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«Je chanterai Gaïa» : la nouvelle vague écologiste

11/06/2022 | par L. Hansen-Love | dans Monde | 2 commentaires

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BONNES FEUILLES : Nous publions avec plaisir un extrait de Planète en ébullition (éd. Ecosociété, 2022), le nouvel essai de la philosophe Laurence Hansen-Löve qui revient notamment dans ce chapitre sur la différence, mais aussi la porosité entre écologue et écologiste. Le mythe de Gaïa repris par les écologistes aujourd’hui n’est-il justement qu’un mythe ? Ou ne dit-il pas quelque chose de plus scientifique et philosophique sur notre rapport au vivant, se demande notre chroniqueuse.


Professeur agrégée de philosophie, Laurence Hansen-Löve a enseigné en terminale, en classes préparatoires littéraires et à Sciences Po Paris. Aujourd’hui professeur à l’Ipesup, auteur de plusieurs essais et de manuels de philosophie, elle a récemment publié Oublier le bien, nommer le Mal (éd. Belin, 2017), Simplement humains (éd. de l’Aube, 2019), La violence. Faut-il désespérer de l’humanité ? (éd. du Retour, 2020) et dernièrement Planète en ébullition (éd. Ecosociété, 2022). Nous vous conseillons son blog.


«L’unique espoir, pour chacun de nous, de n’être pas traités en bêtes par ses semblables, est que tous ses semblables, lui le premier, s’éprouvent immédiatement comme êtres souffrants, et cultivent en leur for intérieur cette aptitude à la pitié qui, dans l’état de nature tient lieu de lois, de mœurs et de vertu.»  (Claude Lévi-Strauss [1]). 


 «Je chanterai Gaïa, Mère de tous, aux solides fondements, très antique, et qui nourrit sur son sol toutes les choses qui sont. Et tout ce qui marche sur le sol divin, tout ce qui nage dans la mer, tout ce qui vole, se nourrit de tes richesses, Ô Gaïa» [2]. De nombreux auteurs de ce que j’appelle la «nouvelle vague écologiste» évoquent depuis quelque temps, avec une certaine constance, le nom et la figure de Gaïa. Une telle référence relève assurément davantage de la poésie et de la mythologie que d’une approche méthodologiquement fondée et objective de notre rapport à la Terre !

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Cependant, c’est dans un contexte rigoureusement scientifique que le chimiste britannique de l’atmosphère, James Lovelock – né en 1919, il travaillait à un projet de la Nasa portant sur la question de la vie sur Mars – a eu l’idée de donner le nom de Gaïa à une «hypothèse scientifique» portant sur le statut et le régime de l’ensemble des vivants terrestres. En collaboration avec la biologiste Lynn Margulis [3], James Lovelock affirme que Gaïa désigne «une entité complexe comprenant la biosphère terrestre, l’atmosphère, les océans et la terre» ; l’ensemble constituant selon lui «un système qui recherche un environnement physique et chimique optimal pour la vie sur cette planète» [4]. L’idée suivant laquelle la Terre cherche à produire et à préserver un environnement aussi favorable que possible pour sa propre survie est audacieuse. Elle suscita d’ailleurs de vives polémiques, car il est clair qu’elle sous-entend une analogie entre la Terre et un organisme doué de volonté. Un tel rapprochement est pour le moins problématique, car les êtres vivants, pris comme un tout, n’ont pas d’intentions et ne poursuivent pas de fins.  

L’hypothèse Gaïa

Dans la mythologie grecque, Gaïa n’est pas une divinité spécialement aimable ; elle est même une déesse cruelle (elle incite l’un de ses enfants à tuer son propre père !), rouée et irritable, qu’il vaut mieux craindre et qu’il faut en tout cas éviter de froisser. Selon d’autres légendes cependant, et conformément à une vision plus organique, Gaïa est une figure de l’harmonie, aimante et bienveillante, par référence à la mère qui nous protège, nous nourrit et dont nous dépendons tous étroitement. Ces divergences et ces controverses ont finalement conduit ceux qui se sont emparés du mythe à affiner et à compléter les postulats sur lesquels elle repose. Formulée au départ dans le champ de la science, l’hypothèse Gaïa a été mobilisée depuis le début des années 2000 par des philosophes qui en font une figure tutélaire et un point de ralliement de tous ceux qui considèrent la Terre et ses habitants comme des partenaires plutôt que comme des concurrents, voire des adversaires [5].

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Le philosophe français Bruno Latour [6], par exemple, pense que cette figure allégorique reste une référence utile pour apprécier convenablement les interconnexions de tous les êtres vivants [7]. Cette évocation, cette image, nous invitent à comprendre à quel point l’humanité est indissociable de l’ensemble des dynamiques et des boucles de rétroaction sur lesquelles elle pèse – parfois inconsidérément. Croyance salutaire en vertu de laquelle nous considérons que si «la Terre qui veille sur nous», en retour, nous lui en sommes redevables. Isabelle Stengers [8] évoque pour sa part «l’intrusion des humains» au sein de Gaïa, violence inouïe qu’elle déplore et qui appelle une réponse conséquente (un «retour sur terre», dit-elle). Sans doute ne s’agit-il plus à ses yeux de «réparer» ce qui, hélas, ne peut plus l’être, mais seulement, à tout le moins, de «résister au désastre». Ce qui signifie à ses yeux accepter de repenser radicalement les conditions de possibilité de l’’existence humaine dans un monde fini [9].  

Une connaissance et un art

Depuis l’invention du mot «écologie», les emprunts des savants («écologie dite savante») à la mythologie et les interférences entre approches scientifiques, spéculations philosophiques et activisme politique furent si constants et si nombreux que la séparation entre les différentes recherches et le cloisonnement entre les diverses disciplines seraient artificiels et plus ou moins aléatoires. Si tous s’accordent pour définir l’écologie (du grec oikos, «maison», «habitat», et logos, «discours», «savoir») comme l’étude des relations que les êtres vivants entretiennent entre eux et avec le milieu (ou «écosystème») dans lequel ils vivent, les difficultés commencent lorsqu’il s’agit de préciser le statut de cette «science» qui est telle par ses origines, mais qui se cantonne rarement dans une attitude d’observation détachée et impartiale. Pour Bruno Latour, l’écologie est le modèle d’une «science terrestre», science de la rencontre, de la connaissance sensible et des savoirs qui se cultivent. Le «sensible» ne renvoie pas ici seulement à la perception mais aussi à l’appréciation. Cela signifie que la préoccupation écologique n’est jamais seulement scientifique. En ce sens, l’écologie est autant un art qu’une science : elle est l’art du soin [10].

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Lorsqu’en 1866, le naturaliste Ernst Haeckel forge la notion d’écologie pour désigner «la science des relations de l’organisme avec l’environnement, comprenant au sens large toutes les conditions de son existence», il se réfère à Darwin, insistant tout particulièrement sur le caractère évolutif des relations entre l’homme et la nature. A cette époque, il est possible de distinguer l’écologie savante de l’«écologisme», mouvement de pensée idéologique ou politique qui s’appuie plus ou moins sur la première : tout «écologue» n’est pas nécessairement écologiste, et tout écologiste, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, n’a pas toujours les compétences requises en écologie scientifique. Toutefois, la confusion des deux attitudes, très fréquente, tient entre autres au fait que la langue anglaise ne distingue pas l’écologue de l’écologiste, utilisant le même mot : ecologist. Il est vrai que les grandes figures de l’écologie se situent en général au carrefour des deux approches – scientifique et idéologique. Parallèlement, la prise de conscience des enjeux environnementaux   à peu près au même moment aux autres coins de la planète a eu pour effet d’entrelacer les observations objectives sur les dégradations de l’environnement et les inquiétudes de plus en plus vives qu’elles ont suscitées sous un angle à la fois philosophique et politique. Aux États-Unis, l’idée qu’il fallait sans plus attendre protéger la nature sauvage (wilderness) a conduit à la création du premier parc naturel en 1872. En Allemagne, dès la première partie du  XXe siècle, une prise de conscience des ravages liés au développement industriel basé sur les énergies fossiles et le productivisme (produire le plus et le moins cher possible, sans égards pour les conséquences) a suscité également certaines réactions. La sidérurgie, les mines et la chimie se révèlent si ouvertement polluantes qu’elles conduisent les observateurs les plus sensibilisés et attentifs à imaginer des voies militantes de résistance : c’est la naissance de l’agriculture sans intrants chimiques et, à la même époque, le début de la lutte contre la surexploitation de certaines espèces vivantes (notamment les baleines).

La Terre, un être vivant dont il faut respecter l’intégrité

Ce n’est que dans la deuxième moitié du XXe siècle, avec l’apparition de nouvelles menaces pour le vivant (comme l’industrie nucléaire), que l’écologie se diffuse, entraînant un foisonnement de réflexions, de pratiques et de mouvements politiques «verts». Les écologistes – toutes spécialités confondues – sont désormais si nombreux et si prolixes qu’il est impossible de les mentionner tous, ou même de dresser une liste exhaustive de ceux dont les ouvrages ont été les plus déterminants pour l’avenir du mouvement. Le forestier et chasseur américain Aldo Leopold (1886-1948) est un cas intéressant car il incarne la synthèse de la philosophe écologique romantique (Henry Thoreau, John Muir [11]) et de la conception scientifique contemporaine de la nature. D’une façon très novatrice, il affirme qu’«une chose est juste quand elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la communauté de la communauté biotique. Elle est fausse quand elle tend dans le sens contraire» (Almanach d’un comté des sables, 1949). Les titres de ses ouvrages les plus célèbres sont à cet égard assez éloquents : Penser comme une montagne (Land Ethic et Thinking Like A Mountain) [12].

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Il est de plus en plus difficile, voire impossible, de distinguer ou d’opposer l’écologie scientifique et l’écologie morale ou encore «idéologique». De même, l’opposition classique entre écologie superficielle et écologique profonde est sujette à caution. Certains considérerons sans doute que le fait de «penser comme une montagne» est une attitude plus esthétique ou même fantasque que rigoureuse. Aujourd’hui, pourtant, cette injonction se décline dans toutes sortes de directions. Le philosophe Thomas Nagel se demandait en 1974 «ce que ça fait d’être une chauve-souris» [13]. Aujourd’hui Vinciane Despret se télétransporte dans le cerveau d’un poulpe, après avoir épousé les sensations et les pensées d’un rat, puis d’un oiseau [14]. Mais Aldo Leopold et Vinciane Despret sont-ils des écologues (des observateurs attentifs de la nature), des écologistes (des militants en faveur de la protection de l’environnement) ? Ou bien peut-être l’un et l’autre ? Et que retenir aujourd’hui de l’opposition courante entre écologie environnementale et écologie profonde (deep ecology) ?

L’écosophie

Dans un article publié en 1973, le philosophe Arne Næss (1912-2009) invente le concept d’«écologie profonde» (deep ecology), qu’il oppose à ce qu’il nomme l’écologie superficielle (shallow ecology). Celle-ci, en demeurant limitée à une vision anthropocentrique de l’écologie, ne s’attaque qu’aux effets de la civilisation industrielle, alors que l’«écologie profonde» remet en cause les valeurs et même la métaphysique dont cette civilisation dérive.  Arne Næss s’inscrit dans la lignée de la philosophie spinoziste il n’y a pas de raison de chercher d’autre fondement à la morale, écrit-il, que le droit, pour tous les vivants, de «persévérer dans leur être», non pas en égoïste, mais en communion avec toutes les autres formes de vie. Il estime qu’une personnalité s’éveille et se développe en proportion de la richesse des liens qu’elle noue avec le milieu qui l’environne : «C’est ce qui se passe lorsque l’environnement n’est pas considéré comme quelque chose d’étranger, d’hostile auquel on doit péniblement s’adapter ; mais comme une chose de grande valeur que nous sommes enclins à traiter avec joie et respect, et dont nous sommes enclins à tirer parti pour satisfaire nos besoins vitaux.» [15]. Cette éthique douce et élégiaque («Les belles actions sont naturelles») a suscité un flot de critiques exaspérées depuis le camp libéral, notamment de la part du philosophe français Luc Ferry qui présente avec obstination la «deep ecology» comme une idéologie obscurantiste morbide et dangereuse [16]. Pour lui, toute écologie fondamentaliste (qui accorde une valeur intrinsèque à la nature) conduira inéluctablement ses partisans à promouvoir une politique prétendument bienveillante, mais en dernier ressort anti-humaniste et même totalitaire. Pourtant ni Arne Næss ni ses disciples aujourd’hui ne tournent le dos à la science, bien au contraire. L’écologie utilise des méthodes scientifiques et s’appuie sans la moindre réserve sur toutes les recherches et travaux scientifiques disponibles. Il est vrai en même temps qu’elle ne s’en tient pas là. Arne Næss propose le terme d’«écosophie» pour désigner cette démarche hybride : «Par écosophie, j’entends une philosophie de l’harmonie ou de l’équilibre écologique. Une philosophie qui, en tant que Sophia-sagesse, est ouvertement normative (…). La sagesse se traduit en une politique et en des prescriptions qui s’en inspirent, et non seulement en une description scientifique et en prédictions» [17].

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Il ne faut donc pas se méprendre sur les notions de «radicalisme» et de «fondamentalisme» que leurs adversaires associent volontiers aux disciples de Arne Næss. Contrairement à la présentation caricaturale et malveillante dont elle fait si souvent l’objet, l’«écologie profonde» ne préconise pas de rejeter les bénéfices de la technoscience (comme les vaccins par exemple ou l’économie numérique) pour revenir à la traction animale, à l’écriture manuelle et à la bougie ! Aussi inquiets soient-ils, les écologistes ne sont pas fous. Aucun ne demande une renonciation volontaire de toute technologie : «Attendu que nous participons de manière inextricable à la technosphère, y renoncer est aussi irréaliste que de sauter par-dessus le bastingage d’un navire au milieu de l’Atlantique pour effectuer le reste du trajet en jouissant d’une indépendance glorieuse» [18]. En revanche, il est vrai que les partisans de l’«écologie profonde», dans la lignée de Spinoza, Rousseau et des philosophes «post-humanistes» (cités ci-dessus) ont opéré un virage radical au moins sur un point, mais il est crucial : il s’agit de notre rapport aux animaux. «Le droit pour tous de vivre et de s’épanouir est un axiome de valeur évident et intuitivement clair», écrit Arne Næss [19]. Ce principe, «l’égalitarisme biosphérique», est littéralement révolutionnaire tout en étant résolument non-violent. Contrairement aux «praxis réalistes» qui  «nécessitent dans une certaine mesure le meurtre et l’exploitation» [20], l’égalitarisme écologique postule que notre qualité de vie dépend en partie de la satisfaction et du plaisir profond que nous éprouvons à vivre en association étroite avec les autres formes de vie [21]. Lorsque l’on est écologiste, non seulement on ne verse pas le sang humain, mais on s’efforce également de ne pas infliger aux animaux des souffrances inutiles.

[1] Claude Lévi-Strauss, « Jean-Jacques Rousseau fondateur des sciences de l’homme », in Anthropologie structurale,  II,  p.54 , Ed. Plon, 1996.
[2]  Homère, Hymnes homériques, Editions A. Lemerre,1893,  pp..437-438.  
[3] (1938-2011)
[4] James Lovelock,  La Terre est un être vivant, l’hypothèse Gaïa (1979), Flammarion, 1990. 
[5] Je reviendrai dans le chapitre 6 sur une référence du même ordre, celle de la Terre-Mère, selon une mythologie venue d’Amérique latine.
[6] Bruno Latour (né en 1947) est un sociologue, anthropologue et philosophe des sciences français.Il a reçu en 2013 le prix norvégien Holberg, considéré comme le Nobel des sciences humaines.
[7] Bruno Latour,  Face à Gaya. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Éd.  La Découverte 2015.
[8] Isabelle Stengers (née en 1949) est une philosophe belge. Son premier ouvrage, La Nouvelle alliance (1979) a été co-écrit avec le prix Nobel de chimie Ilia Prigogine.
[9] Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient. La Découverte, 2008.
[10] « L’art du soin demande une culture du récit, car les récits ouvrent t’imagination (…) Ils rendent sensibles à toutes les voix discordantes qui composent une situation, ils apprennent à écouter à faire attention. » Isabelle Stengers, Résister au désastre : dialogue avec Martin Schaffner, Wildproject, 2019 , pp. 55-56.
[11] Henry David Thoreau (1817-1862), poète et philosophe, auteur notamment de Walden ou la vie dans les bois (1854) ; John Muir (1838-1914), botaniste, géologue et philosophe, pionnier de l’écologie.
[12] L’Éthique de la terre, suivi de : Penser comme une montagne, Petite Bibliothèque Payot, 2019.
[13] Quel effet cela fait-il d’être une chauve-souris(What is it like to be a bat ?) est un article du philosophe Thomas Nagel (né en 1937) paru en 1974 dans la revue américaine The Philosophical Review (no 83, 4).
[14] Vinciane Despret (née en 1959), philosophe des sciences belge, est l’auteure de Penser comme un rat, Quae, 2009 , Que diraient les animaux si… on leur posait les bonnes questions ? La Découverte, 2012, Le Chez-soi des animauxActes Sud,  2017, Habiter en oiseau, Actes Sud, 2019, Autobiographie d’un poulpe, Actes Sud, 2021.
[15] Écologie, communauté et style de vie, Ed. Dehors 2013, p.149.
[16] Dans Le nouvel ordre écologique, Grasset,1992.
[17] Arne Næss, « Le mouvement d’écologie superficiel et le mouvement d’écologie profonde de longue portée », in Les grands textes fondateurs de l’écologie, op. cit.,pp. 246-247.
[18] James Lovelock, « Vivre avec Gaïa », in Les grands textes fondateurs de l’écologie, op. cit., p. 265.
[19] Arne Naess,   in  Les grands textes fondateurs de l’écologie, op. cit. p. 238. Voir aussi : Ecologie, communauté et style  de vie, op.cit. p.266  et sq.
[20]  In Les grands textes fondateurs de l’écologie, op. cit.,p.238 . Il fait ici probablement allusion aux justifications du capitalisme, du colonialisme, du productivisme mais aussi peut-être aux nombreux argumentaires en faveur de la violence au XIXe et au XXe siècles dans le sillage du marxisme-léninisme ou bien de l’anarchisme révolutionnaire (« la fin justifie les moyens) ». Sur la relation entre écologie, socialisme et communisme, Arne Naess développe sa pensée dans Ecologie, communauté et style de vie, pp.250-252. Il affirme que les partisans de l’écologie profonde  préfèrent « se mouvoir dans la direction de l’anarchisme non-violent que dans celle du communisme » (p.250).
[21]  Arne Naess, ibid, p.239.

 

L. Hansen-Love

Professeur agrégée de philosophie, Laurence Hansen-Love a enseigné en terminale et en classes préparatoires littéraires. Aujourd'hui professeur à l'Ipesup, elle est l'auteur de plusieurs manuels de philosophie chez Hatier et Belin. Nous vous conseillons son excellent blog hansen-love.com ainsi que ses contributions au site lewebpedagogique.com. Chroniqueuse à iPhilo, elle a coordonné la réalisation de l'application iPhilo Bac, disponible sur l'Apple Store pour tous les futurs bacheliers.

 

 

Commentaires

L’écologiste authentique , me semble-t-il, est un conservateur : ces chênes magnifiques , dans le bois de Vincennes , étaient là avant sa naissance , ils y seront encore après sa mort et cela l’enchante . Et c’est d’abord parce qu’il a le sens de la continuité historique que l’écologiste de ce type se battra si des  » aménageurs  » prétendent sacrifier ces chênes à un projet irréfléchi ( l’extension d’une ligne de métro ) . Car vouloir amputer un bois qui fut réserve de chasse des rois de France dès le 12ème siècle , que la Révolution épargna et que le Second Empire aménagea, pour en faire le poumon vert des Parisiens , lui semble un contresens , inacceptable au regard de l’Histoire . L’écologiste authentique a de la mémoire .
Mais c’est aussi parce qu’il se sent simple partie d’un tout – la nature – que l’écologiste authentique s’interroge : cette nature n’aurait-elle pas une valeur intrinsèque et donc des droits ? Une rivière, une montagne , pourraient-elles être reconnues comme des  » personnes juridiques « , ayant le droit de s’épanouir , de régénérer leurs cycles vitaux et d’agir en justice ? Bref, l’heure est-elle venue de passer d’un droit anthropocentré à un droit écocentré ? Déjà et de plus en plus , les droits des animaux à ne pas souffrir des actes de l’homme sont reconnus . Mais peut-on aller plus loin , sans tomber , effectivement , dans le fondamentalisme que croit discerner Luc Ferry ? Faut-il , par exemple , reconnaître des droits aux arbres ?
C’est une vraie question et la maire de Paris se mord sans doute les doigts d’avoir voulu inconsidérément sacrifier des platanes centenaires au pied de la Tour Eiffel : la grève de la faim de Thomas Brail , le créateur du GNSA ( Groupe national de surveillance des arbres ), relayée par les associations environnementales et les chaînes d’info en continu a connu un retentissement jusqu’au delà des frontières .Lequel a amené la ville de Paris ainsi que le ministère de l’Environnement à programmer l’une et l’autre une rencontre avec  » l’homme qui sauvait les arbres  » . On ne sait pas s’ils chanteront Gaïa . Mais on espère que la classe politique fera un pas de plus dans la connaissance des problèmes de l’écologie authentique .

par Philippe Le Corroller - le 13 juin, 2022


J’ai eu connaissance dernièrement du rôle de Lovelock pour inventer l’hypothèse « Gaïa ». Je sais qu’à l’époque, le simple mot « Gaïa » a été suffisant pour le discréditer en tant que « scientifique », et le faire traiter, non pas de… « mythomane », mais… il faut reconnaître que « Gaïa », et le fait qu’il s’agisse d’une déesse de la mythologie grecque a fait hérisser les poils de tant de… bien pensants s’estimant bien au-dessus des histoires de vieilles nourrices au coin du feu…
Cette réaction n’est pas sans rappeler la réaction déjà si lointaine de Platon, et d’autres qui se pensaient bien raisonnables, et o combien loin des bonnes femmes vieilles nourrices au coin du feu dans le… gynécée. (Une pensée émue pour un de mes mentors qui spéculaient sur les conséquences de l’organisation de la petite enfance dans la Grèce lointaine, en faisant remarquer que les garçons étaient brutalement arrachés au gynécée autour de 7 ans, et passaient le restant de leurs jours à… garder la distance avec ce lieu où ils avaient passé tant de temps, toujours entourés de bonnes femmes.)
Je sais aussi que le mot « écologie » date simplement du 19ème siècle. Ce n’est pas un mot qui sort des écrits de Platon et compagnie. C’est un mot qu’un SAVANT (scientifique ?…) zoologiste/biologiste allemand a forgé pour les besoins de sa… cause, on dira. (C’est intéressant de noter que la langue « scientifique » et « savante » de la botanique est prioritairement le latin ou… A ETE…) Ce qui me semble fondamental dans cette affaire, c’est que cette langue que nous continuons à estimer morte a donné naissance (comme Zeus ailleurs ?) à un mot au 19ème siècle, et très loin de la Grèce antique. Le mot… « technocrate » est encore plus récent, et provient de cette langue morte…
Pour le « oikos » grec, je pense qu’il serait judicieux d’ajouter un sens qui n’apparaît pas au-dessus, pour la simple raison que quand nous entendons « maison », c’est assez réducteur par rapport à l’origine. « Oikos » se réfère bien plus à l’idée de « domaine » (mot latin), qui était un lieu qui rassemblait un certain nombre de personnes dans la famille immédiate, mais aussi des esclaves, peut-être des clients aussi (après, à Rome). Il ne s’agit pas de ma petite maison dans une banlieue autour d’une grande ville ; il s’agit du domaine d’un… citoyen ? un seigneur ? en tout cas, quelqu’un avec de la propriété, du bien, et le statut social qui va avec (toujours, d’ailleurs). Il s’agit d’une structure sociale assez étendue à GERER. C’est important.
A l’heure qu’il est, je continue à spéculer sur les conséquences de notre très grand engouement pour la chose grecque, depuis un certain temps (la redécouverte d’Aristote ?). Chez nos élites (hellénistes), la chose grecque est considérée comme infiniment supérieure à la chose romaine, ce qui est piquant quand on sait à quel point les élites romaines eux-mêmes tenaient la chose grecque (et la langue, évidemment) en très haute estime.
Se pourrait-il que notre… engouement inconsidéré (d’après moi) ait pour conséquences de raviver les mêmes tensions, les mêmes impasses qu’ont connu nos ancêtres au sein de leur société, et bien entendu, à notre insu ?
Se pourrait-il que même ces mots que NOUS CONTINUONS A FABRIQUER depuis la chose grecque transmettent l’organisation du monde grecque, alors que nous croyons de manière si fatueuse que nous.. maîtrisons nos mots comme de simples outils ?
Je crains que oui.

Je me suis promise de replonger dans « Catégories de langue, catégorie de la pensée » de Beneveniste un de ces jours. Oui, cela est urgent…
Pour le totalitarisme, je me suis déjà amplement exprimée sur ce site. La racine du totalitarisme puise dans le mot « tout » lui-même et son emploi… abusif ? à toutes les sauces (lol). Il y a des subtilités trop subtiles pour moi dans la manière d’envisager le va et vient entre une totalité et ses parties, par exemple. Il s’agit d’un va et vient, avec des tensions qui ne peuvent pas être résolues, fut-ce dans une quelconque… synthèse, et c’est important.

Et enfin, je crois que l’espèce humaine pour penser a besoin de pouvoir localiser un dehors, un extérieur. Probablement pas que l’espèce humaine, d’ailleurs. Il me semble que cela fait partie des enjeux existentiels ? du vivant de pouvoir délimiter un dedans et un dehors, en sachant que ce travail est continu, jamais fini, et concerne plusieurs frontières. Quand on n’arrive plus à délimiter dedans/dehors, il y a péril en la demeure.
On peut dire que ce travail est nécessairement fait par exclusion, et que c’est incontournable. Logiquement… si on tend à effacer ou détruire une frontière dans un endroit, on ouvre la nécessité de la constituer… ailleurs.

par Debra - le 15 juin, 2022



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