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L’Édito : «Méfiez-vous de votre prochain ou fiez-vous à lui?»

10/11/2020 | par Alexis Feertchak | dans Philo Contemporaine | 3 commentaires

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LA LETTRE D’IPHILO #2 : Recevez chaque mois dans votre boîte «mail» une lettre écrite par notre rédaction. En plus d’une sélection d’articles – ici ceux parus en octobre mais aussi certains «classiques» à (re)lire – vous pouvez découvrir «L’Édito», un court billet en lien plus ou moins étroit avec l’actualité, écrit ce mois-ci par Alexis Feertchak.


Diplômé de Sciences Po Paris et licencié en Philosophie de l’Université Paris-Sorbonne après un double cursus, Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et rédacteur en chef du journal iPhilo, qu’il a fondé en 2012.


«Chers lecteurs d’iPhilo,

Nous revoici derechef confinés dans nos foyers, nos seules sorties se limitant aux activités économiques et commerciales indispensables et à la recherche des biens dits de ‘première nécessité’. Il n’en fallait pas moins pour entendre monter un nouvel air du catalogue. Qu’est-ce qui, au fond, est absolument essentiel ? Ou, question en pratique plus difficile : qu’est-ce qui ne l’est pas ? Une armée de hauts fonctionnaires – des huiles essentielles ? – s’attèle à cet impossible exercice de casuistique. Le résultat ne peut qu’être décevant car il faudrait établir, non pas une simple hiérarchie verticale entre des biens, mais distinguer des ordres différents – sanitaire, économique, social, culturel, religieux, etc. – et admettre qu’un même bien peut occuper la première place dans l’un et la dernière dans un autre.

Le livre est l’exemple paradigmatique de cela : absolument inutile dans l’ordre de la subsistance, il est en même temps la nourriture la plus spirituelle de l’humanité. Lors, surgissent deux catégories d’hommes que tout oppose : d’un côté ceux pour qui il vaudrait mieux mourir vivant que vivre mort ; de l’autre ceux qui voudraient préserver la vie ‘quoiqu’il en coûte’, et ce même si cette vie, confinée et recluse, perd en substance. Comme souvent dans le débat public, ces opposés caricaturaux sont un peu vains. Par temps catastrophiques, ne devrions-nous pas chercher une ligne de crêtes entre ces deux extrêmes ?

Le reconfinement peut être le lieu paradoxal de la recherche d’un tel équilibre. L’exercice douloureux de la solitude, de la réduction de l’espace et du ralentissement du temps a pour singulière maxime : ‘Méfiez-vous de votre prochain’. Et ce jusqu’au sein des familles – ce mot désormais sanitairement suspect – puisque l’on a trouvé des scientifiques de bonne foi pour demander aux enfants de garder leur masque à la maison. Et, pourtant, la distance terrible qu’impose le confinement est en même temps l’occasion de penser aux autres en leur absence, de vivre avec eux sans leur présence réconfortante. L’exercice est difficile, mais comporte une part de beauté tragique : les contingences que la vie nous impose sont pesantes, mais pas au point de pouvoir délier les êtres. Par un retournement, le ‘méfiez-vous de votre prochain’ en sa présence se transforme en un exigeant ‘fiez-vous à lui’, malgré son absence».

Alexis Feertchak, à Saint-Lunaire, le 10 novembre 2020.

Nietzsche, lecteur de Heidegger

Nos lecteurs d’iPhilo connaissent bien Michel Juffé, qui avait publié en 2016 à la «NRF» chez Gallimard une conversation imaginaire entre Spinoza et Freud. L’auteur a récidivé cette année avec son excellent Nietzsche lecteur de Heidegger. Titre ô combien savoureux pour qui connaît même approximativement la date de mort du premier et la date de naissance du second. «Quand on lit Heidegger et notamment son Nietzsche (…), l’impression qui se dégage est que Heidegger (…) s’est bien foutu de Nietzsche, le réduisant à une caricature (…) J’ai joué à laisser la parole à Nietzsche, considérant qu’il évaluerait mieux la pensée de Heidegger que ses commentateurs», écrit-il en préambule. Nous vous proposons des extraits choisis de ce récit de philosophie fiction.

Retrouvez notre article : Réponse de Nietzsche à Heidegger, qui s’est bien foutu de lui (Michel Juffé)

Quel temps fait-il ?

Ayant eu l’occasion d’aborder plusieurs fois le thème du temps avec Michel Serres, le physicien Olivier Joachim décrit les dessous philosophiques de l’horloge et du métronome, deux objets que le philosophe des sciences mort en juin 2019 a lui-même convoqués aux extrémités de son œuvre pour illustrer les représentations du temps.

Retrouvez notre article : L’horloge et le métronome : les temps de Michel Serres (Olivier Joachim)

Désespérante violence

Dans l’un de ces best-sellers mondiaux dont certains auteurs anglo-saxons ont le secret, La Part d’ange en nous, Steven Pinker entend démontrer que la violence est en recul constant depuis l’origine de l’humanité. L’essayiste appuie sa démonstration sur une somme impressionnante de données chiffrées dont on imagine qu’elles pèseront d’un grand poids pour emporter l’adhésion de ses lecteurs. Pas celle de Laurence Hansen-Löve. Dans La Violence. Faut-il dans désespérer de l’humanité ?, la philosophe ne cache pas son désespoir face à la violence qui menace de déferler sur fond de catastrophique climatique. Et d’esquisser un terrible constat : «Je prends le pari que tous ceux qui se donnent comme objectif – ils sont nombreux – de rendre le monde moins injuste, moins brutal et moins inhumain, finirons tôt ou tard par en douter».

Retrouvez notre article : Face à la violence, faut-il désespérer de l’humanité ? (Laurence Hansen-Löve)

Pour les futurs bacheliers…

En 2021, les élèves de Terminale inaugureront la nouvelle mouture du Baccalauréat. Chaque mois, jusqu’à l’épreuve de philosophie, iPhilo publiera les extraits de l’analyse d’une notion faite par Sylvain Portier dans Philosophie, contrôle continu (éd. Ellipses). Commençons par la nature : essence ou naissance ?

Retrouvez notre article : #BacPhilo : la nature, naissance ou essence? (Sylvain Portier)

Et ne manquez pas non plus en septembre…

Chaque mois, un grand classique d’iPhilo à (re)lire !

24/09/2015 : Souvent présenté comme l’un des pères fondateurs de la Révolution française, Rousseau semble pourtant avoir douté des capacités du peuple à se donner ses lois. Dans une formule célèbre du Contrat social, il soutient que si la volonté générale est «toujours droite», «le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé». Ne signe-t-il pas l’échec du rousseauisme comme politique démocratique, et peut-être l’échec de la démocratie tout court ? Eléments de réponse avec la philosophe Céline Spector, professeur à l’Université Bordeaux Montaigne et auteur de Rousseau. Les paradoxes de l’autonomie démocratique chez Michalon.

Retrouvez notre article : Rousseau et le paradoxe de l’autonomie démocratique (Céline Spector)

Voilà, c’est la fin de la «Lettre d’iPhilo n°2». On vous redonne rendez-vous dans un mois. D’ici là, n’hésitez pas à en parler autour de vous ! Il vous suffit d’entrer votre adresse électronique sur le site d’iPhilo puis de valider l’email de confirmation reçu. 

Philosophiquement vôtres,

Alexis Feertchak & Sylvain Portier
Rédacteurs en chef d’iPhilo

 

Alexis Feertchak

Journaliste, Alexis Feertchak est chef de service au Figaro, chroniqueur pour le magazine Conflits et rédacteur en chef du journal iPhilo, qu'il a fondé en 2012. Diplômé de Sciences Po Paris et licencié en philosophie de l'Université Paris-Sorbonne après un double cursus, il a été pigiste pour Philosophie Magazine et a collaboré pour l'Institut Diderot, think tank de prospective. Suivre sur Twitter : @Feertchak

 

 

Commentaires

Bravo pour ce bel édito, très fin et même émouvant. Vous avez raison de préciser « exigeant » à propos du « fiez-vous à autrui » en son absence car c’est difficile malgré tout…

par Mme Michu - le 11 novembre, 2020


 » Des huiles essentielles ?  » , vous demandez-vous ? Merci , cher Alexis , de nous le rappeler : l’interrogation philosophique n’interdit pas l’humour . Vu les performances remarquables de ces  » huiles  » en matière de masques , puis de tests , je me demande si elles vont se prendre une troisième fois les pieds dans le tapis lorsqu’il faudra distribuer les vaccins . Si j’osais , je leur conseillerais…de ne surtout pas s’en mêler et de laisser faire ces odieux capitalistes avides de profits ! Quelle horreur , je préfère le savoir-faire intéressé des multinationales apatrides, cherchant le meilleur retour sur investissement , aux procédures compliquées , menées au nom de l’égalitarisme sacré , par une Administration admirable que le monde entier nous envie ? Ben , oui ! Il est vrai , je me sens profondément  » libéral  » , mot devenu une injure dans un pays drogué à l’assistanat . Personne n’est parfait .

par Philippe Le Corroller - le 12 novembre, 2020


Je partage votre analyse du confinement. On peut le vivre de façon passive comme une simple épreuve, mais aussi de façon active comme ce que les Anciens appelaient un « exercice spirituel », travail philosophique dont Xavier Pavie ou Maël Goarzin se sont déjà faits l’écho dans votre journal. Au plaisir de vous relire le mois prochain. J’aime beaucoup le concept de cette lettre d’iPhilo. Bravo à toute l’équipe !

par MG - le 12 novembre, 2020



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