Alexis Feertchak
Journaliste, Alexis Feertchak est chef de service au Figaro, chroniqueur pour le magazine Conflits et rédacteur en chef du journal iPhilo, qu'il a fondé en 2012. Diplômé de Sciences Po Paris et licencié en philosophie de l'Université Paris-Sorbonne après un double cursus, il a été pigiste pour Philosophie Magazine et a collaboré pour l'Institut Diderot, think tank de prospective. Suivre sur Twitter : @Feertchak
Les conséquences de cette découverte sont bouleversantes : la maïeutique est une fiction théâtrale de l’œuvre de Platon. La vérité n’accouche pas du dialogue, ce qui donne un grand coup de pied à la tradition dialectique. La Commission européenne va mettre sous surveillance l’enseignement de la philosophie en France.
A la recherche d’un nouvel Abbé Sieyès
La bonne nouvelle, c’est que la crise de la représentation politique est due à un regain de démocratie, ce qui est une cause plaisante. Mais cette démocratie directe qui ébranle le politique est fondamentalement courtermiste.
Dieudonné n’aura donc pas commis ce pour quoi on l’a condamné
Le Conseil d’Etat a validé le principe selon lequel quelqu’un pourrait être condamné pour un crime qu’il commettrait dans l’avenir et qu’il ne commettra pas dans la mesure où il aura été préventivement condamné. Le raisonnement juridique ne tient que dans la mesure où le contrefactuel « S’il n’avait pas été condamné, il aurait commis ce crime » est strictement valide.
Dekhar(tes) ou la nécessité d’un doute radical médiatique
Nous assistons non plus au travail des Médias, mais à celui des Immédias. La médiation entre l’actualité et ceux qui la présentent se réduit à petit feu. Réintroduisons la pratique du doute méthodique, car le doute vanté par Descartes n’est pas la marque d’un échec, il est une méthode lucide pour déjouer les tours du réel et de ses illusions.
A propos du Hollandisme : notre monde change-t-il ?
Le grand Karl disait à propos du 18 Brumaire de Napoléon III que « les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de plein gré, dans des circonstances librement choisies ; celles-ci, ils les trouvent au contraire toutes faites, données, héritage du passé ». La leçon marxienne a été bien comprise par nos contemporains, bien qu’on en oublie souvent la paternité, et la dépolitisation de nos sociétés en est ainsi la marque profonde.
Décès de Françoise Seligmann, figure de l’indignation et de la résistance
Françoise Seligmann était l’exemple remarquable du prolongement nécessaire de l’indignation : l’indignation, pour ne point devenir un ressentiment piteux ou haineux, doit être constamment dépassée dans l’action. Et l’action demande de croire à ses idées.
Qui sont nos ennemis au Mali ?
Si les Français dans leur grande majorité font front pour soutenir nos soldats, gauche et droite confondues, nous avons bien du mal à imaginer la tête que peuvent avoir nos ennemis. Suivant les termes employés par la presse, notre imaginaire fait varier leur figure. Le touareg nous paraît enraciné dans la terre malienne, drapé dans un foulard. Le terroriste nous paraît bien plus dangereux. Nous l’imaginons aussi bien caché à Tombouctou que retranché dans un complexe gazier d’Algérie. Le rebelle fait lui penser aux mercenaires armés de kalachnikov, aux diamants et à la coke mélangée à de la poudre de balle. In fine, nous sommes un peu perdus pour donner un portrait-robot de notre ennemi.
Chaque année, un Français jette en moyenne 20 à 30 kilogrammes de nourriture. S’il fallait que chaque humain en fasse autant, presque 200 millions de tonnes de nourriture seraient jetées chaque année dans le monde. A titre de comparaison, la production européenne de blé est de 125 millions de tonnes. Y a-t-il eu seulement une société avant la nôtre qui fit un pareil sacrifice de viande, de fruits et de légumes à une quelconque divinité ? La réponse est dans l’énormité des chiffres. Si nous savions de quelle divinité il s’agissait, nous serions bien les plus religieux de tous les hommes.
Croire à la fin du monde, c’est ne plus y croire
Croire aujourd’hui à sa fin en ce 21 décembre, c’est repousser la réalité d’une menace qui est fort nouvelle pour nos civilisations : par son développement exponentiel, l’humanité se met en péril. Et c’est justement parce que nous ne savons pas quand viendra le danger que le péril est aujourd’hui très grand. Jorge Luis Borges, le grand poète métaphysicien annonçait déjà : « L'avenir est inéluctable, mais il peut ne pas avoir lieu, Dieu veille aux intervalles ».
Les Jeunes et Twitter : la surcommunication, relecture d’Ivan Illich (la suite)
D’où vient cet « inespoir » – si le barbarisme est admissible – et non ce désespoir de la jeunesse ? Pourquoi l’attente en un avenir meilleur est-elle ainsi remisée au placard au profit d’instants consécutifs qui apportent des plaisirs simples, immédiats et routiniers ?
Les Jeunes et Twitter : une certaine vision de l’avenir (à suivre)
Ce marché aux oiseaux dont les processus de spéculation n’ont rien à envier à la finance à haute fréquence s’effondre dans le piège de la courte vue. A nouveau, no future, pas d’avenir : l’instant seul compte et il est reconduit comme si chacun d’eux était unique. Aucun sens de l’histoire ne se dessine dans les millions de tweets écrits chaque jour. Aucune main invisible ou ruse de la raison n’est présente dans ce monde concurrentiel pour autoréguler un contenu autant cacophonique que fascinant.
Enfants et pères de Fukushima, retour sur des paradoxes de la perception
« L'accident nucléaire de la centrale de Fukushima Daichii ne peut pas être considéré comme une catastrophe naturelle. Il s'agit d'un désastre dont l'origine humaine est profonde et qui aurait pu et dû être prévu et anticipé ». C’est ainsi que la Commission d’enquête indépendante sur l’accident nucléaire de Fukushima sanctionne l’Etat japonais et la société Tepco, dans son rapport remis jeudi 5 juillet au Premier Ministre. Cette sentence nous frappe pour deux raisons bien différentes : primo parce que ce jugement apparaît comme une évidence de Monsieur de Lapalisse et secondo parce que dans le même temps cette évidence martelée ne nous paraît pourtant pas crédible.
L’équipe de France et la fortune (morale)
Les Français sont à peu près aussi désabusés de l’équipe de France de football que cette dernière l’est lorsqu’elle joue au ballon. Il y a une réciprocité qui laisse peu d’avenir au football français dans l’immédiat tant les deux parties semblent s’éloigner l’une de l’autre. Les critiques ne cessent de fuser de toutes parts (...) Mais une chose marque particulièrement (à défaut des joueurs) : leur conduite de balle semble bien moins gêner que leur conduite morale.
Quand la notion de culpabilité se perd
Dans l’éditorial « L’imitation matinale », l’espace médiatique a pris une forme particulière : il n’est plus simplement un vecteur d’information pour des individus particuliers, il est aussi un espace sacré où ces mêmes individus forment à eux tous une foule.
Ce sont probablement des millions de Français qui chaque matin en allant à leur travail ou en prenant leur petit déjeuner écoutent religieusement une actualité d’un genre un peu particulier, celle que retransmettent les imitateurs.
Œdipe et l’Euro
Les photos d'Athènes où des bâtiments en flamme brûlent dans la nuit réveillent pour les peuples européens la peur très ancienne de la dislocation de l'ordre politique. Au-delà de la crise économique et financière qui touche la Grèce, c'est bien ce chaos politique qui est à la fois le phénomène le plus inquiétant et le défi le plus important à relever. On ne peut manquer d'observer dans ces péripéties du peuple grec la forme presque pure de ce qu'il a lui-même inventé, la tragédie.
La philosophie, un média antique et contemporain
Un philosophe allemand qui gagnerait à être connu, Günther Anders, a critiqué une tendance de la philosophie à ne parler qu'aux philosophes : c'est aussi absurde assurait-il qu'un boulanger qui ne vendrait du pain qu'à ses disciples boulangers. Le parallèle a le mérite de souligner une tendance assez triste de la philosophie, son introspection.