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Emmanuel Macron, Jean Bodin et la République

10/09/2020 | par Thomas Flichy de La Neuville | dans Politique | 2 commentaires

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BILLET : Dans son discours au Panthéon prononcé la semaine dernière, le président de la République a estimé qu’en France, «la République a précédé la République». Il a cité à ce propos le grand penseur politique Jean Bodin, monarchiste convaincu et auteur du traité Les Six livres de la République (1576). Cette actualité a inspiré un court texte à notre chroniqueur Thomas Flichy de La Neuville.


Docteur habilité à diriger des recherches et agrégé d’histoire, docteur en droit, ancien élève de l’INALCO en persan, Thomas Flichy de La Neuville est titulaire de la chaire de Géopolitique de Rennes School of Business et membre du Centre Roland Mousnier (Université Paris-Sorbonne). Longtemps enseignant à l’Ecole Spéciale de Saint-Cyr, il a notamment publié Géoculture : Plaidoyer pour des civilisations durables (Lavauzelle, 2015), Géopolitique de l’Iran (PUF, 2017) et dernièrement Les esclaves psychiques d’Internet (Dominique Martin Morin, 2020).


Lassé par l’artifice des mélodrames sans dénouement et détendu par ses lectures estivales, le chef de l’État a rappelé aujourd’hui avec un brin d’espièglerie que Jean Bodin (1530-1596), théoricien de la monarchie tempérée, comptait au premier rang des pères fondateur de toute régime politique. Lorsque l’on interrogeait ce jurisconsulte sur la nature politique profonde de la France, ce dernier répondait : «L’état de la France est simple et pure monarchie» [1].

Lire aussi : Gauche, droite et souveraineté (Jacques Sapir)

Pour Bodin en effet, la souveraineté ne peut se perpétuer que si elle s’enracine dans la majestatem antique. L’une des leçons politiques les plus intéressantes que nous livre Jean Bodin est peut-être la suivante : si le pouvoir veut pacifier en profondeur, il doit consentir à gouverner non en fonction de règles artificielles mais en respectant les lois de la nature.

«Le Monarque Royal est celui, qui se rend aussi obéissant aux lois de nature laissant la liberté naturelle, et la propriété des biens à chacun. C’est donc la vraie marque de la Monarchie Royale, quand le Prince se rend aussi doux, et ployable aux lois de nature, qu’il désire ses sujets lui être obéissants (…) Si donc les sujets obéissent aux lois du Roi, et le Roi aux lois de nature, la loi d’une part et d’autre sera maîtresse, ou bien, comme dit Pindare, Reine : car il s’ensuivra une amitié mutuelle du Roi envers les sujets, et l’obéissance des sujets envers le Roi, avec une très plaisante et douce harmonie des uns avec les autres, et de tous avec le Roi : c’est pourquoi cette Monarchie se doit appeler royale et légitime» [2]

Jean Bodin exalte ainsi le juste Prince fondant son gouvernement sur la droite justice et respectant les libertés inaliénables des individus.

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Ses lois sont rares et concises, en effet : «plus les édits et ordonnances ont été multipliés, plus les tyrannies ont pris leur force : comme il advint sous le tyran Caligula, qui, à propos et sans propos, faisait des édits, et en lettre si menue qu’on ne les pouvait lire, afin d’y attraper les ignorants» [3]. Pour ce théoricien politique :

«La Monarchie légitime, comme un corps fort et puissant, peut aisément s’entretenir, mais l’état populaire et l’aristocratie, comme faibles et débiles et sujettes à beaucoup de maladies, se doivent gouverner par diète et régime.» [4]

L’état populaire est donc éminemment sensible à la maladie. La plus grave étant que le sage pilote abandonne le gouvernail à ceux qui manœuvrent pour s’en emparer. Jean Bodin note à ce sujet avec un soupçon d’amertume :

«Ils s’en font toujours maîtres, et le peuple ne sert que de masque»[5]

[1] Jean Bodin, Les six livres de la république, 1577, p. 115
[2] Jean Bodin, Les six livres de la république, 1577, p. 125
[3] Jean Bodin, Les six livres de la république, 1577, p. 142
[4] Jean Bodin, Les six livres de la république, 1577, p. 314
[5] Jean Bodin, Les six livres de la république, 1577, p. 304

 

Thomas Flichy de La Neuville

Docteur en droit, agrégé d’histoire, ancien élève de l’INALCO en persan, Thomas Flichy de La Neuville est professeur à l’École Spéciale de Saint-Cyr, où il dirige le département des études internationales, et membre du Centre Roland Mousnier (Université Paris-Sorbonne). Intervenant régulièrement à l’United States Naval Academy, à l’Université d’Oxford et à celle de Princeton, il a notamment publié Géoculture : Plaidoyer pour des civilisations durables (Éd. Lavauzelle, 2015) et Géopolitique de l’Iran (Éd. PUF, 2017).

 

 

Commentaires

Je suppose que je vais mettre les pieds dans le plat là, mais…
Je ne vois pas ce qu’Emmanuel Macron peut avoir EN COMMUN avec Jean Bodin, quand bien même il le citerait…comme exemple ? (Mais là, je parle en ignorance.)
Pour la simple raison qu’Emmanuel Macron, à ses yeux, se tient en dehors des « lois de la nature ». Elles n’ont pas cours pour lui, comme pour une bonne partie de la gauche, et les intellectuels qui se disent « de gauche ».

Peut-être que l’abandon des lois de la nature, et le refus de SE SOUMETTRE A celles-ci, conduisent gouvernants (et peuple, en grande partie ?) à vouloir bétonner avec les lois humaines, et développer une prurit de ces dernières ?
La multiplication exponentielle ? de lois humaines ne fait pas du bien à la catégorie « loi », ni, surtout pour son respect. C’est comme tout, en somme, plus il y en a, MOINS ÇA VAUT.
J’appelle ça.. une loi de la nature.

Pour la dernière citation de Jean Bodin, je ne suis pas d’accord, en sachant que je m’autorise une opinion sur un ouvrage de plusieurs tomes que je n’ai pas lu, et sur une simple citation de cet ouvrage volumineux… Je crois que le peuple a les gouvernants qu’il mérite, et qu’il y a un lien intime entre le peuple, la condition où il se trouve à un moment donné, et les gouvernants qu’IL appellera ou suscitera de par cette condition. Pourquoi quand on constate la corruption de l’état de la République, cette corruption ne frapperait que les seuls gouvernants et pas LE CORPS POLITIQUE LUI-MEME dans sa totalité ? Si.. « on » est honnête avec soi-même, on peut constater que son ambition personnelle trouve souvent un échappatoire par identification avec les ambitieux qui réussissent dans leur ambition. Pourquoi, sinon, y aurait-il autant de peuple qui suit fidèlement la vie de leurs idoles publics, stars du cinéma, de la musique ou.. de la politique ? « Réussir » par identification avec autrui permet de se soustraire de l’effort, du danger, du COÛT que l’autre a rencontré pour arriver là où il est. « Réussir » par identification est une solution.. de facilité, et elle aura toujours de beaux jours devant elle.
Ce n’est pas parce que toute forme de gouvernement se doit de s’appuyer sur « lepeuple » qu' »on » est obligé d’être… complaisant sur la nature du peuple, ou d’ériger une mauvaise fiction à l’eau de rose de sa bonté.. naturelle.

par Debra - le 11 septembre, 2020


Le Président de la République , en France , est-il un monarque dirigeant une démocratie , ce qui semble relever de l’oxymore ? On est tenté de répondre par l’affirmative . Il tient , en effet , sa légitimité de l’élection au suffrage universel , processus éminemment … aristocratique puisqu’il consiste à choisir le meilleur ! Une fois élu , ce Président choisit un Premier ministre qui constitue un gouvernement : le pouvoir , exécutif ou législatif , va ainsi être exercé à la place des citoyens par le gouvernement des meilleurs , c’est-à-dire… une oligarchie ! Voilà au moins deux raisons qui devraient nous amener à récuser la démocratie élective . Or , curieusement , nous lui restons attachés , convaincus confusément , comme l’avait bien compris Churchill , que  » la démocratie est le plus mauvais des systèmes politiques, à l’exception de tous les autres  » . Même si l’abstention ne cesse de progresser , nous admettons , pour la plupart , qu’une communauté humaine – la nation , en l’occurence – a besoin d’un chef. Car il n’y a pas d’oeuvre collective possible sans obéissance au chef que l’on s’est donné . L’élection du Président de la République reste donc le coeur de la vie politique française . Or , malheureusement , nous avons commis une erreur diabolique en passant du septennat au quinquennat . Le Président a donc à peine trois ans pour mettre en oeuvre son programme , puis il consacre l’essentiel de son énergie à sa réélection . Peut-être serait-il bon de refaire le chemin en sens inverse ? Peut-être devrions-nous passer de la monarchie tempérée , telle que la rêvait Jean Bodin , à un régime plus fort ?

par Philippe Le Corroller - le 11 septembre, 2020



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