins bon, moins.. « vrai » que celui qui émane d’une relation que nous avons le culot de qualifier de « naturel » ? De quel… DROIT décrétons/décidons-nous cela ? Et avec quelles preuves ?…
Et puis… une femme ayant enfanté et un minimum réfléchi à son enfantement pourrait dire que toute femme doit adopter un enfant, le sien ou celui d’une autre, afin d’en devenir mère. De plus, elle a l’expérience de cela dans son être corporel, et son quotidien.
On ne devient pas automatiquement mère du fait de porter un enfant dans son corps et l’expulser au moment de la naissance. Cela ne suffit pas pour faire une mère, à moins d’être.. prisonnier ? d’une vision très littérale du mot « mère »…. Nous sommes déterminés à notre insu par de vieilles idées sur le supposé caractère « inné » de la maternité, qui serait instinctive, et échapperait à la dimension de l’apprentissage ET l’attachement, des phénomènes qui sont soumis au temps. (Le mot « mère » est à peine soumis au temps, comme d’autres signifiants.)
Je vous remercie de ce commentaire, M Corroller. Il me permet de délimiter les lieux, et les points où je ne suis pas d’accord avec votre pensée, et affiner la mienne par la même occasion. Car j’espère que l’Homme ne deviendra pas un être autonome dans le monde dans lequel nous vivons, et j’espère qu’il ne continuera pas de s’acharner à fabriquer un monde où il pourra cultiver… l’illusion ? qu’il est maître de son environnement, son corps, sa volonté. Je vois que l’idéologie que vous défendez, et à laquelle vous êtes soumis à votre manière voudrait que l’Homme se créé autonome, et cela me désole. Pour moi, l’Homme peut… se croire autonome, mais cela au prix d’une grande souffrance, et en fin de compte, au prix de relations vivantes, charnelles, et complexes avec ses… différents ? En devenant de plus en plus individu, et de moins en moins sujet singulier. Progressivement…
Cela ne m’empêche pas de penser que nous avons toujours un certain nombre de choses en commun.. ouff.
Je vous souhaite une bonne année.

par Debra - le 2 janvier, 2016



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