Médecin, juriste et philosophe, Bernard-Marie Dupont s'interroge sur la légalisation de l'euthanasie et la question de la libre disposition de soi. Jusqu'où celle-ci peut-elle aller ?
Les aveugles et la création
Créer, c’est deviner que l’œil peut être « un organe sur lequel l’air fait l’effet de mon bâton sur ma main ». Mais, ainsi que le remarque Diderot, ce genre de définition fera toujours « tomber des nues » tant il en existe de variantes. On peut voir avec des yeux, avec des bâtons, etc. Dans tous les cas, la création reste cet étrange cinéma où le spectateur s’étonne d’un film qu’il a lui-même produit. Le cinéma de la vie pimenté par l’étonnement.
Pour Darwin et au-delà
L’évolutionnisme a conquis la pensée philosophique. Sauf quelques obscurantistes religieux, plus aucun penseur sérieux ne met aujourd’hui en cause le fait de l’évolution biologique, à savoir que les espèces vivantes se transforment, sur de longues périodes de temps, et donnent naissance à des espèces nouvelles.
L’histoire du vide est-elle vide ?
Il ne reste du vide qu’une belle histoire incluse dans ce plein vide ou ce vide plein qu’est l’Univers. Comme quoi, l’histoire du vide n’est pas le vide de l’histoire. L’historien, lui, a horreur du vide.
D’où la bioéthique pense-t-elle ?
Les interrogations existentielles ou philosophiques et les problèmes concrets soulevés par les pratiques biomédicales sont soumis à la bioéthique : à elle d’éclairer l’individu et la société sur les implications probables, possibles ou potentielles des choix opérés – des actes posés.
Les champs de l’aporie en bioéthique
Extérioriser, et modeler les différents substrats en refusant toute limite, tel serait le propre de l’homme.
L’aporie soumise à la bioéthique
Abandonné au pouvoir de sa seule volonté, le sujet se retrouve sans densité. Prêt donc à toutes les transfigurations : à se perdre dans la technique et le virtuel, ou à se démettre entre les mains d’un gourou prometteur de mondes meilleurs.
Bien au-delà de l'anti-évolutionnisme qui campe sur le récit de la création tel qu'il apparaît dans la Genèse, le créationnisme est polymorphe et ne prend pas si simplement, comme on le croit trop souvent, la science directement pour cible.
La bioéthique, pour quoi faire ?
La puissance opératoire inquiète car elle peut détruire autant que construire ; tuer autant que sauver ; asservir autant que libérer ; métamorphoser autant que soigner ; déshumaniser autant que rendre l'individu aux possibles de l'espèce humaine.
Science et imaginaire
Tout processus d’invention s’appuie sur des métaphores ou des analogies qui constituent, en parallèle des concepts et des énoncés, comme une « poétique » de la science en train de se faire.
Matin d’hiver. Réflexion sur le temps
Un matin d’hiver de l’année 2006, à 7 h 45, j’entre dans la chambre de mon plus jeune fils. Noé a cinq ans. Je m’apprête à vivre un des moments les plus heureux dont le présent fait présent : le regarder un peu dormir, le réveiller en douceur. « Noé, Noé, réveille-toi, c’est l’heure de se lever. » Le voir vaguement ouvrir des yeux vagues. Enfin pas tous à la fois. Le déposer devant son petit-déjeuner dans la cuisine. Jusque-là, du bonheur compact.
Sites de rencontres et virtualité
La virtualité tend à l'omniprésence dans la culture contemporaine. Au moment même où les philosophes modernes repoussent les vieux concepts scolastiques auxquels elles appartenait, le mécanisme et le dualisme de l'âme et du corps la réinventent et l'instillent dans une nouvelle philosophie de la perception.
Cent milliards
Il arrivera un jour, bientôt, où le nombre de relations entre les êtres vivant au même moment sur la Terre sera supérieur au nombre de relations totales qu’auront eu entre eux tous les êtres humains de toutes les générations précédentes.
Petite mathématique des individus
Cette fille que je connaissais était un 0. Elle pouvait absorber n'importe quelle influence, se mesurer contre un 2, un 3, un 5, elle restait toujours elle-même, un 0. Elle était le vrai individu, non pas celui qui est indivisible comme son étymologie le voudrait, mais celui qui malgré ses divisions ne change pas, reste lui-même : un zéro. Le vrai individu est un zéro, immesurable, au confluent de tous les autres nombres et pourtant aucun de ces nombres. Une véritable singularité.
D’où vient cet « inespoir » – si le barbarisme est admissible – et non ce désespoir de la jeunesse ? Pourquoi l’attente en un avenir meilleur est-elle ainsi remisée au placard au profit d’instants consécutifs qui apportent des plaisirs simples, immédiats et routiniers ?
Les Jeunes et Twitter : une certaine vision de l’avenir (à suivre)
Ce marché aux oiseaux dont les processus de spéculation n’ont rien à envier à la finance à haute fréquence s’effondre dans le piège de la courte vue. A nouveau, no future, pas d’avenir : l’instant seul compte et il est reconduit comme si chacun d’eux était unique. Aucun sens de l’histoire ne se dessine dans les millions de tweets écrits chaque jour. Aucune main invisible ou ruse de la raison n’est présente dans ce monde concurrentiel pour autoréguler un contenu autant cacophonique que fascinant.
Métaphysique quantique
Le physicien français Serge Haroche et son collègue américain David Wineland viennent de recevoir le prix Nobel de Physique pour leurs travaux en physique quantique. La physique quantique est un monde qui nous paraît étranger, un monde où un chat peut être mort et vivant, où un poisson peut se trouver simultanément à deux endroits à la fois. Pourtant, la physique quantique marque de son empreinte le monde réel, en informatique notamment. Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, auteurs du Cantique des Quantiques (1984) et de Métaphysique quantique (2012), reviennent sur ce paradoxe : notre monde est bien quantique, mais il nous est difficile de nous le représenter comme tel.
La haine de la nature : un affect enfoui et dénié
Depuis 1972, date du premier Sommet de la Terre, la « protection » de l'environnement s'est manifestée par une prolifération de discours (sommets, conférences, accords, traités...), d'institutions (la plupart des quelques 200 États du monde disposent désormais d'un ministère de l'environnement), et de concepts nouveaux (développement durable, énergies renouvelables, empreinte écologique etc.). Cette idéologie et cette politique reposent sur le postulat que l'homme a pris conscience de la possibilité d'une nouvelle catastrophe et qu'il a le souci de préserver une nature de plus en plus menacée. En réalité, toute cette débauche de signes cache une hostilité profonde, aux origines anciennes, mais qui s'est enfin librement déployée à partir du XXe siècle par le moyen de la puissance démultipliée des technosciences.
Des souris et des hommes ou la révolution numérique
La révolution numérique est en marche. Le savoir, les récits, la pensée ont quitté il y a bien longtemps maintenant le monde de l’oral pour gagner la culture de l’écrit, majoritairement papier. Et aujourd’hui, ils semblent inéluctablement appeler à se dématérialiser. Revues en ligne, applications, archives, numérisation des ouvrages existants – nous observons une phase intense de mutation. Une époque transitoire où le numérique n’est pas encore tout-puissant, où le livre n’est que partiellement chancelant et avili, pour paraphraser Baudelaire.
De la philosophie du Boson de Higgs
Au nom même des exigences de « l’Intellect », il faut régulièrement mettre en contact la physique - et ce qu’elle découvre - avec la philosophie, afin de faire émerger de nouvelles questions, ou de nouvelles façons de poser d’anciennes questions, voire de bousculer des métaphysiques trop datées.
Enfants et pères de Fukushima, retour sur des paradoxes de la perception
« L'accident nucléaire de la centrale de Fukushima Daichii ne peut pas être considéré comme une catastrophe naturelle. Il s'agit d'un désastre dont l'origine humaine est profonde et qui aurait pu et dû être prévu et anticipé ». C’est ainsi que la Commission d’enquête indépendante sur l’accident nucléaire de Fukushima sanctionne l’Etat japonais et la société Tepco, dans son rapport remis jeudi 5 juillet au Premier Ministre. Cette sentence nous frappe pour deux raisons bien différentes : primo parce que ce jugement apparaît comme une évidence de Monsieur de Lapalisse et secondo parce que dans le même temps cette évidence martelée ne nous paraît pourtant pas crédible.
Les dieux sont dans le smartphone
La scène se passe il y a longtemps, dans une contrée reculée. Et il pleuvait. Des étrangers avaient fait une longue route pour rencontrer enfin le philosophe. Ils espéraient une rencontre grandiose, intimidante, à l’image de la réputation de sagesse qu’Héraclite possédait dans tout le monde grec. Quelle ne fut pas leur déception de voir le philosophe retranché dans sa cuisine, blotti au coin du feu, tel un Descartes dans son poêle afin, selon Aristote, de se réchauffer. C’est évidemment un lieu de réception fort modeste qui contraste avec l’image de la philosophie comme pratique noble de l’esprit.
L’épistémologie au procès
Les sciences et leurs applications sont naturellement au coeur des choix démocratiques, qu'il s'agisse d'énergie, d'agroalimentaire, de décisions stratégiques en matière de recherche et d'innovation. On discute les sciences, on en dispute aussi. Pour autant, tout débat autour des sciences est-il un débat sur la science et au profit de la science ? Loin s’en faut.
L’humain avec ou sans limites
Dire adieu aux inconvénients de nos organes ? En finir avec les emballements déplacés de notre système digestif, les battements intempestifs de notre cœur ? Mais oui, c'est annoncé, et ce serait dès 2030 (!). Nous est d'ailleurs promis, dans la foulée, le largage définitif de ces derniers accessoires – obsolètes, encombrants et fragiles – que sont poumons, artères et système nerveux.