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Liaisons (politiques) dangereuses : Lettre de l’UE au Royaume-Uni

18/09/2016 | par Maïa Hruska | dans Politique | 5 commentaires

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Londres mon Amour, mon perfide Amour,

Bien sûr nous eûmes des orages, mille fois vous menaciez de partir, par humeur et par caprice, votre baluchon de souveraineté sur l’épaule. Le 24 juin dernier, j’ai d’abord cru à une erreur de mon imagination : votre prétendu départ ne pouvait être qu’une passade, qu’une mise à distance, un ‘break’, mais une rupture ? Jamais ! Nos sentiments divergeaient-ils à ce point ?

L’été ne laisse à Bruxelles presque point d’hommes qui aient figure humaine : aussi je fus, pendant des mois, d’une sagesse à périr. Je me suis occupée en faisant l’autopsie de notre idylle et distraite en me replongeant dans notre contrat de mariage. Que vais-je vous léguer ? Qui va garder les enfants? Qu’adviendra-t-il de la smala des 27 que nous avons adoptée au fil des années ?

Vous souhaitez que nous devenions étrangers l’un à l’autre, tout en me priant de ne pas altérer mes sentiments envers vous. Goujat ! Ayez l’assurance que je presserai votre départ pour travailler plus facilement à détruire ce qu’il en reste.

Nous batifolions depuis 1973, et vous voilà, quarante ans plus tard, souffrant de bouffées de liberté adolescente. Démon de midi ? Non, démon de Maggie ! J’aurais dû m’en douter, jamais vous ne vous êtes remis de votre relation avec cette nymphomane frigide de la politique, laquelle vous ensorcelait avec un nationalisme farouche. Jamais je n’ai pu, non plus, vous détourner de cette relation malsaine que vous entreteniez avec la fille-mère américaine, ni de la nostalgie incurable pour vos ex petites copines du Commonwealth. Je me persuadais, et c’est un travers affreusement féminin, I know, qu’après avoir essayé tous les plaisirs dans vos diverses courses, vous jouiriez du bonheur de sentir qu’aucun d’eux n’était comparable et aussi délicieux que celui que je vous procurais.

Votre départ aura mis en lumière le malentendu historique sur lequel nous avions construit notre amour. Vous étiez entré dans cette union comme dans une aventure sans lendemain. La convenance géographique faisait de nous des amants récréatifs et inévitables, j’étais la girl next door et vous le punk. Je vous ouvrais les portes de mon marché intérieur – restons pudiques– en échange de quoi vous m’emmeniez voir le monde, mais toujours incapable de dépasser votre surmoi insulaire.

Et puis patatras : comme dans tous les plans cul, les sentiments s’en sont mêlés, l’émotionnel a pris le pas sur le transactionnel. J’ai commencé à vous chamailler avec mes valeurs, mes rengaines historiques, mes projets d’union sans cesse plus étroite, mon beau roman, ma belle histoire. Il est des hommes qui s’étouffent avec moins que ca. Of course, j’aurais du être attentive à votre besoin d’espace vital, mais que voulez-vous, il n’est point de femme qui n’abuse de l’empire qu’elle a su prendre !

Notre idylle a péri, comme tant d’autres, d’un trop plein de proximité. Trop proches, trop enchaînés l’un à l’autre, nous nous sommes écharpés sur des détails bassement technocratiques comme d’autres couples butent sur une vaisselle mal lavée. Et puis, notre amour aura été enfant de bohème tout le long ; nous maniions deux langues étrangères : celle de la symbiose nous liant pacifiquement et à jamais, et celle de notre souveraineté. Mes ordres étaient pourtant charmants, ma façon de les donner plus aimable encore ; « vous feriez chérir le despotisme ! » me susurriez vous même un soir.

Relisez le Paradoxe Amoureux de Pascal Bruckner, cet astre : « le couple est une petite principauté qui vote ses propres lois et que menace toujours la chute dans le despotisme ou l’anarchie. Les amants sont à la fois des souverains, des diplomates, un parlement et un peuple à eux tout seuls ». C’est une valse de jeux de rôles qui permet toutes les aventures, mais cela, darling, vous ne l’avez jamais compris. Vous n’aviez que le doux mot de souveraineté à la bouche. Songez pourtant, qu’au lit comme en politique, la souveraineté se délègue, se reprend, se cède, se feint et s’exerce même à plusieurs. Etre souverain, ce n’est pas seulement décider librement, corps et âme, c’est aussi s’abandonner, accepter d’être nu, et donner les moyens d’être désiré pour reprendre le dessus.

Votre refrain “I want my country back” jusqu’à plus soif me rappelle celui de mes contemporaines qui beuglent “mon corps m’appartient”. Ce cri de liberté et de propriété est certes poignant, mais à quoi bon s’appartenir si personne ne veut de vous ? Au malheur d’être traité comme un objet corvéable à merci, correspond l’autre malheur de n’être jamais attendu ni désiré. Soit dit sans vous fâcher, c’est là, my love, le destin à la Bridget Jones qui vous attend. La souveraineté dont on se réclame sur nous mêmes finit toujours par nous peser, surtout si nul ne vient nous solliciter.

Peut-être me reviendrez-vous, comme ces voyageurs, qui reviennent détrompés d’un long voyage en solitaire, peut-être inverserez-vous cette maxime signée d’Harcourt : « plus je vis d’étrangers, plus j’aimais ma patrie » [Du Belloy, Tragédie du Siège de Calais]. Et tout monstre que vous dites que je suis, peut-être regretterez-vous même, un jour, de ne plus être mon esclave.

Adieu mon bel ami,

Du Château Berlaymont …, ce 18 septembre 20**.

 

Maïa Hruska

Diplômée de l'Université de Cambridge et du King's College de Londres, passée également par Sciences Po Paris, Maïa Hruska travaille au sein de la maison d'édition Wylie à Londres. Elle a collaboré au quotidien L'Opinion lors de son lancement. Suivre sur Twitter : @MaiaHruska

 

 

Commentaires

Succulent ! !!

par Philippe Le Corroller - le 19 septembre, 2016


Ma jolie et ma chère, Car vous l’êtes à mon coeur même si le nouveau monde m’est plus proche que l’ancien, même si mon regard s’est si souvent porté au-delà des océans et que je ne saurais vous dire que je vous fus fidèle. Vous me parlez de Londres et non d’une autre cité, mais où pourrais-je bien vous écrire, moi qui ne sais à l’heure où je tiens le clavier s’il faut vous adresser ma missive à Bruxelles, Strasbourg ou Bratislava. Croyez-moi, ma Belle, mon Historique, vos schizophrénies successives, communisme/libéralisme, frontières fermées/frontières ouvertes, et votre confusion des genres Gouda Ier/Angela je sème à tous vents, vos liaisons encore plus dangereuses avec le grand Mamamouchi, bref votre côté « Je suis oiseau voyez mes ailes, je suis souris voyez mes patte »s feraient perdre la tête à plus d’un amant. Perfide Albion ? Allez vous faire, ma chère, voir à Sainte-Hélène, nous prenons le large, vous laissant votre cargaison. Redressez vos écoles, ré-apprenez votre histoire, ré-enchantez vos peuples et gardons quelques liens. So long et que de beaux souvenirs. Je vous envoie ce bouquet d’immortelles car nous nous reverrons …

par Elizabeth Antébi - le 19 septembre, 2016


Très belle lettre, très bien tournée, mais aussi… très irréaliste : les bureaucrates de Bruxelles sont bien incapables d’utiliser ainsi la langue. L’Europe telle que chantée par Stefan Zweig et George Steiner n’est pas l’Union européenne : celle-ci détruit méticuleusement celle-là.

par Mme Michu - le 19 septembre, 2016


Très spirituel libertinage…
On passe pour pisse vinaigre à rappeler que Londres ne vota pas le Brexit…
Spéculations… Londres, la City, la souveraine ? dans le pays, pourrait-elle faire sécession pour suivre son coeur ? Car son coeur est sur le continent.
A moins que ce ne soit son compte en banque…

par Debra - le 20 septembre, 2016


Très spirituel et très agréable à lire.
Mais, peut-être me trompais-je, je ne vois point la pensée philosophique…

par Yves Elie - le 21 septembre, 2016



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