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Election présidentielle : lettre à un candidat inconnu

16/02/2017 | par Eric Dumaître | dans Politique | 10 commentaires

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LETTRE : La campagne présidentielle pour l’élection d’avril et mai 2017 bat son plein, moins sur le fond que sur des affaires juridiques, des luttes partisanes et des coups médiatiques. Pendant ce temps, débat-on de la question du rôle que l’on attend du prochain président de la République ? Il n’est ni le sauveur qui rendra confiance, voire bonheur aux Français, ni le magicien de la relance d’un pays en crise. Il est d’abord le « garant des institutions ». Si, en un temps où l’on confond volontiers action politique et manière forte, fermeté et brutalité, résolution et intransigeance, une telle formule peut paraître creuse, Eric Dumaître, professeur de philosophie, suggère qu’il n’en est rien, et qu’elle désigne au contraire très précisément le type d’action politique concrète et réaliste requis par la situation présente.

 

Monsieur, vous êtes mon candidat.

Vous attachez de l’importance à ce qui me paraît important. Même si je ne suis pas toujours de votre avis, vos jugements m’apparaissent souvent, à la réflexion, mieux fondés que je ne pensais d’abord, et il m’est arrivé, vous écoutant, de prendre conscience grâce à vous de mes partis pris. Vous avez l’art de trouver les mots qui disent les choses, et le tact de vous refuser les effets faciles. Vous ne faites pas étalage de vos vertus. Enfin je crois deviner, derrière votre personnage public, une personne indépendante, sensible et sérieuse. Si je votais, c’est à vous que j’accorderais ma confiance.

Mais quitte à voter pour des présidentielles, j’aimerais autant élire un président. Or sur ce point, tout comme vos adversaires, vous êtes loin du compte. On dit que vous avez l’expérience des affaires. On dit aussi que vous savez vous attacher des conseillers compétents, scrupuleux et inventifs. Il paraît même que vous les écoutez, et pas seulement pour qu’ils vous soufflent quelque formule à redire. Vos programmes sont profus, vos préconisations justifiées par des dossiers et des rapports détaillés. S’il s’agissait de nommer un premier ministre, aucun doute, vous feriez l’affaire.

Cependant, vous visez plus haut. De l’avenir, du monde et de la France, votre vision est panoramique et profonde : vous voyez loin, vous voyez large. Vous rêvez de bâtir des ponts, de tracer des voies, d’ouvrir des portes, d’abattre des murs… Vous dessinez des lendemains qui en valent la peine.

Est-ce bien votre rôle ? N’est-ce pas plutôt à la représentation nationale qu’il revient de déterminer souverainement ce que la nation veut être ? De poser nos valeurs et nos principes ? De dire ce qui fera loi demain ? Si encore vous pouviez espérer une majorité parlementaire dévouée ! Mais cela, aucun des candidats actuellement en course ne peut raisonnablement se le promettre. Parvenu à la magistrature suprême, il vous faudra laisser gouverner un chef de gouvernement issu d’une majorité qui, pouvant se passer de vous, ne vous suivra pas sur tout.

Ni chef de gouvernement, ni représentant du Peuple, que vous reste-t-il donc ? Il vous reste l’essentiel, ce pour quoi tout un peuple s’apprête à voter : peut-être ferons-nous de vous le garant des institutions —de ce qui fait d’une population un peuple, en permettant à quelques dizaines de millions d’individus de combiner aussi intelligemment que possible leurs ressources, afin d’agir collectivement.

C’est tout simple, et c’est énorme : vous aurez à garantir l’existence d’une puissance publique capable d’intervenir sur son environnement, de dévier le cours des évènements et de contribuer à l‘ordre du monde. Vous aurez à veiller que ses dépositaires examinent les affaires avec diligence et impartialité ; que de la diversité des sensibilités et des partis émergent des résolutions partagées ; qu’enfin les détenteurs de la force publique, en application de ces dernières, agissent efficacement. Vous aurez en somme à maintenir l’État en état de marche.

Voyez-vous, j’aimerais être, au moins une fois dans ma vie, politiquement heureux. Non que je sois personnellement à plaindre ; mais il me semble que je serais plus fraternel envers mes concitoyens, et un peu moins maussade, si j’avais le sentiment que par mon activité quotidienne et par l’impôt que je paie chaque année, je contribue significativement avec mes concitoyens à la réussite d’entreprises dont j’aie lieu d’être fier. Je veux bien payer des impôts, mais à condition que ce ne soit pas seulement pour régler les dépenses courantes. Assujetti à la loi, je veux bien que ma liberté individuelle ne soit pas tout ce qu’elle rêverait d’être —mais à condition qu’en retour notre liberté commune s’accroisse.

Ecoutez donc les français. Regardez les vivre. Surtout, sentez les vibrer. Au travail, lors de nos réunions ou de nos fêtes, dans les théâtres, dans les stades, dans nos manifestations et dans nos associations, dans la vie —qu’est-ce qui est susceptible de nous enflammer, sinon le spectacle de l’intelligence collective à l’oeuvre ? Car nous ne sommes individualistes que jusqu’à un certain point : bien sûr, comme tout le monde, nous apprécions les virtuoses, les débrouillards ou les francs-tireurs… Mais rien de tel qu’un bon jeu d’équipe, n’est-ce pas ? Des échanges sans malentendu ni mauvaise passe, un meneur de jeu qui voit tout, des défenseurs qui interviennent comme un seul homme, des attaquants imprévisibles servis par toute l’équipe. Tous nos jeux, tous nos films racontent le même enchantement.

Vous me direz que je m’égare : ne devions-nous pas parler de politique ? Je vous dirai que vous dormez : écoutez les conversations ! Quand nos troupes ramènent la paix au Mali ou en Centre-Afrique ; quand un de nos ministres des affaires étrangères parvient à retarder et presque à empêcher une guerre désastreuse au Proche-Orient ; quand à Paris on réussit à faire s’entendre les représentants de plus de cent cinquante pays soucieux de l’avenir de notre planète ; quand nous envoyons des médecins et des sauveteurs aux quatre coins du monde ; quand l’école française de mathématique repère et forme des médaillés Fields ; quand les pays d’Europe, et parmi eux la France au premier chef, prennent part à l’exploration spatiale ; quand nous affrontons honorablement les difficultés, celles des autres peuples aussi bien que les nôtres —on n’est pas mécontent, en France, d’être français.

Du reste, je ne vous apprends rien. N’êtes-vous pas en campagne ? Vos meetings, vos discours, vos affiches et vos réseaux, à quoi bon ? si ce n’est à créer de toutes pièces le sentiment d’un vaste mouvement collectif travaillant à la conquête du pouvoir. Si vos militants sont enthousiastes, vous et votre programme n’en êtes pas seuls la cause : c’est plus probablement qu’ils sont fiers de ce qu’ils font et qu’ils ont bon espoir de l’emporter. Le bonheur politique du citoyen est du même ordre —agitation et passions partisanes en moins.

Mais il faut avouer que ce n’est pas tous les jours fête nationale… J’ai honte de constater qu’en aucun autre pays de l’OCDE l’autorité judiciaire n’est aussi mal financée qu’en France. D’entendre parler de juges surchargés de dossiers, traitant les affaires comme ils peuvent, c’est à dire à la hâte, et de verdicts qu’il faut attendre des années.

Honte quand je vois la misère de notre parlement, qui en est réduit à enregistrer les projets gouvernementaux, qui se montre impuissant à enquêter et à débattre sérieusement, à évaluer lui-même les effets de ses propres lois, à contrôler l’activité des ministères, à prendre des initiatives ambitieuses et réalistes.

Si les institutions de la République faisaient ce qu’elle sont supposées faire, peut-être nos concitoyens seraient-ils moins amèrement soupçonneux à l’égard de ceux qui manient les fonds publics. Peut-être se soucieraient-ils moins de ce qu’ils sont, de leur identité ou de leurs origines, s’ils pouvaient s’enorgueillir de ce qui se fait en leur nom. Peut-être enfin ceux d’entre nous qui ne voient plus de raison de voter seraient-ils moins nombreux. Qu’on nous garantisse des tribunaux examinant sérieusement les affaires des particuliers, et des représentants du peuple examinant sérieusement les affaires publiques —est-ce vraiment trop demander ?

Comment comptez-vous rétablir l’autorité judiciaire dans sa dignité, c’est à dire lui garantir des conditions raisonnables d’exercice ? Et comment ferez-vous en sorte que les représentants du peuple délibèrent et décident effectivement ?

Parmi nos institutions nationales, j’allais oublier les plus indispensables aujourd’hui et, hélas ! les moins bien portantes. La France a lié son destin, par le Traité d’Union, à celui de 27 pays d’Europe. Notre constitution nous prescrit de placer les traités au-dessus de nos lois. C’est donc, me semble-t-il, des institutions européennes que le président de la République doit en premier lieu être le garant : il doit s’assurer de l’effectivité de la capacité d’action qu’elles sont supposées conférer aux États-membres réunis.

Or tandis que la solution des problèmes les plus graves et les plus urgents d’aujourd’hui et du prochain demi-siècle, ne pourrait être mise en oeuvre que par la mobilisition en commun des ressources de tous les États de l’Union —accueil des immigrants, régulation du capital, protection de la production européenne, prévention du réchauffement climatique— dans le même temps l’Union se révèle structurellement incapable de rien décider.

Si vous étiez président, quelle démarche entreprendriez-vous donc auprès de nos partenaires dans le but de réformer les institutions européennes ? Avec quels partenaires ? Avec tous ? Quelques-uns ? Que leur proposerez-vous : quelle réforme, quels accords, quelle redéfinition ? Et quelles bonnes raisons avez-vous d’espérer les convaincre ?

Mon vote se décidera, monsieur, en fonction de ce que vous-mêmes et vos adversaires répondrez à ces questions et à quelques autres du même ordre. À vous de parler, maintenant. Si vous êtes élu, tout cela dépendra de vous seul, et il ne tiendra qu’à vous de tenir votre unique promesse.

Salut et fraternité.

 

Eric Dumaître

Docteur en sociologie, agrégé en philosophie, ancien élève de l'Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, Eric Dumaître est professeur au lycée La Martinière-Duchère de Lyon et a soutenu à l'Université Paris-Sorbonne en 2007 une thèse sur "le structuralisme littéraire et la crise de la culture scolaire" sous la direction de Raymond Boudon.

 

 

Commentaires

[…] LETTRE : Comment un président de la République peut-il être aujourd'hui un garant des institutions ? Au-delà des querelles partisanes, quel est son rôle vis-à-vis des autres pouvoirs et vis-à-vis du peuple qui l'élit, vis-à-vis des autres chefs d'Etat et de gouvernement, à commencer par ceux des autres pays européens ? Toutes ces questions se posent plus que jamais  […]

par Election présidentielle : lettre au... - le 17 février, 2017


Un Président garant de nos institutions nationales ? Et s’attaquant à la réforme des institutions européennes ? On ne peut qu’adhérer à vos souhaits , bien sûr . Votre propos prend d’ailleurs une singulière actualité si on le rapproche de celui de François Fillon voyant dans la cabale montée contre lui un « coup d’état institutionnel ». Résumons l’histoire . François Fillon , vainqueur de la primaire de la droite et du centre paraissait, il y a trois semaines , bien placé pour remporter l’élection présidentielle au mois de mai . Patatras : un dossier bien ficelé , opportunément déposé au Canard Enchaîné , fait apparaître que le candidat et sa famille ont largement profité, depuis quinze ans, de l’argent public. Rien d’illégal, mais les sommes en jeu choquent un pays où trop de Français galérent, plombés par une économie en panne. Et , soyons totalement lucides, un pays où la passion de l’égalitarisme l’emporte parfois sur la réflexion de sang-froid. Bien sûr ,majoritairement de gauche , les journalistes s’emparent goulûment de l’histoire, jusqu’à l’hystérie . Résultat ? Le champion de la droite et du centre dégringole dans les sondages et va devoir déployer beaucoup d’énergie pour tenter d’être présent au second tour de la présidentielle.
François Fillon a-t-il raison de dénoncer un “ coup d’état institutionnel “? Vu la précision du dossier fourni au Canard, difficile de ne pas se poser la question : qui d’autre que le fisc a-t-il pu rassembler tous ces éléments ? Et donc qui , à Bercy ou ailleurs, a donné l’autorisation de balancer ? A qui profite le crime ? Questions gênantes , pour tout Français décidé à réfléchir vraiment à ce qui vient de se passer ces trois dernières semaines ? C’est le propre de toutes les bonnes questions , non ? Qu’il me soit permis d’en ajouter une à mes confrères, à la remorque du Canard Enchaîné : le suivisme et le conformisme sont-ils maintenant des qualités pour un journaliste ?

par Philippe Le Corroller - le 19 février, 2017


Gardez-moi de mes amis.

Quand à mes ennemis,

je m’en charge !

par philo'ofser - le 20 février, 2017


Mes amis ? Le coup viendrait de la droite ? Difficile à croire , tout de même , quand on voit à qui il profite . Du moins pour l’instant, d’ailleurs , car la situation pourrait bien se retourner: François Fillon , face à l’épreuve , est en train de démontrer sa ténacité…qualité éminemment précieuse pour un candidat à la Présidence de la République, non ?
Au fond , c’est doublement confortable de taper sur François Fillon . D’abord, on se donne à bon compte le sentiment d’être du côté de la  » morale “ . Même si , parfois , on confond le véritable sens moral avec cette passion triste , l’égalitarisme , et son corollaire, le ressentiment . Mais, bon, les mensonges que l’on fait à soi-même sont les meilleurs, non ? Surtout, taper sur le candidat de la droite et du centre permet de s’éviter l’effort d’analyser son programme et de le comparer à ceux de ses concurrents. Finalement, cette histoire est le symptôme de notre déclin : nous étions des citoyens, nous ne sommes plus que des consommateurs . Le succès d’Emmanuel Macron l’illustre à la perfection. Il est sans programme pour l’instant, donc pas d’effort intellectuel à s’imposer pour le comprendre. En revanche, jeune, sympathique et plutôt beau gosse, il est le “ bon client “ de Paris-Match et des gazettes gauche-caviar. Un magnifique produit de consommation , une superbe tête de gondole pour amateurs de politique-marketing ! Bientôt une promo ?

par Philippe Le Corroller - le 20 février, 2017


Bonjour,

Ici, nous nous efforçons de faire dans la philosophie.
Ce n’est pas le lieu des idéologies.
Par ailleurs,morale et politique…?
Et ne me sens être un contempteur d’idées !

par philo'ofser - le 21 février, 2017


La philosophie serait un exercice hors-sol , sans lien avec le réel , ici et maintenant ? Un peu réducteur , non ? Les rapports de la morale et de la politique ne vous paraissent pas un sujet pour la philosophie ? Ah, bon : Machiavel , Hobbes , Hume, Tocqueville , Rousseau, Voltaire, Rawles, Habermas, etc, etc..tous ces philosophes auraient perdu leur temps ?
P.S. J’ai un peu de mal à dialoguer avec quelqu’un qui avance masqué derrière un pseudonyme : vous êtes qui ?

par Philippe Le Corroller - le 21 février, 2017


Bonjour,

Faites comme moi,du sport,
Ça détend
Cordialement

par philo'ofser - le 23 février, 2017


La question centrale me semble être celle de l’autorité. Un président n’a pas à en être plus pourvu qu’un juge ou qu’un professeur ou que n’importe quel serviteur du bien public, et ce qui vaut pour tous, il me semble, vaut aussi pour lui : son autorité est inversement proportionnelle à son pouvoir. Vous avez donc parfaitement raison de ne pas voir en votre candidat inconnu (belle figure) un homme providentiel – prétention qui disqualifie d’emblée tout candidat à la magistrature suprême, comme on dit – et à faire appel à sa capacité à faire travailler chacun de concert. On voit bien alors la contradiction entre ce que requiert la fonction et ce qui est utilisé en vue de l’obtenir. Le régime des partis, que la 5e République voulait supprimer, n’a jamais été plus fort !

par René Chiche - le 25 février, 2017


quel malheur….
Le problème devrait être de savoir ce que nous voulons être, et parallèlement, ce que nous pouvons faire.
Questions évidemment lourdes de sens, de contenus complexes….
Et bien, ni le texte ni aucun des commentaires n’abordent ces questions de fond.

La volonté politique qui s’exprime, ici, est donc de se taire, de vider les débats de toute substance…. Ce qui l’emporte, dans ce débat, c’est le consensus sur le vide de toute réflexion politique
Ce qui démontre, en un sens, que le débat ne peut naître que sur de nouvelles bases, cad dans un esprit révolutionnaire

par schneider georges - le 14 mars, 2017


Tout de même, vous n’en demandé pas trop ? Certes, il y a beaucoup d’attente de la part des citoyens, savent ils encore ce qu’ils veulent vraiment ? On est vraiment pas aidé, triste constat que les choses soit ce qu’elles sont.

par Masque - le 21 avril, 2017



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