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Terrorisme : réponse à l’art d’anéantir toute humanité

4/12/2015 | par Alexandre Panetto | dans Politique | 5 commentaires

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Il est difficile de mettre des mots sur de telles horreurs que sont le massacre d’êtres humains sans défense. Les attentats français sont les sombres échos d’autres tragédies récentes au Maghreb, en Égypte, au Liban, au Moyen-Orient ou plus anciennes comme aux États-Unis, en Inde et sans doute ailleurs encore, j’en oublie. Chacun peut le savoir. Et les plus vieux d’entre nous peuvent en être hantés. Il n’y a pas de fin à la violence en ce monde, malgré les paix relatives de-ci de-là en Europe ou ailleurs, jusque récemment. La « guerre » n’est plus un concept adéquat pour désigner les attaques terroristes menées par des individus que je ne nommerai même pas « soldats ». Car, la guerre désigne un conflit armé entre États, dont les armées s’affrontent sur un terrain plus ou moins choisi ; et les soldats sont les mains armées de ces États dont les intérêts sont clairs, parfois justes. Toute guerre connaît ses règles ; tout soldat se bat dignement. Le vaincu peut parfois encore négocier sa reddition ; le vainqueur doit savoir humilier sans annihiler l’humanité de son ennemi, qu’il estime un tant soit peu. Or le terrorisme n’est pas cette violence réglementée, c’est-à-dire limitée, malgré les excès possibles mais marginaux.

Non, le terrorisme est une violence déréglée, potentiellement illimitée, toujours excessive ; la violence devenue folie. Les terroristes ne connaissent pas l’estime de leurs « ennemis » ni le sens de la négociation, du compromis. Ils sont absolument violents en ce que leur condition d’existence est d’être pour et par la violence : leur expression de soi est violence ; ils se croient fait pour mourir ;  exit l’estime de soi, le respect de soi, le sens de sa dignité, l’amour de soi ; leur identité est si ce n’est confondue avec la violence, du moins anéantie par l’abjection et la haine de l’homme, incarnées par autrui. Car ils ne ressentent plus le moindre sentiment de pitié et de bienveillance ; l’amour les a quittés ; leur cœur est mort. Et ce, avant même de leur prêter l’esprit, plus ou moins rationnel, de leurs convictions justifiant leurs actes. Ils ne sont plus que des machines-à-tuer, à détruire, à annihiler-toute-humanité.

Nous connaissions les nazis et la banalité sombre de leur esprit dénué de cœur ; encore était-il d’abord raciste peut-être. Les terroristes sont au-delà. Ils ne retirent rien pour l’avenir concret de leur groupe ; ils espèrent une gloire post-mortem dont le principe est la vanité illusoire. Parce que le seul plaisir qui se lit sur leur visage est cet orgueil de la mort, comme si elle était vaincue alors qu’ils en sont la fausse incarnation. La mort est bien plus digne qu’eux, même représentée selon un athéisme matérialiste. Les terroristes tuent majoritairement des personnes désarmées, souvent jeunes, musulmanes ; et plus largement, de diverses confessions, de tout âge et de statut variable. Leurs victimes sont plus libres et plus spirituelles qu’eux ; plus sensibles ; simplement humaines. Désigner ces terroristes de « barbares » n’est pas plus approprié. Le barbare est d’abord l’étranger et ensuite, parfois, l’inférieur dont la civilisation n’est pas à la hauteur. Or les terroristes n’ont pas de civilisation dès lors qu’elle s’instaurerait par la peur insupportable, la haine et la violence destructrice pour instituer une forme d’organisation sociale totalitaire, dans laquelle la personne humaine est un simple objet à soumettre ou à massacrer. Voyez ce qu’ils font des femmes : des objets sexuels et des instruments à des fins perfides. Voyez ce qu’ils font des hommes insoumis : des cadavres ; les autres étant embrigadés, endoctrinés, instrumentalisés pour violer, tuer, massacrer. Voyez leur manière de supprimer les insoumis et les « infidèles » : torturer pour mieux tuer ; infliger la souffrance extrême est un de leur seul plaisir, pervers évidemment. Certains consentiront à leur prêter de l’intelligence. Mais qu’est-ce qu’une intelligence de l’horreur, si ce n’est une inhumanité, au moins une déshumanisation ? Qu’il est difficile de nommer leurs crimes, leurs vices, leurs êtres propres qui explosent nos catégories conceptuelles et nos affects tant ils nous aliènent et nous déchirent. Ils sont ainsi : pure explosion, au propre comme au figuré, sans vouloir faire de l’humour.

L’innocence des victimes ne fait finalement aucun doute ; même si, par exemple, il s’agit de combattants syriens ou irakiens d’États en perdition. Car l’absolue horreur est le credo des terroristes ; les Syriens, Irakiens, ou autres, restent des soldats défendant une (partie de la) population. Ne l’oublions pas. Nous sommes tous des victimes dans la mesure où ils nous effraient, nous terrorisent jusqu’à nous déshumaniser ou nous massacrer. S’ils ne sont le mal absolu, ils en sont l’incarnation troublante, fantomatique. Et il nous appartient de protéger la vie sacrée en chacun, de l’épanouir afin d’échapper à leur poison et de vaincre leur haine.

Alors vivons avec ivresse. Que la vie déborde de nos cœurs et de nos esprits ! S’il y a une culture humaniste en chacun, c’est par la vie manifestée dans la singularité d’aimer. Fuyons la morosité. Fêtons la joie de vivre, l’amour, l’amitié, la fraternité. Soyons poètes avant d’être philosophes. Il n’y a rien de plus universellement humain. Et c’est par là que chacun prévient le terrorisme. Car notre cœur sait préserver sa vitalité, son rythme de joie, son amour d’être ensemble, sa beauté d’être frère-humain. Partageons nos cœurs : ayons en partage le vivre-ensemble dans l’amour de l’autre, avant de le juger et d’être en désaccord avec lui ; sinon, aimons le détromper et l’enseigner. Si la vie rayonne et se partage, c’est assurément par le cœur ; la raison en est parfois dénuée. Et s’il nous faut de la vie, le cœur sait comment l’animer. La raison vient ensuite ; elle s’accorde à l’intention du cœur et déploie son sens pour honorer la lucidité. Aussi chacun s’éprouve-t-il dans l’expression de soi comme dans l’écoute de l’autre ; et la fraternité naît dans nos cœurs, sa valeur s’énonce par nos raisons, afin que l’équilibre des facultés s’opère dans l’intuition universelle d’être un homme au sein de l’humanité. Le reste n’est que modalité d’organisation du vivre ensemble. Ainsi l’essentiel est-il d’insuffler l’aimer avant de dialoguer avec quiconque ; le dialogue n’en sera que plus divinement inspiré.

Comprenons-nous. Nos différends n’existent d’abord que par l’effort de surdité de la souffrance d’autrui puis par le désir de domination. Nous sommes sourds par protection, dominants par peur de (nous) perdre. Alors la parole se fait arme au lieu d’être musique et chacun s’enferme dans le but de se sauver au détriment d’autrui. Si nous laissions la peur d’être rejeté et non reconnu, nous serions confiants voire enthousiastes de rencontrer autrui. Nous saurions l’entendre dans sa différence, sa singularité serait amie. La violence serait absente parce que l’harmonie opérerait d’elle-même. Il suffit d’essayer patiemment pour s’en convaincre : l’acuité des relations vient avec l’expérience de la diversité des hommes. Cela suppose toutefois d’être exemplaire et authentique, du moins d’essayer. La bonne volonté est une condition de possibilité, non une garantie de réussite. Mais la volonté, nourrie par l’amour bienveillant, l’amitié ou la fraternité, pacifie l’amertume et la rancœur. Personne n’est surhumain mais chacun peut être vrai. De sorte qu’il suffit d’abandonner les masques, de retrouver sa simplicité, sa vérité d’existence et d’ouvrir ses bras pour changer le monde.

Les spiritualités ou les sagesses ne sont-elles pas unanimes en disant que ce qui vous indigne en l’autre n’est que le reflet de votre propre méconnaissance de vous-même. Aussi me diriez-vous : les terroristes ne sont donc que les ombres ou les fantômes de nos ignorances. Vous auriez raison. Mais ils sont surtout la possibilité de nous retrouver humblement et glorieusement dans ce qui nous fait homme. Si nous sommes prêts à cesser de nous aliéner à l’égoïsme, à l’ambition personnelle et à la propriété futile ou illégitime alors nous libérerons nos cœurs dans la profondeur des relations humaines au sein d’une nature respectée à nouveau. Nous le savons. Nous faisons semblant de croire que ce chemin est dépassé voire rétrograde. Or nous savons quelle beauté nous foudroie et nous fait pleurer : la nature et l’amour. La poésie n’a pas d’autre source. Le divin n’a pas d’autre voix/e. La gloire n’a pas d’autre chemin. Que nous chantions en chœur, que nous dansions en rythme, que nous peignons en couleur ou que nous jouions en scène par amour de la vie, l’art nous délivre de nos poisons comme il nous élève à nos charmes. Et que la grâce s’en mêle, nous révèle, afin que la vie ne reste pas embourbée dans la souffrance, puisqu’elle est joie. Bref, chantons la vie ! Dansons la vie ! Peignons la vie ! Jouons la vie !

Si nous parvenons à manifester la beauté de la vie dans sa diversité selon les arts et les relations humaines, nous vaincrons assurément. Célébrons ainsi notre droit de vivre et d’exister en partage, sans nous dresser les uns contre les autres mais en nous prenant la main, en nous aidant, en nous comprenant et en nous aimant. Abandonnons nos idées reçues et nos blessures. Aimons à en perdre la raison pour mieux la sublimer. Un sourire authentique est un appel à la convivialité comme un dialogue authentique est un appel à la vérité : chacun peut avoir sa place en ce monde dans la mesure de la responsabilité qu’il a pour autrui, dans le respect de sa propre humanité, dans l’alchimie sacrée des êtres dignes d’aimer. Il est possible d’être dignement humain dès lors que cessent la revanche et la vengeance en chacun de nous. Chérissons nos vies pour chérir les générations à venir. Orientons nos esprits selon des idéaux humanistes ;  enfin, incarnons-les.

Et remercions la poésie de Brel d’embellir, de faire ressentir et de déciller nos yeux sur la vérité simple de l’homme :

 

Quand on n’a que l’amour
À s’offrir en partage
Au jour du grand voyage
Qu’est notre grand amour

 Quand on n’a que l’amour
Mon amour toi et moi
Pour qu’éclatent de joie
Chaque heure et chaque jour 

Quand on n’a que l’amour
Pour vivre nos promesses
Sans nulle autre richesse
Que d’y croire toujours 

Quand on n’a que l’amour
Pour meubler de merveilles
Et couvrir de soleil
La laideur des faubourgs 

Quand on n’a que l’amour
Pour unique raison
Pour unique chanson
Et unique secours 

Quand on n’a que l’amour
Pour habiller le matin
Pauvres et malandrins
De manteaux de velours 

Quand on n’a que l’amour
À offrir en prière
Pour les maux de la terre
En simple troubadour

Quand on n’a que l’amour
À offrir à ceux-là
Dont l’unique combat
Est de chercher le jour 

Quand on n’a que l’amour
Pour tracer un chemin
Et forcer le destin
À chaque carrefour 

Quand on n’a que l’amour
Pour parler aux canons
Et rien qu’une chanson
Pour convaincre un tambour 

Alors sans avoir rien
Que la force d’aimer
Nous aurons dans nos mains,
Amis, le monde entier

 

Alexandre Panetto

Diplômé de l'Université Lyon-III, professeur certifié de philosophie, Alexandre Panetto enseigne en classes de lycée.

 

 

Commentaires

En essayant… aussi humblement que possible de penser en plein milieu du banc de poissons que « nous » sommes devenus dans cette civilisation, et au delà, sur cette planète, puisque « nous » avons réussi à évangéliser les élites (lettrés, riches, au pouvoir) de quasiment tous les pays du monde, je finis par croire que l’Eglise Catholique Romaine, comme institution, avait réussi la quadrature du cercle en se fondant sur ces évangiles qui prônent le message que je viens de lire, tout en LE SOUSTRAYANT AU PLUS GRAND NOMBRE, de manière à ce que les uns et les autres réussissent à vivre sans subir la pression totalitaire de tant d’injonctions à être… « amour », comme si… l’amour était un souverain bien…(et la violence et la souffrance… de souverains maux…), et comme si… avec encore un tout petit peu de bonne volonté on allait y arriver, à ce.. « paradis sur terre ».
C’est drôle, mais je me souviens de mon monde dans les années ’70, et c’était un monde où il.. « nous » était plus possible de reconnaître que l’Homme, chaque homme (et femme, évidemment) était fait de bon et de mauvais inséparables. C’était un monde bien plus tolérant que celui d’aujourd’hui, d’une certaine façon, un monde où le pardon était pensable. Un monde où nous pouvions nous souvenir de (l’hypothétique) poutre dans notre oeil en pointant le doigt sur l’écharde dans l’oeil de notre.. frère.
Si… nous ne nous étions endurcis dans notre folle prétention à fermer le Ciel, non seulement pour nous-mêmes, mais pour ceux que nous évangélisons, peut-être n’aurions-nous pas autant aggravé les terribles clivages qui nous séparent… de l’Autre (de nous-même, forcément…) ?
Ce qui a la prétention d’être universel… MEME L’AMOUR, en étant totalisant, est totalitaire, et provoque les secousses les plus violentes (et aveugles ?) en réaction.

Pour le coeur… il y a eu un moment très important dans la politique américaine (les années ’80 ? ’90 ? mea culpa, je ne me souviens plus, mais c’était déjà au siècle, et au millénaire derniers) où la presse, lors d’un interview électoral, a interrogé Michael Dukakis, candidat présidentiel démocrate sur ses… réactions ? si un membre de sa famille avait été violée par un récidiviste sorti de prison.
M Dukakis a répondu qu’il s’en remettrait à la justice pour faire son travail.

Il est hautement ironique que cette réponse pleinement.. REFLECHIE, qui montre simultanément combien M Dukakis prenait… à coeur la distinction entre sa fonction de représentation publique, et ses émotions de père/mari sujet singulier privé, ainsi que sa… SOUMISSION DE SUJET SINGULIER en déléguant son.. « droit » (privé) de se venger à l’institution de l’Etat, lui ait couté l’élection américaine selon les publicitaires/gestionnaires de campagne. Il a été perçu comme… un homme sans coeur…
Faut-il s’étonner à l’heure actuelle de constater les défaillances de la république américaine que nous constatons, défaillances qui se manifestent dans les comportements… irréfléchis ? de ses citoyens ? Je crois que non.
Séparer en opposant raison et coeur est une catastrophe pour nous tous…Ils marchent main dans la main…

par Debra - le 4 décembre, 2015


comment peut-on disserter sur les récents événements sans à aucun moment au moins nommer la réalité des dégâts causés par l’impérialisme français au cours des siècles ?

par le quéré - le 5 décembre, 2015


Monsieur Panetto,

Tout d’abord merci de partager votre réflexion et de tenter d’insuffler un peu de vie et d’espoir à travers vos mots.
Je dois avouer toutefois avoir ressenti un certain malaise à la lecture de votre article, à celle notamment des premiers paragraphes qui établissent des raccourcis dangereux et auxquels il semble fondamental d’apporter quelques nuances, afin de ne pas sombrer à nouveau dans certains schèmes mentaux qui ont pu rendre légitimes les pires barbaries du passé.

Vous écrivez très justement: « Nos différends n’existent d’abord que par l’effort de surdité de la souffrance d’autrui puis par le désir de domination. Nous sommes sourds par protection, dominants par peur de (nous) perdre. »
Mais il me semble que vous vous inscrivez dans un discours, justement, de surdité à l’égard de ces individus, et dans un schéma dangereusement manichéen du « eux » et du « nous ».
Ces individus sont des êtres humains, comme vous-même, comme moi-même. Aussi extrêmes et révoltants que soient leurs actes de violence, peut-on les enfermer si rapidement dans des catégories telles que celle d' »incarnation du mal » ? Car si cela est confortable et rassurant de les mettre à distance en les déshumanisant quasiment, c’est toute une partie du problème qui est occultée.
D’où viennent cette haine, cette colère, cette violence qui ont empli les coeurs des membres d’ISIS et les ont poussé à agir avec autant de férocité ? Cette question, toute simple, cette oreille tendue vers l’autre, nous aurait évité la réaction impulsive et extrêmement dangereuse déclenchée par l’État Français qu’ont été les bombardements en Syrie.
Cette haine, cette colère, cette violence, sont une réponse. Une réponse aux incohérences criminelles de la politique étrangère française, qui a soutenu et armé les groupes djihadistes ayant plongé la Syrie dans le chaos. Une réponse au monde occidental, en particulier les États-Unis, l’Angleterre et la France, qui ont tué, torturé, blessé des millions d’êtres humains au Moyen-Orient, des femmes, des enfants, des hommes innocents, des civils et totalement bouleversé leur espace géopolitique pour des décennies.
Qui est le fou, qui incarne de façon troublante le mal, chez eux ?

La guerre ne peut pas être définie simplement comme un « conflit armé entre États, dont les armées s’affrontent sur un terrain plus ou moins choisi ».
Clausewitz disait très justement: « La guerre est par nature un caméléon. Sa forme, ses moyens, son ampleur épousent l’histoire des peuples et des nations », déclaration d’une actualité brûlante, la Guerre Froide ou plus récemment le débat sur les drones représentant de flagrants exemples pour illustrer les différentes formes et mutations que peut connaître la guerre, et qui viennent bouleverser en profondeur notre paradigme guerrier.

La guerre dans son essence réalise (institutionnalise, souvent) la déshumanisation de l’autre, qui n’est plus un homme, mais un ennemi.

Nourrir cette déshumanisation alimente le phénomène guerrier, et par là le cercle infini de la violence mimétique.

Je conclurai sur ces mots fabuleux d’Orwell qui, dans ses Réflexions sur la guerre d’Espagne, écrit:
« Nous étions dans un fossé, mais derrière nous s’étendaient cent cinquante mètres de terrain plat, si dénudé qu’un lapin aurait eu du mal à s’y cacher (…).
Un homme sauta hors de la tranchée [ennemie] et courut le long du parapet, complètement à découvert. Il était à moitié vêtu et soutenait son pantalon à deux mains tout en courant. Je me retins de lui tirer dessus, en partie à cause de ce détail de pantalon. J’étais venu ici pour tirer sur des « fascistes », mais un homme qui est en train de perdre son pantalon n’est pas un « fasciste », c’est manifestement une créature comme vous et moi, appartenant à la même espèce – et on ne se sent plus la moindre envie de l’abattre. »

par Laureen Bolton - le 6 décembre, 2015


Je rejoins Laureen Bolton, il y a dans votre article une invitation à remplacer la haine par l’amour, ce qui est bel et bon. Mais vous présentez « les terroristes » comme des autres absolus, on comprend alors que c’est nous, les non terroristes, que nous devons aimer pour désamorcer les ceintures explosives. Mais pendant que nous nous faisons des câlins, il y a quand même notre armée qui va leur en mettre plein la bouche… Mais attention, ce n’est pas une guerre, c’est quoi ? Juste une opération de désinfection hygiénique ?

N’y a-t-il pas là une belle application du fameux « le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie » de Lévi-Strauss ? Autrement dit, celui qui se comporte de façon inhumaine, c’est celui qui croit qu’il y a des gens qui sont inhumains, incompréhensibles comme le sont de pures choses avec qui on n’a rien d’essentiel en commun. Ainsi les djihadistes sont certes des barbares puisque pour eux tout « mécréant », c’est-à-dire toute personne ne plaçant pas la mort pour Allah au dessus de tout, n’est pas une personne proprement dite mais un obstacle à détruire quand cela est utile.

Mais en les considérant à notre tour comme de simples mécaniques de mort, qu’il ne reste plus qu’à éliminer mécaniquement quand bien même ils ne nous menacent plus immédiatement, n’en venons nous pas aussi à considérer des êtres humains comme de pures choses avec lesquelles nous n’avons rien d’essentiel en commun ? N’en venons nous pas à dire « il y a bien des êtres qui ne sont humains qu’en apparence, qu’on peut exterminer avec indifférence (comme on l’a fait dans les premiers siècles de la conquête du nouveau monde, puis avec les juifs ou les tziganes) mais ce n’est pas nous, c’est eux » ? A ce petit jeu de « plus barbare que moi tu meures », nous ne serons peut-être pas les plus forts.

par Christian Lars - le 6 décembre, 2015


Mesdames, messieurs, aurais-je été si naïf, pire si extrémiste, comme vous le suggérez en pointant ma prétendue barbarie, mes oublis géopolitiques, etc. ? Sur le fond, je m’étonne de vos remarques : j’ai fait le choix d’un propos non géostratégique ni géopolitique. Vous pouvez être déçus, j’en conviens, et d’autres vous satisferont, j’en suis certain. Mais en accentuant la tonalité affective de mon propos, j’ai voulu philosopher (improprement penseront certains) sur l’humanité en chaque homme : « nous et eux », pour reprendre une des formules-commentaires. Il ne me semble pas être toujours dans une absolue opposition entre « eux et nous », puisque j’invite à trouver les sources de la violence en chacun, si vous voulez bien me lire attentivement. Il est aussi évident que l’Etat français, comme d’autres, ont leur part de responsabilité dans ce qui arrive : c’est un fait ; je ne peux revenir en arrière et à quoi bon réfléchirai-je là-dessus alors que d’autres personnes, expertes de ces questions, le font déjà correctement ? Ce n’est donc pas mon problème.
Je m’étonne en réalité d’un autre fait, qui convoque chacun d’entres-nous : comment répondre individuellement aux terroristes ? En allant faire la guerre ? Certains s’engageront, si tant est qu’ils n’aient aucun désir de vengeance car l’armée se refuse, au moins par principe, de recruter ainsi. D’autres jugeront de la non pertinence d’une réponse guerrière. Il y a là un problème géopolitique que je ne traite pas : quelle est la forme de guerre adaptée au terrorisme ? Je n’y réponds pas vraiment ; ce n’est pas mon problème. Pourquoi me lire en déplaçant mon propos ? Une remarque simplement : à un rapport de force, l’individu comme l’État répondent généralement par la force. Or le terrorisme masque par une idéologie le rapport de force qu’il poursuit (plus qu’il ne génère), comme le font (ou l’ont fait) les États-Unis ou notre État pour ne citer qu’eux. Aussi ai-je choisi de traiter différemment le problème : de géopolitique il devient philosophique (et sémantique) ou moral ; comment répondre aux terroristes, ces hommes dont le comportement extrêmement violent est un défi pour nos catégories et surtout pour l’humanité ? Je ne réponds que très partiellement, je suggère plutôt la difficulté. Répondre par la barbarie ? Le relativisme culturel ne doit pas être un relativisme des valeurs pour autant.
Revenons-y. Comment répondre aux terroristes, ces hommes dont le comportement d’extrême violence est un défi pour l’humanité ? Il ne suffit pas d’entrechoquer les civilisations. Car, je le répète, que vaut une civilisation dont la violence est le seul mode d’être au monde ? Les valeurs et les lois des terroristes nient le concept même de civilisation dans la mesure où l’humanité de chacun se définirait dans la soumission, l’aveuglement intellectuel et l’insensibilité. Et je refuse parallèlement de les inscrire dans une forme de naturalité : ce ne sont ni des êtres naturels, ni des êtres culturels (ou civilisés) ; ce sont des êtres qui perdent tant leur nature que leur culture et civilité pour une raison simple, à savoir l’annihilation de ce qui ouvre à l’humanité en chacun : sont-ce des nihilistes ? Peut-être, ils en ont l’air, malgré l’affirmation de « leur islam ». J’invite simplement à interroger nos catégories conceptuelles (politiques ou autres) : que sont-ils ? Voulez-vous les nommer « humains » et par là préserver un relativisme culturel ? Soit. Mais il ne faut pas en faire un relativisme moral. Des pratiques restent condamnables, même si elles se justifient selon des particularités culturelles. Sont-il des hommes donc ? Au mieux, ils en ont la forme biologique. En ont-ils la dignité ou l’aspiration ? Non : ils l’ont perdue. Est-ce si insoutenable, si dangereux de le dire ? Il ne me semble pas. Car, ils étaient des hommes comme nous, certes, mais blessés par la vie sociale et professionnelle, ils ont choisi une voie déshumanisante d’expression d’eux-mêmes. Là est leur différence. Or combien d’individus blessés (rejetés, trahis, abandonnés, victimes d’injustice, etc.) s’enferment dans la violence ? Beaucoup trop. Mais combien en viennent à commettre de telles atrocités ? Beaucoup moins, même s’ils restent trop nombreux à notre goût. Certains voudraient les « déradicaliser » ? Qu’ils le fassent, je les encourage. Mais cela n’est encore possible, pour certains d’entres eux, que parce qu’il reste suffisamment d’humanité (càd d’humanisme) en leur esprit et leur cœur. Pour les autres, il est trop tard : ils ont fait leurs choix aveugles ; ils ont renié ce qui les unit à quiconque dans la beauté, la joie et la paix.
Voudriez-vous encore les sauver ? Soit, mais pas moi. Je ne vois plus comment. En ce sens peut-être suis-je « absolutiste ou totalitariste » à votre esprit lorsque j’affirme que la seule réponse morale est l’amour. Non de ces terroristes, même si j’aimerais en être capable pour avoir une solution, mais ce n’est pas le cas ; aimons-nous plutôt : aimons nos enfants, nos amis mais aussi nos frères-citoyens et frères-humains étrangers ou inconnus. Je ne veux méconnaitre la puissance de l’amour. Ce serait oublier qu’aimer n’a pas essentiellement pour source la souffrance et qu’il se conjugue si diversement et si infiniment que le réduire à la souffrance est le trahir. On n’aime pas tant quelqu’un parce qu’on partage sa souffrance (compassion, sollicitude, etc.) que parce qu’on est capable de l’en sortir par un élan vers ce qu’il est potentiellement : beauté, joie, paix, intelligence, générosité, etc. Ainsi est-ce possible pour les terroristes ? Compatissons si nous en sommes capables, mais surtout condamnons-les. Relisez-moi je vous prie. Je n’oppose pas tant notre humanité (préservée) à leur non-humanité (acquise) que leurs comportements déshumanisant (engagés) à nos comportements humanisant (engagés et à préserver). Lorsque j’écris : « nous sommes sourds à autrui » en ce que nous privilégions la raison sur le cœur ou le cœur sur la raison selon des schémas fixes comme des règles universelles d’un rapport biaisé à l’autre, c’est pour signifier que nous sommes ouverts à autrui en ce que nous trouvons la mesure de l’usage de la raison et du cœur, que nous savons équilibrer nos facultés. Toute réponse univoque du cœur ou de la raison est donc partielle, voire erronée, et peut-être parfois dangereuse. Or lorsque je réhabilite le cœur, ce n’est que dans la mesure de l’humanisme auquel il ouvre comme la raison peut y ouvrir différemment. Il faut savoir par laquelle des facultés, la raison ou le cœur, il faut commencer et finir ; il faut aussi savoir les tenir ensemble. Telle est ma thèse de « l’équilibre des facultés ». Elle n’est pas géopolitique ni géostratégique : elle est anthropologique si vous préférez, du moins philosophico-morale ou humaniste, dans le sens où les terroristes ont un comportement déshumanisant et même contraire à leur propre intégrité tant physique qu’intellectuelle. C’est là peut-être le mot : l’intégrité morale (surtout) interdit absolument ce qu’ils font comme elle interdit ce que nos gouvernements ont faits ou font encore. Et ce, même si d’un point de vue pragmatique, la politique peut apporter une réponde armée à la violence. Mais encore une fois, je le répète : il s’agit d’un rapport de force entre des « mains armées » ; vous ne répondriez pas « la main sur le cœur » à un terroriste qui veut vous tuer : « dialoguons puisque nous sommes humains, nous pourrions trouver un accord », c’est irréaliste ; à un rapport de force qui engage votre intégrité physique soit vous vous soumettez, soit vous entrez en combat. Or ce n’est pas mon propos : nous ne sommes pas des soldats mais des civils et notre humanité ne se positionne pas dans un rapport de force mais dans le dialogue de l’esprit du cœur et de la raison.
Je suis philosophe comme d’autres sont comédiens, musiciens, danseurs, etc., bref, comme d’autres sont des artistes. Ma réponse s’inscrit donc dans cette même voie pacifique : je ne vais pas prendre les armes pour tuer, je pense et m’exprime de manière à prévenir de la violence au quotidien (du moins j’essaie…c’est raté selon vous), parce que j’estime humainement être capable de le faire et que, ce-faisant, j’offre à l’autre l’exemple de l’idée selon laquelle, l’homme doté de l’esprit rationnel et de la sensibilité du cœur peut s’exprimer par le langage (articulé pour moi, artistique pour d’autres) d’une humanité qui se partage et qui se construit ; la violence étant d’abord de l’ordre de la destruction et la réponse bassement humaine, sans doute animale, parfois réaliste et inévitable, à un problème. Et que la violence soit comme un « caméléon », cela ne change pas le fond du problème : les hommes n’ont pas su trouver de réponse dialoguée ni hautement humaniste à ce qui les oppose. Soit nous nous efforçons d’éprouver hautement notre humanité en l’exprimant et en la partageant pacifiquement, de sorte que la diversité culturelle comme la différence personnelle puissent s’épanouir, soit nous nous efforçons, parfois inconsciemment, surtout aveuglément, de manifester ce qu’il y a de plus laid (bas, mauvais) en notre humanité, ce qui nous déshumanise. Cela me semble simple, clair et partageable. Je ne vois pas finalement en quoi cela est-il dangereux à dire « mais où donc est l’esprit et dans quel état d’assèchement est le cœur de ces terroristes ? ». Ce qui est dangereux en revanche, c’est de « devenir une mécanique de mort », ce qui se fait insidieusement par l’absence de reconnaissance de son humanité propre et la mécompréhension de l’humanité d’autrui : aussi pourrais-je dire, pour multiplier la formule, que le bouc émissaire est toujours celui à qui on refuse l’humanité et le dialogue, mais enfin quoi, n’y a-t-il pas dans le fait de reconnaitre un coupable autre chose qu’un simple bouc émissaire ?

par A. Panetto - le 8 décembre, 2015



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