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Foi, croyance et dialectique du sens

2/09/2020 | par André Stanguennec | dans Philo Contemporaine | 4 commentaires

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ANALYSE : Comme tous les autres animaux, nous percevons un monde et avons foi en son existence. Mais qu’est-ce qui nous garantit que le monde réel correspond bien au monde perçu, et comment articuler ces « deux mondes » l’un avec l’autre, s’interroge le philosophe André Stanguennec, professeur émérite à l’Université de Nantes ?


Agrégé et docteur d’Etat, André Stanguennec est professeur émérite de Philosophie de l’Université de Nantes, où il a enseigné de 1969 à 2007 et appartient au Centre CAPHI. Président de la Société nantaise de Philosophie, spécialiste de l’idéalisme allemand et penseur d’une herméneutique contemporaine, il collabore à la Revue philosophique de la France et de l’Étranger et a dernièrement publié Novalis-Mallarmé. Une confrontation (Éd. Honoré Champion, 2020).


Depuis notre naissance, nous avons tous le sentiment d’être entourés par une réalité indépendante de nous et dont nous dépendons. Cette réalité empirique qui s’étend à l’infini et en laquelle nous croyons irrésistiblement est nommée «monde» par la plupart des hommes et de même par beaucoup de philosophes, et c’est en ce sens que Fichte écrivait, dans La Destination de l’homme, que «nous sommes tous nés dans la croyance».

La croyance immédiate au monde

Il s’avère à la réflexion impossible de suspendre cette foi dans l’existence du monde sensible en totalité. Tandis, en effet, que nous pouvons fort bien supposer qu’un objet ou une partie de ce monde n’existe pas, le monde lui-même, en tant que fond permanent sur lequel se détachent cet objet et cette partie, est impossible à effacer complètement de notre croyance immédiate. Cette foi dans la réalité du monde est celle-là même que les philosophes cherchent à comprendre, sans pouvoir en faire une illusion à moins de confondre le monde et les objets du monde, ou de le réduire soit à un grand objet soit à un ensemble d’objets. Si un objet ou un ensemble d’objets peuvent légitimement être douteux, le monde, comme fond originaire sur lequel se détachent tous les objets possibles, ne peut l’être. Si l’existence du monde était douteuse pour Descartes qui nous renvoyait de ce doute au «je doute donc je pense, donc j’existe comme sujet pensant indubitable», c’est parce qu’il comparait les objets du monde aux images d’un rêve «possible» ou à celles que projetterait un Grand Illusionniste, un Dieu trompeur ou un «Malin Génie». C’est cette réduction du monde sensible à un ou des objets qui est réellement impossible, nous semble-t-il : ce en quoi nous croyons ici est en une totalité immédiate et indéfinie qui précède très antérieurement notre aptitude à discerner et analyser des objets ou des images partielles et à les rassembler. Il n’est que de rappeler l’expérience des enfants : c’est de leur foi dite naïve que nous continuons de vivre ici. Notre foi est la même que la leur.

On peut même dire que cette foi est le mobile animant toute recherche philosophique : pourquoi cette réalité totale, crédible et irréductible, nous est-elle donnée plutôt que le néant ? Autrement dit, pourquoi quelque chose plutôt que rien ? Et quel en est le sens, si tant est que cette réalité en a un ? La plupart des philosophes répondent à ces questions en dédoublant le monde de diverses manières, qui toutes reviennent à distinguer un monde sensible et un monde intelligible (ou conceptuel, idéel et rationnel), ou un monde des phénomènes et un monde des noumènes ou encore un monde au sens physique et un monde au sens métaphysique, celui, par exemple, des «Idées de la raison pure» (Kant).

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Pourtant, cette foi originaire et native dans l’unité du monde sensible continue de s’opérer chez le philosophe, alors même qu’il effectue ces distinctions conceptuelles. Le second pas dans le problème est donc que cette distinction de deux mondes ne peut être maintenue à la manière d’une juxtaposition entre deux mondes absolument hétérogènes. La question d’une unité entre les deux mondes se pose alors, non plus sur le seul plan de la foi sensible, mais sur celui d’une articulation compréhensible entre les deux, la foi dans le monde sensible et le concept rationnel d’un monde intelligible.  Et il y a bien des manières d’y apporter réponse. Usant tantôt de la catégorie de la substance, tantôt de la cause, les monismes et les dualismes traditionnels présentent tous des faiblesses. Les uns sont impuissants à introduire la négation et la différence réelle au sein de la substance, qu’il s’agisse des monismes de l’esprit ou de la matière. Les autres sont inaptes à surmonter la différence irréductible entre la Cause première et ses effets matériels spatio-temporels : il s’agit des dualismes métaphysiques de teneur platonicienne ou cartésienne.

On peut aussi – et sans doute est-ce une voie logiquement plus complexe mais plus satisfaisante  – maintenir la différence entre les deux mondes à l’intérieur d’une unique identité supérieure qui se différencie en eux par auto-négation, s’oppose provisoirement à elle-même dans le monde sensible et retrouve finalement son unité plus complexe et complète dans la réflexion rationnelle de l’esprit fini, celui-ci, de par sa finitude essentielle, procédant à des synthèses toujours ouvertes et non à la clôture dogmatiquement définitive d’une synthèse qui rendrait inopérante et stérile toute nouvelle opposition de soi et à soi. L’achèvement de la synthèse demeure une «idée régulatrice» (Kant) et non un concept constitutif d’un «savoir absolu» (Hegel).  Le processus de double négation de soi dans l’autre de l’identité infinie originaire mène alors à construire réflexivement ce que l’on pourrait nommer un monisme dialectique. Aux catégories de la substance et de la causalité linéaire dont usent les «monismes» et les «dualismes» sus-mentionnés,  il faut alors substituer, en la dialectisant, la catégorie de l’interaction à l’intérieur d’une logique dialectique dans une conception «synthétique», en dépassant le mode de pensée selon la logique d’entendement « binaire » ou logique «formelle» du tiers exclu : «ou bien ou bien».

Une peinture d’André Stanguennec.

En admettant la nécessité d’entrer dans cette perspective réflexive et dialectique d’une Idée du monde, nous estimons devoir dépasser la simple hypothèse spéculative de ce premier regard théorique sur l’unité du monde. II nous est nécessaire, en un second regard de la réflexion, d’envisager cette Idée dans le cadre d’une réflexion, d’abord théorique et dialectique, mais aussi et peut-être surtout, moralement pratique. «Le besoin naturel de la raison» (Kant) de trouver le concept de l’unité du monde achève alors de se satisfaire dans une «croyance rationnelle» (Vernunftglaube) posant l’existence, ou plus exactement, devrions-nous dire, la «sur-existence», du fondement de ce monde. Et cela, dans la dialectique de l’Idée que nous nous en faisons, c’est-à-dire dans son mouvement de division et de retour autofinalisé sur soi. Ce monde n’est alors pas ou plus absurde non plus pour notre volonté morale d’y inscrire des actions bonnes et justes, car l’on peut faire l’hypothèse qu’il est orienté en un sens qui constitue une structure d’accueil pour nos finalités éthiques.

Si la seule foi indubitable reste bien la foi dans le monde sensible dont nous étions partis, ce monde sensible avec notre foi en lui, est à présent pensé, mais non dogmatiquement connu, car il s’agit bien d’un postulat non seulement théorique mais moralement pratique.  Il est donc à présent plutôt «cru» comme étant la manifestation dialectique de l’Idée d’un Infini fondateur «divin», puisque nombre de philosophes nomment «Dieu» ce fondement idéalement absolu et parfait.  La foi dans l’unité du monde sensible est alors approfondie en foi dans la manifestation sensible du fondement intelligible divin lui-même, dans son aliénation de soi en nous, puisque nous avons, comme tout être de la nature, un corps sensible. Ainsi, les deux «fois», la foi immédiate et la foi médiatisée par nos concepts, la foi naïve et la foi réfléchie, s’avèrent n’en faire plus qu’une quant à un contenu sensible qui, par la réflexion, s’est enrichi d’un sens intelligible de nature divine. Le monde sensible n’est plus alors seulement un phénomène extérieur mais la manifestation de l’infini (ou de la perfection) dans la finitude imparfaite de l’espace-temps.

L’adhésion et l’inquiétude

Ce que notre recherche dans la Dialectique réflexive [1] partage avec la religion monothéiste, et de façon privilégiée avec le christianisme, c’est, selon nous, une même «foi» (fides) dans un sens du monde, même si cette foi, qui est le noyau ou le germe transcendantal de toute «croyance» (credentia) culturelle, se développe dialectiquement d’une manière différente et sur certains points d’une manière critiquement opposée à la croyance religieuse. De même, celle-ci peut interroger critiquement la croyance philosophique qui, en se réfléchissant quant à ses conditions de possibilité, suppose cette «foi» comme un «transcendantal», terme signifiant une condition de possibilité idéelle de l’expérience en tout esprit. Cette foi, noyau intentionnel abstrait de toute croyance, que l’on peut dégager par abstraction transcendantale réflexive au sein de toute croyance «théologique», qu’elle soit de nature mythologique, religieuse ou métaphysique [2] , peut se définir par «l’adhésion» (adhesio) de l’esprit à l’unité d’un même sens qui «transcende», comme un «transcendantal» et non comme une «chose en soi transcendante» [3], ce que Fichte appelait un «Non-Moi», toute réalité finie existante. C’est cette foi qui, selon nous, cherche, dans l’inquiétude de l’esprit, son unité totalisante au moyen de la réalisation d’une œuvre de culture intellectuelle ou morale, et plus généralement de «formation de soi», qu’elle soit éthique, religieuse, philosophique ou esthétique.

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L’«adhésion» (adhesio)  constitutive de la foi n’engage pas seulement notre volonté et notre entendement, mais elle implique aussi une affection ou un sentiment, et c’est son point commun d’origine avec la foi perceptive dans le monde sensible.  Elle est attachement fidèle et affection positive. On retrouvera bien sûr cet attachement affectif sublimé dans la confiance religieuse et dans l’amour de la sagesse philosophique qui nous relie aux idées pures, mais aussi dans le désir de la beauté qui meut tout véritable artiste. Il n’est pas jusqu’au «respect» pour la loi morale qui, selon Kant, ne «trouve d’elle-même accès dans l’âme (Gemüt) et qui, cependant, gagne elle-même, malgré nous, la vénération (sinon toujours l’obéissance)». Il s’ensuit une confiance dans le pouvoir de réaliser le souverain Bien dans le monde : «c’est une confiance dans la promesse de la loi morale ; non pas dans une promesse contenue dans la loi morale, mais une promesse que j’y ajoute par une raison morale suffisante». Le lien qu’effectue le soi spirituel entre le monde empirique – dont l’Idée totale symbolisée par le «ciel étoilé» est elle-même sublime selon Kant – et l’Idée de Dieu est une relation qui entraîne l’apaisement de ce que j’ai analysé ailleurs comme «l’inquiétude du soi» [4], cette auto-affection de la présence première à soi de la conscience dans la division d’avec soi. Le sujet, total et concret, s’éprouve d’abord comme séparé dans la division entre son moi empirique et son soi transcendantal, qui n’est alors qu’une possibilité visée dans l’inquiétude. Et c’est cette inquiétude qu’il cherche à apaiser dans une œuvre, nous pourrions dire de «trans-formation» de soi, c’est-à-dire de synthèse entre les pôles opposés de l’empirique et du transcendantal qui le constituent : c’est bien au sujet qu’est chacun de nous, de prendre la décision de supprimer leur séparation et de poser leur unité.  Mais si la foi procure l’apaisement de l’inquiétude, elle ne l’élimine pas définitivement pour autant.

«Cette foi cherche, dans l’inquiétude de l’esprit, son unité totalisante au moyen de  la réalisation d’une œuvre  intellectuelle ou morale, et plus généralement  de « formation de soi », qu’elle soit éthique, religieuse, philosophique ou esthétique.» (un dessin d’André Stanguennec)

Cette inquiétude peut renaître de l’abandon ou de l’échec de l’œuvre de synthèse opérée dans les divers domaines où la foi dans le sens se développe et se concrétise en croyance culturelle, éthique, esthétique, religieuse, ou philosophique. La totalisation de soi dans le double attachement conjoint à l’empirique et au transcendantal et dans la subordination du premier au second, est la structure de toute œuvre humaine absolument sensée.

Revenons aux catégories que j’ai évoquées pour classer les conceptions philosophiques du monde sensible en rapport à l’Idée de son fondement intelligible infini : substance, causalité, interaction. Chacun sait que ces trois catégories, dites après Kant par les logiciens catégories de la relation, sont d’abord des instruments logiques fondamentaux de toutes les sciences, physiques, chimiques, biologiques, mais aussi des conceptions philosophiques du monde. D’une part, concernant ces dernières, les approches estimant que le monde sensible observable, objectivé par les sciences, auquel nous continuons de croire, se suffit à lui-même, utilisent la catégorie de substance, estimant par exemple, comme Spinoza, que Dieu est la substance du monde (Deus sive natura), l’être de la nature qui est en soi et est connu par soi. Cette forme de pensée philosophique est la démarche logique sous-jacente à tous les panthéismes, qu’ils soient déductifs comme celui de Spinoza ou seulement intuitifs comme dans certaines mythologies et religions dont on a d’ailleurs pu rapprocher la pensée du grand métaphysicien.

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D’autre part, on peut également réduire le monde intelligible et le mode sensible à l’unité, en partant cette fois de la catégorie de la causalité linéaire et poser, de façon tout aussi  traditionnelle,  que Dieu est la cause première intelligible du monde sensible qui nous est donné dans la foi,  en vertu du principe que, si l’on cherche une première cause à l’intérieur du monde sensible exploré par les sciences, on ne la trouvera jamais, et que le besoin naturel de la raison étant d’achever la régression des effets vers les causes, la première cause, s’il en est une,  est donc une cause supra-sensible, méta-phénoménale, que l’on nommera Dieu.

Reste un usage purement sensible, immanent ou empirique, de cette causalité linéaire qui, alors, tente de nous faire même abandonner l’Idée d’un monde supra-sensible fondé en Dieu, en réduisant cet «arrière-monde intelligible» (Nietzsche) à une illusion ou à une apparence trompeuse de notre esprit. Tels sont ce qu’on appelle les scientismes et les matérialismes ou encore les naturalismes de diverses sortes, dont le nietzschéisme. Tous renoncent, en conséquence, à chercher à s’orienter dans la pensée vers l’Idée d’un monde fondé en Dieu. On pourrait montrer que toutes  ces conceptions, apparemment athées,  admettent pourtant  plus ou moins   implicitement et de façon plus ou moins dissimulée, même si elles le nient explicitement et parfois en toute bonne foi,  un usage transcendantal de l’Idée de Dieu, celui d’une condition logiquement «inconditionnée» ou  «première» a priori du sens du monde,  au moins «pensable» et même selon nous «crédible» en tant qu’objet d’une «foi» de la pensée, distincte d’une «croyance» (en latin credentia) qu’elle soit prétendue révélée ou démonstrative.

Quant à la catégorie que nous avons retenue nous-même comme la plus compréhensive et dont la logique est sous-jacente à notre dialectique réflexive, c’est la troisième catégorie de la relation, celle de l’interaction. D’une part, parce que les sciences empiriques en sont pleines, la catégorie d’interaction ou d’action réciproque permettant de comprendre bien des phénomènes découverts par nos sciences contemporaines. D’autre part, parce que cette circularité causale, entre la cause et l’effet, est totalement absente des deux visions du monde évoquées ci-dessus. De manière regrettable et anachronique, elles s’en tiennent soit à la substance (propriétés d’invariance ou de constantes) soit à la causalité rectilinéaire de succession qui ne peut rendre compte, sans rejoindre une logique «circulaire», des effets en retour de l’effet sur sa cause, celle-ci fût-elle première.

Dialectique réflexive de l’intérieur et de l’extérieur

Mais il y a davantage : si l’on admet comme essentiels et tout à fait fondamentaux les phénomènes d’interaction ou de causalité circulaire à l’intérieur du monde sensible, il semble impératif de l’admettre aussi dans les hypothèses métaphysiques, et d’abord dans les rapports de l’Idée théologique avec les processus internes interactifs du monde sensible étudiés par les sciences. Nous devons alors postuler que l’unité du monde, ou de ce qui se donne d’abord comme deux mondes, unité recherchée par les philosophies métaphysiques, implique un lien de circularité dialectique entre Dieu intelligible et le monde sensible tel que nous y croyons et le connaissons. Les interactions généralisées conçues par la raison scientifique à l’intérieur de ce monde sont alors considérées hypothétiquement comme des phénomènes, sur un plan horizontal en quelque sorte, manifestant l’interaction verticale entre Dieu et le monde, conçue par la réflexion dialectique dans la raison philosophique de l’homme. La relation dialectique entre un intérieur et un extérieur, la réflexion de soi de l’intérieur dans l’extérieur et le retour à soi de l’intérieur modifié à partir de son extérieur, ne concerne plus alors seulement les interactions physiques, biologiques et anthropologiques bien connues des scientifiques, mais aussi dans l’Idée transcendantale que nous en formons, l’interaction entre Dieu (comme Idée intelligible ou sens) et le monde sensible des phénomènes spatio-temporels.

Ainsi la boucle peut-elle être idéalement bouclée ou le cercle herméneutiquement fermé en pensée, cercle unissant les deux mondes en un seul qui est rapport à soi dans son rapport à son autre et rapport à son autre dans son rapport à soi. Le dédoublement et l’unité des deux mondes reçoivent ainsi une cohérence logique qui est rationnellement acceptable et notre croyance dans le monde sensible change de sens :  elle devient en même temps une croyance dans le monde intelligible manifesté – de manière évidemment d’abord imperceptible dans son autre, le monde sensible extérieur, à présent pourvu d’un sens interne.

Cette interprétation dialectique de la «foi» (fides) ou de «l’adhésion» (adhesio) au «monde sensible», dans la foi naïve de la conscience irréfléchie,  et de l’adhésion complémentaire au sens transcendantal du «monde intelligible» qui s’y trouve manifesté, a été élaborée par nous à partir des notes de  lecture rédigées par Kant dans son ouvrage posthume, en particulier de celle-ci : «Dieu, le monde, et ce qui les conçoit dans leur mutuel rapport, le sujet comme être raisonnable. Le terme moyen du jugement, est le sujet qui juge (l’être pensant, l’homme dans le monde).  Sujet, prédicat, copule» [5]. Dire que l’homme est alors «copule» du jugement transcendantal, synthétique a priori, c’est impliquer qu’il adhère à la fois au transcendantal et à l’empirique au sein d’une unité synthétique de sens. L’homme se pose alors comme la «copule» de la prédication de l’être, dont le monde est le sujet et Dieu l’attribut de sens. L’«attribution du sens» se dit ici même [6].

[1] A. Stanguennec, La dialectique réflexive. Lignes fondamentales d’une ontologie du soi, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, I, 2006, II, 2008, III, 2013.
[2] Si, dans l’ordre théo-cosmique, ces trois croyances culturelles sont à l’évidence privilégiées, on ne peut toutefois exclure que le domaine de l’art, notamment de la poésie, de la musique et de la peinture, contienne parfois des œuvres majeures porteuses du transcendantal de la foi théo-cosmique.
[3] À condition de bien entendre ce terme en un sens transcendantal, on peut alors dire que le « transcendantal » est « transcendant », mais au sens d’un participe présent dénotant l’acte de transcender, c’est-à-dire de dépasser l’empirique extérieur vers le transcendantal intérieur qui le conditionne dans l’autoréflexion du sujet. Il ne s’agit donc pas de l’usage « transcendant » des catégories visant un transcendant « en soi », telle une « chose en soi », puisqu’il vise en tant que transcendantal, la forme a priori de la totalité pensée des phénomènes au sein de l’esprit humain seulement et non en dehors de lui et des limites de son expérience.
[4] Dans les Leçons sur le rationnel et l’irrationnel, Leçon 13. L’inquiétude du soi ; sa négativité et sa fécondité culturelle, théorique et pratique, Paris, Ellipses, 2014., pp.119-124.
[5] E. Kant, Opus postumum, F° III, p.1, trad. J. Gibelin, Paris, Vrin, 1950, p.16.
[6] A. Stanguennec, Analogie de l’être et attribution du sens. La dialectique réflexive, 3 tomes, Éd. Oresses Universitaires du Septentrion, Lille, 2006, 2008 et 2013.

Nota bene : élève du peintre Jean-Yves Couliou (1916-1995), André Stanguennec se destinait d’abord à une carrière artistique, avant de se tourner vers la philosophie. Il n’en a pourtant jamais cessé de peindre, à l’image de l’illustration de cet article, une photographie de l’une de ses peintures.

 

André Stanguennec

Agrégé et docteur d’Etat, André Stanguennec est professeur émérite de Philosophie à l’Université de Nantes, où il a enseigné de 1969 à 2007 et appartient au Centre CAPHI. Président de la Société nantaise de Philosophie, spécialiste de l’idéalisme allemand et penseur d’une herméneutique contemporaine, il a dernièrement publié Novalis-Mallarmé. Une confrontation (Éd. Honoré Champion, 2020).

 

 

Commentaires

Eh bah M. le Professeur, vous avez mis mon modeste cerveau en ébullition. Article exigeant, parfois vraiment difficile, mais également bien écrit, de façon précise. On s’endormira moins bête et on dormira du sommeil du juste métaphysicien. Merci beaucoup !

par Mme Michu - le 4 septembre, 2020


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