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Menace numérique : Big Mother is watching you

23/03/2017 | par Philippe Granarolo | dans Science & Techno | 11 commentaires

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ANALYSE : La galaxie numérique est un monde de liberté infinie mais aussi de possibles aliénations techniques, économiques, sociales, culturelles et cognitives, note Philippe Granarolo dans iPhilo. Le philosophe estime que les choses sont allées peut-être trop vite pour nos capacités humaines d’adaptation si bien que la pensée est en retard sur la réalité et que nous manquons encore d’une critique de la raison numérique.


Docteur d’Etat ès Lettres et agrégé en philosophie, Philippe Granarolo est professeur honoraire de Khâgne au lycée Dumont d’Urville de Toulon et membre de l’Académie du Var. Spécialiste de Nietzsche, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment Nietzsche : cinq scénarios pour le futur (éd. Les Belles Lettres, 2014) . Nous vous conseillons son site internet. Suivre surTwitter : @PGranarolo


 

L’extension du numérique laisse perplexes deux catégories bien différentes de citoyens. La première comprend ceux qui refusent de rentrer dans ce monde nouveau. Ils appartiennent principalement à la tranche d’âge des seniors et ne font aucun usage des outils que mettent à notre disposition les géants que sont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Ils n’ont pas d’adresse électronique, pas de compte Facebook, ils ne naviguent jamais sur la toile, ne commandent jamais rien sur Internet. Ils n’ont pas de smartphone et encore moins de tablette numérique. La seconde catégorie comprend tous ceux qui utilisent à des degrés divers quelques-uns, voire la totalité, de ces outils, tout en s’inquiétant des manipulations dont ils pourraient être victimes.

A lire aussi : Logique totalitaire et crise de l’Occident par Jean Vioulac

La première catégorie s’éteindra sans doute d’elle-même avec la disparition des seniors qui en font partie. Ne demeureront en son sein que quelques irréductibles technophobes. C’est donc à la seconde catégorie qu’il convient de s’intéresser.

Est-il contradictoire de recourir quotidiennement aux outils numériques et d’en faire cependant la critique ? N’est-ce pas précisément cette connaissance de l’outil qui autorise à s’interroger sur les dangers que véhicule la révolution numérique ? Telle est la position exprimée par Cédric Biagini : « Parce que nous utilisons les nouvelles technologies, les technolâtres voudraient nous en interdire d’en faire la critique alors que, justement, nous sommes d’autant plus virulents que nous y sommes de plus en plus contraints » (1).

Le numérique est le fruit d’une longue histoire

Le numérique est issu d’une longue histoire. Il est le fruit de l’intuition grecque de Pythagore pour qui tout était nombre, retrouvée à la Renaissance par Galilée pour qui la nature « est écrite en langage mathématique » (2). Mais au XXe siècle les techniciens ont pris le relais des mathématiciens. L’accélération de la numérisation est due aux inventions technologiques dont le rythme s’est accéléré de façon exponentielle à partir des années 1960.

Numériser, c’est traduire la réalité en langage binaire, ou si l’on préfère lire le réel comme un immense système binaire (impossible de préférer l’une des deux affirmations). Suivant la formule superbement elliptique de Valérie Charolles, « deux positions, ouvert et fermé, permettent de traduire n’importe quelle information » (3).

S’agit-il cependant d’une révolution ? Le fait qu’elle poursuive une très ancienne évolution semble imposer une réponse négative. L’écriture fut déjà, il y a plusieurs milliers d’années, une numérisation de la réalité. Elle bouleversa notre usage de la mémoire, puis l’imprimerie transforma de fond en comble les techniques pédagogiques, bien avant que l’appareil photo et la caméra ne modifient nos rapports à l’image, et que microsillons et CD ne rendent éternelles les voix éphémères, etc., etc. Il n’est donc pas absurde de considérer que la numérisation universelle n’est rien d’autre qu’une nouvelle étape de cet immense processus.

Mais il s’agit pourtant d’une révolution : nous vivons un bouleversement sans précédent de nos rapports avec l’écrit, avec le son, avec l’image, nous vivons les prémisses d’une révolution éducative, nous sommes entrés dans l’ère de la connexion permanente. Textes, sons et images ne cessent d’être échangés en temps réel : en moins de vingt-cinq ans un système mondial de communication s’est imposé, le web, en lequel très peu d’humains avaient foi à l’origine. Ce système a transformé le monde plus que ne l’ont fait avant lui l’écriture, créatrice de la «galaxie Gutenberg», et la radio, créatrice de la « galaxie Marconi » (j’ai ici recours aux expressions de Marshall Mac Luhan qui sont entrées dans le langage commun. Mac Luhan fut le premier théoricien des médias dans les années 1960).

Historien des religions, Milad Doueihi, auteur de l’un des ouvrages les plus pointus publiés sur la « grande conversion » numérique, voit dans la culture numérique « la seule rivale de la religion en tant que présence universelle » (4).

Avec le numérique, nous sommes entrés dans un univers monopolistique inouï

Google est né en 1998 : à peine dix-neuf ans plus tard, Google administre quotidiennement 24 peta-octets de données, soit un volume équivalent à mille fois la quantité de documents imprimés conservés à la Bibliothèque du Congrès de Washington. Une extraordinaire accélération s’est produite dans les années 2004-2007, avec la naissance de trois services fondamentaux apparus entre avril 2004 et janvier 2007. Ils ont en à peine une décennie bouleversé notre quotidien : Facebook, créé par Mark Zuckerberg en avril 2004, YouTube, créé en février 2005, Twitter, créé en mars 2006. En 2016 (5) on comptait près de deux milliards d’utilisateurs actifs de Facebook sur la planète, 10,6 milliards de statuts étaient ajoutés chaque jour (soit 41.000 par seconde), et 243.000 photos étaient mises en ligne chaque minute dans le monde. On comptait en France 30,1 millions d’utilisateurs de Facebook (presque un Français sur deux !). YouTube attire un milliard et demi d’utilisateurs, qui ajoutaient 400 heures de vidéos chaque minute en 2016. En février 2017, YouTube a atteint le cap d’un milliard d’heures de vidéos visionnées chaque jour. Quant à Twitter, le seul des réseaux qui semble marquer le pas, il comptait 800 millions d’utilisateurs en 2016, et 500 millions de Tweets (brefs messages de 140 caractères au maximum) étaient émis chaque jour sur la planète (le président Donald Trump va sans doute faire exploser ce chiffre …). Un appareil a joué un rôle considérable dans la diffusion et l’utilisation planétaire de tous ces services : l’iPhone, créé par Apple en juin 2007, devenu en moins de dix ans un outil universel présent sur tous les continents.

Mais ce monde de liberté infinie est aussi un univers monopolistique, dans lequel un très petit nombre de géants, qui se sont construits en un temps record inouï dans l’histoire du capitalisme, a acquis une infinie puissance. Étant à la fois les plus riches et les plus ingénieux, ces géants bâtissent d’immenses lieux de stockage, ils maîtrisent un très petit nombre de « méga-nuages » contenant toutes les données que nous mettons en ligne, ils nous mettent en fiches, ils sont les empereurs du Big Data.

Avec le Big Data, qui permet à des entreprises géantes d’« utiliser nos requêtes de recherche pour trouver des choses sur nous », est-ce Big Brother devenu Big Mother qui prend le pouvoir, soixante-huit ans après les descriptions inquiétantes de George Orwell ? Jamais dans l’histoire du capitalisme aussi peu d’acteurs n’ont grandi aussi vite pour dominer un secteur au niveau mondial en si peu de temps.

Un monde merveilleux … sauf que …

On s’extasie bien souvent sur le miracle qu’a été la naissance de futurs géants économiques dans des garages de Californie (Apple et Steve Jobs) ou dans des chambres d’étudiants (Facebook et Mark Zuckerberg). Ces inventeurs sont les héros mythologiques de notre temps. Sauf que … La réalité est pour le moins plus complexe et plus ambiguë. Les auteurs de L’Homme Nu rapportent une belle métaphore à ce sujet : « On s’émerveille devant des start-up qui seraient nées dans des garages, mais on oublie de dire que le garage se trouve en fait sur un porte-avions ! » (6).

On parle d’un miracle économique, le numérique étant supposé sauver de la crise nos systèmes en bout de course et relancer le marché de l’emploi. En 2030 Internet représentera 20 % du PIB mondial. Sauf que … Les GAFA échappent à l’impôt et rêvent même de construire des îles artificielles échappant au droit international sur lesquelles ils installeraient leurs fermes informatiques géantes. En 2014, grâce à d’habiles montages financiers, Facebook n’avait versé au fisc français que la somme ridicule de 319 167 euros pour des bénéfices estimés à 266 millions d’euros. Ce à quoi il convient d’ajouter que le numérique, lié au développement exponentiel de la robotique, va détruire des centaines de millions d’emplois dans le monde. De nombreux spécialistes estiment que d’ici vingt ans 47 % des emplois aux États Unis seront confiés à des machines intelligentes. On peut s’en inquiéter même s’il est exact que le numérique est de son côté créateur d’emplois nouveaux.

Internet permet un accès magique à toutes les données de la planète (photographiques, documentaires, livresques, musicales, etc.). Sauf que … Se crée une dissymétrie de plus en plus grande entre ces données et l’usage qu’on peut en faire, l’exemple du livre étant le plus spectaculaire. Partir en vacances avec une tablette sur lequel sont stockés mille bouquins, alors que le lecteur moyen lit seulement dix livres par an, a-t-il un sens ? La plupart des psychologues constatent une perte des acquis psychologiques qui étaient engendrés par la lecture d’un livre-papier. Nicholas Carr, dans son livre Internet rend-il bête ?, montre que les « gens qui pratiquent la lecture linéaire comprennent mieux, se souviennent mieux et apprennent mieux que ceux qui lisent des textes farcis de liens ». En perdant l’habitude du livre papier, on perdra en même temps la pratique de la lecture longue et attentive.

Le numérique dynamiserait une puissance démocratique liée aux possibilités données aux individus de communiquer sans contrôle en temps réel. L’exemple privilégié qui a fait délirer nos media est l’exemple des « printemps arabes ». Sauf que … Les États, en particulier les dictatures, disposent de possibilités encore plus grandes grâce aux mêmes outils. Nous ne disposons en réalité d’aucun indice permettant d’établir un rapport de cause à effet entre implantation des nouvelles technologies et soulèvements politiques. Les réseaux sociaux et Internet sont absolument neutres politiquement : ils peuvent faciliter la collecte de renseignements aussi bien dans les dictatures que dans les démocraties. De plus il n’est pas interdit de penser que le système numérique affaiblit la résistance des citoyens en leur faisant miroiter tous les avantages qu’il est censé procurer sur le plan de la santé et de la sécurité. Qu’attendre de la liberté du citoyen quand, suivant une expression souvent utilisée et fort pertinente, « le fiché crée lui-même sa fiche » ?

Dans ce nouvel univers, on observerait une nouvelle puissance du cerveau des utilisateurs capables de multitasking. Ne s’extasie-t-on pas devant nos adolescents capables en même temps de regarder la télévision, de consulter un site Internet sur leur tablette tactile, et d’envoyer des SMS à leurs copains ? Sauf que … Plutôt que d’un progrès, on observe une involution du lecteur numérique se caractérisant par des troubles de la concentration et de l’attention. Celui-ci se disperse, papillonne en usant des liens qui le conduisent vers d’autres informations. Ne peut-on craindre que les GAFA, plus ou moins consciemment, crée ainsi un consommateur idéal, incapable de se fixer sur rien et dépendant de toutes les pulsions excitées par le marché ? Quant à la capacité de nos adolescents à mener plusieurs activités en même temps, qu’il est devenu usuel de dénommer multitasking, n’est-il pas plutôt la capacité de passer très rapidement d’une activité à l’autre, avec encore une fois un affaiblissement de l’attention ?

Existe en ce domaine une inquiétante hypocrisie des géants du numérique : dans la Silicon Valley, la majorité des cadres des grandes sociétés high-tech inscrivent leurs enfants dans des écoles pratiquant la pédagogie Waldorf, qui repose avant tout sur l’éducation physique et le travail manuel.  Dans ces écoles sans ordinateurs, les enfants de cadres n’ont ni tablettes tactiles, ni téléphones portables. Autrement dit, les concepteurs des machines numériques semblent tout à fait conscients des dégâts psychologiques et des phénomènes d’addiction dont ils veulent préserver leurs enfants. Un sommet de cynisme !

Les high-tech permettraient de fantastiques économies de matières premières et d’énergie, les exemples les plus classiques étant le journal numérique et le livre numérique qui nous épargnent la consommation de papier et la destruction des forêts. Sauf que … Les outils numériques exigent pour être produits quantité de minerais et de matières premières. Ainsi, pour fabriquer une tablette ou un smartphone a-t-on besoin de 1 200 litres d’eau, de 200 kg de combustible fossile, et de 22 kg de matériaux différents, dont du cuivre, de l’aluminium, du plomb, de l’or, du zinc, du nickel, de l’étain, de l’argent, du fer, du platine, du palladium, du mercure et du cobalt. Nous sommes entrés depuis plus d’une décennie dans l’ère numérique, or nous consommons 50 % de ressources naturelles de plus qu’il y a 30 ans. Il en va de même concernant la consommation d’énergie, qui croît d’environ 10 % par an dans les pays développés. L’auteur de L’emprise numérique fait remarquer que « si le « cloudʺ était un pays, il se classerait (en 2012) au 5ème rang mondial en termes de demande en électricité » 7.

Avec les outils numériques, nous disposerions de possibilités inégalées de traquer les truands et les terroristes, en particulier avec le développement exponentiel de la vidéosurveillance. 300.000 caméras sont installées dans la ville de Londres, et un Londonien moyen est filmé jusqu’à 300 fois par jour. Sauf que … N’allons-nous pas vers une honnêteté totalitaire ? Le seul moyen de rendre honnêtes les citoyens est-il de les surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? Il s’agit aussi de se demander qui est surveillé. Or chacun sait que les GAFA ont toujours refusé de permettre que les messages échangés entre terroristes, qui sont passés maîtres dans l’usage de l’application Telegram permettant de crypter les échanges sur Internet, puissent être décryptés. Ce sont donc les citoyens honnêtes, c’est vous et moi qui sommes épiés quotidiennement, ce ne sont pas les terroristes !

Urgence et nécessité d’un regard critique sur la révolution numérique

Les choses sont allées très vite, peut-être trop vite pour nos capacités humaines d’adaptation. Si bien que la pensée est en retard sur la réalité, et que nous manquons encore cruellement d’une critique de la raison numérique.

D’abord d’une critique économico-politique. Dans L’emprise numérique, Cédric Biagini écrit : « Rien de pire pour la croissance qu’un adulte réfléchi, posé, engagé dans la vie de la cité, prenant des décisions après mûre réflexion, acceptant certains renoncements et sachant apprécier ce qu’il a. Le capitalisme préfère les individus dominés par leurs pulsions, préférant la vitesse à la lenteur, constamment impatients, qui choisissent toujours la voie la plus efficace et préfèrent la facilité à la complexité » (8).

Il n’est encore jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité qu’un aussi petit nombre d’individus concentre autant de pouvoirs et de richesses. De nouveaux concurrents vont-ils apparaître ? C’est très improbable. Les auteurs de L’Homme Nu se risquent à cette prophétie : « Google ne sera jamais rejoint, pas plus qu’Apple ou Amazon. Les données qu’elles ont déjà accumulées les mettent hors de portée de la concurrence » (9). Est également nécessaire une réflexion sur les outils de défense dont peut disposer l’internaute pour se protéger de la surveillance excessive dont il fait l’objet : apprendre à utiliser des boîtes mails éphémères, des outils de navigation anonyme, organiser son invisibilité, appliquer la stratégie militaire dite de « l’empreinte légère », sont des pratiques qui devraient faire obligatoirement partie de la formation de l’internaute. Un chantier majeur pour notre école républicaine.

Ensuite une critique épistémologique. Tout quantifier, tout mesurer, tout étalonner, telle est la logique des géants du numérique. Une « critique de la raison numérique », telle qu’elle est souhaitée par Éric Sadin (10), devrait s’inspirer de l’adage sensé du philosophe allemand Karl Löwith (1897-1973) : « Ce qui est irrationnel, c’est le fait de la rationalisation universelle » (11).

On a également besoin d’une critique psychologique démontrant les dégâts occasionnés par la surinformation, sur le risque d’une confusion enracinée en particulier dans les jeunes esprits entre pensée et information. Cette critique est entamée, et a un train d’avance sur les autres interrogations. Mais les conséquences qu’elle devrait entraîner sont encore trop peu tirées. L’école devrait ici jouer un rôle majeur

Enfin une critique philosophique, voire métaphysique, dénonçant l’oubli du sensible qui caractérise l’idéologie numérique. Relire La barbarie de Michel Henry (12) devrait constituer un passage obligé d’une telle critique. Le postulat selon lequel toute forme de création ou de connaissance est réductible à de l’information mérite pour le moins un examen des plus attentifs.

Créer un homme nouveau

Avec le numérique, nous avons affaire à un projet global de transformation de l’homme et de la société. Alphabet, la maison mère de Google investit toujours plus dans les biotechnologies (13) : Google Ventures gère près de 2 milliards de dollars d’actifs et possède des participations dans plus de 280 start-up. Chaque année, Google lui alloue 300 millions de dollars. Et Google parraine la Singularity University qui réunit les meilleurs spécialistes des nouvelles technologies. Elle est dotée d’un budget considérable, et Google en a confié la responsabilité à Ray Kurzweil. Or Ray Kurzweil est le plus radical des transhumanistes, lui qui s’exprimait en ces termes dans la revue The Futurist en 2006 : «Cette fusion de l’homme et de la machine, associée à l’explosion soudaine de l’intelligence artificielle et aux progrès rapides de la recherche génétique et des nanotechnologies, va aboutir à un monde où la distinction entre biologique et mécanique ou entre réalités physique et virtuelle n’aura plus cours».

Il est vrai que de telles perspectives déclenchent l’hilarité de Michel Serres, qui écrit dans Le Figaro du 20 mai 2015 : « Pour moi les transhumanistes sont une variété de Tarzan ! C’est de l’Amérique à l’état pur. Je les connais : j’ai vécu et enseigné là-bas pendant quarante ans. Il n’y a pas plus inculte que le transhumaniste. Il est dans l’idéologie du toujours plus, du « more and more ». Il croit que more, c’est mieux. Tout cela me fait rire. »

A vous de faire votre choix entre les prophéties de Kurzweil et le rire de Michel Serres.

 

(1) L’emprise numérique / Comment Internet et Les Nouvelles Technologies ont colonisé nos vies, de Cédric Biagini, Paris, Éditions L’échappée, 2012, p 397. Il s’agit de l’un des ouvrages les plus radicalement critiques publiés ces dernières années.
(2) Galilée, Il Saggiatore (1623).
(3) Valérie Charolles, Philosophie de l’écran, Paris, Éditions Fayard, 2013, p. 46.
(4) Michel Doueihi, La grande conversion numérique, Paris, Le Seuil, 2008, p. 23.
(5) Chiffres disponibles sur Le Blog du Modérateur <http://www.blogdumoderateur.com>
(6) Marc Dugain et Christophe Labbé, L’Homme Nu, la dictature invisible du numérique, Paris, Éditions Robert Laffont, 2016, p. 54. La formule citée est de Pierre Bellanger, le patron de Skyrock.
(7) L’emprise numérique, op. cit., p. 338.
(8) L’emprise numérique, op. cit., p. 314.
(9) L’Homme Nu, op. cit., p. 196
(10) Éric Sadin, La vie algorithmique / Critique de la raison numérique, Paris, Le Seuil, 2015. Éric Sadin est sans conteste le chercheur qui a franchi les pas les plus décisifs en direction de cette critique de la raison numérique dont il a jeté les bases, même si l’essentiel reste à accomplir. Un pas de plus est fait dans son dernier ouvrage La siliconisation du monde / L’irrésistible expansion du libéralisme numérique, Paris, Éditions L’échappée, 2016.
(11) Karl Löwith, Max Weber et Karl Marx (1932), réédition Éditions Payot, Paris, 2009, p. 51.
(12) Michel Henry, La barbarie, Paris, Le Livre de Poche, 1988.
(13) C’est ce double engagement de Google qui a autorisé mon collègue Luc Ferry à aborder dans le même ouvrage le transhumanisme et ce qu’il dénomme l’ « ubérisation » du monde. Cf. Luc Ferry, La révolution transhumaniste, Paris, Éditions Plon, 2016.

 

Philippe Granarolo

Docteur d'Etat ès Lettres et agrégé en philosophie, Philippe Granarolo est professeur honoraire de Khâgne au lycée Dumont d'Urville de Toulon et membre de l'Académie du Var. Spécialiste de Nietzsche, il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment Nietzsche : cinq scénarios pour le futur (Les Belles Lettres, 2014) . Nous vous conseillons son site internet : http://www.granarolo.fr/. Suivre surTwitter : @PGranarolo

 

 

Commentaires

Bonjour,

Les lanceurs d’alertes manquent à l’appel de la raison et le rire de ce très éclairé philosophe est déjà peut-être un aveu de fatalisme.

La complexité des arcanes du numérique permet la gestation qui sourd dans les labos sans fenêtre, qu’il serait trop tard pour nous angoisser du devenir de notre condition. Le surhomme est transgressé et l’homme deviendrait ce qu’il n’est pas !

Les comités d’éthiques sont inaudibles. Les puissances de l’argent ouvrent à toutes les sorcelleries imaginables et rien ni personne ne les arrêtera.

Ces chercheurs constructeurs de la désincarnation de l’humanité ne sont pas de simples illuminés et les caricaturer ne saurait être à la hauteur du défi qu’ils nous lance. Ils sont déterminés pour autant que l’argent coule à flot.

Leurs obsessionnelles recherches portent sur des inconnus :  » ce qui existe ou n’existe pas hors nécessité, (principe d’indétermination).

Des phénomènes qui agiraient dans l’intervalle du zéro et du un.

Le web est à l’origine du puits de leur science prospectiviste et leur jardin de prédilection ».

par philo'ofser - le 24 mars, 2017


Je crois qu’il est important de remonter à… Pythagore, et plus important encore, à notre engouement pour la pensée grecque, afin de comprendre ce qui nous arrive avec le Web.
Si j’ai bien compris l’exposé ci dessus, dans… l’idéologie ? la religion ? la mystique ? que tout est nombre, que tout peut être traduit en nombre, il y a un programme totalisant, donc, totalitaire. Il s’agit d’établir une correspondance terme à terme entre une « réalité » extérieure, et un signe mathématique dépourvu d’ambiguïté, donc, de polysémie. Il s’agit de promouvoir un monde de codes qui peuvent être déchiffrés par une grille d’interprétation qui n’implique aucune interprétation, et se détache de la nécessité de tenir compte d’un contexte.
Dans cette logique, je vois une… lutte ? une compétition entre le monde du Verbe, et le monde du Nombre pour les coeurs et les esprits. Mon énonciation est certes binaire, comme le monde dans lequel nous évoluons en ce moment, où la complexité, l’interprétation elle-même est mise à mal par les attaques contre une transcendance qui permet au langage d’être autre chose qu’un code binaire, sans ambiguïté.
Cette manière de formuler le problème permet de comprendre en quoi il est fondamentalement… religieux, et non pas rivale à la religion, comme le professe M. Doueihi. Comme j’ai déjà dit ici, dans la mesure où la foi (de François Hollande, par exemple…) et la croyance sont accordées à un ensemble de postulats, comme le numérique, il s’agit d’un phénomène de structure religieuse, même si on a affaire à une idéologie.
Donc, pour la neutralité du phénomène numérique, je n’y crois pas un instant. Ce qui se met en compétition avec les religions institutionnalisées, et.. la République, pendant qu’on y est, n’est pas neutre. Si vous avez besoin de le voir sur le terrain, voyons de près l’ouverture des magasins le dimanche en France dans les années à venir.
Je vois deux attaques majeures derrière la montée de ce phénomène : une attaque contre la nécessité pour l’Homme de vivre sa vie en contact PHYSIQUE réel avec d’autres, en tant que corps, dans l’espace public, et au delà, dans le monde réel NATUREL où l’Homme trouve sa place, même quand il habite… en ville. (pas d’exclusion de la Nature en ville. Celle-ci n’est pas un lieu artificiel.) Attaque, donc, contre nous-même en tant que chair.. mortelle, soumise à la mort. Les recherches transhumanistes, financées par Google, entre autres participants, confirment ce parti pris idéologique.
Je vois aussi un terrible appauvrissement du déploiement de l’intelligence de l’Homme, en sachant que notre intelligence va de pair avec notre maniement du monde naturel, et en tant qu’animaux, nous avons évolué en malaxant, en transformant le monde réel avec nos mains, dans un travail manuel d’une finesse souvent extraordinaire. L’informatique… nous appauvrit terriblement du côté de notre capacité de produire du tangible, soumis aux contraintes physiques.
La montée du numérique est le signe que nous nous faisons phagocyter par nos propres systèmes symboliques, qui.. ont raison de nous. (les chiffres et les lettres, pour être plus clair)
Enfin, un mot indispensable sur le caractère… illusoire de tant d’appels à l’universalisme par le numérique. Le déplacement de nous-mêmes en tant que corps physiques nous amène à constater que notre union planétaire est moins unie que ce que nous voulons croire. Les hommes font des choses différemment d’un pays à l’autre. Qu’ils habitent dans des gratte-ciel ou conduisent des voitures qu’on trouve chez nous ou pas.
Même l’hégémonie des racines greco-latines dans un anglais charabia ne parvient pas à faire estomper cette réalité là…

par Debra - le 24 mars, 2017


C’est vrai , les GAFA nous font peur parce qu’ils se jouent des frontières et sont donc plus puissants , déjà, que nos Etats . Mais il n’est pas interdit de positiver : si le numérique libère nos industries des taches répétitives, si l’intelligence artificielle augmente un jour notre espérance de vie de quelques décennies , ce n’est pas si mal , non ? En ces temps de campagne présidentielle , je suis étonné que nos politiques ignorent cet argument : le développement du numérique , qui favorise les GAFA, doit nous imposer…de renforcer la construction européenne , fissa ! Curieusement , dans le combat contre le Front National , nous laissons de côté cette évidence : l’insondable ringardise du Parti prônant le repliement sur l’Hexagone ! Alors, vive les GAFA, qui nous obligent à nous secouer les neurones.
P.S. : Je ne suis pas sûr que votre vision des séniors corresponde tout à fait à la réalité . Il me semble, au contraire , que nombre d’entre eux …sont des pratiquants d’autant plus assidus de la navigation sur la Toile qu’ils en ont le temps .

par Philippe Le Corroller - le 24 mars, 2017


Je ne vois pas en quoi les GAFA nous oblige à secouer les neurones. Les géants du numérique qui oeuvrent inlassablement pour augmenter et… faire progresser l’Homme me font penser à des époques troubles de notre histoire moderne.
On pourrait tirer les conclusions qui s’imposent en voyant qu’Adolf Hitler avait un portrait de Henry Ford dans son bureau, et non pas César, ou Napoléon.
Ce serait vraiment secouer les neurones, d’examiner les implications de cet anecdote…

par Debra - le 25 mars, 2017


Bonjour,

Merci pour cet excellent article !

Cependant, j’aimerais revenir sur un point : la scolarisation déconnecté des enfants des dirigeants des GAFA. Les géants de la silicon valley on tout a fait conscience des dégâts que les nouvelles technologies peuvent avoir sur les jeunes et ne cherchent pas à promouvoir leur produit à ces populations.

La limite d’âge de Facebook à 13 ans en est un bon exemple. Par ailleurs, avez-vous déjà vu une pub des GAFA mettant en scène des enfants ? non. C’est pourquoi le problème vient plutôt des parents qui, mal informés, n’ont pas conscience de l’impacte des technologies sur leur progéniture !

par Jean-Baptiste - le 25 mars, 2017


Vous n’aimez pas  » l’homme augmenté  » , chère Debra ? Ma foi , je me réjouis qu’une de mes soeurs soit toujours en vie à 91 ans , grâce à un stent dans l’artère coronaire et à un stimulateur cardiaque . Tandis que l’autre , à 93 ans , fait toujours ses courses , grâce à une hanche en titane . Alors, si Google met au point demain des technologies permettant de vaincre plus rapidement le cancer , voire la maladie d’Alzheimer , s’il me permet d’atteindre 100 ans , voire plus , en étant toujours curieux et heureux de savourer , à l’occasion , un bon Bordeaux, vive Google , non ? Cela n’empêche pas d’être conscient , bien sûr, des dangers potentiels d’une extension sans contrôle du numérique en général et de l’intelligence artificielle en particulier . Mais , encore une fois , si nous voulons maîtriser pleinement ces nouvelles technologies – c’est-à-dire imposer une régulation – c’est bien à l’échelle de l’Europe que nous pourrons le faire. J’avoue mon étonnement que ce sujet capital ne soit pas au coeur de la campagne présidentielle . Notamment celle de François Fillon , connu pour être un geek , si ce n’est un early adopter. Il est vrai qu’avec la cabale misérable qu’on lui oppose , matin , midi et soir , le candidat de la droite et du centre a fort à faire !

par Philippe Le Corroller - le 25 mars, 2017


J’aime à envisager qu’un jour se produira une espèce de « déluge » informatique ! Plus aucune trace de rien … Que deviendra notre humanité , ou dite telle ? Est-ce qu’une arche de Noé est d’ores et déjà prévue ? Conquérir Mars pour les quelques survivants ? Votre texte pose les bonnes questions et prône avec équilibre les avantages et les inconvénients de ce nouveau mode de vie qui nous est quasiment imposé dans notre quotidien . « Sachons raison garder! » Bien à vous.

par Chalaye Yvette - le 25 mars, 2017


Cher Messieurs.
J,aimrai bien avoir le text de Mr Philippe Ggranarolo (Menace numerique…)en Anglais s,il exist, s.il vous plais .
Merci a vous

par Abdulmoutisouwed - le 27 mars, 2017


Il est vrai de dire que l’homme penseur a perdu face à ceux qui ont modélisé la pensée. Vous achetez sur internet ? Vous complétez un modèle prédictif précis, codé et qui ne demande qu’à être enrichi de votre action. La porte de sortie me direz-vous ? Elle se trouve dans le réel sans ordinateur, dans la pensée, l’échange et la privation. La privation de vos réflexions sur la toile tout simplement. L’Internet des objets pensants se doit de découvrir à chaque fois une nouveauté et être dépassé, incertain lorsqu’il prend en compte vos faits. Car derrière cela, vous avez un ennemi de la pensée libre, un exterminateur débutant de l’universalité.

par Dgz - le 5 avril, 2017


Certes, ont peut faire de nombreuses critiques sur internet et de son usage, tout de même, c’est un formidable outil pour accéder à la connaissance, permettant aussi de se confronter au dela de notre propre entourage, un enrichissement sans pareil pour le curieux, la chasse au trésor.

par Mehdi - le 22 avril, 2017


[…] aussi : Menace numérique : Big Mother is watching you (Philippe […]

par iPhilo » Les esclaves psychiques d’internet ou la naissance de la «captologie» - le 1 août, 2020



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