Vaincre la peur
Un dessein philosophique, un impératif moral et politique
« Même pas peur » : cet avertissement qui figure depuis quelques semaines au pied de la statue de Marianne, place de la République à Paris, constitue en même temps un programme politique.
Vous n’aurez ni notre haine, ni notre peur. Vous chérissez la mort ? Votre dévotion n’est pas contagieuse. Nous savons d’instinct – ou bien pour avoir lu La Boétie (Discours de la servitude volontaire) – que la peur est l’une des clefs de voûte de la soumission des hommes aux maîtres qu’ils se donnent. Car aucun potentat ne peut régner en ne s’appuyant que sur la force des armes : tout tyran « serait défait si le pays ne consentait point à sa servitude ». Le Prince doit être redouté … et aimé. L’un n’excluant pas l’autre – on l’aura remarqué.
« C’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge : qui pouvant choisir d’être sujet ou d’être libre repousse la liberté et prend le joug ». La Boétie écrivait ces lignes en 1548, mais nous demeurons confondus par leur saisissante actualité : « Soyez résolus de ne servir plus et vous voilà libres ». Haïr la domination ne suffit pas, il nous faut donc commencer par vaincre la peur. Peur des tyrans, peur des fous et des illuminés, peur – ô combien compréhensible – du terrorisme. Les auteurs de l’interpellation ont mille fois raison : il ne faut pas avoir peur … de la peur. Ou, pour le dire autrement : tentons d’avoir le courage d’assumer notre peur. La conquête comme la préservation de la liberté commencent avec le combat contre l’effroi. Or le courage n’est pas l’envers de la peur, il en est tout au contraire le corrélat. La hardiesse, comme le soulignent les philosophes, n’est pas l’absence de peur, mais la volonté de la combattre par les moyens dont nous disposons. C’est pourquoi la philosophie, qui nous recommande de clarifier les ressorts de la peur, et d’aborder celle-ci avec les armes de l’intelligence, est le meilleur des antidotes contre l’exploitation opportuniste de la terreur et contre l’effroi politiquement dévastateur.
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Citations : peur et usage de la peur
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« La stupeur est une sorte de pusillanimité. Mais comme la stupeur naît d’une double appréhension, on peut donc mieux la définir comme la Crainte qui retient un homme stupéfait ou flottant, de sorte qu’il ne peut éviter un mal. »
Spinoza, Ethique, Livre III, définition XVII, explication.
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« Pour ce qui est de la peur ou de l’épouvante, je ne vois point qu’elle puisse jamais être louable ou utile ; aussi n’est-ce pas une passion particulière, c’est seulement un excès de lâcheté, d’étonnement et de crainte, lequel est toujours vicieux, ainsi que la hardiesse est un excès de courage qui est toujours bon, pourvu que la fin qu’on se propose soit bonne ; et parce que la principale cause de la peur est la surprise, il n’y a rien de meilleur pour s’en exempter que d’user de préméditation et de se préparer à tous les événements, la crainte desquels la peut causer ».
Descartes,Traité des passions, article 176.
Professeur agrégée de philosophie, Laurence Hansen-Love a enseigné en terminale et en classes préparatoires littéraires. Aujourd'hui professeur à l'Ipesup, elle est l'auteur de plusieurs manuels de philosophie chez Hatier et Belin. Nous vous conseillons son excellent blog hansen-love.com ainsi que ses contributions au site lewebpedagogique.com. Chroniqueuse à iPhilo, elle a coordonné la réalisation de l'application iPhilo Bac, disponible sur l'Apple Store pour tous les futurs bacheliers.
Commentaires
Chère Laurence, chère collègue,
Ce que vous dites est très juste, et je ne puis qu’être parfaitement d’accord avec vous. Le plus important n’est pas d’éprouver la peur (elle est une réaction naturelle face à la menace), mais de la comprendre. Et ceci pour mieux l’affronter et, ainsi, ne pas se laisser guider par elle, ni par ceux qui cherchent à l’utiliser afin de nous imposer leur domination.
Seulement voilà. Ce premier point établi, il reste le second: une fois la peur admise, comprise, assumée et dépassée, de quelle façon faire valoir cette victoire? En restant fidèles à nous-mêmes, à nos idéaux, à notre mode de vie, sans rien concéder aux terroristes? Ce qui ne me semble déjà pas si mal, et à la portée de tout citoyen. En refusant également la politique sécuritaire du gouvernement (l’état d’urgence reconduit indéfiniment, les bombardements en Syrie sur des civils utilisés comme boucliers humains, la déchéance de nationalité, la réforme de la Constitution…), politique qui, d’après les sondages, est largement plébiscitée par l’opinion publique? Ce qui tend à montrer que la peur s’est emparée d’une partie de nos concitoyens … Cette seconde option constitue un dévoiement de la liberté. Et elle justifie parfaitement, a contrario, la justesse de votre analyse, laquelle est aussi, en son fond, une sorte de mise en garde.
Soyez assurée, Chère Laurence, de mon soutien et de mon amitié. Merci pour ce texte revigorant.
DGL
par Daniel Guillon-Legeay - le 18 janvier, 2016
Bonjour,
Une réponse au réflexe peur (de l’animal : fuite ou combat) pourrait avoir moins de prégnance, moins de retentissement négatif, en pratiquant le renforcement de la sociabilité.
Se rapprocher de l’autre pour mieux, tous ensemble, contrôler le stress par la confiance et le partage des émotions au contact du groupe.
En présence d’un danger imminent, n’étant plus habitué à ce type de menace ; il y faut un » temps » nécessaire, pour s’habituer…et reprendre à distance, de l’assurance !
Le groupe est une personne et rien je n’affirme.
par philo'ofser - le 21 janvier, 2016
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