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Le meilleur des mondes possibles ?

4/08/2017 | par Robert Zimmer | dans Classiques iPhilo | 16 commentaires

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A VOUS DE JOUER – Nous continuons notre série d’été qui durera jusqu’à la fin du mois d’août. Découvrez et répondez aux exercices et autres tests extraits de l’ouvrage Petites distractions philosophiques du philosophe allemand Robert Zimmer, qui vient d’être publié par la Librairie Vuibert. Cette semaine, la thèse de Leibniz du « principe de raison suffisante », battue en brèche par Voltaire qui, dans Candide, dénonçait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie de Pangloss !


Robert Zimmer est un philosophe et essayiste allemand né en 1953, auteur d’une thèse de doctorat en Philosophie sur Edmund Burke et de biographies et d’introductions à la philosophie particulièrement populaires outre-Rhin. Une partie de son oeuvre est traduite en français, notamment Le Grand Livre des philosophes (éd. Fayard, 2012) et Petites distractions philosophiques (éd. Vuibert, 2017).


Enoncé

Aujourd’hui encore, il y a des scientifiques de renom pour soutenir que seule l’existence d’un Dieu – ayant créé l’univers selon un «dessein intelligent» – est à même d’expliquer notre monde, son organisation si sophistiquée et subtile, ainsi que sa complexité si admirable, jusque dans le moindre détail. Ces scientifiques se placent dans la droite ligne de Leibniz (1646-1716) qui, il y a trois cents ans, tenait déjà notre monde pour «le meilleur de tous les mondes possibles». Dans Candide (1759), sa satire écrite suite au tremblement de terre dévastateur de Lisbonne, Voltaire (1694-1778), homme des Lumières, s’est moqué d’une telle vision, attirant l’attention de son lecteur sur les nombreuses imperfections et catastrophes de ce monde. Le philosophe français d’origine roumaine Emil Cioran (1911-1995) parle même d’une «création bâclée». Pour lui, à n’en pas douter, il a fallu que se trouve aux côtés du «bon» Dieu un «mauvais» dieu, corrompu et malveillant.

➦  Nous avons ici deux camps qui s’opposent. Quels sont leurs arguments respectifs ?

Merci pour vos réponses en commentaires. Et voici celle de Robert Zimmer !

Les réfutations de cette idée s’appuient sur le fait que l’évolution a toujours connu de nombreux essais manqués, et que des espèces ne cessent de s’éteindre faute d’être capables de survivre. Ces faits-là montrent bien que notre monde n’est pas le meilleur de tous les mondes possibles, mais qu’il est un monde en mesure de s’améliorer, et qui le mérite.

Un contre-argument à cette objection existe, qui se passe de l’hypothèse de Dieu et du «dessein intelligent» : on pourrait avancer que ce monde en apparence imparfait est précisément, pour cette raison même, le meilleur de tous les mondes possibles, au motif que la meilleure forme de vie, la forme de vie la plus appropriée, finit toujours par s’imposer dans la nature.

Le cadre argumentatif change du tout au tout lorsqu’on ne prend plus seulement en compte la nature mais aussi l’histoire humaine. Le seul fait des guerres et de la rage destructrice de l’homme rend plus que délicat tout plaidoyer en faveur de l’hypothèse du meilleur de tous les mondes possibles.

Lire aussi – Michel Serres ou le joyeux pantope (Alexis Feertchak)

 

Robert Zimmer

Robert Zimmer est un philosophe et essayiste allemand né en 1953, auteur d'une thèse de doctorat en Philosophie sur Edmund Burke et de biographies et d'introductions à la philosophie particulièrement populaires outre-Rhin. Une partie de son oeuvre est traduite en français, notamment Le Grand Livre des philosophes (éd. Fayard, 2012) et Petites distractions philosophiques (éd. Vuibert, 2017).

 

 

Commentaires

Bonjour,

Pour ma part je ne vois pas vraiment d arguments… A moins de considérer qu’il en soit un de dire ce qui nous paraît injuste, mauvais et laid, ou à l inverse beau, complexe et subtil ? Il s agit de croyances, d’affirmations, et non d’arguments, qui nécessitent un peu plus d’approfondissement. La thèse de Leibniz n est cependant en réalité pas réduite à « tout est pour le mieux dans le meilleur des monde », ni celle de Voltaire à une réfutation simpliste. Ce que l on peut remarquer, c est que Leibniz et Voltaire n’étudient pas la question de la « justice de la vie » sous le même angle. Leibniz, qui est mathématicien (si je me dis pas de bêtises) la situe du point de vue du cosmos (avec les monades), tandis que Voltaire la ramène à l échelle humaine (jusqu’à la fin lorsque, dans candide, il « cultive son jardin ». Ils ne parlent pas le même langage (bien qu’ ils pourraient se comprendre).

Très bonne fin de semaine :-)!

par catherine - le 4 août, 2017


Ce qui est bon est ce qui est favorable. Tout ce que la nature crée est favorable si l’on se place du bon point de vue. Le moustique qui me harcèle est bon pour l’oiseau qui le dévore.
Il n’en demeure pas moins que la souffrance est notre quotidien et que ses conséquences surpassent bien souvent celles de nos petits et de nos grands bonheurs.
Comment se sortir de ce paradoxe si ce n’est en laissant la création à la nature (phusis grecque) qui à tous les attributs d’un Dieu avec une différence fondamentale c’est qu’elle ne sait pas ce qu’elle fait. Donc Dieu n’est pas la nature mais c’est la nature qui est « dieu ». La nature poète de Marcel Conche.
Bonne journée.

par Philippe - le 4 août, 2017


Voltaire , me semble-t-il, aurait sans doute apprécié Woody Allen et son fameux « Si Dieu existait, ça se saurait  » .

par Philippe Le Corroller - le 4 août, 2017


Ce qui est singulier dans l’énoncé, c’est qu’il part du postulat d’un Dieu créateur, d’un monde soit comme perfection (l’apparence d’imperfections faisant partie d’un dessein plus grand et donc parfait auquel l’homme n’a pas accès), soit comme la lutte de deux dieux (Dieu contre diable expliquant donc un certain chaos du monde tiraillé entre forces du mal et forces du bien). On voit bien qu’à l’endroit même où l’on croyait résoudre l’énigme du monde, celui ci se fait de plus en plus opaque. En fait, pour tenter de résoudre la problématique de l’énoncé (qui, je l’admet, n’est pas la question explicite ici posée) , il est nécessaire d’échapper à l’écueil de la notion de Dieu. Sans Dieu, le monde, tel qu’il est, et en tant que tel, n’est ni bon, ni mauvais; son essence est d’être. notre condition et notre misère est de n’en connaître jamais le pourquoi, notre condition et notre gloire, s’il en est une, est de poser ce pourquoi ! Gageons que notre seule sagesse soit d’éviter de le juger, d’éviter de faire porter sur d’autres les maux de ce monde (dieux, institutions, système, société, hommes). Ne pas juger, n’exclue pas le fait d’essayer de comprendre; même si nous ne saurons jamais pourquoi le monde est là, nous pouvons toujours analyser pourquoi on en est là !

par Vincent Mouret - le 4 août, 2017


Bonjour,

Comment philosopher depuis notre point GPS,à partir d’un postulat dont l’utilité occupationnelle est pour le moins aléatoire.

S’en remettre à un dieu constituerait, un rapetissement du corps et de son corollaire;l’esprit.

Nous n’avons pas résolu « être ou ne pas être » et allons chercher ailleurs un alibi,le pouvoir,pour adoucir la perspective de l’anéantissement (avant,après) de notre condition!

Se résigner sans désespérer n’a pas d’autre choix.

Une issue de secours sans issue;un subterfuge salutaire et fragile!

Accepter ce que nous sommes et profiter de l’existence de la vie!

Plus tard,peut-être y verrons-nous plus clair ?

En attendant,se moquer,n’avance à rien de plus ou de moins!

Au temps de questions,de croyances,
Et vivent la liberté,l’espoir…

par philo'ofser - le 5 août, 2017


2ème lecture :

« Aujourd’hui encore, il y a des scientifiques de renom pour soutenir que :

(Conclusion)
seule l’existence d’un Dieu – ayant créé l’univers selon un «dessein intelligent» – est à même d’expliquer notre monde

(Argument) :

[son organisation si sophistiquée et subtile] [ainsi que sa complexité si admirable, jusque dans le moindre détail].

Dans Candide (1759), sa satire écrite
(Circonstances) :
suite au tremblement de terre dévastateur de Lisbonne,
Voltaire (1694-1778), homme des Lumières, s’est moqué d’une telle vision,

(Contre argument)
[attirant l’attention de son lecteur sur les nombreuses imperfections et catastrophes de ce monde]. Le philosophe français d’origine roumaine Emil Cioran (1911-1995) parle même
(Conclusion)
[d’une «création bâclée». Pour lui, à n’en pas douter, il a fallu que se trouve aux côtés du «bon» Dieu un «mauvais» dieu, corrompu et malveillant.] »

L’ organisation sophistiquée , complexe, subtile, de l’univers, ne pourrait être selon les uns, que l oeuvre de dieu. Dieu étant parfait, et la terre faisant partie de l univers, tout serait pour le mieux, quoiqu’ il arrive, car il s agirait du dessein de l univers de dieu.

Pour les autres, plus matérialistes, les catastrophes sont signe d’ imperfection, voir, signe qu’ aux côtés d’un dieu bon il y en aurait un mauvais.

A mon sens on est bien sûr deux modes d interprétation. La première, dite « optimiste » (je penserai plutôt relativiste) peut impliquer une forme d acceptation de la mort humaine, des catastrophes, de la souffrance, parce qu’un dessein de l univers est placé au delà de l humanité matérielle, du visible, dont un plus grand que soit qui serait dieu serait le maître. Puisqu’il serait dieu, la finalité de la destinée serait forcément bonne, du fait d’une perfection (ontologique ?) supposée de la vie. Mais cela ne supposerait t il pas que seul le destin de dieu vaudrait ?
La seconde interprétation prend en compte les catastrophes et ouvre une possibilité de recul par rapport à dieu (et donc au pouvoir de l église à l époque) en attirant l attention sur l imperfection divine du fait de l existence de la souffrance. Si dieu est si bon, et s’il est parfait, pourquoi guerres, ras de marées, tremblements de terre, persécutions etc etc ?

Le point de vue de Voltaire est critique, politique, moral. Il se place du côté des hommes parce qu’ il constate des faits. S’il remet en cause une supposée perfection divine, par ricochet il touche au pouvoir de l église.
Celui de Leibniz est celui d’un penseur mathématicien aristocrate qui vit dans son monde, loin des tumultes …

Il peut s agir de deux philosophies différentes, et dans un autre contexte, pourquoi pas.. mais dans le contexte politico religieux de l époque, le point de vue de Liebniz laisse toute sa place à l obscurantisme. C est d’ailleurs je crois ce que dénonce Voltaire.

Voilà pour la seconde lecture :-).
A bientôt !

par catherine - le 5 août, 2017


🙂 Lorsqu’on à conclu dans un premier temps que « la vida es sueño y sueños sueños son », comment discourir sur « le meilleur des mondes possibles ?

Vous ne nous distribuez pas le poil à gratter dans le bon ordre 🙂

par Catherine Daures - le 5 août, 2017


🙂 Comme dit l’autre Catherine grat,grat,grat !

 » un dessein intelligent  » c’est quoi si ce n’est une stratégie élaborée pour atteindre un accomplissement dans les meilleures conditions, or, ni Leibniz ni Voltaire ne nous renseignent sur la proximité ou l’éloignement de cet accomplissement .

D’autre part, Leibniz nous dit qu’il pense que ça sera « admirable » mais, pour atteindre un but » admirable » rien ne nous dit que la stratégie doit être pleine de bontés et d’attentions à tout ce qui n’œuvre pas à la réalisation du but à atteindre. Ainsi la lionne pour réaliser le dessein admirable de nourrir ses petits développe des stratégies fort intelligentes qui tiennent compte chaque jour du terrain, de la saison, de la capacité de sa proie à lui échapper.

Quant à Voltaire, il se moque parce que pour lui, pour qu’il existe, dieu devrait être bon et protecteur. Bon, c’est faire bien peu de cas de l’Ancien Testament tout de même 🙂

par Catherine Daures - le 5 août, 2017


Si on part du principe qu’ un dessein intelligent est « une stratégie élaborée pour atteindre un accomplissement dans les meilleures conditions », c’est qu’ il y a un but, et il me semble que c est bien ce que dit Leibniz.. mais c est aussi dire qu’il y aurait une intelligence qui précède le dessein, puisqu’elle élabore une stratégie, et qu’ il y a un but. C’est aussi là que l on peut comprendre que Leibniz et Voltaire s’opposent.

par Catherine - le 6 août, 2017


Un dessein intelligent peut se dérouler en tant que processus, sans but précis.. juste du fait qu’ il ait causes et conséquences. Mais cela est sans compter sur les imprévus..

par Catherine - le 6 août, 2017


« Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito. »
Albert Einstein

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