Réponse de Nietzsche à Heidegger, qui «s’est bien foutu de lui»
BONNES FEUILLES : Les lecteurs d’iPhilo connaissent bien Michel Juffé, philosophe atypique et brillant, qui avait publié en 2016 dans la prestigieuse collection «NRF» de Gallimard une conversation imaginaire et pleine d’esprit entre Spinoza et Freud. L’auteur a récidivé cette année avec son excellent Nietzsche lecteur de Heidegger.
Titre ô combien savoureux pour qui connaît même approximativement la date de mort du premier et la date de naissance du second. «Quand on lit Heidegger et notamment son Nietzsche (…), l’impression qui se dégage est que Heidegger (…) s’est bien foutu de Nietzsche, le réduisant à une caricature (…) J’ai joué à laisser la parole à Nietzsche, considérant qu’il évaluerait mieux la pensée de Heidegger que ses commentateurs», écrit-il en préambule. Nous vous proposons des extraits choisis de ce formidable récit de philosophie fiction que Michel Juffé publie aux éditions de l’Elan, une jeune maison d’édition qu’il vient de lancer.
Né en 1945, le philosophe Michel Juffé fut conseiller au sein du Conseil général de l’écologie et du développement durable (2003-2010) et a enseigné dans plusieurs grandes écoles et universités. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, il a récemment publié Sigmund Freud – Benedictus de Spinoza, Correspondance, 1676-1938 (Gallimard, 2016), Café-Spinoza (Le Bord de l’eau, 2017), A la recherche d’une humanité durable (L’Harmattan, 2018) et dernièrement Nietzsche lecteur de Heidegger (L’Elan, 2020).
Le présent livre ne traite pas du nazisme et de l’antisémitisme de Heidegger. D’autres auteurs en ont montré les ressorts, et ont «décrypté» ses diverses publications pour y trouver, forçant parfois le trait, un discours typique du IIIe Reich. Mon propos est d’une autre nature : montrer que Heidegger n’est pas un «grand philosophe» (le «roi caché» de la philosophie, écrivait Hannah Arendt), mais un mystificateur et un faussaire (notamment dans la lecture de Nietzsche). Son invitation à «dépasser» la métaphysique vise à détruire toute activité philosophique pour lui substituer la soumission à une «pensée» oraculaire autoportante qui n’a pas eu besoin du nazisme pour se développer. C’est cette prétendue «pensée» que je m’efforce de montrer pour ce qu’elle est, et sa malfaisance, que Heidegger continue à répandre, via la diffusion de ses œuvres et de leur imitation et prolongation sans fin dans les champs de la philosophie, de la littérature et des sciences humaines.
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L’influence de Heidegger n’est pas celle d’un penseur isolé, bien qu’il se prétende le seul à approcher l’Être. Elle résulte d’un très ancien courant de pensée et d’action qui sépare soigneusement un monde «vrai» d’un monde des «apparences», le premier étant accessible à de rares élus, qui n’hésitent pas soit à asservir les autres soit à leur refuser toute existence digne de ce nom. Heidegger a aussi de nombreux descendants, parfois dans des lieux inattendus, et cette progéniture est vivace, agressive et intolérante. Nietzsche, qui récuse tout dualisme, était bien placé pour dénoncer et démonter ce cas particulier d’idéologie mortifiante.
Le Souci… de l’ «Être»
Je suis [dit Nietzsche] stupéfait que le seul sentiment (sensation, affect, volonté, pulsion) authentique chez Heidegger soit le souci. Personne n’est tenu – comme s’y livraient les auteurs du XVIIe siècle – de présenter une typologie des affects, mais que fait-il de : la joie, l’amour, la haine, la sympathie, la cupidité, le dédain, la cruauté, la bienveillance, la confiance, l’émerveillement, le courage, la rancune, etc. ? Dire que les pulsions (volontés, penchants) sont des effets – authentiques ou non – du souci, parce que seul le souci est originaire, temporal, etc., c’est comme dire que seul le rouge existe et que les autres couleurs sont des déviations, des imitations ou des falsifications du rouge. On trouverait monomaniaque quelqu’un qui chercherait à tout expliquer dans la vision (au sens strict) du monde par la couleur rouge. Il remplacerait le monde coloré par une abstraction, une désincorporation : une seule couleur.
L’exemple du souci montre à quel point Heidegger méprise son lecteur et cherche à l’asservir à ses affirmations péremptoires. Il condamne toute recherche, toute interrogation, sur quelque thème que ce soit, car il ne dit rien d’autre que : «suivez-moi aveuglément ou restez hors de mon chemin».
Le «combat suprême» contre l’homme «ordinaire» (le «On»)
Dans la partie III de son Nietzsche, Heidegger commence à se dévoiler en termes voilés :
L’entente «au sens essentiel est le combat le plus dur, plus dur que la guerre, loin de tout pacifisme. L’entente est le combat suprême livré pour des buts essentiels qu’une humanité historique érige au-dessus d’elle-même. C’est pourquoi, dans la situation actuelle, l’entente ne peut signifier que le courage pour l’unique question : à savoir si l’Occident se croit capable de se forger un but au-dessus de lui et de son histoire, ou s’il préfère décliner dans la préservation et la surenchère d’intérêts mercantiles et d’intérêts vitaux, et se contenter de la référence à ce qui a prévalu jusqu’alors, comme si c’était là l’indépassable absolu.» […]
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Heidegger aimerait devenir, publiquement, celui qui incarne le «combat suprême» pour des «buts essentiels». Comme il vise cette hégémonie, l’entente dont il parle est celle d’une petite élite, qui combattra sans merci (plus dur que la guerre) toute opposition, car celle-ci est illégitime, est le produit (ou producteur ?) du déclin qui nous fait tomber dans la fange des intérêts mercantiles et vitaux. Une fange où se vautrent les ennemis de «l’humanité historique», dûment identifiés comme «Juifs», même si ceux-ci ne sont que le fer de lance d’une tendance bien plus ample, partagée par la plupart des peuples occidentaux. Mais il est trop «raffiné», trop «cultivé», trop «penseur essentiel» pour se faire l’idéologue d’un régime, dont la brutalité des conduites l’affecte beaucoup moins que la grossièreté des idées. Ce qu’il reproche à l’hitlérisme, c’est principalement qu’il ne hisse pas Heidegger à sa juste place : le plus élevé des philosophes.
«La» science indigne de l’Être
Ce qui m’étonne le plus est qu’il a l’air de croire à ce qu’il raconte : il y aurait, dans on ne sait quelle sphère céleste, un être, sans qualités, sans définition, inaccessible – par essence – à toute connaissance «vulgaire», à toute appréhension, qu’on ne saurait saisir intellectuellement ou sensiblement. C’est cet ectoplasme, cet éther inconsistant, que Heidegger place tout en haut – la hauteur qu’on ne peut atteindre que par un saut. Pour l’élever aussi haut (mais on ne sait jamais à hauteur de quoi ou de quel genre de hauteur il s’agit), tout le reste doit être rabaissé. Ce reste, c’est d’abord «la» science, qu’il dénigre en toute occasion. […] Aucune n’échappe à son mépris ou à sa vindicte :
- La chimie, abandonnée à elle-même, «se consomme elle-même» ;
- La biologie ne dit rien sur le vivant : ses suppositions sont fort sujettes à caution, de même dans toutes les sciences ;
- La pensée du chaos n’a rien à voir avec la science de la nature. Celle-ci ne s’interroge pas sur pareilles choses. Les notions fondamentales lui sont «inaccessibles» ;
- Le chaos est «l’état caché de la richesse irréductible de devenir et de l’afflux universel» ; toute référence au darwinisme doit être écartée ;
- La science historique est comme un détective : elle «va flairant de-ci de-là des dépendances (accidentelles)», elle «nous empêtre». […]
Heidegger, d’un geste dédaigneux, congédie tout ce qu’il ignore. Par exemple, il ne sait pas ou feint de ne pas savoir que les philologues et les historiens se posent un grand nombre de questions sur leur «discipline» (au sens presque militaire du terme), sur les relations entre leurs concepts et leurs données, sur le rôle des hypothèses, des spéculations, des modes d’interprétation. Il les balaie d’un revers de main : «à savoir qu’il existe une nature, une histoire, un art ; que semblables choses se peuvent prendre pour autant d’objets d’investigation».
Nietzsche travesti et trahi par Heidegger
«La pensée de Nietzsche est d’ordre métaphysique conformément à toute pensée occidentale depuis Platon.»
Platon ! Mon pire ennemi ! Celui qui a commencé à opposer monde sensible et monde intelligible, apparence et réalité, corps et âme, l’inévitable fausseté des sens, le mortel et l’immortel, et ainsi de suite. Celui qui nous dit que nous devons nous éloigner de notre corps jouissant et souffrant. Alors qu’avant lui, les «préplatoniciens» (ainsi mal nommés, y compris par moi) discutent de la nature, se contredisent, ne sont guère tranchants sur la «nature des choses». Platon fait le contraire : ses dialogues sont une vaste supercherie, car le point de vue de son porte-parole, Socrate, l’emporte toujours. Cet «accoucheur des idées», qui prétend faire surgir dans l’esprit de ses interlocuteurs des connaissances «déjà là», n’est qu’un illusionniste, un hypnotiseur. Ce qu’il leur met en tête, il leur fait croire que cela était au fond d’eux. Platon ! Le grand trompeur !
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Heidegger fait encore mieux :
«Nietzsche reconnaît l’étant en tant que tel ; est-ce à dire qu’il reconnaît du même coup l’être de l’étant, soit l’Être même, notamment en tant qu’Être ?» (I, p. 271).
Non, sûrement pas ! Pourquoi devrais-je reconnaître de telles sornettes ? Quelle différence pourrait-on établir, sauf à jouer sur les mots, entre l’Être «même» et l’Être «en tant que tel» ? Est-il possible d’être plus confus ?
J’ai pourtant assez clairement dit, crié et chanté sur tous les tons que je n’ai que faire de l’être, de l’étant (qu’il soit partiel ou total, véridique ou non, en tant que tel ou en tant qu’autre) et de tout ce qui se rapporte à la fixité, l’immobilisation, la transcendance, l’éternité glacée, l’absolu, le complet, etc. etc. Je ne parcours pas une «longue voie» : je fais tout pour en sortir, avec une nouvelle théorie des affects, du corps, de la volonté, de la vie, etc. Je ne m’intéresse en rien à quelque «antique interrogation» de la philosophie. Je ne philosophe pas – et ne philologue pas – pour répondre à des questions philosophiques, mais parce que je vis lucidement, terriblement et douloureusement l’héritage gréco-chrétien de la vie de tout le monde et non des spéculations des philosophes. Il veut faire de moi le «dernier métaphysicien», alors que je récuse toute différence entre physique et métaphysique. […] C’est la vie qui veut, désire, impulse, affecte, sent, pense, calcule, etc., pour être de plus en plus forte. Tout ce qui vit pousse vers le haut, se donne un commandement : «crois, grandis !» […] Il a fallu des millénaires de dénégation, de comptention des corps, pour arriver à ces formules vides sur l’Être, l’étant (sous toutes ses formes). C’est pourquoi je martèle : la volonté est affect, passion, sentiment.
Nietzsche : le devenir «est»
Si j’ai écrit que : «La volonté de semblant, d’illusion, de tromperie, de devenir et de métamorphose est plus profonde, plus ‘métaphysique’ que la volonté de vérité, de réalité, d’être. », c’est pour signifier que «le devenir est» alors que «l’être n’est pas». Il suffit de préciser : le devenir existe, l’être n’est qu’un état donné dans une succession d’états, un point sur une ligne de devenir… pour que tout devienne clair. […] Les sens ont été tellement déclarés coupables (falsificateurs, fauteurs de troubles) qu’il est devenu difficile de leur rendre leur place : origine de toutes les connaissances, porteurs de toutes les perspectives, réalité multiple de ce qu’on appelle communément le «moi» (le «je», le «sujet» pour les philosophes), auteurs de tous les jugements. C’est pour cela que j’ai écrit : «Les pensées ne sont que l’ombre de nos sentiments.» Mais nous avons été «élevés» ou «domestiqués» durant des millénaires à croire que ce sont les idées, les représentations, les institutions – une soi-disant partie incorporelle de l’humanité, une étincelle de divinité ! -, qui devraient diriger le monde. En dépit de toute expérience, qui montre que ce sont nos affects qui dirigent, et rien d’autre.
Une vision très restreinte du temps
Sa plus grande supercherie est sa prétention de penser le temps comme personne avant lui ne l’a pensé, alors que sa conception – démarquée de celle d’Augustin – est bien plus étroite qu’il ne le croit (ou veut le faire croire). Car :
- Il existe plusieurs passés, présents et futurs, ne serait-ce que par : la multiplicité des rythmes (il n’en parle jamais), les diverses modalités de la mémoire (humaine et non-humaine), les orientations des façons d’imaginer (en partie en fonction de l’expérience passée) ;
- Selon la perspective où l’on se place, la prévalence de l’un ou de l’autre change ; l’âge a aussi une grande importance ainsi que l’espoir de vivre plus ou moins longtemps ; un très jeune enfant n’a pas de passé et un vieillard n’a presque plus que du passé, surtout s’il devient inactif ;
- Bien qu’il veuille se situer du point de vue de l’être ou de l’attente de l’être, il ne sort jamais d’une position anthropologique et plus précisément psychologique, tout en s’en défendant constamment avec son invocation continuelle de l’ontologique ;
- Enfin, il néglige (ou il veut ignorer) que le monde – non ce qu’il appelle le «monde», mais la Natura naturans – est chaotique, ce que les physiciens et les biologiques ont commencé à comprendre depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, bien longtemps après que Hésiode, Héraclite et Épicure l’ont vaguement deviné.
L’adoration de l’Être en tant que mortification
Son désir de maîtrise absolue se manifeste par l’autoréférence de tous ses termes majeurs : l’Être-là (Dasein) n’est fondé en rien d’autre, n’hérite de rien d’autre, ne s’inspire de rien d’autre. Même l’«être» en dépend puisque l’accès à l’«être» n’est possible que par/pour/avec le Dasein. […] Je le vois comme quelqu’un qui craint de ne pas saisir l’essence des choses, d’être dépassé par les événements, et qui, par conséquent, aimerait tout figer dans une extase (une tenue hors de soi), uni au seul et unique transcendans : l’être. […] Peu importe que l’être reste mystérieux, qu’il soit le mystère même, cela contribue à l’attrait qu’exerce son grand prêtre. Son insistance sur le commencement («l’un» et «l’autre»), l’originaire, le pré-originaire, le fondamental, le silence plein de sens (de l’être), la rareté de ceux qui peuvent comprendre ce que l’être «est», le fait que l’êtreté de l’être ne sera dévoilée que dans un lointain futur (et encore à quelques-uns) – toute cette litanie sans fin, cette liturgie ésotérique, contribue au climat de mystère initiatique que suscite tout ce qu’il écrit. […] Bref, Heidegger est l’un des porte-parole de ceux qui ont peur de ne pas saisir (maîtriser, attraper, fixer) l’essence des choses, d’être démunis face aux événements et souhaitent conjurer ce triste sort : d’où le retour à la toute-puissance de la parole, à la magie verbale, laquelle va nous mettre à l’abri des hasards de l’existence – en se réfugiant au sein de cet «être», qui se montre en se cachant, s’ouvre en retrait, est véridique en simulant, est TOUT et RIEN à la fois.
Lire aussi : Robert Misrahi, naissance d’un philosophe (Michel Juffé)
En cet «être» le temps s’abolit, car il n’existe plus de liens de cause à effet […] toute responsabilité s’efface, et le Dasein authentique (le philosophe qui sait effectuer le «saut», et se met «à portée de l’être») déclare, sans discussion possible, la «vérité historiale» – de ce qui est, a été et sera. Un monde figé, clos sur lui même, stérile et terrifiant.
Pour aller plus loin : Michel JUFFE, Nietzsche lecteur de Heidegger, éd. de L’Elan, 2020.
Michel Juffé a donc lancé sa maison d’édition. La rédaction d’iPhilo lui souhaite bon vent dans cette nouvelle aventure éditoriale, pas évidente par gros temps épidémique. Sont déjà parus :
La Belle époque et son héritage écrit par Paul-Henri Bourrelier
Cet ouvrage présente une suite de quinze récits, qui illustrent les parcours d’une génération – la plupart nés entre 1860 et 1875 – fréquentant la Revue Blanche (1891-1903). Cette génération s’est révélée au tournant du XXe siècle, jusqu’à la Grande guerre, parfois bien au-delà. Elle manifeste l’originalité et l’intensité de la «Belle Époque» en trois domaines : l’organisation de la paix face à la mondialisation ; l’exercice de la justice dans le respect de son indépendance, bafouée dans l’affaire Dreyfus ; une littérature et des arts engagés dans des voies d’une audace sans précédent. Au fil de ces récits, on rencontre, entre autres, Léon Blum, alors écrivain, militant – comme Péguy – aux côtés de Jaurès ; Félix Fénéon, anarchiste, «celui qui silence» (selon Jarry) ; Jules Renard, socialiste et dreyfusard véhément ; Pierre Bonnard metteur en images des épopées d’Ubu ; Thadée Natanson complice d’Octave Mirbeau ; enfin Misia, «reine de Paris», provocatrice et inspiratrice de grands créateurs, écrivais, peintres, musiciens, chorégraphes et stylistes.
Paul-Henri Bourrelier, ingénieur général honoraire du corps des Mines, est l’auteur d’un ouvrage de référence, La Revue Blanche, une génération dans l’engagement (Fayard, 2007).
Eclats d’un monde disparu écrit par Michel Juffé
Michel Juffé vient également de publier le récit d’une famille juive entre Vienne et la Galicie. Dans cet ouvrage, il reconstitue une histoire de famille (la sienne), en associant témoignages d’époque, travaux d’historiens, romans (comme ceux de Joseph Roth ou de Robert Musil), récits et chroniques (Karl Kraus), quelques documents et récits émanant de cette famille, ainsi que les réflexions qu’il en tire sur ces époques et lieux. Il s’attache à la vie (et à la mort) des juifs de Galicie, en particulier à Lwow (aujourd’hui Lviv, en Ukraine) et Tarnopol, et aux va-et- vient de sa famille entre Vienne et ces deux villes alors polonaises. Ayant renoncé à vouloir tout comprendre de l’ascension puis de la destruction de tous ces juifs d’Europe centrale, il préfère évoquer – mêlant sa voix à d’autres – le destin imprévisible (quoi qu’en disent certains) de ces millions de disparus, comme a disparu – avant eux – l’empire austro-hongrois où ils purent un temps s’estimer des citoyens presque comme les autres. De ces disparitions, pense-t-il, l’Europe entière continue aujourd’hui à souffrir, exaltant les divisions entre peuples et populations qui vécurent un temps dans l’espoir d’une humanisation partagée, à l’opposé des fabulations meurtrières des Hitler, Goebbels… et d’un Heidegger, «contempteur» (dirait Nietzsche) de l’existence du plus grand nombre. Ce livre parle à – et touche – tous ceux qui, de près ou de loin, ont connu ou ont envie de connaître ce monde des juifs d’Europe centrale.
Né en 1945, Michel Juffé est un philosophe français, intéressé aux questions d'éthique, de philosophie politique et d'écologie. Il fut conseiller du vice-président du conseil général de l'écologie et du développement durable (2003-2010) et a enseigné dans plusieurs grandes écoles et universités. Auteur d'une douzaine d'ouvrages, il a récemment publié Sigmund Freud – Benedictus de Spinoza, Correspondance, 1676-1938 (Gallimard, 2016), Café-Spinoza (Le Bord de l'eau, 2017), Liberté, égalité, fraternité... intégrité (L'Harmattan, 2018), A la recherche d'une humanité durable (L'Harmattan, 2018) et, dernièrement, Éclats d’un monde disparu (Élan des mots, 2020), Nietzsche lecteur de Heidegger (Élan des mots, 2021) et Vlad le destructeur (Élan des mots, 2022).
Commentaires
Bravo, et merci pour ce texte drôle, incisif et très intéressant.
par Mme Michu - le 8 octobre, 2020
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